Sous le voile de l’Islam/VII

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L’Intransigeant (p. 16-17).

Conversion et mariage


Je charge Soleiman de chercher un hôtel arabe. Sans compliquer sa mission, il choisit le premier qui se trouve devant lui à la descente de l’autocar.

Un chambre à deux lits, mon aventure est bien commencée ; ce soir, je partage la chambre de mon futur époux.

Quoique préparée à cette éventualité, je suis assez inquiète de ma première nuit aux côtés de cet homme. Va-t-il se souvenir de sa promesse, ou bien profitera-t-il de cet intimité forcée pour faire valoir, même par la violence, ses prétendus droits sur moi ?

Soleiman, sans m’avertir, met de suite Azem, le gérant, au courant de notre extraordinaire aventure.

Chameau tout équipé pour emporter la femme voilée après son mariage

Cet Azem est honnête, prévenant, désintéressé, d’une parfaite complaisance ; ce ne peut être qu’un encouragement du sort qui l’a placé sur notre chemin. Il court chercher le cheik Tewfik qui, suivant ses dires, peut nous marier.

Soleiman flâne dans la chambre en se souriant dans la glace et en crachant sur le sol.

Le cheik arrive. C’est un vieillard vénérable, au visage de patriarche, à petite barbe blanche, il est vêtu d’une longue robe de fine serge beige, fermée de haut en bas par une série de boutons assortis. Un manteau de même tissu, aux larges manches évasées, s’ouvre sur le devant et flotte au gré des vents. Il est coiffé du turban plissé blanc monté en couronne sur le tarbouche rouge foncé des hauts dignitaires de la religion musulmane. Silhouette grande, mince, élégante.

Nous le recevons dans notre chambre, Soleiman assis sur son lit et moi en face, sur le mien, tandis que le cheik s’asseoit sur une chaise entre nous deux. Azem assiste à l’entrevue aux côtés de Soleiman.

Le cheik Tewfik commence l’entretien par un petit cours de catéchisme islamique à mon intention.

Il insiste sur les quatre grands points de la religion musulmane, dont le premier et le plus général est : « Pureté et prières ».

— Tu seras pure non seulement par les ablutions habituelles des cinq prières du jour et de la nuit, mais aussi par le cœur, les sentiments, les pensées, les désirs.

La pureté extérieure du corps consiste en la suppression de tout ce qui a naturellement tendance à se polluer ; elle implique les ongles coupés ras, l’épilation, la barbe rasée, les cheveux peignés et la circoncision des hommes. La légende prétend que Mohamed est né circoncis.

On ne peut s’empêcher d’admirer ces prescriptions d’hygiène imposées à quatre cents millions d’êtres humains par le Prophète, sous le couvert de la religion.

Les ablutions se font cinq fois par jour, avant les prières. Le cheik murmure la prière classique et je la transcris sur mon carnet de route :

« Je certifie que Dieu seul est Dieu et que Mohamed est son prophète. »

— Tu diras cette prière, continue le cheik, avant l’aube, après midi, dès que le soleil commence à baisser, le soir avant le coucher du soleil, après son coucher, mais avant qu’il fasse nuit, et à la nuit close. Tu précéderas chacune de ces prières d’une ablution. L’homme ne prendra de bain complet qu’après avoir cohabité avec une femme ou s’être approché d’un corps mort, et toi, femme, tu supprimeras tes prières après tes couches et au moment de tes époques. Alors tu seras trop impure pour invoquer le nom d’Allah.

« Dans les villes, les heures des prières te seront indiquées par le muezzin du haut des minarets. Tu n’iras pas à la mosquée, mais tu feras tes actes de foi au harem », — les musulmans s’imaginent que la présence des femmes en même temps qu’eux dans les mosquées pourrait les mettre dans un état de péché, en leur suggérant d’autres idées que celles qu’ils doivent avoir dans la maison d’Allah.

J’interromps le cheik pour lui demander :

« — Ô grand cheik, comment ferai-je une ablution sans eau dans le désert ?

— Tu prendras du sable fin ou de la poussière dans ta main et tu te frotteras le corps suivant le rite habituel.

Le cheik passe ensuite au deuxième point :

— Tu feras l’aumône.

L’aumône comprend les aumônes volontaires et les aumônes légales, c’est-à-dire instituées par la religion. Elles consistent à donner un quarantième sur la fortune en argent et en chameaux, en moutons, en dattes, céréales, etc… Sur les bénéfices réalisés par le commerce, les affaires, les préceptes divins ordonnent de donner un cinquième.

Le troisième point traite du jeûne.

Là encore, la religion du Prophète ne se place pas uniquement au point de vue alimentaire, mais donne à cette abstention un caractère général d’hygiène.

— Tu t’abstiendras de toutes pensées qui pourraient t’éloigner de Dieu. Pendant le Ramadan, tu ne dois ni boire, ni manger, ni faire acte de chair du point du jour au coucher du soleil. Tu reconnaîtras l’aube lorsque tu pourras distinguer un fil blanc d’un fil noir. Si tu as tes époques, tu es impure, et tu devras manger, de même que si tu es malade ; mais tu jeûneras, à la fin des quarante jours, le nombre exact de jours que tu auras ainsi manqués.

Pour me convaincre, le cheik cite avec toute la dignité voulue cette phrase du Prophète :

« L’odeur de la bouche de celui qui jeûne est plus agréable à Dieu que l’odeur du musc. »

Pour le quatrième point, le cheik me rappelle que tout bon musulman doit faire au moins une fois le pèlerinage de La Mecque avant de mourir, en répétant avec le Prophète :

« Mieux vaudrait mourir chrétien, ou juif que de mourir musulman sans avoir été à La Mecque ! »

On comprend toute la portée d’une telle phrase, quand on pense que la pire injure est de traiter quelqu’un de chrétien ou de juif.

On ne peut qu’admirer la force d’une foi, qui déplace chaque année des milliers d’êtres de tous les points du globe pour les réunir tous dans un même lieu saint, d’un accès particulièrement difficile, et qui fait entreprendre aux pèlerins un voyage exigeant une dépense qui absorbe, pour la plupart, des années d’économies et de privations.

Le cheik termine son enseignement en le résumant par cette maxime du Kalife Omas Ebn Abdel Aziz : « La prière nous conduit à moitié chemin du trône de Dieu, le jeûne nous met à la porte de son palais et la charité nous en donne l’entrée. »

La plainte du muezzin retentit tout à coup, appelant les fidèles de sa voix triste et gutturale, comme pour me rappeler que ma nouvelle religion venait de passer du domaine de la théorie dans celui de la pratique.

Nous nous inclinons tous et nous nous prosternons en touchant le sol de notre front. Ma première prière s’élève vers Allah.

À partir d’aujourd’hui, il m’est défendu de manger du porc, de boire du vin et de l’alcool, de jouer aux cartes ou tout autre jeu de hasard, en pariant de l’argent, sans commettre un péché.

L’usure est naturellement défendue et même la perception d’un intérêt normal ; ainsi l’argent déposé en banque ne doit rapporter aucun intérêt.

Je remplis encore les formalités que demande le cheik Tewfik ; j’indique ma date de naissance, le nom de mon père, de ma mère, etc.

Le cheik se rend alors près du cadi, pour demander l’autorisation de célébrer notre mariage et d’achever ma conversion.

Soleiman et moi, nous nous réjouissons de voir nos affaires prendre une aussi bonne tournure.

Je me couche tout habillée et surveille Soleiman du coin de l’œil. Je le vois revenir de ses ablutions, il enlève son manteau et sa robe brune, ne gardant que sa grande gandoura blanche en guise de chemise de nuit. Nous nous souhaitons poliment une bonne nuit et il se couvre la tête de son kéfié, en rabattant toutes les couvertures sur sa figure ; habitude du désert de se voiler la face contre les vents qui poussent des tourbillons de sable.

Le lendemain, je réveille Soleiman de bonne heure, afin qu’il aille s’informer du résultat des démarches auprès du cadi. Azem, le voyant si nonchalant, lui propose de le remplacer dans cette mission, connaissant la ville et la manière de procéder, en pareil cas, beaucoup mieux qui lui. Il revient, en effet, à neuf heures nous prévenir que le cheik Tewfik nous attend à la fin de la matinée.

Nous nous rendons chez lui, Soleiman et moi ; nous y trouvons réunis tous les notables nécessaires à la célébration publique de ma conversion.

Les femmes me reçoivent dans leur appartement, tandis que j’attends l’issue des délibérations religieuses.

La femme du cheik, vieille et sale, lave tranquillement sa cuisine, en bonne femme de ménage, tandis que sa fille, jeune encore mais outrageusement fardée, s’occupe à me confectionner le bonnet et le voile qui complèteront mon costume après ma conversion.

Nous bavardons en nous comprenant tant, elles me demandent s’il est vrai que j’ai donné 2.000 livres or à Soleiman. Mon époux n’a pas perdu de temps pour soigner sa publicité, depuis notre arrivée. Aussi agaçant qu’elle puisse être, cette réputation de richesse nous facilite, toutefois, bien des choses, en rendant les gens extrêmement aimables pour nous.

Plus que partout ailleurs, en ce pays l’argent est tout-puissant.

Le cheik m’appelle, le grand conseil religieux ayant terminé sa délibération. Il s’avance vers moi, à pas lents, comme pour me rappeler par la dignité qu’il met à parcourir l’espace qui nous sépare, l’importance de l’acte que je vais accomplir.

Je me couvre immédiatement du voile noir obligatoire sans encourir aucune émotion particulière. Cette cérémonie garde pour moi un caractère de pure formalité, bien que j’aie le respect et que j’admire beaucoup la nouvelle religion que j’embrasse, aimant l’idée telle que Mahomed l’a conçue d’une foi terrestre toute en poésie.