« Page:Feron - Le manchot de Frontenac, 1926.djvu/46 » : différence entre les versions

La bibliothèque libre.
→‎Corrigée : Défi 5000
(Aucune différence)

Version du 12 avril 2020 à 17:45

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
44
LE MANCHOT DE FRONTENAC

Un milicien vint ouvrir, c’était l’ancien commis de l’épicier.

— Ah ! c’est vous. Monsieur Baralier ? Entrez donc !

— Non, ça vaut pas la peine. Mon ami, tu sais ce dont nous avons parlé cet après-midi…

— Ah ! à propos de ce maudit Cassoulet ?

— Tout juste. Eh bien ! si tu tiens à te bien venger, rassemble tes camarades, et je te conduirai là où il sera.

— Vous êtes certain ?

— Je te le jure.

— C’est bon. Demain on ne trouvera plus que sa carcasse à ce Cassoulet, grommela l’homme avec haine.

— Alors quand serez-vous prêts ?

— Dans une heure.

— Dans une heure, c’est bien.

Et l’épicier s’éloigna, pensant :

— Dans une heure ou à peu près son affaire sera réglée à ce marmouset d’enfer, car j’ai eu le soin de le mettre entre de bonnes mains !


VIII

CHEZ MONSEIGNEUR L’ÉVÊQUE


C’était bien Cassoulet qui avait bousculé l’épicier Baralier sur la Place de la Cathédrale, le pauvre Cassoulet, le malheureux Cassoulet qui rôdait comme une âme en peine.

Il avait essayé de dormir dans sa mansarde, mais il avait été incapable de fermer l’œil, tant il était torturé par la pensée qu’Hermine souffrait, qu’Hermine pleurait, qu’Hermine l’appelait à son secours ! Il avait d’abord songé à prendre ses gardes et aller sommer Monseigneur ; puis il avait renoncé à ce projet téméraire et insensé. Ensuite il avait cherché un moyen de délivrer Hermine sans esclandre. Mais comment s’y prendre ? Or, pour bien concevoir un plan et l’exécuter avec succès, il importait de reconnaître les lieux, de savoir dans quelle partie du palais épiscopal habitait la jeune fille et, surtout, de découvrir son appartement. Ce n’était pas chose facile. Mais en comptant un peu sur le hasard, et mieux sur la divine Providence, que Cassoulet invoquait dans sa détresse, il y aurait peut-être moyen d’arriver à un résultat satisfaisant. Donc, ne pouvant dormir et la nuit étant très noire et propice à l’espionnage, Cassoulet quitta sa mansarde et résolut d’aller rôder autour du palais de Monseigneur l’évêque et d’étudier la place.

Il était près de neuf heures.

Sur la Place de la Cathédrale, Cassoulet heurta Baralier, le reconnut et prit la fuite vers l’impasse. Il traversa la cour du logis de Maître Turcot, sauta par-dessus le mur et tomba dans ce passage étroit qui longeait les murs d’enceinte de la ville. Il tourna vers la droite, traversa une ruelle, sauta par-dessus une palissade, franchit un jardin, traversa une autre ruelle et s’arrêta devant un mur qu’il reconnut pour entourer les jardins et les dépendances de l’évêché. Dans le mur et ouvrant sur la ruelle se trouvait une porte basse. Cette porte était fermée et, comme le pensa Cassoulet, elle devait être fermée au moyen de verrous et de cadenas à l’intérieur de la cour. Le mur était haut, mais Cassoulet se croyait assez agile pour l’escalader et sauter de l’autre côté. Mais avant d’entreprendre cette manœuvre, il leva les yeux sur l’édifice dont il découvrait vaguement la masse sombre. Il se trouvait à l’arrière du bâtiment et il n’en vit que deux fenêtres éclairées. L’une, au rez-de-chaussée, l’autre, au premier étage, et par bonheur les volets de ces deux fenêtres n’étaient pas fermés. Quant à celle du premier étage, il ne fallait pas y songer ; mais Cassoulet pensait qu’il pourrait arriver à celle du rez-de-chaussée et jeter un coup d’œil dans l’intérieur de la maison de Monseigneur l’évêque.

Certain que la porte du mur était verrouillée de l’intérieur, il ne la sonda pas ; il grimpa sur le mur aux aspérités des pierres, puis sauta dans la cour. La fenêtre éclairée du rez-de-chaussée y projetait un peu de clarté, et Cassoulet put voir une petite cour avec un hangar, des latrines et un puits. Une palissade avec grille au milieu barrait la cour, et de l’autre côté s’étendaient les jardins, plantés d’arbres, de l’évêché. Cassoulet regarda la fenêtre du rez-de-chaussée ; elle était trop haute pour l’atteindre. Il avisa un seau près du puits. Il le prit et alla le poser sous la fenêtre. Il lui fallut encore au moins trois pieds pour en atteindre le bord. Il fit un saut et s’agriffa de ses doigts à la pierre d’appui. À la force des bras il se tira jusqu’au niveau de la fenêtre. C’en était assez. Cassoulet jeta au travers d’un rideau de dentelle un regard ardent. Il fut saisi d’une telle émotion, qu’il manqua d’échapper la pierre à laquelle il était suspendu. Qu’a-