Texte de Wikisource mis en vedette le 25 avril

Émile Verhaeren, Le Comte de la Mi-Carême dans Poèmes légendaires de Flandre et de Brabant 1916


LE COMTE DE LA MI-CARÊME



Venant d’Espagne ou de Bohème,

Au trot de son lent cheval blanc,
Passe, dans les villes de Brabant

Le Comte de la Mi-Carême.

 

Il va, là-haut, de toit en toit,

L’oreille au trou des cheminées,
Surprendre, avec sa haquenée,
Ce qu’on entend et ce qu’on voit
Dans les maisons, où les mioches
Autour des foyers d’or, l’hiver,
S’instruisent en des livres clairs,

Comme des gens de la basoche.

 

On l’aperçoit, les soirs de vent,

Par la lucarne à tabatière,
Longer les étroites gouttières.
Il vient et va, pousse en avant,
S’arrête, et puis revient encore ;
Son cheval suit tous les chemins
Qu’il lui suggère avec la main,
Et quand parfois, au loin, s’essorent
Ses hauts galops silencieux,
La sueur blanche et son écume
S’entremêlent, comme des plumes

Aux nuages montant aux cieux.


Où ne va-t-il ? Dieu seul le guide,

Sur l’échiquier géant des tours
Et des pignons des carrefours,
Par les grand’routes translucides.
Ceux qui ne l’ont pas aperçu
Quand vers le soir sonnent les cloches,
C’est qu’ils eurent les yeux en poche.

Mais les enfants, eux tous, l’ont vu,