Souvenirs des milieux littéraires, politiques, artistiques et médicaux/Introduction

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Nouvelle Librairie Nationale (I à IVp. vii-viii).

INTRODUCTION




Je commence, avec cet ouvrage, la publication de mes souvenirs et je compte la poursuivre régulièrement désormais. Ce premier recueil de quatre volumes porte sur une période d’environ trente ans, pendant lesquels j’ai été à même d’approcher et de fréquenter les personnalités les plus notoires de la littérature, de la médecine et du milieu politique républicain. Fils d’un écrivain célèbre et qui avait non seulement le goût, mais la passion des échantillons humains, depuis le vagabond de la route jusqu’au plus raffiné des artistes, j’ai été en relations avec beaucoup de gens que je n’avais pas choisis et dont je devais être violemment séparé plus tard par les circonstances de la vie, ou des divergences fondamentales. Polémiste nationaliste, puis royaliste, j’ai été amené à traiter rudement ceux que je considérais comme les ennemis de mon pays. Quelques-uns d’entre eux — Zola, par exemple — faisaient partie de l’entourage d’Alphonse Daudet. Je n’ai pas cru devoir les ménager pour cela, n’ayant par ailleurs reçu d’eux que les témoignages les plus banaux de sympathie à l’endroit d’un jeune confrère. Je compte persévérer dans cette attitude. Deux personnes seulement m’ont encouragé et soutenu dans mes débuts : mon père, qui m’a mis la plume à la main ; Mme  Edmond Adam, qui a publié, dans la Nouvelle Revue, mes premiers essais. Pour le reste, je me suis débrouillé tout seul. Mon indépendance vis-à-vis de mes contemporains est absolue.

Ce n’est pas généralement l’usage de livrer au public des mémoires avant les portes de la vieillesse et de la décrépitude, quand ce n’est point après le tombeau. Je contreviens à cette coutume pour deux raisons : la première est que je désire offrir à mes lecteurs un tableau véridique et sans l’atténuation qu’apporte aux jugements un âge avancé. L’indulgence ne vaut que comme compagne de la force. Autrement elle confine à la crainte et je me méfie des contours mous et des appréciations lénitives qui tiennent à l’affaiblissement physique. Certains de ceux que je nommerai ont, entre les deux guerres franco-allemandes de 70 et de 1914, fait beaucoup de mal à la France. Morts ou vifs, je tiens à les marquer sans miséricorde.

Ma seconde raison est que ces souvenirs, si modestes qu’ils puissent être, visent un but, un enseignement. Il est urgent de montrer à la nouvelle génération, si terriblement éprouvée, les erreurs de sa devancière, de lui faire voir à quel point elle a raison de tourner le dos aux malfaisantes chimères démocratiques, qui nous ont mis là où nous en sommes après avoir coûté la vie à 1.700.000 jeunes Français. Il m’a paru que mon expérience, que mes écoles rendraient ainsi service aux admirables garçons qui se lèvent en ces jours pour le salut de leur nationalité, victorieuse, mais toujours en péril. Éclairé aujourd’hui par la vérité politique, par la vérité royale, qui précède et commande la quadruple santé militaire, littéraire, scientifique et artistique d’un splendide pays tel que le nôtre, éclairé par la doctrine du grand Maurras, je me retourne vers les ténèbres où nous nous agitions il y a trente, quinze et dix ans et j’en extrais nos larves, nos vaines rumeurs, nos nuées. Camarades, voici le paquet, voici les écoles que nous avons faites. Ah ! combien vous aurez de bonheur à ne plus croupir dans ces insanités, à connaître le chemin de la délivrance des sanglantes utopies et des chimères !

C’est vous dire que fermement partial quant à la visée de ces livres de bonne foi, je ne le serai pas quant au détail, quant aux acteurs, héros ou bouffons de ma tragi-comédie. Je les représenterai aussi exacts que possible, avec leurs tares et leurs défauts, leurs ridicules, dont j’eus ma bonne et large part, et leur nocivité, aussi avec leur noblesse, leur générosité et leur grandeur. En France, depuis plus d’un siècle, les hommes de lettres sont très influents. L’extension de la presse a paru augmenter encore leur pouvoir, que sape cependant de plus en plus celui des financiers et manieurs d’argent. Le livre et le journal ont été, avant la conflagration, les grands propagateurs de nos pires folies, dont l’aboutissement ultime serait cette fois notre perte. Il importe que l’imprimé guérisse les maux de l’imprimé et le sauve de cette tyrannie de l’or menaçante, que dénonça l’Avenir de l’Intelligence. J’apporte ma contribution à cette œuvre nécessaire, certain de rendre ainsi service aux Français de mon temps et à ceux qui viendront après nous.

L. D.