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Paul Langevin, L’Aspect général de la théorie de la relativité dans Bulletin scientifique des étudiants de Paris 30 mars 1922



L'aspect général de la théorie de la relativité

Conférence faite le 30 Mars 1922, à l’Association Générale des Étudiants, par M. Paul LANGEVIN, Professeur au Collège de France en présence de M. Albert EINSTEIN.

Mesdames, Messieurs, Mes chers camarades, Quand j’ai accepté, il y a deux mois, de venir vous parler de la théorie de la relativité, je ne pensais pas que ce serait précisément la veille du jour où M. Einstein doit donner, au Collège de France, la première des Conférences dans lesquelles il a bien voulu accepter de venir exposer lui-même et discuter ses idées. Je n’ai cependant pas cru devoir déplacer la mienne parce qu’elle me fournit l’occasion de vous dire pourquoi nous avons invité M. Einstein et quelle est l’importance du remaniement auquel il a soumis les notions les plus fondamentales de la Physique et de la Géométrie. Je vais m’efforcer de vous donner un aperçu d’ensemble d’une œuvre poursuivie sans relâche depuis dix-sept ans, puisque c’est en 1905 que M. Einstein a publié son premier mémoire sur ce sujet. Il avait alors vingt-cinq ans. En fait, il s’agit ici de plus qu’une découverte, d’un changement de point vue comparable seulement à celui qu’a introduit Copernic quand il a mis la Terre à sa place dans le système du monde. Pour vous en donner une idée, il est nécessaire que je vous rappelle tout d’abord comment était constitué l’ensemble de nos théories physiques avant la Relativité. Cet ensemble peut se représenter par la classification des Sciences telle qu’Auguste Comte l’a codifiée de manière qu’il croyait définitive.

Au sommet, ou à la base, comme vous voudrez, il y avait la Géométrie, c’est-à-dire la Science de l’espace. On imaginait que tous les phénomènes se déroulaient au cours du temps dans un espace à trois dimensions dont les propriétés, déterminées à priori et de manière intangible, étaient régies par les lois de la Géométrie Euclidienne, telles qu’on nous les a enseignées. Ces lois se déduisaient d’une manière très précise d’un certain nombre d’axiomes et de postulats. Parmi ces derniers un rôle essentiel était joué par le fameux postulatum d’Euclide d’après lequel par tout point on peut mener une parallèle à une droite quelconque et on n’en peut mener qu’une seule. Toutes les Sciences sous-jacentes, Mécanique, Astronomie, Physique, Chimie, Biologie, etc…, étudient des phénomènes qui sont situés dans l’Espace ainsi défini. Elles respectent et conservent les lois de la Géométrie Euclidienne auxquelles elles sont soumises. Il n’était venu à l’esprit de personne que les propriétés de l’Espace, c’est-à-dire les lois de la Géométrie, puissent dépendre de ce qui s’y trouve, c’est-à-dire de toute la Physique, au sens le plus général de ce mot. Et cependant, quelle réponse ferions-nous si l’on nous posait à priori cette question : Les propriétés de l’Espace, c’est-à-dire les propriétés des figures que nous pouvons construire avec des objets matériels, des règles par exemple, seront-elles indépendantes de l’endroit où nous serons placés, à proximité plus ou moins grande d’une masse importante de matière comme la Terre ou le Soleil ou même l’intérieur de cette masse ? L’espace est-il vraiment absolu, rigide, intangible comme la Géométrie Euclidienne nous l’enseigne, ou bien, ses propriétés ne dépendent-elles pas plutôt de la quantité et de la distribution de Ia matière présente. C’est la conclusion même de la théorie de la Relativité généralisée que les propriétés même géométriques de l’Univers sont déterminées par la matière ou par l’Énergie présente, sont relatives à ce qui s’y trouve ou à ce qui s’y passe. Des lois aussi fondamentales que celles de la Géométrie ne sont pas données a priori par un décret de la Nature antérieur à l’existence de toute matière et de tout phénomène, mais sont au contraire, comme il semble plus naturel, déterminées en tout lieu et à tout instant, par toute la réalité présente.