Souvenirs de la vie militaire en Afrique/05

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LA VIE MILITAIRE


EN AFRIQUE.




ZOUAVES ET SPAHIS.




Si jamais vous devez visiter l’Afrique, si jamais vous avez à traverser la vallée du Haut-Riou, ne vous mettez pas en route pendant le mois de novembre, le père des tempêtes ; vous resteriez enseveli dans les fortes terres de la vallée que des torrens de pluie ont changées en boues épaisses. Pour nous qui voyagions d’après une consigne, il ne nous était pas permis de compter avec la pluie, la neige ou la fatigue, et, en 1843, une soirée de ce fatal mois de novembre nous trouvait réunis sous une tente de toile, nous réchauffant de notre mieux autour d’un trou, creusé en terre qui renfermait un maigre brasier. Les larges gouttes de la pluie rendaient, en frappant la toile, un son sec comme le son d’un coup de baguette : bruit monotone, plein de tristesse, qui dure des heures, des journées entières. Devant nous, nos pauvres chevaux tournaient au vent leurs croupes frileuses, et c’était partout dans le bivouac un grand silence, interrompu seulement de temps à autre par les appels énergiques du maréchal-des-logis, de semaine ou de l’officier de service maugréant après les gardes d’écurie, lorsqu’un cheval, pour se dérober au froid ; avait rompu ses entraves et se mettait à courir à travers le bivouac.

Malgré le vent et la pluie, quelques officiers de zouaves, bravant l’orage, venus jusqu’à-nous. Des couvertures de cheval furent aussitôt jetées sur des cantines servant à la fois de chaises et de fauteuils ; un bol d’eau-de-vie à la flamme bleuâtre fut allumé en l’honneur de nos hôtes, et, chacun tirant de son étui de bois une pipe noircie, la soirée commença « Quand l’estomac est satisfait, la tête chante, » dit le proverbe arabe. Le proverbe a raison, et bientôt ce fut à qui raconterait une des mille aventures de son odyssée africaine. Combats, fêtes, plaisirs, coups de main, razzias, amours même, eurent tour à tour des narrateurs, — bien plus, des auditeurs attentifs. Un souvenir, un regret, étaient donnés en passant à ceux qui, moins heureux, avaient succombé dans la lutte souvenirs et regrets qui venaient du cœur ; car, lorsque le nom répété un matin par un journal, cite avec honneur, puis oublié l’instant d’après, a disparu de la pensée de tous, ce nom se prononce encore avec émotion dans la famille nouvelle, au régiment.

C’est ainsi qu’on rappela successivement les volontaires parisiens et les bataillons de la Charte, premier noyau des zouaves, l’assaut de Constantine et le commandant Lamoricière, puis ces combats sans nombre où les zouaves fondèrent leur glorieuse : réputation. Ensuite venait le commandant Peyraguay, ce vieux soldat, en cheveux blancs, l’ancien sergent du bataillon de l’île d’Elbe., qui, après avoir traversé tant de dangers, est mort à Tlemcen, face à l’ennemi, d’un coup de feu en pleine poitrine. Chacun s’oubliait dans le passé, et je me souviens encore du religieux silence avec lequel nous écoutâmes tous le récit des six mois d’hiver que les zouaves passèrent en 1840 à Médéah, la ville en ruines. — Que ne ferait-on avec nos zouaves ! ajoutait le narrateur pas un sentier où leurs coups de fusil n’aient retenti, pas un buisson qui ne redise une de leurs actions d’éclat. Vous rappelez-vous, l’année dernière, comme vous reveniez de Milianah, nous nous sommes croisés à Karoubet-el-Ouzeri, à l’entrée de la gorge, près, de la Mitidja ? Eh bien ! à côté de ce petit mamelon à la crête blanche où vous avez mis pied à terre, il s’est passé un fait d’armes dont nous conservons tous la mémoire : c’est là que d’Harcourt a été tué en tête de sa compagnie. Le capitaine Bosc yant quitté trop promptement une position importante, le colonel Cavaignac fut obligé de la faire occuper de nouveau. Lancée au pas de course, la compagnie escalade la colline, et, comme d’Harcourt débouchait le premier, une balle lui casse la crête. L’engagement fut très vif, d’un côté ; l’on arrivait au sommet par un sentier que les pluies d’orage avaient profondément creusé. Trois zouaves, un fourrer, un sergent nommé Razin et un caporal indigène, un Kabyle, prenaient ce chemin. Près d’atteindre au sommet de la crête, le vieux sergent décoré se voyait devancé par le fourrier plus jeune et, plus ingambe. « Ah çà, conscrit, lui cria-t-il, est-ce que tu as la prétention de passer avant moi ? Fais place à ton ancien, et vivement ! » L’autre aussitôt, portant la main à son turban et le saluant à la militaire, lui répond : « C’est juste, » et se place derrière. Il n’avait pas fait trois pas que Razin tombe mort. Le fourrier s’élance, une balle le couche à côté du sergent. Le caporal kabyle court vers lui : « Enlève Razin, crie le fourrier, je me sauverai bien seul ; » et, comme le caporal chargeait le cadavre sur ses épaules, une balle le tue raide. Le fourrier alors se précipite, sur le vieux sergent, lui enlève sa croix, et, bien que grièvement blessé, il parvient, en se glissant à travers les broussailles, à rejoindre le bataillon ; puis, remettant la croix au commandant : « Vous le voyez, mon commandant, si je ne l’ai pas rapporté, c’est que je suis moi-même blessé ; mais du moins j’ai sauvé sa croix. » Et il montrait son bras ; qui pendait sans mouvement à son côté[1].

Comme l’officier de zouaves achevait son récit, onze heures sonnaient à l’horloge du camp ; lorsque je dis l’horloge, j’exagère, en appelant ainsi le modeste tambour de garde à la tente du chef d’état major, qui battait sur sa caisse un nombre de coups égal au chiffre de l’heure. On releva les factionnaires, et, grace au silence qui régnait depuis quelques instans ; nous ne perdîmes rien des facéties d’un sergent qui criait à un soldat retardataire : Eh ! dégourdi ! faut-il que j’aille vous chercher ?

Ne voyez-vous pas, répondait l’autre, que j’enfonce dans la boue jusqu’aux jambes ? Est ce qu’on peut marcher là-dedans ?

— B… de conscrit ! quand on ne peut pas marcher, on court ! Vous ne saviez pas ça, vous ? répliqua le sergent.

Sur cette saillie, on se souhaita bonne nuit, et ceux qui devaient regagner leur tente pour chercher le repos s’en allèrent, le capuchon du caban rabattu sur les yeux, le pantalon retroussé, jurant comme des païens, au besoin employant le moyen du sergent.

Le lendemain ; nos courses recommencèrent, et un mois plus tard, rentrés dans la garnison, nous nous trouvions encore réunis avec ces mêmes officiers, nos compagnons du Haut-Riou. Celui qui nous avait raconté les rudes épreuves supportées à Médéah par les zouaves pendant l’hiver de 1840 me confia alors un journal, dont il m’avait souvent parlé Confidence de la solitude, curieux chapitre des souffrances de l’armée d’Afrique, le journal de l’officier de zouaves avait pour épigraphe ces paroles de Blaise de Montluc : « Plust à Dieu que nous lui portons les armes prinsions cette coutume d’escrire ce que nous volons et faisons, car il me semble que cela seroit mieux accommodé de notre main, j’entends du fait de la guerre, que non pas des gens de lettres, car ils déguisent trop les choses, et cela sent son clerc. » Le journal qu’on va lire a besoin de quelques explications. En 1840, la guerre frappait encore aux portes, d’Alger, et Milianah était coupée ; si Médéah et Milianah avaient une garnison française, il fallait une armée pour la ravitailler ces villes. Au mois d’octobre de cette même année, on venait de se porter au secours de Milianah, dont la garnison, décimée par la nostalgie, la famine et les maladies, avait presque succombe sous sa tâche : de 1,400 hommes, 720 étaient morts, 500 étaient à l’hôpital ; à peine si les autres avaient la force de tenir leurs fusils et pour peu que l’on eût tardé de quelques jours, la ville se voyait prise faute de défenseurs. Au retour ces cadavres vivans furent portés par des bêtes de somme. On conçoit qu’un pareil spectacle avait dû faire une vive impression sur l’armée, car si pendant l’été l’on avait eu à redouter de pareilles souffrances, que serait-ce donc l’hiver venu ! Il fallait pourtant relever la garnison de Médéah, comme l’on avait relevé celle de Milianah ; et M. le maréchal Valée ne voulut envoyer à ce poste que des hommes endurcis, qui trouvassent dans l’esprit de corps et dans l’honneur attaché à leur nom la force nécessaire pour résister à toutes les privations, à toutes les souffrances de l’isolement. Les zouaves furent désignés pour aller occuper Médeah.


I

Le 18 novembre 1840, deux bataillons de zouaves, forts de cinq cents hommes chacun, commandés par MM. Renaud et Leflo, prenaient possession de la ville de Médéa, où ils devaient tenir garnison pendant tout l’hiver, sous les ordres de leur lieutenant-colonel, M. Cavaignac, nommé commandant supérieur. L’usage veut que l’on appelle Médéah une ville ; mais, pour rester vrai, il faudrait inventer un nom qui pût désigner cet amas de décombres et de masures. Les zouaves relèvent le 23e, et un officier de ce régiment a été pour moi une providence en me laissant une peau de mouton, une table, des bancs, deux coffres, quelques vases, précieuses ressources au milieu de la misère générale.

Le 19, l’armée nous quitte ; elle lève son bivouac pour retourner à Alger, et, à sept lieues et demie, les derniers pelotons de l’arrière-garde disparaissent derrière le mont Nador. Il semble qu’avec eux s’éloigne la dernière image, le dernier souvenir de la France. Fasse le ciel qu’il nous arrive quelques aventures, car ; sans cela, nos distractions seront rares ! Ce matin même, nous avons pu juger de l’étendue de notre territoire. Le colonel Cavaignac a donné l’ordre de charger une des pièces d’artillerie. — Faites tirer à plein fouet, a-t-il dit au capitaine Liedot ; et, comme nous regardions le boulet tomber à terre : Voilà la limite de nos possessions ! a-t-il ajouté en se retournant vers nous, et nous montrant la poussière que la chute du boulet avait soulevée.

Le casernement est vraiment dans un état affreux, ou plutôt il n’y a pas de casernement : à peine si les hommes y trouvent un abri, l’hôpital n’est qu’une masure à faire frémir ; mais enfin il faut en prendre son parti, accepter ce que l’on ne peut changer. Heureusement on nous a laissé des vivres de bonne qualité, et, grace aux soins prodigués aux troupeaux nous espérons bien ne pas manquer de viande.

Cinquante hamacs ont été distribués par compagnie ; chaque homme a reçu un sac et une demi-couverture de campement. Les transports de l’armée n’ont pu amener la totalité de ces effets ; il en manque dix par compagnie, mais l’industrie des zouaves ne leur fait pas défaut de vieux sacs de l’administration sont remplis d’herbes sèches et se transforment en paillasses ; de vieilles laines trouvées dans la ville sont étendues et piquées entre deux toiles de sacs. Ces édredons d’un nouveau modèle remplacent les couvertures qui manquent.

Au point du jour, tous les travaux ont commencé : la petite colonie s’organise ; les ouvriers d’art, pris dans chaque compagnie ; se mettent à l’œuvre ; les jardiniers sous la surveillance du capitaine Peyraguay, ont tracé l’enceinte du jardin. L’on utilise jusqu’aux peaux de boeufs, qui, préparées avec soin, sont livrées à des soldats transformés en cordonniers pour les réparations de chaque jour. Les zouaves, du reste, bon esprit de corps aidant, nous finirons par passer notre exil, si ce n’est d’une façon agréable, au moins sans trop d’ennui.

Nous avons découvert, en nous promettant, sous les murs de la ville, un petit ravin rempli de bécassines et de perdrix ; l’augure est favorable, et le bonhomme Noé n’eut pas une joie plus grande lorsque la colombe lui rapporta la branche d’olivier. C’était, dû reste, le jour aux bonnes fortunes car, en rentrant, le télégraphe du poste d’Aïn-Telazit nous a transmis cette dépêche :

« L’armée est rentrée sans coup férir à Blidah.
« La majorité de la chambre a soutenu le nouveau ministère.
« La duchesse d’Orléans est accouchée d’un fils, le duc de Chartres. »

Si nous étions en France ou seulement à Alger, ces nouvelles nous trouveraient sans douté indifférens ; mais, depuis six jours, l’isolement a commencé : nous sommes destinés à passer de longs mois sans revoir aucun souvenir, semble que ces bruits de France nous font prendre part aux émotions de ceux qui sont si loin. Aussi ces nouvelles sont-elles pour nous les bienvenues, et nous les accueillons en amies. Le malencontreux télégraphe était ce soir le sujet de toutes les anecdotes. En voici une entre autres dont je me souviens.

Qui n’a pas sa manie sur la terre ? Le général Du vivier avait celle des blocus ; une première fois, ce fut à Blidah ; la seconde, à Médéah. Nommé commandant supérieur, il se déclara qu’il n’apercevrait pas le télégraphe d’Aïn-Telazit, et, qu’il aurait à soutenir un siège en règle envers et contre tous. Le malheureux télégraphe avait beau agiter ses grands bras, l’on était aveugle et muet dans la ville. Le maréchal Valée, impatienté, fit enfin partir la dépêche suivante « Par ordonnance du 16, vous êtes nommé… » (Interrompue par le brouillard). Or, il faut savoir qu’à cette époque, le général Duvivier espérait et attendait sa nomination de lieutenant-général. Aussitôt Médéah. L’aveugle voit, Médéah la muette parle, et le général demande des explications. Le télégraphe, répond tranquillement « Vous êtes nommé grand-officier de la Légion d’Honneur. » Puis suivait une série d’ordres.

Par un temps affreux, un vrai temps de décembre, j’achève mon installation. Ma chambre a pour ornement une glace cassée, quatre lithographies du Charivari, et une table faite avec une caisse à biscuit ; la fenêtre ne laisse point pénétrer trop de vent, la cheminée est bonne ; voilà un logement comfortable, où bien des soirées se passeront à jouer au whist avec les trois jeux qui doivent suffire à nos ébats tant que nous serons les hôtes de la ville.

Un voleur de grand chemin qui s’en vient vendre une mule dérobée à quelque douar nous apprend que le bey de Milianah Sid-Embarek est au pont du Chéliff, et El Berkani, kalifat de l’est pour Abd-el-Kader, à trois lieues de nous au sud. Cet homme est voleur comme nous serions magistrats : c’est une profession qu’il exerce avec honneur et en se faisant mérite de son audace et de son courage.

Pendant une éclaircie, j’ai fait le tour des remparts, et, dans un des angles de l’enceinte crénélée, au pied d’un magnifique cyprès, j’ai découvert un tombeau que le général Duvivier a fait élever cet été au lieutenant-colonel Charpenay, tué en avant de la ville ; sur la pierre on lit :

À DIEU
POUR LA PATRIE RECONNAISSANTE
À CHARPENAY
LIEUTENANT-COLONEL AU 23e DE LIGNE
COMBAT DU 3 JUILLET
1840.

Près de ce tombeau, et l’entourant comme au jour du combat, se trouvaient les tombes de quatre officiels du même régiment tués à la même affaire ;

Le mauvais temps m’a bientôt forcé à rentrer ; il dure ainsi depuis plusieurs jours et nous donne les plus vives inquiétudes pour notre troupeau ; les cloisons des maisons sont abattues, afin de préparer un abri pour le bétail ; ces démolitions nous font découvrir un trésor, du sel mêlé par couches égales à la maçonnerie d’un four arabe. Précieusement recueilli, le sel est porté au magasin militaire, et nos soldats se livrent à de nouvelles recherches.

Deux zouaves indigènes, libérables au mois de janvier, se sont offerts pour aller à Blidah porter de nos nouvelles à M. le maréchal ; s’ils accomplissent leur mission, ils auront leur congé en arrivant ; la proposition est acceptée, et le lieutenant-colonel les fait partir à l’entrée de la nuit. Que Dieu, garde ces deux braves garçons ! ils portent une lettre pour ma mère ; puissent-ils franchir heureusement tous les dangers ! Elle sera si heureuse de recevoir un mot, une nouvelle. Nous les quittons comme l’on quitte des gens qui se dévouent ; ils sont pourtant pleins de confiance et se voient déjà arrivés.

Depuis notre arrivée à Médéah, nos journées se sont passées à organiser le campement ; il n’y a eu aux avant-postes que quelques tirailleries insignifiantes avec des maraudeurs arabes. Le 13, pourtant, nous avons cru à une affaire générale ; les hauteurs se sont couvertes de Kabyles, conduits au combat par des cavaliers. Le plus grand nombre s’était porté à l’est du côté de la ferme du bey : la garnison a pris les armes, l’engagement a été assez vif, et nous a coûté plusieurs blessés ; mais par une poursuite de quinze cents mètres, les zouaves ont bien prouvé qu’ils ne se laisseraient pas insulter impunément.

La vie a repris sa monotonie après cet épisode, nous sommes rentrés dans les soucis du ménage, et ce matin l’on était occupé à faire de l’huile avec des pieds de bœufs ; on les fait bouillir tout simplement dans l’eau, et l’on écume la matière grasse qui monte à la surface. Clarifiée, cette huile pourrait servir pour les alimens ; dans cet état, elle est destinée à l’entretien des armes. Nous avons aussi fabriqué, du plomb de chasse, qui nous manquait. Le procédé est très simple : il consiste à établir un petit cadre renfermant une carte à jouer ordinaire ; celle-ci est percée de trous, huilée des deux côtés, et saupoudrée d’hydrochlorate d’ammoniaque ; ainsi préparée, elle reçoit le plomb fondu, qui tombe en globules dans un vase plein d’eau. Le vase est placé à quatre ou cinq pouces au plus au-dessous ; du cadre. En versant le plomb, on frappe sur le cadre de manière à lui donner un mouvement d’oscillation aussi régulier que possible : on passe ensuite le plomb par divers cribles de différentes grosseurs ; mais le degré de fusion est le point essentiel, et l’on doit laisser refroidir le plomb jusqu’à ce que le papier soit simplement roussi.

Tandis que les chasseurs travaillent ainsi pour leur plaisir, les zouaves raccommodent leur équipement et en inventent, même un nouveau. Par ordre du colonel, l’administration nous livre des sacs. Avec cette grosse toile et des côtes de bœuf, chaque soldat aura une paire de guêtres de rechange. Un zouave, ancien ouvrier boutonniez, est charge ; de diriger l’opération : quant au fil nécessaire, d’anciennes gargousses d’artillerie nous fournissent de, vieilles, étoupes ; on en trouve aussi dans les écuries, ou elles ont servi à panser des chevaux. Rien de plus original que l’aspect de l’atelier, ou de vieux grognards, de vieux zouaves aux longues moustaches, à la barbe épaisse, au teint bronzé, balafrés de cicatrices, filent gaiement comme de vieilles femmes. C’est vraiment une vaillante troupe, bonne au danger, bonne à la fatigue, qu’une situation difficile n’embarrasse jamais ; bien commandée, elle fera toujours des prodiges, et, grace au ciel, se tirera dignement, nous l’espérons, de la nouvelle épreuve qui lui est imposée.

Un déserteur nous est arrivé le 17, un homme de Tripoli., enlevé avec une caravane dans le sud ; il a été amené, après maintes aventures, à Berkani, et forcé de s’engager parmi les réguliers de l’émir. Cet homme nous sert dans une reconnaissance que nous faisons du côté du Nador, pays couvert de cultures magnifiques où nous trouvons les traces des irrigations les mieux entendues. La tradition a sans doute conservé parmi les Arabes ce système d’irrigations semblables à celles de la Catalogne et du Roussillon. Tout en donnant des détails curieux sur divers engagemens, ce déserteur confirme la présence d’officiers anglais au camp d’Abd-el-Kader, présence déjà annoncé par le maréchal Valée. L’un d’eux se trouvait, le 27 octobre, au bois des Oliviers. Conduit par un Juif de Gibraltar, cet officier, venu par le Maroc, était vêtu en bourgeois ; le déserteur l’a vu pendant deux jours, et l’officier anglais n’a disparu qu’au moment où notre division arrivait au col.

En rentrant dans la ville, nous avons trouvé une dépêche télégraphique annonçant l’arrivée à Alger du drapeau depuis si long-temps promis aux zouaves ; chacun en est heureux comme d’une bonne fortune particulière, chacun partage la joie du colonel Cavaignac, qui, dans un ordre du jour, s’empresse de porter cette heureuse nouvelle à la connaissance des officiers, sous-officiers et soldats. Les uns y verront la récompense justement désirée de longs et glorieux services, les autres se feront dire ce qu’il en a coûté pour la conquérir, et penseront bien à ce qu’il doit en coûter encore pour la conserver et s’en montrer toujours dignes ; tous se réuniront dans le sentiment unanime d’un dévouement énergique à la gloire de nos armes en Afrique, à l’honneur du corps dont la constitution vient de recevoir une dernière sanction. »

Le 23, à l’entrée de la nuit, deux zouaves partent pour Alger ; ce sont deux braves soldats, l’un Turc, l’autre Arabe. Ce dernier voulait d’abord partir seul. — Pourquoi ? lui disait-on. — C’est mon idée ainsi ; j’aime mieux réussir seul ou mourir seul. — Mais si tu rencontres un danger imprévu, tu le braveras plus volontiers et tu le surmonteras plus aisément en ayant un camarade. — Oh ! je n’ai pas peur ; je sais bien que ma destinée est marquée, et je suis prêt à la subir quand il plaira à Dieu. C’est tellement vrai que je reviendrai si tu veux, disait-il au colonel, et tu peux dire au maréchal que je ferai le métier de courrier tant qu’il voudra ; seulement, je veux passer une semaine à Alger avec ma maîtresse, et ainsi à chaque voyage.

Cette semaine, il la passera, les nuits chez sa maîtresse, les journées dans un café, la barbe parfumée, de l’essence de rose dans son foulard, écoutant une mauvaise musique de guitare, fumant cent pipes de tabac odorant, et buvant sans discontinuer du café et de l’anisette. Ainsi une semaine de mollesse, d’ivresse somnolente, puis, sans transition, sans regrets ; une semaine d’activité, de misère, de périls constans !

Ben-Chergui, notre Arabe, voulait partir sans armes, et c’est à grand’peine qu’on a pu lui faire prendre un pistolet. Deux jours après, le télégraphe annonçait l’arrivée de nos deux zouaves à Blidah, mais sans nous donner une nouvelle de France. Que fait-on ? que devient-on ? que se passe-t-il là-bas ? L’autre jour, j’entendais un zouave indigène qui psalmodiait cette chanson :

« Ô vent ! fais mes complimens à mes amis, et demande-leur où ils sont allés.

« Du côté de l’Arabie ou du côte de la Perse, partout où ils se sont arrêtés,

« Dis-leur que je songe à eux, et laisse en passant une pensée de moi.

« À tous les oiseaux qui volent je demande de vos nouvelles, et aucun ne m’en dit.

« Caressé de ta plus douce haleine celle à qui j’ai donné mon cœur.

« O vent, tu vas toujours vers elle, et jamais tu ne reviens ! »

Ce vieux chant de l’Arabe ; m’a rempli de tristesse, et, durant toute la soirée, je me suis renfermé chez moi pour songer à ceux que j’aime à ma mère, à mes sœurs, à un souvenir plus tendre encore peut-être. En France, ils ne savent pas les tortures de la vie que nous menons ici. Se trouver toujours en présence des mêmes visages, de gens que l’on estime, que l’on aime, mais dont on connaît jusqu’à la moindre plaisanterie. Avoir une prison en liberté et des journées entières sans un aliment pour la pensée ! Vivre ainsi enseveli, tout prés du monde, à quelques lieues des nouvelles, cela est dur, croyez-moi, et les plus fortes ames fléchissent parfois : Les fatigues physiques sont affreuses sans doute : contre la pluie, le froid, la neige, à peine un abri, et une alerte de chaque heure ; mais enfin nos corps, depuis long-temps déjà, sont façonnés à la rudesse : rien n’égale la douleur de l’isolement.

Voilà un moment de faiblesse. Quand l’orage gronde dans l’air, lune pluie bienfaisante rend à la terre toute sa fraîcheur ; il semble que de temps à autre le cœur éprouve aussi le besoin de gémir ; mais, dès qu’il se recueille, le courage revient vite, et l’on ne songe qu’à la grandeur de l’œuvre dont nous sommes les ouvriers. Sauront-ils jamais en France ce que l’Afrique a coûté de sang, de sueur et de larmes ?


II

Quatre jours après avoir fêté Noël et la bûche vénérable du réveillon, les troupes étaient réunies à trois heures du matin, sur la place d’armes ; dans le plus grand silence, le fusil en bandoulière, la cartouchière à la ceinture. Nous allions tenter une razzia du côté de la vallée d’Ouzera, dans les pentes nord du Nador. Grace à un temps brumeux et à un grand vent d’est, aucun poste ennemi n’avait signalé notre marche, et la petite colonne, divisée en trois fractions, avait pu gagner les positions convenues. À cette heure, le crépuscule ne paraissait pas encore, et chacun de nous l’attendait accroupi, l’oreille à terre, pour percevoir le plus léger indice d’une existence humaine. À nous voir ainsi, on nous eût pris pour de francs bandits : de fait, cela sentait bien un peu le chasseur libre, le gentilhomme de forêt ; mais la guerre est la guerre, et celui qui la fait le mieux, c’est celui qui cause le plus de dommage à son ennemi. La première colonne s’était jetée trop à droite, aussi au point du jour l’on se hâta d’envoyer deux compagnies vers les huttes kabyles que nous apercevions non loin de nous. Déjà les Kabyles commençaient à sortir de leurs cabanes, et l’un d’eux, qui tenait un tison, se trouva tout à coup nez à nez avec un de nos soldats. Dire son effroi serait impossible : le tison lui échappa des mains ; il resta immobile, la bouche béante, les bras pendans. Roumi ! s’écria-t-il enfin ; Roumi ! Roumi ! Et à ce cri femmes, hommes, enfans, se précipitent pêle-mêle, cherchant à gagner une ravine boisée à la gauche des huttes ; mais, la retraite leur ayant été en partie coupée, tout leur bétail tomba en notre pouvoir.

Nous n’aurions eu qu’à nous féliciter de cette journée, qui, sans compter les haïcks et les burnous dont nos hommes avaient si grand besoin, nous donnait de la viande en abondance, si nous n’avions pas eu à déplorer la perte de M. Ouzarmeau, qu’une balle kabile frappa au retour. Sa tombe a été creusée près de celle du colonel Charpenay. M. Ouzarmeau est le premier officier que nous laissons à Médéah. Dieu veuille que ce soit le dernier !

Bon jour, bon an ! ce sont les paroles que chacun échange ce matin, car nous sommes au premier de l’an la grande fête des enfans, le grand ennui des gens âgés, des enfans sérieux. Ennui ou plaisir, c’est le jour de la réunion, la fête de la famille, et ici, loin des nôtres, nous ne pouvons que penser à eux. Ceux que nous aimons sont-ils seulement en vie ? Depuis bientôt deux mois nous sommes sans nouvelles.

Au point du jour, à six heures, le planton du colonel Cavaignac est venu l’avertir que le sergent Stanislas demandait à lui parler. — Que peut me vouloir ce sergent ? se dit le colonel. Faites-le monter.

— Mon colonel, je viens vous donner des nouvelles d’Alger et vous demander de me pardonner.

Alors seulement le colonel Cavaignac s’est rappelé que, retenu par une blessure, Stanislas était en effet resté au dépôt à Alger. C’était un brave sous-officier, plein d’énergie, mauvaise tête pourtant, et qui devait, il y a quelques mois, à sa brillante conduite une croix noblement gagnée. Puni de salle de police pour je ne sais quel méfait, il s’était dit : Un sous-officier décoré à la salle de police est déshonoré ! je ne veux pas y aller. Et pour, l’éviter, Stanislas n’avait pas trouvé d’autre moyen que de partir pour rejoindre, les bataillons de guerre. Le voilà donc en route, seul, sans armes, en uniforme de zouave, la canne à la main, traversant tout le Sahel, la plaine, le col, afin de gagner Médéah. Il aurait dû périr mille fois ; mais que lui importait ? il avait laissé sa croix à Alger, afin que, s’il était tué, elle ne servît pas de trophée aux Arabes. : « Passe pour ma tête, disait-il ; mais quant à ma croix, c’est autre chose. » Stanislas était arrivé à Médéah sain et sauf.

Le froid et la pluie mettent la constance de nos zouaves à une rude épreuve ; la terre est restée plusieurs jours couverte de deux pieds de neige : Enfin, le 16, nous pouvons essayer une razzia C’est l’iman de Médéah, l’un des prisonniers de notre dernière sortie, qui doit nous servir de guide ; il s’est offert lui-même, et l’on rapporte qu’il a eu avec le colonel Cavaignac la conversation suivante :

— Tu t’es offert pour servir de guide, lui dit le colonel ; es-tu dans les mêmes intentions ?

— Je n’ai pas changé, et suis prêt à partir.

— Mais peut-être crains-tu que je ne trouve mauvais que tu aies changé d’avis, et n’oses-tu m’avouer tes répugnances.

— Je ne crains rien ; je suis disposé à tenir ma promesse ou mon offre.

— Réfléchis bien ; oublie que tu es mon prisonnier, et que je suis le gouverneur de Médéah.

— Je n’ai pas besoin d’oublier, et suis prêt à te conduire.

— Imagine que tu es sur la montagne, libre comme l’oiseau, et que je suis, moi, renfermé dans la ville.

— Je n’ai pas besoin de tout cela, je suis prêt.

— Mais réfléchis bien que plusieurs de tes frères peuvent être tués dans cette expédition, que tu pourras te le reprocher un jour, en souffrir même.

— Cela m’est égal, je suis prêt.

— Pense que tu seras reconnu des tiens.

— Cela est égal, j’irai.

— Ne perds pas de vue non plus que, si tu essayais de me tromper, tu n’aurais pas une heure à vivre.

— Tu m’éprouveras.

— Ainsi, tu es bien décidé ?

— Oui.

— Quelle récompense me demanderas-tu, si nous réussissons ?

— Celle d’être libre un jour pour aller chercher deux enfans qui me manquent.

— Désires-tu quelque chose dès à présent ?

— Oui : une paire de souliers pour marcher dans la montagne, et un capuchon de zouave, afin de n’être pas pris pour un ennemi et tué par tes soldats.

— C’est bien ; va te disposer.

— Au revoir.

Une heure après le colonel réunissait tous les officiers chez lui, leur faisait part de son projet en leur donnant ses instructions. La troupe sera divisée en deux colonnes, l’une de réserve, commandée par le colonel en personne ; l’autre, chargée d’exécuter la razzia, sous les ordres de M. le commandant Leflo. À deux heures du matin, on prendra les armes et l’on se mettra en route immédiatement ; avant le départ, les recommandations suivantes ont été faites aux commandans des compagnies composant la première colonne :

Silence absolu, toujours et de toute manière ;

Etouffer la toux dans les plis du turban ;

Pas de pipes ;

Si on reçoit des coups de fusil pendant la marche, redoubler de silence, ne pas riposter, doubler le pas ;

Faire des prisonniers avant tout ;

Ne tuer qu’à la dernière extrémité ;

Après les prisonniers s’occuper du troupeau.

La razzia a réussi au-delà de toute espérance ; un instant, on l’a crue manquée. Le guide s’était égaré ou nous trompait Au moment où on allait le fusiller pour le punir de son erreur ou plutôt de sa trahison, la fortune nous a fait rencontrer les populations, et, grace aux mesures prises par le commandant, malgré notre petit nombre, nous avons fait encore des prises considérables. À huit heures du matin, nous rejoignions le colonel, ramenant trente-quatre prisonniers, cent dix-sept boeufs, dix chevaux ou mulets, une trentaine d’ânes, quinze cents moutons ou chèvres, après avoir tué en outre une vingtaine d’Arabes ; c’est l’abondance pour plus de trois mois. Aussi la joie est sur tous les visages, et l’ordinaire le plus modeste est devenu un festin. Par l’ordre du colonel, vingt moutons par compagnie ont été distribués ; l’on a donné à chaque officier deux chèvres laitières ; les sous-officiers de toutes les compagnies ont reçu aussi un cadeau semblable.

Après cette petite expédition, nos troupes ont repris leurs travaux habituels. Les Kabyles ont paru un instant vouloir les attaquer ; mais, malgré les coups de crosse des cavaliers de Berkani, qui les poussaient au combat, il n’y a eu que quelques tirailleries insignifiantes. En revanche, le froid et la neige ont repris de plus belle. Enfin, le dégel arrive ; il était temps pour notre troupeau aux abois.

Le 30, les Kabyles reparaissent, poussés par des cavaliers ; ils recommencent. Le lendemain, la fusillade a été plus vive ; elle a duré environ une heure ; puis des pourparlers s’établissent sur plusieurs points à la fois.

Un groupe de cavaliers, remarquables par leurs chevaux et la blancheur de leurs burnous, s’est approché d’une redoute et a demandé des nouvelles des prisonniers, d’un nommé Ben-Abbès entre autres, qu’ils désiraient voir.

— Venez le voir en ville, leur dit-on ; vous serez bien reçus et libres de vous en retourner après.

— Nous voulons le voir ici.

— Alors, si vous ne disparaissez à l’instant, nous allons vous tirer des coups de canon.

Et deux minutes plus tard un obus éclatait près d’eux. Aussitôt ils s’éloignent ventre à terre. Non loin de là, un Kabyle qui a déposé son fusil s’est approché de l’un de nos factionnaires, et la conversation suivante s’est engagée :

Mets ton fusil par terre aussi, et viens de mon côté.

— Voilà ! Mais n’as-tu pas un pistolet caché ?

— Non, je te le jure : je suis homme de cœur, et honte à, celui qui aurait la pensée de manquer à sa parole !

— Que viens-tu faire ici ? Pourquoi ne pas rester paisible chez toi à labourer ton champ ou à soigner tes troupeaux ? .

— Je ne puis pas, les soldats d’Abd-et-Kader me forcent de venir tirer des coups de fusil.

— Mais pourquoi ne viennent-ils pas eux-mêmes ? Ce sont des femmes ou des lâches.

— Sans doute, mais ils sont plus forts que nous.

— Eh bien ! soumettez-vous, venez avec vos femmes et vos troupeaux : nous vous donnerons des terres et nous vous protégerons.

— Oui, et après vous retournerez à Alger, et vous nous abandonnerez à l’émir, qui tuera nos enfans et enlèvera nos femmes.

— Alors faites-vous garder par ses soldats.

— Ses soldats sont comme une vieille serrure qui ne ferme plus la porte et laisse la maison ouverte.

À ce moment, les camarades du Kabyle le rappelèrent ; il reprit son fusil et recommença la bataille. Ailleurs des injures s’échangeaient. Tous ces gens-là n’ont pas l’air disposé à se battre ; pourtant l’un d’entre eux s’est avancé, faisant tourner son fusil autour et au-dessus de sa tête, en homme qui a pris son parti. Aussitôt un de nos soldats se jette au-devant de lui, s’avance à cinquante pas, ajuste et fait feu. – Ah ! s’écrie ce Kabyle en gémissant et tombant à terre, je suis mort. – Son fusil s’échappe, en effet, de ses mains ; nous le croyons tous atteint, et nous disons au zouave : — Cours dessus, et désarme-le. — Mais celui-ci, se grattant l’oreille : — Cet animal là me tire une couleur, je ne l’ai pas attrapé. Eh ! malin, connu ! connu ! -- Et il recharge son fusil sans bouger davantage. Le rusé Kabyle se relève alors et reprend son arme, fait feu à son tour, et se sauve en éclatant de rire.

Ces petits combats nous ont amusés et distraits ; mais le 4 février, nous avons tous été en émoi. À la chute, du jour, des feux nombreux ont été aperçus, à deux lieues de la ville, sur le chemin de Milianah. La garnison court aux remparts ; sans doute c’est une colonne qui a ravitaillé Milianah ; elle vient nous voir au retour. La joie du passager, après une longue traversée, lorsqu’il découvre la terre, n’est pas plus vive que celle de nos soldats dans les rues, l’on n’entend que ces cris : « la colonne ! la colonne ! » et, près de moi, un zouave répond à un de ses camarades. — Tais-toi, tu me fais frémir de la peur de me tromper. — Ceux-là seuls qui ont connu l’isolement peuvent savoir tout ce que nous avons éprouvé. Dieu veuille enfin que nous recevions des lettres, des nouvelles !

Hélas ! les feux d’hier soir n’étaient point les feux d’une colonne française ; c’étaient ceux des réguliers du bataillon d’El-Berkani. Le 5 février, dès la pointe du jour, des cavaliers et des Kabyles sont venus tirer des coups de fusil sur nos postes avancés. Bientôt l’attaque devint plus vive, et il fut évident que nous aurions dans la journée un engagement sérieux. À neuf heures, tout ce que nous avions de soldats disponibles était sous les armes, et nous marchions à l’ennemi. De nombreux contingens kabyles et un bataillon régulier étaient devant nous, bien embusqués, bien établis : l’engagement fut vif, et si un second bataillon régulier, masqué jusque-là, eût retardé de quelques instans le mouvement qu’il tenta pour couper notre arrière-garde, nous aurions pu avoir beaucoup de monde ; hors de combat ; mais, faisant face à tous les ennemis, nos petits bataillons en ont eu bientôt raison, et, la mitraille aidant, les ont dispersés, après leur avoir tué grand nombre des leurs. Nous avons eu quelques tués et une vingtaine de blessés. Pendant qu’on se battait, une dépêche télégraphique annonçait le départ au maréchal Valée, son remplacement, comme gouverneur, par le général Bugeaud, et l’intérim du général Galbois. Le nom du général Bugeaud inspire confiance ; c’est à l’avenir de décider. Jusqu’au 13 février, rien de nouveau : quelques pourparlers pour l’échange des prisonniers, quelques discours avec des Arabes, mais rien de décisif, rien d’important. Le 13, une dépêche télégraphique annonce le départ d’Alger d’un courrier, porteur d’une lettre pour Medeah, l’arrivée du général Bugeaud, décidé à faire la guerre à outrance en avril, enfin que Europe est en paix. La dépêche, affichée immédiatement, sur la place d’armes et transmise à tous les postes, produit un véritable enthousiasme chacun est fier maintenant de ses fatigues, de ses souffrances, qui ne seront pas inutiles. Le soir, tous les officiers se sont réunis chez le colonel ; on eût dit une fête de famille.

Quand on nous a annoncé ce matin que nous étions au mardi gras, chacun s’est cru dans l’obligation de rire et de s’égayer ; mais, hélas ! l’on annonce en même temps qu’il n’y a plus de tabac. Entre toutes les privations, celle-ci doit sembler la plus légère, et pourtant c’est la privation la plus sensible à nos soldats ; quelques-uns essaient de tromper ce besoin en fumant de vieilles feuilles séchées, des feuilles de vigne ou de fenouil. Parmi nos Arabes, plusieurs ont encore du chanvre précieusement conservé ; ils en aspirent la fumée dans des pipes de la grosseur d’un dé.

Des lettres nous sont enfin parvenues, des lettres, des journaux de France ; la garnison est comme prise de vertige ; chacun cause, parle, commente les événemens. Pour moi, je n’ai pu fermer l’œil de la nuit ; je ne suis pas encore revenu de mon saisissement. La joie est partout, partout aussi l’espérance. La mort de nos deux derniers courriers, que nous venons d’apprendre, ne décourage point nos Arabes ; trois hommes sont partis ce soir pour Blidah, un Kabyle du pays, Hamed, et les deux zouaves qui nous ont, apporté nos lettres. Leur départ a été solennel. Au moment de sortir de chez le colonel, ayant déjà le fusil à la main, un des deux zouaves a pris un pain, l’a coupé en quatre, et, donnant un morceau à l’interprète qui les accompagnait jusqu’à la porte et un morceau à chacun de ses deux camarades, il a dit : Moussa (Moise) (c’est le nom de l’interprète), je vous prends à témoin du partage égal que j’ai fait de ce pain ; que chacun de nous le mange, et qu’il serve de poison à celui qui a dans le cœur quelque chose qu’il n’avoue pas. » Puis, passant la main au-dessus d’un brasier : « Que le feu, a-t-il ajouté, le ciel et l’eau puissent faire périr subitement celui qui a eu la pensée de trahir ses camarades ! » Là-dessus, chacun a tendu la main, a juré de se sauver ou de mourir avec ses compagnons, et, ils sont sortis.

Le Kabyle Hamed, l’un des courriers, a déjà vécu avec nous à Bouffarik, où il était allé comme travailleur pendant la paix. Ce garçon à la physionomie franche, ouverte et rieuse avait pris goût à notre eau-de-vie, et préférait surtout l’existence d’Alger à toute autre. Là, en effet, il trouvait l’anisette à bons marché, des femmes selon ses désirs et de la musique durant toute la nuit. Revenu plus tard dans ses montagnes, le souvenir d’Alger ne le quittait pas, et un jour il osa proposer à sa femme de se retirer à Blidah, chez les Français. Celle-ci, effrayée, le dénonça au chef de la tribu, qui fit saisir Hamed, le roua de coups, donna sa femme à un autre, et prit pour lui quelques moutons et deux vaches qui composaient toute sa fortune. Pauvre et abandonné, Hamed vint à nous avec la pensée de se venger d’abord, puis de refaire sa fortune, c’est-à-dire de gagner au péril de sa vie, le plus promptement possible, un millier de francs. Lorsqu’il les aura amassés, il enlèvera une maîtresse qu’il a conservée dans une tribu voisine, ira vivre avec elle à Blidah. Celle-ci, plus aimante et plus dévouée que sa femme légitime, a consenti à le suivre. À chaque voyage, Hamed passe chez sa maîtresse, lui donne un foulard et quelques boudjous. En retour, il reçoit des oeufs des galettes et surtout des caresses, qui ne font jamais faute. Alors il nous revient heureux, confiant, prêt à recommencer ses courses aventureuses : Toutefois il y met une condition : jamais nous n’exigerons qu’il passe de nuit par le col. Pourquoi ? le voici.

Le col de Mouzaïa a été le théâtre des principales opérations des campagnes de l’année dernière ; beaucoup de gens y sont morts, et les routes, au nord comme au sud, les moindres ravins qui y aboutissent, sont jonchés de cadavres presque tous horriblement contractés par le soleil ou atrocement mutilés. Cet affreux spectacle nous a tous frappés ; mais il a surtout agi avec une grande force sur l’imagination des Arabes. Le bruit s’est répandu parmi eux que ces morts sans sépulture n’avaient pu trouver grace devant Dieu à cause de leur mutilation, et qu’ils se réunissaient toutes les nuits sur le col même pour y gémir et y pleurer ensemble. Un malheureux Arabe, en y passant il y a peu de temps, a entendu les lamentations de tous ces désolés ; il en est devenu fou de peur, et, dans un moment lucide, il a raconte que, durant plus d’une heure, il avait été poursuivi par ces gémissemens. En vain il s’était enfui, chaque buisson lui jetait un sanglot ; enfin il avait fini par perdre le sentiment, et s’était retrouvé le matin étendu près du bois des Oliviers. Cette superstition a gagné tout le pays, et voilà pourquoi Hamed ne passera jamais la nuit sur le col, sa vie fût-elle en jeu.

Il est arrivé, il y a un mois environ, deux déserteurs européens ; l’un sort des zéphyrs, l’autre de la légion étrangère. Ce dernier se nomme Glockner ; c’est un Bavarois, fils d’un ancien commissaire des guerres au service de la France, neveu d’une des sommités militaires de la Bavière : son histoire est presque un roman. Il entra d’abord à l’école des cadets de Munich, puis, à la suite de quelques étourderies, fut envoyé dans un régiment de chevau-légers ; mais son imagination ardente, son amour des aventures allait bientôt l’entraîner à de nouvelles folies : il déserta et passa en France. Accueilli froidement, comme le sont toujours les déserteurs, il fut inscrit sur les contrôles de la légion étrangère. À peine arrivé en Afrique, sa déception fut plus cruelle encore, et, toujours entraîné par ce désir des choses inconnues qui le tourmentait, il passa un beau matin aux Arabes. Il y est resté trois ans. Enlevé d’abord par des Kabyles ; on le vendit sur un marché un chef de l’intérieur à un chef de tribu des Beni-Moussa ; après un an de domesticité, il parvint à s’échapper de la tente de son maître et se mit en route, les jambes nues, le burnous sur les épaules, la corde de chameau autour de la tête et le bâton du pèlerin à la main, se dirigeant au sud à la grace de Dieu. Il alla ainsi jusqu’au désert, s’arrêtant chaque soir au milieu d’une tribu nouvelle et s’y annonçant par le salut habituel du musulman « Eh ! le maître du douar ! un invité de Dieu ! » À ce titre ; bien accueilli, il recevait le manger ; l’abri, et repartait le lendemain sans que jamais un Arabe lui ait dit : « Où vas-tu ? » Cela ne regardait personne, et personne ne s’en inquiétait. Il suivait sa destinée. Glockner traversa ainsi une partie du Sahara et arriva jusqu’à la ville de Tedjini, Aïn-Mhadi ; de là, il est allé à Boghar, Taza, Tekedempt, Mascara, Médéah et Milianah, puis, enrôlé de force parmi les réguliers d’El-Berkani, il a fait avec eux les campagnes de 1839 et 1840. Décoré par Abd-el-Kader à la suite d’une blessure reçue le 31 décembre 1839, blessure qui lui a été faite, à ce qu’il croit, par un capitaine adjudant-major du 2e léger, après avoir encore couru le pays, il nous revient comme l’enfant prodigue, gémissant sur ses folies, songeant en pleurant à sa famille, à son père surtout, et demandant en grace d’être inscrit comme soldat français. Lorsqu’on lui a parlé de retourner à la légion : « Oh ! non, je vous en supplie, ne me renvoyez pas à la légion, a-t-il répondu ; laissez-moi dans un régiment de France, dans vos zouaves dont le nom est connu de toute l’Europe ; vous serez contens de moi. » On l’a engagé comme indigène sous le nom de Ioussef ; il n’a que vingt et un ans, est frais comme un enfant, timide comme une jeune fille et d’une simplicité de maintien et de langage vraiment merveilleuse[2].

Nous sommes dans l’attente ; la ville a un aspect inaccoutumé, un air de fête est répandu sur tous les visages, chacun ressemble le peu qu’il possède ; et les zouaves ; aussi philosophes qu’un sage de la Grèce se préparent à tout emporter sur leur dos : une dépêche télégraphique nous a, en effet, annoncé l’arrivée, prochaine du général Bugeaud, la fin de notre exil, notre retour à la vie humaine.

Le 3 avril, après cinq mois d’isolement, nous retrouvons enfin nos camarades, nos amis, et le général Bugeaud, en passant devant nos rangs, à la vue de l’énergique attitude de nos soldats, a chargé le colonel Cavaignac de nous remercier au nom de l’armée de la vigueur dont les zouaves venaient de donner un nouvel exemple. La plus brande part de ces éloges est bien due au colonel Cavaignac, car, dans la fermeté de sa conduite, la noblesse de ses exemples, l’encouragement paternel de ses conseils, nous avons trouvé un puissant appui. Nos clairons ont sonné la marche, et nos bataillons se sont ébranlés pour venir reprendre leur place de bataille dans la colonne, que nous trouvons tout émue encore de la blessure que le général Changarnier a reçue ; il y a deux jours, en descendant le col. Les -réguliers ont, eu, près du bois des Oliviers, un engagement très vif avec nos troupes. Le commandant de latour-Dupin venait d’avoir son cheval tué. Une seconde après, au moment où le général Changarnier expliquait un mouvement à un de ses officiers d’ordonnance ; une balle l’a frappé au-dessous de l’épaule, près de l’omoplate ; il doit la vie à un gros caban de Tunis dont l’étoffe épaisse a amorti le coup. Rien n’était plus curieux, à ce qu’il paraît, que la figure du docteur Ciccaldi ; lorsqu’à la nouvelle de la blessure il est accouru près du général ; ce dernier avait mis pied à terre sous un gros olivier. « Voyons, docteur, dites-moi votre opinion, et, je vous prie, posez promptement un appareil, car l’affaire continue, et j’ai des ordres à donner. » Les premières paroles du docteur furent pour rassurer le général ; mais sa physionomie bouleversée annonçait assez son inquiétude : il se hâta de sonder la plaie, et aussitôt on vit un franc et bon sourire remplacer le sourire d’assurance qu’il avait cherché à se donner. « Mon général, ce n’est rien, s’écria-t-il tout joyeux, l’os n’est pas attaqué, et dans deux mois vous pourrez monter à cheval. — J’y serai plus tôt, mon cher, croyez-le, » lui répondit le général, et le pansement était à peine achevé, qu’après avoir remercié le bon docteur, il remontait à cheval et donnait ses derniers ordres avec sons sang-froid et son énergie habituelle. Son accueil a été plein de cordialité. Il espère que de brillans combats viendront nous récompenser de toutes les épreuves, supportées depuis cinq mois. Dire nos émotions serait impossible : c’est une confusion de nouvelles, de questions, de réponses ; nous ne savons plus rien, nous voulons tout apprendre : le soir venu, nous sommes accablés de fatigue comme à la fin d’une longue marche. Enfin, ce matin, la diane a été battue, et tandis que le 53e s’établit à Médéah, notre tête de colonne s’ébranle dans la direction du col. Deux jours encore, et nous serons à Blidah…

Me voici dans une petite chambre, tout étonné de ne pas voir la pluie pénétrer par le toit, dans une maison solidement bâtie qui défie les orages ; je recueille mes souvenirs, pendant qu’autour de moi l’on n’entend que les chansons, les rires de ces corsaires débarqués, de nos zouaves. Tout l’arriéré de la solde leur a été payé, et si pendant cinq mois ils sont restés sans vin, sans eau-de-vie, presque sans tabac, n’ayant pas seulement du pain blanc pour tremper la soupe, trois jours leur sont donnés pour oublier leurs privations et noyer leurs fatigues dans de copieuses libations Depuis hier, point d’appel, point de service, point de consigne ; tous les hommes sont frères ; dans la ville, il n’y a que gens qui s’embrassent, qui roulent ensemble sous les tables après avoir mangé en un seul repas les économies forcées de tout un hiver. Après-demain, l’inexorable discipline reprendra ses droits, chacun oubliera sa liberté, et dans huit jours nos vêtemens réparés nous permettront de prendre part aux courses nouvelles que l’on annonce déjà.


III

« Il va de la douleur, dit Montaigne, comme des, pierres qui prennent couleur ou plus haute ou plus morue, selon la feuille où l’on les couche, et qu’elle ne tient qu’autant de place en nous que nous lui en faisons. » L’armée d’Afrique a prouvé la vérité de ces paroles. Courageuse et patiente, elle a su traverser les plus rudes épreuves sans faiblir, supporter tour à tour la fatigue ignorée et sans gloire, et dominer le péril à force d’audace ; mais, si l’on doit citer la constance et l’abnégation de cette noble infanterie, dont les zouaves sont l’honneur, que de fois aussi la cavalerie, par sa verve courageuse, ne s’est-elle pas montrée la digne héritière de la furie française !

Deux élémens divers s’unissent dans la cavalerie d’Afrique pour le succès de nos armes : l’élément français et l’élément arabe, le spahi et le chasseur. — Ces grands soldats à la jacquette bleue n’auraient pu, malgré leur courage, exécuter seuls les hardis coups de main qui leur ont valu si grand renom. Pour, chasser l’Indien des forêts de l’Amérique, l’Indien fut nécessaire ; l’A l’Arabe sur la terre d’Afrique, était nécessaire pour lutter avec l’Arabe. Au bras qui frappe, il faut le regard qui découvre et guide la pensée. Telle fut l’origine des spahis. L’appât du gain attira des cavaliers arabes ; ils eurent une discipline moins sévère que la discipline française, et pour tout uniforme un burnous rouge s’enlevant au moindre signe du chef. Redevenu Arabe, le spahi pouvait alors exécuter toute mission sans exciter de soupçons : tour à tour courrier, éclaireur, limier ou soldat des avant-postes. Des sous-officiers et des officiers français furent donnés à ces cavaliers indigènes, quelques Européens admis dans le rang, et, ainsi composée, cette troupe a souvent rendu de grands services. « Refuge des pécheurs ! » disait-on parfois en souriant, lorsqu’on parlait des spahis ; bien des caractères, en effet, qui auraient eu peine à supporter toute la rigueur de la discipline française, allaient leur demander asile : aussi souvent rencontrait-on parmi eux des physionomies étranges, des coureurs d’aventures, dont la vie, ressemble à un récit des temps passés détaché d’un vieux livre.

Aujourd’hui ici et demain là, le soldat a pour destinée la volonté du chef. Qu’un ordre arrive, et le voilà séparé pour de longues années de ceux qu’il avait coutume de voir chaque jour. Ce fut l’histoire de nos escadrons. Les zouaves nos amis du Haut-Riou, étaient bien loin lorsque nous battions l’estrade avec l’escadron des spahis de Mascara.

Dans cet escadron, les types singuliers dont nous parlions tout à l’heure ne manquaient pas. Deux surtout méritent d’être cités : le premier, d’une excellente famille, d’un caractère bizarre et original, se nommait le maréchal-des-logis Alfred Siquot ; l’autre, Mohamed-Ould-Caïd-Osman, et avait rang d’officier indigène. Leur courage était égal ; ils différaient pour tout le reste. Siquot était par excellence un humoriste dans le sens que les Anglais donnent à ce mot. L’air sombre de ce rieur silencieux l’avait fait surnommer jovial. Son amour de la solitude et du mouvement, du sans-façon et des accidens, l’attachait à la vie de soldat. L’existence de Siquot n’avait d’ailleurs pas un voile, pas un nuage, et chacun y pouvait lire. Pour Mohamed-Ould-Caïd-Osman, le nom arabe cachait un nom prussien et une vie agitée pleine de duels et d’aventures, de condamnations à mort et de pendaisons en effigie. Tenez cependant pour certain qu’instruit, plein d’esprit, il avait dans sa brusquerie un grand charme et une bravoure justement renommée qui le faisaient considérer de tous ; au demeurant le vrai type de l’officier de fortune, du lansquenet des temps passés. Son fusil à deux coups aussi redouté des Arabes que des perdrix, son chien nommé Tom, son cheval alezan, vaillante bête, tels étaient en campagne ses seuls amis. À la garnison, une quatrième affection trouvait place dans son, cœur : une petite Espagnole, qui n’ouvrait jamais la bouche, et lui était aussi dévouée que son chien. Tom, la Chica, le caïd, ne faisaient qu’un alors, vivaient, riaient, pleuraient ensemble. Siquot, le maréchal-des-logis, venait aussi parfois fumer sa pipe au milieu des trois amis.

Quant à la vie d’Afrique du caïd, elle était connue, et ses accidens avaient plus d’une fois égayé les longs repos des jours de bivouac. À deux reprises différentes, on le vit à Alger, mais avec des fortunes bien diverses. La première fois, dans toute sa splendeur, il voyageait avec le prince Puckler-Muskau, qui en parle dans ses Lettres, ne le désignant pourtant que par ses initiales ; la seconde, en 1840, il avait revêtu le sac du fantassin et marchait vers le col de Mouzaia, dans les rangs de la légion étrangère. Une des grandes lois de la nature, à laquelle nul ne se soustrait, condamne l’homme, lorsque ses pieds touchent la terre, à n’avancer que par un mouvement régulier des jambes ; or ce mouvement déplaisait souverainement au caïd. C’est assez dire que le métier de fantassin n’était guère de son goût. Aussi, après une campagne où les fatigues avaient été si rudes que dans sa compagnie vingt cinq hommes seulement sur cent restèrent debout, le caïd se fit remplacer et quitta la légion.

Le voilà libre de nouveau, prêt à courir les grands chemins ; mais il avait compté sans l’amour, sans une passion qui dura six mois de Mauresque à Allemand. À mi-côte de Mustapha, une maison entourée de verdure se dressait blanche et fraîche, dominant la baie d’Alger et ses splendeurs. Armide, en ce beau lieu, se nommait Aïcha, et jamais poète de l’Orient n’a rêvé créature plus charmante. Faut-il donc s’étonner si, sous ces ombrages, six mois se passèrent dans la paix, le calme et le repos. Chaque matin, la rieuse jeune femme venait s’asseoir à ses genoux, tandis que sur une petite table arabe, au milieu des parfums et des fleurs, Osman écrivait la vie d’un missionnaire protestant rencontré dans une de ses courses vagabondes[3].

Aïcha était déjà parvenue à prononcer quelques mots allemands : encore deux mois seulement, et certes elle serait devenue une digne Germaine ; mais, hélas ! dit la chronique, l’amour prussien fut moins constant que l’amour arabe, car un beau matin le bateau à vapeur de l’ouest partit en emportant César et sa fortune, c’est-à-dire un fusil et une lettre de recommandation, oubliée depuis deux ans, pour le général Lamoricière, qu’Osman avait connu chef de bataillon aux zouaves.

La province d’Oran, en 1841, était loin d’être soumise ; un vaillant cœur et un bon bras avaient alors souvent l’occasion de se montrer. Faut-il ajouter que Mohamed-Ould-Caïd-Osman, inscrit sous ce nom arabe sur les contrôles des spahis ; et Siquat qui s’engageait à la même époque, ne manquèrent pas à la fortune. Peu de temps après, Siquot était blessé, le caïd avait son cheval tué ; tous deux étaient mis à l’ordre du jour. Héros illustres ou célébrités inconnues ont toujours des envieux ; demandez plutôt au maréchal-des-logis Froidefond, vieux grognard qui s’avisa de dire au caïd qu’il n’était bon qu’à se nettoyer les ongles. En rentrant à Mascara, ils se battirent à douze pas : Froidefond tire le premier, et caïd tombe, les chairs traversées au-dessous des reins ; on s’élance pour le secourir : « Arrêtez ! c’est mon droit de tirer, cria-t-il, et, se soulevant sur le coude, il étend Froidefond raide mort. Quant au caïd ; on le porta tout sanglant à l’hôpital, où il retrouva Siquot, qui se guérissait d’une blessure. À cette nouvelle, la Chica, mêlée à son existence depuis un an environ, sans trop savoir pourquoi, comme les chiens qui, par aventure, s’attachent à un escadron, courut le soigner à l’hôpital, et trois mois après il était sur pieds.

Le caïd venait de se rétablir, lorsqu’en 1843 les escadrons du 4e chasseurs, colonel en tête entraient à Mascara au son des trompettes, escortant le maréchal Bugeaud. Abd-el-Kader, à cette époque, avait établi le centre de ses opérations au sud de Mascara, et les bois qui séparent le Tell du Serssous servaient de refuge à ses bataillons réguliers, vivant de glands et des dépouilles des tribus voisines. Le général Lamoricière et le général Tempoure ne le laissaient pourtant guère en repos ; mais, épuisée par des courses continuelles, la cavalerie de la province, trop peu nombreuse, avait besoin de plusieurs mois pour se remettre en état. Aussi rien ne fut épargné pour obtenir du maréchal Bugeaud les beaux escadrons du 4e. — Le maréchal faisait la sourde oreille. — Chaque jour alors, il arrivait des réguliers déserteurs, qui donnaient des nouvelles de l’émir ; ces renseignemens, toutefois, ne paraissaient pas suffisans, lorsqu’un Espagnol fut amené un soir au capitaine Charras, chef du bureau arabe de Mascara. L’œil noir et décidé, les traits expressifs de cet homme, dénotaient l’intelligence et le caractère ; il donnait les indications les plus précises, et confirmait toutes les nouvelles que l’on avait d’ailleurs. Séance tenante, on le conduisit au maréchal, qui l’interrogea lui-même. Une heure après, les escadrons du 4e chasseurs étaient accordés, et le maréchal décidait une chasse aux bataillons réguliers dont Sidi-Embarek, l’ancien et célèbre khalifat de Milianah, était venu prendre le commandement.

Le général Tempoure fut chargé de cette mission ; on lui donna deux bataillons d’infanterie, quatre cent cinquante chevaux réguliers, cinquante spahis et quelques cavaliers irréguliers avec le chef du bureau arabe, le capitaine Charras. Puis, tout le monde, un beau matin, y compris le caïd Osman et Siquot, se mit joyeusement en route vers le sud, tandis que le maréchal Bugeaud et le général Lamoricière s’en allaient à Oran ; où les appelaient de graves intérêts.

Si les rapports du Moniteur n’en rendaient pas témoignage, si tous ne venaient l’affirmer, vous traiteriez de fable le récit de cette course. Cavalerie et infanterie marchèrent trois jours et trois nuits : le matin, on se reposait une heure et demie, le soir de six heures à minuit. Du jour où l’on était tombé sur les traces de l’ennemi, le tambour ne fut pas battu une fois. On suivait la piste ; comble les chiens, l’on quêtait la proie. Trente spahis précédaient la colonne avec des cavaliers du bureau arabe ; ils lisaient la terre pendant la nuit. Quelles émotions ! On arrivait sur des bivouacs dont les feux brûlaient encore ; l’ennemi était parti le matin seulement, et l’on se hâtait de reprendre la marche. Enfin, après deux nuits et deux jours, nos rôdeurs arabes, qui couraient sur les flancs de la colonne, s’emparèrent de deux hommes des Djaffras. Ceux-ci refusèrent d’abord de parler ; mais un canon de fusil, appliqué contre leur tête ; délia subitement leur langue et ils apprirent que la veille les réguliers étaient à Taouira. L’on était donc sur la bonne route ; on finirait bien par les atteindre.

La colonne se mit de nouveau en mouvement, précédée comme toujours par les spahis. Par momens, il s’élevait des rafales de vent, et la pluie tombait ; puis, l’instant d’après, la lune éclairait l’étroit sentier qui serpentait le long des collines à travers les rochers, les thuyas et des genévriers. Pas une pipe n’était allumée, le silence le plus profond régnait, troublé seulement par le bruit d’une chute, lorsqu’un fantassin, dont les yeux saisis par le sommeil s’étaient fermés malgré la marche, trébuchait contre un obstacle du chemin. Il arrivait ainsi aux plus vigoureux de céder à la fatigue ; les éclaireurs seuls avaient toujours le regard au guet. Le jour parut enfin, l’on vit une fumée légère ; hélas ! ce n’était encore qu’une déception : les feux achevaient de se consumer, les réguliers étaient partis. L’espoir qui avait soutenu jusque-là les forces des soldats les abandonna tout à coup, on n’entendit que cris et malédictions ; chacun maugréait après le général. La grande halte se fait pourtant dans un bas-fond, et, pendant que les soldats mangent, les batteurs d’estrade annoncent au général que les traces des bataillons sont toutes fraîches et de la nuit même. Le général Tempoure hésita une seconde ; son parti fut bientôt pris cependant, et l’ordre du départ fut donné. Alors s’éleva dans le bivouac une grande clameur. — Il veut nous tuer tous ! Criaient les soldats, qui, depuis soixante-dix heures, n’avaient pris que quelques momens de repos. On obéit pourtant, et l’on se met en marche. Au bout d’une heure, les traces tournent au sud ; de ce côté, plus d’eau assurée ! N’importe, il faut avancer ; mais les traces sont de plus en plus fraîches, voilà un cheval abandonné ; à quelque distance ? un bourriquet. Nous les tenons, ces brigands-là ! disent les soldats, et ils retrouvent des forces. Enfin, vers onze heures, pendant que la colonne est encore engagée dans une ravine profonde, les éclaireurs aperçoivent derrière une colline une fumée épaisse. Cette fois, l’ennemi est bien là ; toute fatigue disparaît aussitôt comme par enchantement ; en une seconde, sur l’ordre du général, les manteaux sont roulés, les amorces remplacées, les chevaux ressanglés ; on est prêt. Les troupes se forment pour l’attaque. Trois cents hommes d’Infanterie soutiendront trois colonnes de cavalerie ; le centre est commandé par le colonel Tartas du 4e. On s’ébranle, et à ce moment un coup de fusil part : c’est une vedette que nos éclaireurs n’ont pu surprendre. L’Arabe gravit au galop la colline, agitant son burnous. Au même instant, les tambours des réguliers battent la générale, un frémissement court nos rangs. La cavalerie prend le trot ; l’infanterie oublie ses marches forcées, elle suit au pas de course, et, du sommet de la colline, on voit les deux bataillons réguliers, qui n’ont pu atteindre la crête opposée, s’arrêter à mi-côte. Le sabre est en main, les chevaux sont au galop, le colonel Tartas en tête ; un feu de deux rangs part, quelques-uns tombent, mais l’avalanche a brisé l’obstacle, et de tous côtés les fantassins sont percés de coups de sabre. Des cavaliers pourtant cherchent à s’enfuir les uns sur la gauche, d’autres droit devant eux. Ceux dont les chevaux tiennent encore les poursuivent ; et le caïd Osman roule avec son cheval, frappé à la tête. M. de Caulaincourt, admirablement monté, continue la course : il tue un cavalier de l’émir, mais, séparé, par un pli de terrain, de ses chasseurs qu’il a devancés, il est entouré d’ennemis. Sans perdre son sang-froid, il lance son cheval, se fait jour le sabre en main et, au moment où il va rejoindre sa croupe, un Arabe débouchant d’une clairière lui tire à bout portant un coup de pistolet à hauteur de l’œil. Le cheval continue sa course, l’emmenant vers les chasseurs, qui le reçoivent. Le sang ruisselait, les chairs pendaient ; M. de Caulaincourt avait pourtant sa connaissance. Descendu de cheval, un soldat le prend sur son dos et l’emporte à l’ambulance, en traversant le théâtre du combat, un vrai champ des morts. Cinq cents cadavres étaient étendus dans un étroit espace, presque tous affreusement mutilés par les sabres de nos chasseurs.

Un escarpement rocheux avait arrêté les cavaliers qui s’enfuyaient vers la gauche. Plusieurs mirent pied à terre, et, donnant une saccade à leurs chevaux, franchirent l’obstacle. Un seul longeait au pas cette muraille de rochers. La blancheur et ses vêtemens, la beauté de son harnachement, indiquaient un chef. Le maréchal-des-logis Siquot, un brigadier de chasseurs et le capitaine Cassaignoles se dirigèrent de ce côté. Le terrain était affreux, hérissé d’obstacles. Laboulaye, le brigadier de chasseurs, arrive le premier ; comme la tête de son cheval touche la croupe du cheval de l’Arabe, le cavalier se retourne avec le plus grand calme, l’ajuste, et l’étend raide mort. À ce moment, Siquot le joint, le blesse ; mais un coup de pistolet lui traverse le bras gauche, et va tuer le cheval du capitaine Cassaignoles, qui se trouvait sur la pente un peu au-dessous. Ce grand cavalier se dresse alors sur ses étriers, et frappe Siquot à la tête de la crosse massive de son pistolet, quand le brigadier Gérard des chasseurs, arrivant par la crête., lui envoie une balle en pleine poitrine. On s’empare du cheval, admirable animal qu’une blessure à l’épaule avait seule pu empêcher de dérober son maître à la mort. « Voyez si cet Arabe est borgne, crie le capitaine Cassaignoles. » On se penche, un œil manquait. « C’est Sidi-Embarel alors ; qu’on lui coupe la tête. » Et Gérard lui sépare avec son couteau la tête du corps, pour que les Arabes ne doutent pas de sa mort ; puis tous se rendent au ralliement qui sonnait.

Le maréchal-des-logis Siquot retrouva à l’ambulance M. de Caulaincourt, que l’on espérait sauver. Tous les officiers de chasseurs étaient venus lui serrer la main, lui donner bon courage ; il n’en avait pas besoin, car jamais sa fermeté et son sang-froid ne l’abandonnèrent. « C’est égal, mon lieutenant, lui disait avec son accent allemand son ordonnance, qui ne le quittait pas, nous n’avons pas de chance. Ton cheval gris, il est blessé ; le noir, il est malade, et toi, tu es à moitié f… Décidément, mon lieutenant, nous n’avons pas de chance. » Ce fut pourtant, quoi qu’en ait dit le brave Laubeinburger ce fut une bien heureuse chance de se tirer la vie sauve d’une aussi horrible blessure. Tous ceux qui ont vu alors M. de Caulaincourt diront que sans son énergie il aurait succombé.

La chasse était terminée, les réguliers acculés, détruits ; le succès, avait récompensé de si cruelles fatigues. Le général Tempoure se hâta de rentrer à Mascara, et un mois après chacun recevait, selon l’expression arabe, le témoignage du sang, la croix si glorieuse pour un soldat.

Les hasards de la guerre nous séparèrent alors du caïd ; j’appris aussi la rentrée de Siquot en France, où, par une assez singulière coïncidence, ses amis de Paris lui ont donné, assure-t-on, le même surnom que ses amis d’Afrique. Quant au lansquenet allemand, il marqua d’un trait de courage chaque coin de la province d’Otan[4], et, toujours aussi heureux, se retira sain et sauf de toutes les bagarres. Lorsque je le retrouvai en 1846, Tom, le cheval, la Chica, formaient, comme autrefois, toute sa famille. Pauvre Chica, qui n’avait jamais eu qu’une ambition dans sa vie ; porter une robe de soie ! Rentrés à la garnison, Tom était le pourvoyeur ; ils partaient tous deux à l’aube du jour et ne revenaient qu’à la nuit, harassés, mais contens et le carnier rempli. La Chica, qui avait passé la journée à chanter, mettait le couvert, et les trois amis soupaient tranquillement.

Quelques mois plus tard, après une absence de trois semaines, un de nos escadrons rentrait à Mascara d’une course aux avant-postes. Nous suivions la rue qui mène au quartier de cavalerie, lorsque nous vîmes tous les officiers de la garnison réunis devant la petite maison du caïd. On vint à nous, les poignées de main s’échangèrent, et l’on nous apprit que la Chica, la compagne du caïd, l’amie de tous, était morte.

La pauvre petite souffrait depuis quelque temps ; la veille, cependant, elle s’était levée. Il y avait un beau soleil bien chaud, et l’air était plein de parfums. — Chico, dit-elle au caïd, donne-moi ton bras, je veux voir encore le soleil. — Et elle fit quelques pas, se prit à pleurer en regardant les feuilles qui poussaient et la beauté du jour ; puis, comme elle regagnait le fauteuil. — Ah ! -Chico ; dit-elle, je meurs ! — Et en s’asseyant elle rendit l’ame, sans agonie, sans contraction, souriant encore en regardant le caïd.

À ce moment, le cercueil de la Chica sortait de la maison ; tous les fronts se découvrirent, et nous nous joignîmes aux officiers qui.l’accompagnaient jusqu’à sa tombe.

Le cimetière de Mascara, rempli d’oliviers et de grands arbres, est situé au milieu des jardins : tout y respire la paix, le calme et le repos. La tombe de la Chica avait été creusée sous un figuier. Les spahis qui la portaient s’arrêtèrent, chacun se rangea en cercle ; deux soldats du génie saisirent la bière légère et descendirent la pauvre Chica dans sa dernière demeure. Le caïd était au pied de la fosse. Le soldat lui présenta la pelletée de terre ; la rude main du spahi tremblait en la prenant, et quand la terre, rencontrant le cercueil, rendit ce bruit sourd si plein de tristesse, une grosse larme à moitié contenue roulait dans ses yeux.

Depuis ce jour, Tom, que la Chica aimait, devint la seule affection du caïd.


PIERRE DE CASTELLANE.

  1. L’ordre du jour suivant consigne dans les annales des zouaves la brillante valeur de M. Richard d’Harcourt : noble et consolant témoignage pour M. le duc d’Harcourt, qui presque à la même époque apprenait la mort d’un autre de ses fils, officier de marine, victime aussi de son dévouement à ses devoirs.br/> « Dans la journée du 10 novembre, le jeune d’Harcourt, sous-lieutenant au corps et le vient sergent Razin, de la 4e compagnie du 1er bataillon, sont morts en abordant l’ennemi et en devançant les plus braves.
    « Le lieutenant-colonel recommande leurs noms à la mémoire des officiers, sous-officiers et soldats du corps. Il les donne aux jeunes gens pour exemples et pour glorieux modèles.
    « Le lieutenant-colonel commandant les zouaves,
    « Médéah, le 21 novembre 1840.
    « CAVAIGNAC. »
  2. La fin de l’histoire de Glockner est digne du commencement. Inscrit aux zouaves, sa conduite fut admirable. À toutes les affaires où il se trouva, il aurait mérité d’être cité. Nommé caporal, puis sergent, il fut envoyé à Tlemcen lors de la formation du 3e bataillon. Recommandé par le colonel Cavaignac au général Bedeau, il rendit de grands services par son intelligence et sa connaissance de la langue arabe. Son père, à qui l’on avait écrit en Bavière, avait confirmé la vérité de ses paroles. Il était heureux, traité avec considération, lorsqu’un beau jour il partit avec un prisonnier politique à qui l’on venait de rendre la liberté, et passa au Maroc. Il y séjourné long-temps ; enfin, il a regagné Tanger, et, renvoyé comme déserteur par notre consul, il allait passer au conseil de guerre, lorsqu’en considération de ses anciens services, on continua à le traiter en Arabe. Cette manie des voyages est chez lui vraiment extraordinaire, et Glockner prétend qu’il ne voit pas un endroit inconnu sans que le désir de l’explorer ne s’empare de lui.
  3. Ce missionnaire, juif d’abord, s’était fait calviniste à Bâle, puis anglican, enfin missionnaire, moyennant récompense honnête. Il faisait grand commerce de Bibles qu’il vendait aux marchands de Tunis. Les feuillets des livres sacrés servaient à envelopper le beurre et le savon musulman. Le livre du caïd, publié à Carlsruhe, fit du bruit, fut défendu, et, grace à la défense, eut un suces fou.
  4. Les états de service du caïd Osman, que le hasard nous fait retrouver, sont le meilleur commentaire de ce récit.
    « Engagé à Mostaganem, par le général de Lamoricière, aux spahis, 2 octobre 1841.
    « Cité à l’ordre de l’armée par le lieutenant-général Bugeaud, comme s’étant distingué au combat de l’Oued-Meoussa (El-Bordj), 8 octobre 1841. A eu son cheval tué sous lui.
    « Cité avec éloge dans le rapport du lieutenant-général Bugeaud à l’affaire de Tegmarel, 21 octobre 1841.
    « Brigadier, 21 décembre 1841.
    « Maréchal-des-logis, nommé à Frenda, 23 mars 1842.
    « Cité dans le rapport du général de Lamoricière pour sa belle conduite à Thegighest, aux Flittas, 18 décembre 1842.
    « Sous-lieutenant, 22 mars 1842.
    « Cité dans le rapport du général Tempoure pour sa belle conduite au combat de l’Oued-Mala contre Sidi-Embareck, 11 novembre 1843.
    « Cité dans le rapport du maréchal Bugeaud pour s’être distingué au combat contre les Marocains, 11 juillet 184(1) Dans la croyance musulmane, les anges rebelles furent précipités du ciel à coups de pierre. De là le nom de lapidé donné aux démons.