Sixte-Quint, son influence sur les affaires de France au XVIe siècle/02

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SIXTE-QUINT
SON INFLUENCE
SUR LES AFFAIRES DE FRANCE AU XVIe SIECLE

II.
L’ÉGLISE ET LA FRANCE DE 1585 A 1589[1].

Sixte-Quint, d’après les correspondances diplomatiques, inédites, tirées des archives d’état, du Vatican, de Simancas, de Venise, etc., par M. le baron de Hübner, ancien ambassadeur d’Autriche à Paris. Paris 1870 ; 3 vol. in-8o.

La bulle privatoire de 1585 a fait confondre Sixte-Quint parmi les papes dévoués à l’Espagne et engagés à la ligue[2]. On a pu voir le contraire dans la dépêche du duc de Nevers que nous avons rapportée. J’en aurais d’autres aussi curieuses à recueillir ici, et qui confirment ce témoignage[3] ; mais ce que M. de Hübner rapporte de la bulle, d’après les autres correspondances, concorde parfaitement avec ce qu’on lit dans les Mémoires de Nevers. Il y a même un détail piquant relatif à la publication du décret préparé par Grégoire XIII. Je le laisse raconter par M. de Hübner. « Les délégués de la sainte union, dit-il, avaient sollicité vainement l’acte de privation. Dans leur audience de congé le cardinal de Vaudemont fit un dernier effort. Le saint-père répondit doucement : « Nous n’avons pas l’habitude de condamner les gens sans les avoir entendus. Il sera toujours temps d’en venir là. » Le cardinal ayant insisté, le pape le repoussa durement : « Nous vous avons dit, reprit-il, pourquoi nous ne pouvions pas faire telle chose; maintenant nous vous disons que nous ne voulons pas la faire. »

Cependant la chose se fit, et malgré un premier refus catégorique la résolution du pape fut vaincue. Croyant céder à une nécessité de la situation, il voulut du moins paraître agir d’après sa libre initiative de chef de l’église et non sous la pression des instances de la ligue ou de l’Espagne. « C’était, ajoute M. de Hübner, le premier acte du règne de Sixte-Quint relatif aux affaires de France, et cet acte était une faute qu’il ne tarda pas à regretter, qu’il se reprochera peut-être en secret, qu’il avouera même dans ses épanchemens intimes, tout en tâchant de s’excuser; mais à part cette faute, qu’expliquent son inexpérience et les influences qui l’entouraient à son avènement, il eut le mérite de comprendre, dès le premier jour, que la solution du problème posé en France devait se trouver ailleurs. » Quant à ce qu’on trouve écrit partout, à savoir qu’Henri IV[4] aurait fait afficher aux portes du Vatican même son acte d’appel comme d’abus au concile général contre la bulle privatoire : démarche hardie, dit-on, qui fit concevoir à Sixte-Quint de l’estime pour le roi de Navarre, c’est une histoire qui n’est appuyée d’aucun témoignage sérieux. Il suffit de lire le texte prétendu de la protestation, dans le journal de Lestoile, pour se convaincre qu’elle est apocryphe. L’habile Henri de Béarn faisait autrement ses affaires.

Il est un autre incident de cette époque, apprécié en général à contre-sens par les historiens qui n’ont pas sondé le fond des choses, et sur lequel M. de Hübner nous apporte d’intéressantes rectifications. Il s’agit du renvoi subit de l’ambassadeur de France à Rome peu de temps après l’avènement de Sixte-Quint. Voici la vérité à cet égard. Avant son élévation, le cardinal de Montalte avait eu d’étroites liaisons avec l’évêque de Nazareth, prélat de grande considération. Sixte-Quint voulut donner une marque de faveur à cet ancien ami, et fit l’ouverture à M. de Pisani, notre ministre à Rome, de nommer M. de Nazareth à la nonciature de Paris; cette communication, conforme aux usages diplomatiques, fut suivie d’une réponse approbative de M. de Pisani, qui, sans consulter sa cour, prit sur lui d’accepter pour son gouvernement le délégué cher au saint-père, et, confiant dans cette adhésion dont il ne pouvait vérifier la régularité, Sixte-Quint nomma M. de Nazareth, dont le roi apprit ainsi la mission, sans avoir reçu directement la communication préalable usitée en pareil cas. M. de Pisani n’avait donné aucun avis à sa cour. Cette forme de procéder parut étrange à Paris, surtout à un changement de règne dans la cour romaine, et la personne de M. de Nazareth étant signalée comme favorable à la ligue, Henri III, poussé par un juste sentiment de susceptibilité souveraine et connaissant l’arrivée du nouveau nonce à Lyon, fit notifier à ce diplomate l’ordre de s’arrêter et de ne pas pousser sa route plus avant. Sixte-Quint, informé de l’aventure et de la cause qui l’avait produite, fut froissé à son tour de l’injure faite à son ambassadeur, et, naturellement irrité contre M. de Pisani, dont la légèreté avait causé ce conflit, fit donner à ce ministre l’ordre de quitter sur-le-champ les états romains ; mais après la tempête, les explications ramenèrent le calme dans les esprits. Les torts furent reconnus, appréciés de part et d’autre dans un esprit d’harmonie et de paix. M. de Nazareth put continuer sa route sur Paris, et M. de Pisani, pour qui sa cour fut indulgente, revint à Rome avec son titre et fut gracieusement accueilli par le pape, avec lequel il eut depuis les meilleurs rapports.

La grande question de la bulle privatoire fulminée contre Henri de Béarn (ainsi l’appelèrent les Espagnols et les Romans) ne fut pas la seule du reste, pendant le règne de Sixte-Quint, où l’avis personnel du pontife ne prévalut point dans les conseils de la papauté. De Là cette fluctuation qu’on remarque dans la direction des actes du saint-siège en cette période. Un chapitre important du livre de M. de Hübner nous donne la clé de ces incertitudes dans l’action pontificale, et peut expliquer en certains cas le double jeu dont Sixte-Quint a été accusé vis-à-vis de Henri IV et de la ligue. A son avènement, il trouva le gouvernement de l’église établi sur un mécanisme administratif qui paralysait la liberté personnelle du pape. Les souvenirs du sénat romain[5] avaient introduit ou du moins fortifié l’intervention du consistoire des cardinaux, dans l’examen et le règlement des affaires de la Chiesa. C’était dans ces assemblées régulières que les membres du sacré-collège, assistés des hauts fonctionnaires non pourprés, traitaient, sous la présidence du pape, ou même hors de sa présence, des affaires de l’église universelle. Leur participation au pouvoir pontifical avait son origine et sa garantie dans l’élection elle-même ; mais depuis que le christianisme avait étendu ses conquêtes et que les affaires s’étaient multipliées ou compliquées, cette manière de les gouverner avait créé des embarras. Déjà plusieurs des prédécesseurs de Sixte-Quint, avant de saisir le consistoire, avaient employé des commissions ou congrégations pour instruire certaines questions et en préparer la solution ; ces délégations restreintes et transitoires n’entraient pas toutefois dans les rouages habituels et réguliers du gouvernement de l’église. Paul III établit la première congrégation permanente, celle du saint-office, dont l’institution avait été provoquée par les troubles de la réforme. Grégoire XIII eut recours à d’autres commissions de ce genre ; cependant le poids immense du gouvernement porta toujours sur le consistoire, dont l’autorité plus d’une fois s’imposa au chef de l’église. Sixte-Quint introduisit sur ce point un grand changement dans l’administration ; il institua les congrégations, qui se partagent encore aujourd’hui l’instruction des affaires de la chrétienté, et il réduisit à des questions limitées la compétence directe des assemblées du sacré-collège ou du consistoire. Par cette préparation constitutionnelle des décisions de la papauté dans les diverses congrégations compétentes, Sixte-Quint a été accusé d’avoir voulu diminuer l’influence et l’action du collège des cardinaux au profit de bureaux ou commissions placés sous sa main, et d’avoir ainsi brisé l’opposition qu’il rencontrait souvent dans l’assemblée du consistoire. Il a fondé le pouvoir absolu du pape dans la direction des affaires politiques. M. de Hübner entre à cet égard en des détails fort curieux où nous regrettons de ne pouvoir le suivre, comme serait notre goût. La grande question française de la ligue, et des relations malheureuses de la papauté avec elle rappelle et concentre ailleurs notre attention.

Il est une observation dont la vérité n’échappe à quiconque s’est appliqué dans le cabinet à l’étude de l’histoire, ou dans la vie publique à la pratique des affaires : c’est qu’une opinion politique ou religieuse, si respectable qu’elle soit en principe, aussitôt qu’elle s’organise en parti, subit une transformation qui l’altère. Elle traverse les régions sereines de l’esprit et de la conscience pour s’abandonner aux mouvemens de la passion, et, se constituant en société entreprenante d’action ou de défense, elle échange sa liberté première pour le joug de la volonté collective ; elle abdique la disposition d’elle-même pour passer dans le domaine du parti, et si le parti, comme c’est l’ordinaire, est dominé par des ambitieux qui n’y cherchent qu’une force à l’appui de leurs desseins, les adeptes sont livrés à tous les dangers des soumissions aveugles ou des entraînemens passionnés. Les partis emploient le plus souvent au soutien d’une bonne cause les moyens employés au soutien d’une mauvaise. Il y a des causes bonnes et des causes mauvaises, les partis sont toujours détestables. La politique recherchera par nécessité le concours des partis, la prudence privée fuira toujours leurs engagemens compromettans, quelle que soit l’auréole dont leur drapeau s’entoure. Les gouvernemens réguliers qui suffisent à l’homme de sens sont institués pour sauvegarder la société de la tyrannie des partis.

Si l’on pouvait douter de ce que j’avance, on n’aurait qu’à jeter les yeux sur l’acte de la sainte union, auquel la ligue menaçante obligea le dernier des Valois à donner le sceau de son adhésion. Il n’y manqua que les ciseaux d’or tenus en réserve par la duchesse de Montpensier pour couper la chevelure royale en confinant la personne du dernier Valois dans un cloître. Les adhérens s’engageaient sur la vie et l’honneur, et « sur peine d’être à jamais déclarés parjures, infâmes et tenus pour gens indignes, » à s’employer de toute leur puissance pour remettre et maintenir l’exercice de la religion catholique, et pour cet effet promettaient de se tenir prêts, bien armés, montés et accompagnés selon leurs qualités, pour, incontinent qu’ils seraient avertis, exécuter ce qui leur serait commandé, et, parce que tels préparatifs ne se peuvent faire sans frais, il devait être levé la somme de deniers reconnue nécessaire à une chose si sainte. S’il était avisé d’avoir communication aux provinces voisines, il y serait pourvu en si bonne intelligence que chacun se put aider et secourir selon l’occurrence. A cet effet, tous les gentilshommes et autres catholiques étant de l’association seraient maintenus et conservés les uns par les autres en toute sûreté et empêchés de toute oppression d’autrui. Et, s’il y avait différend ou querelle entre eux, on devait les régler et composer par arbitrage selon qu’il serait juste et de raison. « Si même aucun des catholiques de la province, après avoir été requis d’entrer en l’association, faisait difficulté ou usait de longueur, attendu que ce n’est que pour l’honneur de Dieu, le service du roi, bien et repos de la patrie, il sera estimé en tout le pays ennemi de Dieu, déserteur de sa religion, traître et profiteur de sa patrie, et, du commun consentement de tous les gens de bien, abandonné à toutes injures et oppressions qui lui pourront survenir. » Enfin les adhérens promettaient et juraient d’observer les articles de l’union sans avoir égard à aucune amitié, parentage et alliance, de quelque qualité que fussent les personnes, « et semblablement de tenir secrète la présente association sans aucunement la communiquer, sinon à ceux qui en feront partie. » Rien n’y manque, on le voit, pour constituer une véritable société secrète, formidable par l’attache de ses membres, par la terreur des menaces et par les moyens d’action qui sont assurés. L’Internationale n’est pas mieux organisée. L’échec à la royauté fut si complet qu’elle fut obligée à jour donné de tenir pour approuvés les articles de l’union, et de permettre, notamment le 12 janvier 1579, « aux sujets de la bonne ville et cité de Paris d’exécuter ce qui est porté par iceux et octroyé de lever les deniers nécessaires[6]. » Un gouvernement de désordre fut donc substitué par le traité de Nemours au gouvernement régulier de l’état; l’histoire de Paris et de nos provinces pendant cette lugubre période en porte le déplorable témoignage.

Quels ont été les promoteurs audacieux de cette conspiration? Philippe II et la maison de Guise; nous ferons connaître plus tard leurs agens secondaires. Quel était l’objectif déterminé des conjurés en 1585? La couronne de France, pour laquelle le roi d’Espagne et les Guises se réservaient un débat ultérieur d’attribution. L’espérance subsidiaire de chacun était au moins le partage du territoire et le démembrement de la France. Les part-prenans étaient déjà connus. Le duc de Savoie s’appropriait la Provence, où les ligueurs du pays le proclamèrent héritier des anciens comtes; il a gardé la ville d’Aix à ce titre pendant plus d’un an. On désintéressait l’Angleterre par l’offre de la Normandie. On faisait même leur part aux princes Bourbons; mais la correspondance de Philippe II prouve que, dans ses desseins du moins, c’en était fait de l’unité française[7]. Ainsi la ligue a commencé par être seulement anti-calviniste; la passion l’a conduite à être anti-dynastique; et la haine dynastique l’a poussée à être anti-française. Dans ces trois phases de son histoire, elle nous présente un composé singulier d’intolérance religieuse empruntée à l’Espagne et de fureurs politiques empruntées à la querelle des deux roses en Angleterre. Nous n’avons point eu Marguerite d’Anjou, comme les Anglais, mais nous avons eu Henri de Navarre, ce qui a mieux valu pour la France.

Toutefois, avant que la cause de ce prince eût prévalu, que de malheurs accumulés! L’administration royale, quelque défectueuse qu’elle fût alors, était bienfaisante, ordonnée, et répondait à sa mission. Elle fut dissoute par l’organisation de la ligue. Les gouverneurs de provinces s’érigèrent en satrapes et n’obéirent qu’aux factions, car, si l’on eut la ligue catholique, on eut aussi la ligue réformée. L’administration de la justice, qui avait fait l’honneur de la France, fut pendant dix ans corrompue dans sa source : on rechercha pour l’appliquer non le droit de chacun, mais son parti; et quant à l’administration civile, elle dégénéra en brigandage. Les dénonciations, les rixes, les meurtres, les vengeances, se multiplièrent et restèrent impunis. L’idée de proscription redevint familière aux esprits, et dans la société française livrée en proie aux mauvaises passions, on put craindre de voir éclipser les premiers bienfaits de la civilisation, la sécurité, le respect des lois. L’affection disparut des familles, et dans les corps de l’état comme les parlemens il y eut partage d’opinion et de drapeau, scission et lutte ouverte. Toute autorité publique était tombée en mépris ; elle fut remplacée par celle des meneurs de partis et de leurs sicaires. En nos provinces et à Paris on se crut ramené aux temps barbares; on s’abandonna librement à des fureurs qu’on avait crues éteintes avec les Bourguignons et les Armagnacs. Le pouvoir municipal dans les villes fut transporté à des comités démagogiques, catholiques ou protestans, et l’anarchie prédomina partout. A certain moment on parla de brûler Paris plutôt que de le livrer à Henri III. Ce mouvement communal, républicain même, le mot fut prononcé, explique l’immense popularité de la ligue catholique dans les villes. Paris, Marseille en ont offert les monumens.

Aussi, lorsque parut l’édit d’octobre 15S5, qui augmentait l’audace de l’union et vouait les protestans à des proscriptions sanglantes, la partie saine du parlement de Paris, restée attachée à la régularité monarchique, vota des remontrances pour s’opposer à l’enregistrement. Il y était dit : « Qui oserait exposer à la mort tant de millions d’hommes, femmes et enfans sans cause ni raison apparente, vu qu’on ne leur impute aucun crime que d’hérésie, hérésie encore inconnue et pour le moins indécise?.. Que dira la postérité si elle entend jamais que votre cour de parlement ait mis en délibération d’honorer du nom paternel de vos édits les articles d’une ligue assemblée contre l’état, armée contre la personne du roi, qui s’élève contre Dieu même, dont elle emprunte le nom, et qui outrage la nature, commandant aux pères de n’être plus pères à leurs enfans, invitant l’ami à trahir son ami, et appelant l’assassin à la succession de l’assassiné; sans parler d’autres iniquités assemblées en nombre infini sous cette forme d’édit, par lequel ceux qui en sont auteurs espèrent pouvoir gagner le royaume après qu’ils l’auront fait perdre au roi? » Le fanatisme venant en aide à la sédition anarchique, on lisait dans les pamphlets de la ligue que la Saint-Barthélémy fut une saignée salutaire, regrettant seulement quelle eût été insuffisante-, que l’hérésie était un mal auquel il faut mettre le fer et le feu, on y louait l’inquisition d’Espagne, et admettant même le fait douteux de l’immolation de don Carlos, réputé partisan de la réforme, on y glorifiait Philippe II de s’être privé d’enfant mâle, et d’avoir violé les droits de la nature pour sauver la religion[8].

Tel fut le détestable instrument que la politique et l’ambition mirent aux mains des Guises et de Philippe II. C’est un douloureux épisode de la grande réaction catholique du XVIe siècle, non qu’il soit juste d’en mettre la responsabilité au compte du catholicisme, mais qui prouve combien est périlleux l’emploi de certains moyens en religion comme en politique. Le cardinal de Bourbon ne se doutait point à Péronne, en 1576, de l’incendie qu’il allumait dans son pays. Quant à la papauté, elle fut débordée par les passions de la ligue, et pour ce qui est de Sixte-Quint en particulier, sa correspondance, relevée par M. de Hübner, et la correspondance du duc de Nevers prouvent que la ligue lui fut toujours profondément antipathique. Il n’était plus le maître de diriger un mouvement engagé, mais, quand il fut libre d’agir, il montra sa préférence pour une autorité réglée et tutélaire : catholique sans doute. Sixte-Quint pape ne pouvait rêver autre chose, mais avec une profonde aversion pour les procédés révolutionnaires, quelle qu’en fût la couleur. Philippe II lui écrivait : « C’est à sa sainteté de pourvoir à ce qu’un but aussi important que l’extermination de l’hérésie en ce royaume ne soit pas manqué par défaut de zèle. » Sixte-Quint possédait le trésor le mieux garni de la chrétienté, sans en excepter l’Espagne. On ne put jamais lui arracher une obole pour soutenir en France la ligue catholique. Il était plein de mépris pour Henri III, et il n’avait aucun penchant pour l’ambition désordonnée des Guises, malgré certaine estime pour leur personne. Il ne voulut pas leur donner de l’argent. Le détail des intrigues qui furent inutilement ouvertes pour obtenir des subsides du pape est très intéressant dans la correspondance. En une lettre d’Olivarès à Philippe II, on voit que Sixte-Quint avait refusé même toute approbation publique de la ligue « parce que l’ambassadeur de France (M. de Pisani) avait montré à sa sainteté des pièces qui prouvaient que la sainte union et les princes coalisés poursuivaient d’autres fins que celles qu’ils avouaient, et étrangères à la cause de la religion; » ce qui n’empêcha pas plus d’une fois, comme nous l’avons dit, que le pape n’eût la main forcée par les partis espagnol et ultramontain, et ne fût contraint à des démonstrations compromettantes. L’ouvrage de M. de Hübner fournit la preuve de ces luttes incessantes dans les conseils de la cour romaine, et le personnage de Sixte-Quint en ressort avec sa vive, brusque et profonde originalité. Du reste, en étudiant à fond tous les caractères de cette époque, on découvre à chacun des visées particulières, et dans la diplomatie autant de menées, de vues personnelles qu’il y a d’intéressés dans les grandes affaires. Philippe II aspirait à être plus maître à Rome que le pape, et il y parvenait quelquefois; mais Sixte-Quint en prenait de rudes revanches.

A propos du désastre de l’Armada dans les mers d’Angleterre, M. de Hübner nous révèle une dépêche d’Olivarès qui offre une scène de haute comédie. Il paraît que le pape avait promis des fonds pour cette expédition. L’ambassadeur d’Espagne vint en réclamer le paiement alors qu’il courait déjà de mauvais bruits sur le succès. « Il m’écouta sans m’interrompre, dit Olivarès à Philippe II, mais avec des signes d’impatience et en se tordant plusieurs fois les mains. Enfin sa colère éclata; il répondit qu’il remplirait ses obligations, mais qu’il était inutile de le presser maintenant, attendu qu’il ne comptait rien faire avant d’avoir des nouvelles de la flotte. Je répliquai que je transmettrais ses paroles à votre majesté, et que sa résolution de ne rien faire étant, quoi qu’il en dît, évidente, votre majesté verrait avec déplaisir que sa sainteté lui manquât de parole. Sans s’excuser, le pape soutint ne pouvoir disposer de l’argent du saint-siège qu’avec l’assentiment de tout le sacré-collège, et, sans rien ajouter, il m’ordonna de passer à un autre sujet. » Quant à l’événement même de la perte de l’Armada, Olivarès rend ainsi compte à Philippe II des impressions qu’en éprouva le pape. « L’attitude de sa sainteté dans ces jours derniers n’a pas laissé reconnaître le zèle pieux pour l’extirpation des hérétiques et pour le salut des âmes auquel l’oblige sa situation; car, lorsque les nouvelles étaient bonnes, elle ne témoignait aucune joie et se montrait au contraire mélancolique, et quand elles n’étaient pas bonnes, elle montrait une résignation presque inconvenante. C’était l’impression générale. C’est que dans son esprit le bien que fait votre puissance est contre-balancé par l’envie et la crainte de la grandeur de votre majesté; semblable en ceci aux Vénitiens et aux Florentins qui ont toujours l’éloge à la bouche, mais qui, dans leur for intérieur, contestent les bienfaits dus aux résolutions de votre majesté. »

Dans une autre dépêche d’Olivarès à son roi, nous voyons que le caractère hautain de Philippe II s’irritait souvent des procédés du pape. « Un cardinal dévoué à nos intérêts m’a raconté une longue conversation qu’il a eue avec sa sainteté... L’ensemble se composait de plaintes contre votre majesté, qui, disait le pape, ne l’estimait pas, n’en faisait aucun cas, et ne daignait même pas répondre à ses messages, ce qu’il semblait vivement ressentir. » Et l’ambassadeur, après avoir indiqué d’autres griefs du pape, ajoute : « Il serait utile, pour le service de votre majesté, qu’elle ne lui donnât pas de motifs de récriminations, ce qui sera facile, sans nuire aux intérêts de votre majesté. J’oserai recommander de bonnes paroles, de promptes réponses jointes à des témoignages d’estime. Dans les choses importantes ou préjudiciables pour votre majesté, il faudrait tenir ferme. Je supplie votre majesté de pardonner la liberté avec laquelle je m’exprime ainsi ; elle sait que c’est le zèle de son serviteur qui me fait franchir les limites. Mais je pense que, si on parvient à améliorer les rapports, il n’est pas impossible d’entraîner le pape dans la bonne voie, sauf toujours les questions d’argent, et sans rien retirer de son mauvais naturel et de son manque de foi, quand l’autre côté de la balance lui présente de plus grands profits. » Tels étaient donc les sentimens intimes de Philippe II et de Sixte-Quint l’un pour l’autre. Le gros des historiens s’y est mépris, et nous devons des grâces à M. de Hübner d’avoir dévoilé la vérité. On ne s’y trompait point à l’entour du pape. Il y avait trois partis bien marqués dans le sacré-collège : le parti espagnol, très considérable et très audacieux ; le parti de la France, timide et en minorité ; enfin un parti neutre, qui croyait faire sa cour en montrant de l’indifférence pour l’Espagne. Olivarès s’attaque souvent à ce qu’il appelle « la faction du sacré-collège qui professe la neutralité. » A l’occasion de la perte de l’Armada, ce parti régla ses impressions sur celles du pape, « autant par déférence, dit Olivarès, que par appréhension de perdre la faveur. » Lorsque les fâcheuses nouvelles acquirent de la certitude, « les mauvaises dispositions se firent connaître plus ouvertement. Beaucoup de ces cardinaux se donnaient l’air d’être soudainement affranchis. »

Vers la même époque, et sous l’influence des craintes personnelles que lui inspiraient les Guises, il paraît que Henri III et sa mère avaient fait proposer à Philippe II de resserrer les liens d’amitié entre les deux couronnes, se proposant probablement de décapiter par là le parti catholique en France, et de rompre ensuite plus facilement avec les Lorrains. Olivarès ne voyait qu’un leurre dans l’intention, et dans les avantages proposés une chimère. Je dois penser, disait-il, que votre majesté ne prend pas au sérieux la proposition française, et cependant il devenait aussi délicat d’en entretenir le pape que de garder le silence avec lui. Le principal auteur de cette idée d’union lui semblait être le nonce Morosini. L’ambition et l’espoir d’arriver à la papauté, grâce à sa situation de cardinal neutre, aurait bien pu agir sur lui. «Toutefois, ajoute Olivarès, à moins qu’il n’y ait quelque artifice là-dessous, j’ai de la peine à croire qu’étant Vénitien, il se soit franchement engagé dans une combinaison qui sera toujours si odieuse à la république, comme à tous les princes d’Italie intéressés à éviter l’union des cabinets de Paris et de Madrid. Il serait aussi possible que, voyant la grande envie de ces rois (Henri III et Catherine), il se soit mis de la partie pour faire échouer la négociation, et c’est ce que feront les autres, désireux d’attirer le pape de leur côté. Celui-ci serait très fier d’ailleurs d’être l’instrument de cette œuvre, en sorte qu’il est possible que cette considération l’emporte chez lui sur toutes les autres, et qu’il tâche d’entretenir les espérances que donne la difficile conclusion et la plus difficile conservation de cette union. Il serait très utile que votre majesté montrât dans cette affaire de la déférence pour le pape, avant que l’autre partie puisse le faire. Le contraire ferait beaucoup de mal à nos intérêts et serait considéré comme une offense à sa sainteté. Quant au secret, on ne doit pas y songer dans les négociations avec les Français, ainsi que votre majesté le sait mieux que personne[9]. »

Olivarès connaissait bien les hommes et les choses. La rouerie des Vénitiens lui était familière, et il avait des épies partout pour déjouer leurs manœuvres. Ces derniers craignant en effet la prépondérance de Philippe II, et avertis par Morosini, leur compatriote, envoyé du pape à Paris, négociaient de leur côté une ligue particulière avec le roi de France, et travaillaient à obtenir l’adhésion du pape à cette combinaison. Olivarès cite son témoin à Philippe II : c’était le cardinal Alessandrino, bien informé, paraît-il. « Ce cardinal, dit-il, apprécie comme tout le monde la sincérité du pape. Il en a fait l’expérience dans sa propre personne, et par ce qu’il a vu quand il était dans les affaires. J’attends aussi peu, et peut-être moins que lui, du caractère de sa sainteté ; mais je ne pense pas qu’à moins de juger l’occasion parfaitement sûre, il ait le courage d’embrasser un parti qui pourrait lui donner des embarras et l’obliger à dépenser son argent. » À quoi Olivarès ajoute ces mots dignes de remarque chez un Espagnol de ce temps-là : « D’autant plus que, par ce qui se fait contre l’Angleterre, il (Sixte-Quint) a satisfait à un appétit commun aux papes, à ce désir qu’ils ont de s’associer à quelque grande entreprise, sans s’enquérir toujours autant qu’ils devraient du mérite de l’affaire. » L’ambassadeur termine sa dépêche par aviser le roi qu’il a sur-le-champ écrit au ministre d’Espagne à Paris, Mendoza, lui recommandant d’avoir les yeux ouverts sur l’intrigue signalée, attendu qu’elle ne peut être utilement surveillée, encore moins dépistée à Venise, où l’Espagne n’a qu’un agent incapable.

L’année 1588, où se passaient tous ces événemens, est une des plus mémorables dans l’histoire de nos guerres civiles. Une ligue particulière s’était formée à Paris, en 1585, et avait abouti à l’établissement communal des seize, qui s’étaient distribués dans les seize quartiers de la ville, et qui, vendus aux Guise, s’y partageaient au nom de la religion la disposition de toutes les affaires. La paix de Nemours, qui consterna les esprits droits et modérés, augmenta l’audace des ligueurs et mit de nouveau les armes aux mains des protestans. Il s’ensuivit la guerre qu’on nomma des trois Henri, savoir Henri III, Henri de Navarre et Henri de Guise. Lutte indécise d’abord, qui aboutit en Guienne à la bataille de Coutras gagnée par Henri de Navarre, et à Paris à de menaçantes démonstrations de la ligue et des seize contre la royauté. La Sorbonne délibéra « que l’on pouvait ôter le gouvernement aux princes que l’on ne trouvait pas tels qu’il fallait, comme on ôtait l’administration au tuteur qu’on avait pour suspect[10]. » Le roi interdit au duc de Guise le séjour de Paris, que dut aussi quitter le duc de Mayenne intimidé par les préparatifs hostiles du gouvernement royal, qui prenait une attitude agressive. L’excitation croissante amena dans la capitale la journée des barricades, provoquée par les intentions qu’on supposait au roi, fortifié dans son Louvre, et disposé à un coup de main contre les ligueurs. Rappelé avec insistance par les seize, le duc de Guise rentra bien accompagné dans Paris malgré la défense du roi, et se présenta hardiment chez la reine-mère, Catherine de Médicis, en son hôtel de Soissons[11]. Étonnée de cette audace, et comprenant la force du parti, Catherine essaya d’apaiser les esprits, et, se portant conciliatrice, elle conduisit le duc de Guise au Louvre, où sa présence déconcerta le roi, qui n’eut ni le courage de s’en défaire, ce dont il avait envie, ni du moins la précaution de s’assurer de sa personne, ce qui eût été facile. La témérité du duc fut heureuse à ce dernier, qui, n’étant pas sans appréhension pendant cette visite hardie, se retira au plus tôt en son grand et bel hôtel, récemment construit[12] au Marais. La démonstration de Guise coïncidait avec des dispositions inquiétantes des troupes royales sur plusieurs points de Paris, notamment aux environs du pont Notre-Dame et de la place Maubert; il s’ensuivit une collision entre les soldats du roi et les ligueurs, collision qui prit incontinent un caractère si grave qu’elle obligea les bataillons royaux à se replier en désordre sur le Louvre avec des pertes sensibles.

Les barricades s’étaient élevées de tous côtés, le roi courait risque d’être fait prisonnier dans son palais, si une prompte résolution ne mettait fin au désordre. Catherine de Médicis eut peine à pénétrer chez le duc de Guise, qu’elle fut implorer dans son hôtel, et le duc resta maître de la situation (12 mai 1588), un peu embarrassé d’ailleurs de sa facile victoire, dont il usa généreusement envers les soldats du roi. Averti que de nombreux prisonniers allaient être massacrés, il monta aussitôt à cheval, sortit de son hôtel sans cuirasse et sans armes, en pourpoint blanc, avec une baguette à la main, et se dirigeant vers la Grève, où l’animation était la plus menaçante, il calma les esprits comme par enchantement, et délivra les soldats bloqués au marché des Innocens, au Marché-Neuf, derrière l’Hôtel de Ville, et ailleurs. Rentré triomphant dans son hôtel, il y trouva la reine-mère, avec laquelle, après de vives paroles, il traita de la capitulation du roi. Retirés à l’écart dans le jardin de l’hôtel, on les entendit attaquer et défendre. Le duc réclamait impérieusement la convocation des états-généraux, la lieutenance-générale du royaume pour lui-même, la déchéance du roi de Navarre et des princes de sa ligne, la limitation des impôts et la définition régulière des pouvoirs de la royauté. Il exigeait la réception des décrets du concile de Trente refusée jusqu’alors, le bannissement de certains personnages, la nomination pour ses amis à de grandes charges, et la formation de deux armées, dont une serait commandée par lui, et l’autre par le duc de Mayenne, avec lesquelles on combattrait résolument les huguenots en Poitou et en Dauphiné. Pour les ducs de Nemours et d’Elbeuf, ses cousins, il demandait les gouvernemens de Lyon et de la Normandie. Le comte de Brissac, qui avait commandé sur les barricades, serait nommé gouverneur de Paris, et on livrerait à la ligue de nouvelles places de sûreté; en un mot, c’était l’abdication du roi.

Telles furent les conditions que Catherine dut porter à une cour éperdue, renfermée dans le Louvre et craignant d’y être forcée. La journée s’épuisa sans qu’on pût tomber d’accord; mais la sédition ne désarmait point, et le roi de son côté croyait, en gagnant du temps, éviter de si dures extrémités. Les hostilités reprirent dès le matin du 13, et le duc attisa le feu cette fois en faisant sonner partout le tocsin d’alarmes. Du quartier de l’Université, des Halles, des faubourgs, des bandes armées se dirigèrent sur le Louvre et y portèrent l’effroi. La ligue ne doutait pas de recevoir le roi à merci. Catherine retourna au Marais chez le duc de Guise pour négocier de la paix, mais elle ne put traîner la conférence en longueur sans que le duc démêlât son intention. Averti en effet par sa mère qu’il n’y avait rien à attendre, Henri III s’échappa du Louvre, seul et à pied, par les Tuileries, où il trouva des chevaux, et se dirigea sur Saint-Cloud. Le duc en apprit la nouvelle pendant que Catherine discutait encore avec lui, et dit vivement : « Madame, je suis perdu; pendant que votre majesté m’amuse ici, le roi vient de s’évader pour me faire plus de mal que jamais. » Le duc était maître de Paris, mais le roi s’était soustrait à ses coups mal dirigés et avait déjoué les calculs des ligueurs par sa fuite. Les membres du gouvernement royal dispersés un moment se réunirent à Chartres auprès du roi, et une phase nouvelle de la lutte s’ouvrit. Henri III fit connaître les événemens aux gouverneurs des provinces et des villes, et il informa le pape ainsi que les princes souverains de l’attentat du duc de Guise, qu’il dénonçait comme l’auteur de tous les troubles de France, en signalant la complicité de Mendoza, ambassadeur espagnol à Paris. En même temps il se mit en communication avec le roi de Navarre, sentant bien que là était la suprême espérance de la dynastie royale si ouvertement attaquée. De son côté, le duc ne laissait pas que d’être inquiet, malgré sa victoire, qui était compromise en restant incomplète.

Tirant l’épée contre son roi, il n’avait osé en jeter le fourreau, comme le lui reprocha le duc de Parme, gouverneur espagnol des Pays-Bas, dans l’esprit duquel il perdit son crédit, comme on le voit par les lettres réciproques. Si le 12 mai, disait-on, au lieu de s’enfermer dans son hôtel de la rue du Chaume, il eût marché résolument sur le Louvre, Henri III était perdu; mais le duc avait espéré que le roi, bloqué par le peuple en armes, sérail obligé d’invoquer sa protection, comme on l’avait implorée pour sauver la vie aux soldats royaux vaincus et prisonniers. Sans mettre la main sur le dernier des Valois, comme avait fait Hugues Capet pour le dernier des Carlovingiens, il aurait obtenu les mêmes avantages, et les états-généraux, dont la convocation était universellement réclamée, auraient complété l’œuvre par une déposition en bonne forme. Cette idée de déposition était dans tous les esprits. On avait l’exemple de l’Angleterre déposant Henry VI, de l’Allemagne déposant Wenceslas; on avait l’autorité des docteurs catholiques et l’opinion populaire soulevée contre Henri de Valois, lequel, en laissant la place à l’émeute des 12-13 mai, sauva l’ombre de royauté qui lui restait. Mendoza écrivait de Paris, le 15 mai 1588, à Philippe II : « L’abcès n’a pas crevé comme on s’y attendait, mais les choses demeurent dans un si mauvais état qu’il sera difficile d’y apporter remède... Mucius (c’est le nom sous lequel la correspondance espagnole désigne le duc de Guise) est tellement occupé que nous n’avons pas eu le temps de nous voir[13]. »

Il avait fort à faire en effet. Cette masse inconsistante de population mutinée, les étudians de l’Université, les ouvriers des ports, le bas peuple des halles, les femmes excitées par les moines, les moines eux-mêmes qui avaient fait les barricades, donnaient le spectacle d’un triomphe assez ignoble; le duc n’était pas maître de contenir leurs excès, et la bourgeoisie, qui avait laissé faire, commençait à craindre pour sa sûreté, car il suffisait d’être signalé, dénoncé huguenot, pour être massacré. Le parlement, très influent dans la ville, était en permanence, et appuyait le tiers-parti, les politiques, déjà fort accrédités, qui finirent cinq ans plus tard par dominer la situation et mettre un terme à la crise. Le duc de Guise vint au palois pour gagner la magistrature à sa cause. Le premier président, Achille de Harlay, le foudroya par la fameuse apostrophe ; « C’est grand pitié, monsieur, quand le valet chasse le maître, etc.,» dont le duc resta comme interdit. Le pouvoir royal était d’ailleurs encore debout en la personne de Catherine de Médicis, demeurée courageusement dans Paris, investie du mandat de son fils. La justice continuait à s’y rendre au nom du roi en vertu d’instructions parties de Chartres où les principaux de la ville allaient assez librement prendre des ordres[14]. Une femme, un juge, le bon sens revenu dans les esprits, tenaient donc à son tour en échec Henri de Guise, qui s’était arrêté à mi-chemin de la révolte sans en avoir le mérite auprès de personne; malhabile et fausse position qui le montrait conspirant contre la royauté tout en gardant les apparences du respect avec elle, et qui l’a conduit à une perte déjà reconnue inévitable aux esprits clairvoyans. Il disait le 12 mai aux émeutiers qui criaient vive Guise : « Mes amis, vous me ruinez, criez vive le roi. » Serait-il vrai que les seize lui ont forcé la main le premier jour des barricades, et qu’il aurait voulu se borner à la défensive contre le coup d’état avorté de Henri III? Je crois cette opinion moderne, et qu’on était simplement alors à l’enfance de l’art en fait de journées révolutionnaires.

Si nous en croyons De Thou, d’ordinaire bien informé, lorsque Sixte-Quint apprit que le duc de Guise était rentré à Paris malgré la défense du roi, il s’écria : « le téméraire, ô l’imprudent, d’aller se mettre ainsi dans les mains d’un prince qu’il a tant offensé ! » Puis, quand il apprit que le roi l’avait laissé sortir du Louvre,-il s’écria plus vivement encore : « O le lâche prince, ô le pauvre souverain, d’avoir ainsi laissé échapper l’occasion de se défaire d’un homme qui semble né pour le perdre! » Enfin l’on ajoute qu’il ne mettait plus de termes à ses exclamations, quand il apprit que le duc lui-même avait laissé le roi s’échapper du Louvre. Ces propos de Sixte-Quint furent rapportés au roi, et nous verrons bientôt quelle en fut peut-être l’épouvantable conséquence. Ce qui est assuré, c’est le témoignage piquant que nous fournit M. de Hübner des sentimens prêtés à Sixte-Quint à l’occasion de cette déplorable affaire. Le rapporteur passionné en est encore Olivarès. Il écrivait le 30 mai de Rome à Philippe II : « Sa sainteté m’a raconté qu’elle avait parlé très chaleureusement à l’ambassadeur de France à l’excuse des Guises. Il lui est échappé pourtant d’ajouter qu’elle avait demandé à M. de Pisani comment il était possible que le roi (lorsqu’il tenait le duc au Louvre) n’eut pas eu sous la main vingt hommes sûrs pour le faire enfermer dans une chambre, et en faire ce que bon lui semblait[15], ce dont les Parisiens auraient fini par s’accommoder. D’autres fois elle m’a dit avoir fait observer à l’ambassadeur et aux cardinaux dévoués à la France que le roi faisait mal d’être en défiance en nième temps avec les Guises et avec Montmorency (chef du parti politique), qu’il fallait se joindre aux uns pour frapper avec eux sur les autres, et qu’après en avoir fini avec ceux-ci, il aurait les bras libres pour tomber sur les autres. De même elle m’a dit nombre de fois que le duc de Guise a mal fait, il y a maintenant trois ans, de ne pas aller à Paris et de ne pas s’emparer du gouvernement. Elle m’assure avoir fait engager le duc à se méfier du roi, lequel comptait lui jouer un tour qui pourrait lui coûter la vie. De tout ceci votre majesté pourra, si elle ne l’a déjà fait depuis longtemps, se faire une idée du caractère de sa sainteté et de la foi que méritent ses paroles, et comprendre comment elle se rangera toujours du côté du plus fort[16]. »

Aux embarras purement politiques se joignaient des embarras d’argent, qui tourmentaient beaucoup le duc de Guise. — Lestoile nous apprend que le fameux banquier Zamet avait été de sa part l’objet d’extorsions singulières en ce moment critique[17]. Il demanda des subsides à Rome où l’on se garda bien de les lui fournir. Il en demanda au roi d’Espagne, qui lui fit compter une somme assez considérable, malgré sa gêne personnelle, et qui en promit bien davantage. Le duc écrivait le 28 mai à Mendoza : « Le plus nécessaire de tout est qu’il plaise à M. le duc de Parme commander que les 300,000 écus promis soient promptement envoyés, parce que le retardement incommoderait beaucoup nos affaires, en ce qu’il ne se peut jamais présenter une occasion plus grande ni plus conforme aux conventions et conditions accordées, et pour plus grande diligence ne plaindre la dépense de courrier exprès, pour en apporter la plus grande somme que faire se pourra. » Dans une autre dépêche Mendoza mandait à son souverain : « Mucius (le duc de Guise) se trouve bien pressé, car il m’a demandé de lui faire avancer par des négocians de Rouen, et sous ma garantie, une somme de 30,000 écus. Je lui ai répondu que ce serait de ma part une fort grave imprudence, parce qu’une pareille affaire traitée par moi avec des négocians ne manquerait pas de parvenir à la connaissance du roi... » L’Espagnol mettait un grand mystère dans ses relations avec Henri de Guise, et l’on en comprend le motif. On voit par les documens publiés que leurs rencontres n’avaient lieu que la nuit; mais l’ambassadeur vénitien à Madrid avait vu clair à travers tous les voiles. M. de Hübner nous livre une missive de ce personnage au doge, sous la date de Madrid 17 juin 1588, et qui est intéressante à connaître. « Il n’y a aucun doute, porte la dépêche, que le duc de Guise n’ait agi de concert et avec l’appui du roi d’Espagne. Il est tout aussi certain qu’on a de nouveau envoyé de l’argent au duc de Guise, et que le roi très chrétien s’en est plaint auprès du pape. Ce prince a déclaré que, si l’on continuait de la sorte, il se verrait un jour obligé de prendre quelque résolution étrange et à laquelle il n’avait jamais songé, et il a fait appel à la prudence et à l’autorité du pape pour mettre un terme à ces désordres; mais ici (à Madrid), on s’excuse sur le désir d’empêcher les huguenots de prendre le dessus, et l’on prétend que ces secours ont pour but le bien de la religion, etc. »

De son côté, la détresse d’Henri III n’était pas moins extrême; tous les partis étaient exténués. Le duc de Guise préparait avec activité des armemens pour continuer la guerre et arriver enfin à la solution décisive. Il pressait le duc de Parme d’envoyer des lansquenets à son aide, et ce dernier faisait lever 8,000 Suisses pour cette destination. Mendoza dépêchait le 30 mai à Philippe II que Mucius était résolu à faire marcher sa cavalerie sur Chartres, afin de réduire le roi; « et si, malgré les secours du duc de Parme, ce but vient à être manqué, on espère du moins forcer les troupes royales à abandonner leur position et à passer la Loire, ce qui serait un point essentiel, puisqu’il faut que Chartres soit délivré pour pouvoir conserver les relations avec Orléans, Rouen et les autres villes... Je supplie votre majesté de me faire connaître la ligne de conduite qu’elle m’ordonne de suivre, dans le cas où, forcé de passer la Loire, le roi inviterait les ambassadeurs à le suivre dans sa retraite. » Le malheureux Valois était poussé dans ses derniers retranchemens, il n’avait plus ni capitale, ni armée, ni ombre d’autorité réelle; dans son parti même, chacun se gouvernait à sa guise : il se résigna aux négociations et fit appel à l’habileté de sa mère et à l’expérience de M. de Villeroy, qui demandèrent à conférer avec le duc; mais cette fois les ligueurs, conseillés par Mendoza, ne permirent pas au chef du parti de voir, comme aux 12 et 13 mai, la reine-mère ni M. de Villeroy en particulier.

Mendoza rend compte à Philippe II de cet incident. « Le duc de Guise a répondu, dit-il, que les affaires qui étaient traitées en ce moment n’étaient point ses affaires particulières, mais celles de tout le parti de la ligue, et que par conséquent il n’écouterait rien qui ne fût de nature à être entendu de tout le monde. La reine-mère elle-même n’a pu lui parler en particulier, et inutilement a-t-elle mis tous ses artifices en usage pour obtenir un entretien secret avec lui. Il s’est montré inébranlable, à la grande joie des catholiques et des villes unies. » Les conditions étaient les mêmes que celles du 13 mai, avec quelques clauses aggravantes et une méfiance plus marquée. Des deux côtés, il y avait absence de bonne foi, et la fin de cette affaire devait être misérable pour tout le monde. Les Guises voulaient réduire Henri III au dernier degré d’abaissement et de déconsidération politique, et ne comptaient pas même sur l’exécution du traité proposé. Le roi souscrivait comme contraint et forcé, obtenait du temps, et se promettait bien de prendre vengeance de tant d’injures à la première occasion. Philippe II lui-même cherchait à tromper le duc de Guise. « A la manière dont s’exprime Mucius, qui parle réellement en maître, disait Mendoza, il y a lieu de croire que le roi traitera avec lui, au grand profit de la ligue... Au reste, nous ne le pressons pas de conclure ces négociations, parce qu’il me paraît plus utile au service de votre majesté d’avoir l’œil sur ce qui se passe autour de nous... Nous ne le pressons pas davantage de rompre, parce que dans ce cas il faudrait lui payer le restant des 300,000 écus, » dont le duc n’avait encore pu obtenir que 70,000[18]. Le fameux traité d’union du 15-20 juillet 1588 fut donc arraché à la faiblesse résignée d’Henri III. C’était le triomphe absolu de la ligue, la consécration de la victoire des barricades; le traité de Nemours était confirmé dans tous ses points. Henri de Navarre était exclu du trône, dont le vieux cardinal de Bourbon demeurait héritier présomptif, ce qui réservait à un avenir prochain la solution de la question dynastique. Le duc de Guise parvenait au commandement généra! des armées avec les vieilles prérogatives de la connétablie[19]. Il avait peine à croire aux concessions qu’il obtenait[20].

Selon le rapport de l’ambassadeur espagnol, la cause catholique devait retirer de tels avantages des arrangemens convenus qu’il y avait lieu de craindre que le roi ne fit naître pour l’exécution toutes les difficultés imaginables, dans la pensée de persuader à tout le monde que le traité était inexécutable, et qu’on l’avait forcé de promettre ce qu’il n’était pas en son pouvoir de tenir. » Il en résultera que Mucius et ses amis, ns pouvant ni continuer la guerre contre les huguenots, ni recommencer les hostilités contre le roi, verront nécessairement diminuer leurs ressources et leurs forces s’affaiblir, à moins qu’on ne vienne à son secours et qu’il ne rompe de nouveau avec la cour. C’est ce qu’il fera sans doute, comptant sur le secours que votre majesté lui a promis. » Et en effet nous lisons dans la même dépêche que, par des engagemens secrets et particuliers, uns prestation permanente était promise au duc pour se maintenir en situation de briser avec la cour et de retrouver ses avantages en cas de désaccord ultérieur avec le roi. Le malheureux Henri III, si peu estimable, si peu digne de considération qu’on le tienne, n’en inspire pas moins de l’intérêt à le voir ainsi traqué par l’ambition et la cupidité conjurées. Pourquoi la pensée se porte-t-elle vers le crime auquel il eut recours pour se délivrer d’un joug devenu intolérable?

Sur la conclusion de ce traité néfaste, source de tant de malheurs, l’ouvrage de M. de Hübner nous apporte des documens nouveaux et curieux qu’il a puisés aux sources originales, avec le soin et l’exactitude qui le distinguent. Il a trouvé à Paris dans notre riche Bibliothèque nationale et dans la curieuse collection de Harlay qui s’y trouve déposée les correspondances relatives à cette négociation, à laquelle prit grande part le nonce Morosini, dont nous avons déjà parlé. Ce dernier avait proposé sa médiation au duc de Guise, qui l’avait acceptée avec réserve. « Arrivé à la cour errante de Henri III, dit M. de Hübner, Morosini ne trouva le terrain que trop favorable à des transactions. Le spectacle d’un désarroi complet s’offrit à ses regards. La peur et l’outrecuidance alternaient, mais la peur finissait toujours par l’emporter. Tout laissait donc entrevoir que, quelles que fussent les prétentions des coalisés, Henri finirait par les subir. Aussi le représentant du saint-siège put-il retourner à Paris, porteur de la promesse du roi de bailler audit seigneur de Guise les charges principales pour faire la guerre aux huguenots. M. de Villeroy le suivit de près avec mission de régler les détails et de rédiger l’acte de réconciliation; mais il ne s’agissait plus de réconciliation. La rébellion victorieuse demandait purement et simplement la soumission de la couronne. Le duc de Guise ne voulait plus entendre parler des conditions qu’il avait acceptées dans sa première entrevue avec le nonce; émettant de nouvelles prétentions que celui-ci jugea inacceptables, il prit l’attitude d’un homme qui est maître de la position et qui dicte la loi. De son côté, compromis vis-à-vis la cour de France et mortifié du procédé, Morosini se retira des pourparlers et communiqua aisément au pape Sixte-Quint le dépit qu’il éprouvait. « Ils sont mauvais, s’écria le pape en parlant des ligueurs, mauvais et de douteuse volonté. » Sixte-Quint envoya quelques paroles fortifiantes pour le roi vaincu; mais le péril devenait plus menaçant d’heure en heure, et Henri de Valois, de plus en plus intimidé, passa sous les fourches caudines et signa tout ce qu’on voulut lui imposer.

M. de Hübner nous révèle encore d’autres actes de Sixte-Quint qui modifient les jugemens reçus sur ce pape et le caractère de son intervention dans les affaires de France. Les Espagnols avaient deviné juste à son endroit, le pape était un ami de la France. Peu de jours avant de signer l’humiliant traité d’union, Henri III avait fait entendre à Rome un long cri de douleur, exposé ses embarras, son désespoir. Il demanda au saint-siège des secours, tout en exprimant ses hésitations sur le parti à prendre, laissant même entrevoir les résolutions les plus contradictoires, la paix ou la guerre, soit avec les huguenots, soit avec la ligue. Il demanda l’envoi d’un légat à Paris et députa le cardinal de Gondi à Rome pour solliciter cet acte éclatant duquel il attendait les meilleurs effets sur l’opinion publique dont il se sentait abandonné ; et le pape accorda non-seulement cette légation extraordinaire, pour laquelle il avait peu de penchant par des motifs de politique générale, mais encore il signa la nomination de Morosini à cette grande charge, nomination qui, dans les circonstances présentes, devait avoir une signification particulière. Évidemment le pape, plus exactement informé de la vérité, envisageait la journée des barricades et l’audacieuse entreprise de la ligue catholique sous l’aspect de l’intérêt royal, qui lui était cher comme souverain et comme esprit politique. Il voulait bien qu’on réduisît les huguenots à l’obéissance, mais il voulait avant tout la subordination des sujets à l’autorité de leur roi. Telle est l’intention et la lettre de ses actes. M. de Hübner nous apprend qu’à cette occasion un ancien projet d’intervention du saint-siège avec des forces pontificales (30 ou 40,000 hommes) dans les affaires de France revint à l’esprit de Sixte-Quint, pour remettre la paix dans ce royaume au moyen d’une entente particulière du pape avec la royauté. Toute chimérique qu’elle était, cette pensée, qui paraît avoir été l’objet d’une correspondance entre le pape et Morosini, atteste la politique vers laquelle penchait l’âme altière, généreuse et sage du pontife.

Ce fut à cette époque du crédit de Morosini soit à la cour de France, soit à la cour romaine, que se produisit une idée bizarre dont nous avons déjà parlé, à laquelle M. de Hübner, par estime peut-être pour Morosini, attache trop de faveur, quoique son bon esprit lui en montre le caractère impraticable ; je veux parler d’un rapprochement intime des cabinets de Madrid et de Paris, par un traité d’alliance étroite des deux monarques Philippe II et Henri III, alliance dont tous les adversaires ou ennemis des deux couronnes d’Espagne et de France devaient payer les frais, et à laquelle la papauté aurait donné son éminent patronage. Si je ne me trompe, Philippe II apprécia judicieusement cette proposition, au point de vue de son intérêt, en s’abstenant d’y répondre. La France était-elle en mesure de provoquer sérieusement un tel revirement de politique ? et l’Espagne pouvait-elle prêter l’oreille à un projet qui entraînait le renversement des plans poursuivis par deux générations de grands souverains, et le sacrifice accompli sans nécessité ni compensation de la prépondérance espagnole ? Olivarès exagéra probablement la portée de cette idée en y voyant un piège ; mais à coup sûr Morosini ne fit preuve ni d’esprit pratique, ni de tact d’homme d’état, en portant une pareille ouverture à cette malheureuse cour de Valois réduite à tous les expédiens, et en engageant son souverain à communiquer ce projet à un profond politique comme Philippe II. Je croirais avec Olivarès et M. de Hübner que Morosini n’a eu qu’une visée ambitieuse et personnelle en le proposant. Depuis la conclusion du traité d’union, chacun des signataires de la convention avait affecté un rôle différent. Henri III parut complètement converti à l’acceptation des faits accomplis, et, dissimulant avec une habileté consommée le fond de sa pensée, il attendit l’occasion opportune de reprendre le pouvoir qu’il avait perdu; il dit et répéta qu’il avait oublié le passé, parla de Henri de Guise dans le meilleur langage, et voulut recevoir sa visite à Chartres pour cimenter la réconciliation. Le duc de Guise, de son côté, affecta la plus parfaite liberté d’allure et la plus absolue confiance dans la parole du roi; mais il poursuivit la conduite de ses intérêts avec une rigueur aussi polie qu’inexorable. L’invitation de se rendre à Chartres lui donna pourtant à penser. Il est curieux de l’entendre s’en expliquer avec Mendoza. Il avoue qu’il ne pouvait s’expliquer l’attitude nouvelle du roi que par une extrême dissimulation, mais plus grande que les esprits français ne la peuvent couvrir, ou bien une merveilleuse mutation de volonté, et comme un monde nouveau. Et cependant il regarde comme un devoir chevaleresque de répondre à l’invitation du roi. Mendoza écrivait à ce sujet au roi d’Espagne : « Mucius m’ayant fait demander une entrevue avant son départ, j’ai été le trouver pendant la nuit. Il m’a dit que le roi insistoit beaucoup pour qu’il allât le rejoindre, et que ce seroit honteux, aujourd’hui que la paix étoit conclue, de lui témoigner, en le refusant, une méfiance trop ouverte; c’est pourquoi il étoit résolu de se rendre aux instances de ce prince plutôt que de se faire soupçonner de foiblesse ou de pusillanimité. D’ailleurs il ne falloit pas s’exagérer le danger. La suite qu’il emmèneroit avec lui et les amis qu’il étoit sûr de rencontrer à la cour lui composoient des forces supérieures à celles de ses ennemis et le mettoient en mesure de braver toutes les tentatives ouvertes contre sa personne. Le seul et véritable danger à courir pour lui ne pouvoit exister que dans le cabinet du roi, où l’on n’est admis que seul, et où ce prince avoit toute facilité de le faire attaquer et mettre à mort par une dizaine ou une vingtaine d’hommes apostés dans ce but; mais ce danger lui-même étoit peu à craindre, parce qu’il ne paroissoit guère possible de tout disposer pour l’exécution d’un pareil projet sans qu’il en transpirât quelque chose, et infailliblement si ce complot existoit, Mucius en seroit averti par les amis personnels qu’il avoit auprès du roi... Il compte beaucoup sur le dévoûment à sa personne du secrétaire Villeroy, sans la participation duquel le ro ne sauroit exécuter une résolution quelconque. » Cette lettre est du 9 août; le meurtre de Blois est du 23 décembre.

Le duc de Guise partit donc pour Chartres en compagnie de la reine-mère, du cardinal de Bourbon et d’un grand nombre de seigneurs du parti de la ligue. L’accueil du roi fut parfait. Lestoile a conté le récit de cette entrevue, où la conduite du roi fut telle que tout soupçon disparut de l’esprit du duc. Cependant les états avaient été convoqués à Blois pour la mi-septembre; les élections agitèrent quelque peu Paris et les provinces. La ligue obtint une grande majorité, et le duc ne s’épargna point pour ce résultat. Sixte-Quint désapprouva cette convocation; la pacification du royaume ne lui semblait pas devoir y gagner. Beaucoup de bons esprits en France partageaient ce sentiment[21]; les députés Etienne Pasquier et Montaigne étaient du nombre. « Ce ne sont, disait le premier, que belles tapisseries qui servent de parade à une postérité. Sous ces beaux et doux appâts, on n’ouvre jamais telles assemblées que le peuple n’y accoure, ne les embrasse et ne s’en esjouisse infiniment, ne considérant pas qu’il n’y a rien qu’il ne dût tant craindre. » Aux yeux des politiques les intérêts publics étaient bien mieux garantis et plus profitablement administrés dans des assemblées moins tumultueuses, mieux composées et plus avisées, telles qu’étaient les grandes cours de justice et de finance de l’époque. L’esprit de la ligue, nous dirions presque avec le langage du jour l’esprit radical, avait prédominé dans les élections; il se produisit dans l’assemblée de Blois, qui, prorogée de septembre où elle avait dû s’ouvrir, en octobre où elle s’ouvrit en effet, donna le plus triste spectacle à la France et à l’Europe. Dans une lettre adressée au premier président de Harlay, le célèbre avocat-général à la cour des comptes nous montre la confusion et le désordre qui régnaient dans les séances, l’abaissement toujours croissant de la dignité royale, l’insolence des ligueurs, Henri III réduit à des concessions avilissantes et à d’odieuses dissimulations. « Et toutefois, dit-il, pour toutes ces soumissions, qui excitent au cœur des uns une compassion, et des autres une indignation et courroux, il ne peut obtenir de ces messieurs, tant en général qu’en particulier, qu’un rebut et mépris de sa majesté. Il n’est pas que toutes les fêtes les prédicateurs ne s’acharnent contre lui et les siens par invectives et aigres satires. Il a parlé à M. de Guise comme à celui qu’il estime avoir grande autorité sur tous ces députés, afin qu’il les voulût rendre plus souples; mais celui-ci s’en est fort bien excusé, disant n’y avoir aucune puissance. Voilà à quels termes nous en sommes. »

Il n’était personne qui ne s’attendît à une catastrophe prochaine, dans un sens ou dans l’autre. La confiance et la témérité du duc de Guise n’avaient point de limites. Le 21 septembre, il avait écrit de Blois à Mendoza : « Nous ne manquons d’avertissemens de toutes parts qu’on veut attenter à ma vie. J’y ai, grâces à Dieu, tellement pourvu, que... si l’on commence, j’achèverai plus rudement que je n’ai fait à Paris; mais je patienterai tant que je pourrai pour ne donner point de sujet à l’ouverture des états. » Le malheureux! avait-il oublié le cabinet? Le 24 septembre, il écrivit au même : « Les troupes qu’on attend ne me font point peur. Je pourvoirai à ma sûreté avec l’aide de Dieu et l’assistance de mes amis. Vous arriverez à temps pour juger de ce qui en peut succéder... Le roi, ayant reconnu ce que je puis, m’a fort prié de m’employer pour ses intentions. » Le même jour, Mendoza mandait à Philippe II : « J’ai prévenu de nouveau Mucius de se tenir sur ses gardes avec beaucoup de vigilance. C’est un avertissement que je donne bien souvent à ses amis;... mais, à moins que le roi ne l’attaque lui-même dans son cabinet, ce que la timidité naturelle de ce prince ne permet guère de croire, ou qu’il ne lui fasse tirer un coup d’arquebuse, ce qui est beaucoup plus à craindre, Mucius ne voit pas ce qu’il auroit à redouter de ce côté. Il est vrai que Mucius est supérieur au roi en forces dans la ville de Blois, où il peut compter d’abord sur le concours de six cents familles de bourgeois, et où se trouvent ensuite réunis tous les gentilshommes de sa suite ainsi que ceux de son parti. En outre, il y a Orléans et Chartres, villes unies de la ligue, d’où des troupes peuvent marcher immédiatement sur Blois si Mucius étoit menacé. » Le 9 du mois d’octobre Henri de Guise écrivait encore : « Je suis en très beau chemin et n’ai d’autre embarras que cette. entreprise sur Saluées, par où le duc de Savoie peut tout gâter. » Un autre incident eût dû lui donner plus à penser en ce qui touchait sa sûreté personnelle, à savoir le changement de tout le ministère accompli dans le plus profond mystère, à l’insu de la reine-mère et de lui-même Henri de Guise, qui s’y croyait assuré de plusieurs amis tels que M. de Villeroy. Les avertissemens arrivaient toujours, mais leur effet était balancé par de continuelles trahisons qui augmentaient l’assurance du duc, en lui montrant l’opinion généralement répandue de son succès prochain. Ainsi le duc d’Épernon avait cherché secrètement à s’entendre avec lui; d’autres amis du roi également. Quant aux états, ils lui étaient parfaitement dévoués.

La cause du roi semblait perdue; lui seul n’en désespéra pas. Il se trouva doué en effet de cette dissimulation plus grande que les esprits français ne la peuvent couvrir, et, poussé au bord du précipice, il échappa d’y tomber par une résolution profondément calculée, habilement préparée et hardiment exécutée, le meurtre de son ennemi, consommé le 23 décembre 1568. C’est un des crimes les plus perfidement et les plus audacieusement accomplis dont il soit parlé dans l’histoire, c’est le chef-d’œuvre du genre, si l’on peut ainsi parler. L’intelligence d’Henri III n’a pas de plus glorieux monument. Tout le monde en connaît les sombres préparatifs et les tragiques détails[22]; je ne les reproduirai point ici. De Thou les a conservés dans sa grande histoire; Etienne Pasquier, député aux états, en a laissé le récit; un médecin d’Henri III, Miron, en a écrit la relation, et une information judiciaire prise à Paris en a constaté les divers incidens. Parmi les modernes écrivains de notre histoire, tous ont raconté cet odieux drame, et les descriptions du château de Blois en complètent la légende. Je m’abstiendrai à cet égard de redites dépourvues d’intérêt. Je ne parlerai même pas des rapports que Mendoza fit sur ce point à Philippe II, quelque curieux qu’ils soient. Ce qui est moins connu est la partie qui touche notre sujet, et nous en devons la divulgation à M. de Hübner. Quel effet l’annonce de ces assassinats produisit-elle à Rome, et quelle fut l’attitude de Sixte-Quint en face de cet événement? La première nouvelle du meurtre du duc et du cardinal de Guise fut portée à Rome par un courrier de l’ambassade de Savoie. Le lendemain 5 janvier on en reçut la confirmation par les rapports du légat Morosini et les lettres du roi lui-même à M. de Pisani, son ambassadeur.

Le rapport du légat Morisini donnait au pape tous les détails de la sanglante catastrophe. Il résidait à Blois auprès de la cour de France. Dès le premier bruit qui courut en ville de ce qui se passait au château (et on le pressentait dès la pointe du jour), Morosini se rendit au palais, mais il ne parvint point à forcer la consigne. Malgré ses instances, il ne put être admis que le lendemain de la mort du cardinal de Guise, c’est-à-dire le 25. Le roi lui donna audience par le billet suivant : « Monseigneur le légat, me voilà roi. J’ai pris cette résolution de ne plus tolérer injure ni mauvais traitement. Je me maintiendrai en cette résolution au dommage de qui que ce soit, et, à l’exemple du pape notre saint père, m’étant fort bien souvenu de sa façon de parler, qu’il se faut faire obéir et châtier ceux qui nous offensent. Puisque j’ai atteint mon but, je vous recevrai demain, s’il vous plaît. » Morosini fat embarrassé sur la conduite à tenir, et son rapport se ressent de l’état de son esprit. Il délibéra s’il devait faire éclat, se retirer de la cour, excommunier le meurtrier; la crainte d’engager son souverain sans y être autorisé le détourna de cette pensée; mais il ne put se résoudre à garder le silence, et, rendu au château, il fit entendre au roi dans un entretien particulier les plus sévères paroles. Morosini éprouva le même embarras pour la rédaction de son rapport. Il craignit de surexciter la colère du pontife. Son récit est sobre, pénétré, grave. Il affirme que les gens sensés et honnêtes réprouvent les meurtres accomplis ; et, parmi les réprobateurs, il cite la reine-mère, malade, presque mourante. Avec son expérience consommée, avec son jugement plus juste que celui de son fils, moins prévenue et moins passionnée, elle apprécie, dit-il, la gravité de l’acte et en prévoit les conséquences.

Quant à la dépêche du roi adressée à M. de Pisani, elle mérite d’être conservée. L’auteur du crime, dit M. de Hübner, avait senti le besoin de s’excuser. « Le feu duc de Guise, écrivait le roi, pensait en brief exécuter son dessein, qui n’était moindre que de m’ôter la couronne et la vie. Il y allait aussi du repos de mes sujets… Vous informerez sa sainteté et vous lui direz que ses saintes et personnelles admonitions et l’exemple de sa justice m’ont ôté tout scrupule. Je m’assure ainsi qu’elle louera ce que j’ai fait, étant chose non-seulement licite, mais aussi pieuse, d’assurer le repos du public par la mort d’un particulier. » « J’oubliais, ajoute le roi en post-scriptum, de vous dire que je me suis aussi déchargé de feu le cardinal de Guise, qui avait été l’impudent de dire qu’il ne mourrait point qu’il ne m’eût tenu la tête pour me raser et faire moine. » Le roi terminait cette dépêche qui confond par un dernier trait : « j’ai délibéré de reconnaître les bons offices que me rend le cardinal de Montalto (neveu du pape), d’une partie des dépouilles du cardinal de Guise, dont vous lui pourrez toucher quelques mots, si vous croyez qu’il soit à propos. »

M. de Pisani fut reçu le 6. Il trouva le pape irrité, mais contenu, affectant un calme sévère. Il fut très bref avec l’ambassadeur, vis-à-vis duquel il se réservait ; mais il s’emporta en causant de l’événement avec l’ambassadeur de Venise, qui suivait celui de France, et il accusa Grégoire XIII et ses conseils d’être les principaux auteurs de tous ces maux. Olivarès se rendit aussi au Vatican, et s’anima beaucoup dans l’entretien qu’il eut avec le pape. Après Olivarès, ce fut le tour du cardinal de Joyeuse, protecteur de France dans le sacré-collège. L’abord fut vif, et une discussion s’engagea. Le pape dit qu’il devait blâmer le duc de Guise de s’être armé contre son roi ; quoiqu’il choisît la religion pour prétexte, il n’avait pas le droit de s’insurger contre son prince et de lui imposer la loi ; que, si pour ce motif le roi l’avait fait juger et punir, il n’y aurait eu rien à dire, on n’eût pu que l’approuver. Quant à l’acte du duc de Guise, d’être venu à Paris malgré la défense du roi, il était également coupable ; on aurait pu pour cela lui faire son procès, et, quand il eut la hardiesse de se présenter au Louvre, si le roi l’avait fait arrêter et jeter par la fenêtre, personne n’aurait bougé et tout eût été dit. Le roi l’aurait puni flagrante delicto; mais, au lieu d’agir en prince courageux et outragé, le roi s’était enfui et retiré à Chartres; il s’était ensuite réconcilié avec le duc de Guise et avait traité avec lui; il l’avait appelé dans son conseil et admis publiquement dans son intimité; après de telles démonstrations, l’appeler dans sa chambre royale et l’y faire massacrer était un homicide scandaleux et un abominable guet-apens. Toutefois Sixte-Quint voulait s’abstenir de prononcer d’autorité sur l’acte d’un souverain envers un de ses sujets; mais en ce qui touchait le meurtre du cardinal de Guise, le pape croyait avoir un grand devoir à remplir; ce meurtre était un sacrilège, un attentat contre la pourpre romaine, et il le voulait punir d’une censure exemplaire. Comme le cardinal de Joyeuse allait répondre à tous ces griefs, le pape lui coupa la parole.

Poursuivant son dessein d’infliger un châtiment public à l’assassinat de Blois, Sixte-Quint assembla le consistoire le 9 janvier, et aucune supplication des Français ne put l’en détourner. A l’ouverture de la séance, un silence profond et solennel s’établit dans la salle. Visiblement ému, le pape fut longtemps sans parler. Enfin il s’écria : « C’est avec une douleur indicible que nous vous annonçons un crime inoui, le meurtre, le meurtre, le meurtre de l’un d’entre vous, tué sans procès, sans jugement, contrairement à toutes les lois et sans accusation préalable devant le saint-siège. » Continuant son allocution et laissant à l’écart le fait du duc de Guise, le pape proclama le droit et le devoir de procéder canoniquement contre le meurtrier du cardinal, puis il parla durement de la notification qui lui avait été faite de l’événement par une dépêche annonçant l’oubli de tout sentiment moral, et son indignation éclata quand il exposa que le roi, dans cette lettre, prétendait avoir suivi son exemple et ses conseils. Il cita l’histoire ancienne et moderne et termina par une sortie véhémente contre quelques cardinaux qui, oublieux de leur dignité, avaient tenté en sa présence d’excuser un tel crime. Le cardinal de Joyeuse, à qui ces paroles s’adressaient, se leva pour répondre; mais le pape, d’une voix altérée, lui ordonna de se taire et de s’asseoir, et, comme le cardinal restait debout et paraissait insister, le pape le chassa de la salle.

Tel fut l’effet produit à Rome par la nouvelle de l’assassinat de Blois.


CH. GIRAUD, de l’Institut.

  1. Voyez la Revue du 15 septembre.
  2. M. Poirson a répété cette assertion, t. Ier, p. 9, de son Histoire de Henri IV. Le président Hénault était mieux informé. Quant à M. Henri Martin, les Mémoires de Nevers l’ont parfaitement éclairé.
  3. Voyez entre autres les lettres de Nevers, rapportées aux pages 669 à 673, t. 1er  de ses Mémoires, et une dépêche de l’ambassadeur de France, l’honnête M. de Pisani, recueillie Ibid., p. 675.
  4. Le président Hénault, si exact d’habitude, a répété lui-même cette légende.
  5. Il existe à cet égard dans certains esprits un système historique fort exagéré, mais qui repose sur des traditions non à dédaigner, car elles remontent à une époque antérieure à Innocent III. Grégoire VII avait trouvé dans le sacré-collège qu’il avait réformé un contradicteur déclaré de sa politique passionnée. Voyez le curieux ouvrage du cardinal Bennon, publié à la suite de la collection de Urstitius, 1585, in-fol., et discuté récemment par Gfrörer. Voyez aussi le prince Pitzipios : le Romanisme, in-8o; Paris 1869. M Drapeyron a publié sur le même sujet de curieux aperçus, 1870», in-8o.
  6. Voyez les Mémoires de Nevers, t. Ier, p. 627-29.
  7. Voyez dans l’Histoire de la ville d’Aix, par de Haitze, 1666, in-fol., p. 349, une dépêche interceptée du duc de Savoie où ce prince parle à Philippe II « de la belle occasion qui se présente de ne plus laisser réunir ce royaume sous un seul chef. »
  8. Ces atroces folies sont consignées dans un écrit (l’Advertissement d’un catholique anglais), qui fut très répandu en 1586, et qu’on peut lire encore dans les Archives curieuses de l’histoire de France, t. XI. On trouve la réponse de Duplessis-Mornai dans la compilation connue sous le nom de Mémoires de la ligue, t. Ier, p. 415.
  9. Toutes ces dépêches sont tirées du troisième volume de M. de Hübner, entièrement consacré aux correspondances.
  10. Le président Hénault, sur l’année 1587.
  11. Le vaste hôtel de Soissons a été démoli au siècle dernier, et sur son emplacement a été construite la Halle au Blé; il ne reste de la demeure de Catherine que la colonne d’observations astrologiques qu’on voit encore adossée contre la construction moderne. Voyez Bonnefons, les Hôtels historiques de Paris, p. 159 et suiv.
  12. François de Lorraine, le grand duc de Guise, le héros de Metz, et Henri de Guise son fils, le héros de la ligue, avaient fait bâtir le bel hôtel de Guise sur le vaste emplacement compris entre les rues du Chaume, de Paradis, Vieille-du-Temple et des Quatre-Fils. En cet endroit s’étaient élevés jadis trois hôtels célèbres : l’un était l’hôtel de Clisson, dont la porte d’entrée, flanquée de deux charmantes tourelles, se voit encore rue du Chaume, en face de la rue de Braque. Le connétable de Clisson avait fait bâtir cet hôtel en 1383, et c’est au coin d’une rue près de là qu’il fut assassiné par Pierre de Craon, en revenant de l’hôtel Saint-Paul, au milieu de la nuit. La maison de Guise avait acquis cet hôtel en 1553, et François de Lorraine en conserva la porte d’entrée, qui sert aujourd’hui d’accès à l’École des chartes; mais il reconstruisit l’habitation en l’agrandissant par l’achat du vieil hôtel de Navarre, ancienne demeure de Charles le Mauvais, qui avait passé aux d’Armagnac, et qu’habita d’abord le cardinal de Lorraine. Cet hôtel ouvrait rue de Paradis et occupait la place de la cour d’honneur des archives nationales. François de Guise étendit encore son logement par l’achat de l’hôtel de La Rocheguion, à lui vendu par Louis de Rohan-Montbazon, et dont l’entrée était rue Vieille-du-Temple. Il se donna ainsi le palais d’un souverain et des jardins magnifiques, dont il entrait à peine en possession quand il reçut le coup de mort de Poltrot. Le grand hôtel de Guise, achevé par Henri son fils, décoré par le Primatice et par Jean Goujon, fut acheté par la belle princesse de Soubise en 1697 des successeurs de la maison de Guise, et Saint-Simon a dit comment elle en paya le prix. Au commencement du siècle dernier, les Soubise ont fait reconstruire l’hôtel presque en entier, tel que nous le voyons encore, après en avoir détaché la portion qui donnait sur la rue Vieille-du-Temple pour en former l’hôtel de Strasbourg, qu’a occupé le grand-aumônier Louis de Rohan, de l’affaire du collier ; c’est aujourd’hui l’imprimerie nationale. Quant à l’hôtel de Soubise, il a reçu le dépôt des archives nationales, après les confiscations révolutionnaires. Voyez Jaillot, Recherches sur Paris, quartier Saint-Avoie, p. 35 et suivantes, et Bonnefons, les Hôtels historiques de Paris, p. 3 et suiv.
  13. Voyez M. de Croze, loc. cit., Append. du deuxième vol., p. 337. — Les autres dépêches de Mendoza que nous citons plus loin sont tirées du même Appendice.
  14. Voyez le Journal de Lestoile, édit. de Champollion, t. Ier, p. 251 et 255, et 256 l’affaire de Perreuse.
  15. Si l’on en croit Lestoile, Henri III a bien eu la pensée de se défaire ce jour-là du duc de Guise. Voyez édit. cit., t. Ier, p. 248.
  16. Voyez M. de Hübner, Sixte-Quint, t. III, p. 30. Pièces justificatives.
  17. Lestoile, édit. cit., p. 252. Zamet habitait rue de la Cerisaie un bel hôtel où est morte Gabrielle d’Estrées, et qui est devenu plus tard l’hôtel de Lesdiguières.
  18. Le duc avait été obligé d’emprunter 200,000 écus sur son crédit particulier pour faire honneur à tous ses engagemens. Dépêche de Mendoza du 24 juillet.
  19. Voyez ce traité dans les Mémoires de Nevers, t. Ier, p. 725-29 et ailleurs.
  20. « J’ai vu Mucius cette nuit, dit Mendoza. Il ne croit pas un mot de l’intention exprimée d’accéder à ses demandes. »
  21. Voyez les Recherches de Pasquier dans ses Œuvres, t. Ier, p. 85 et suiv. — Hübner, t. Il, p. 207, et t. II, p. 364-66.
  22. Ils sont complets dans l’ouvrage de M. de Croze, que nous avons déjà cité, t. II.