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XI

Une force nouvelle, extraordinaire, vient de s’introduire dans l’histoire : c’est une force spirituelle, analogue à celle qui jadis a soulevé les âmes, en Espagne au XVIe siècle, eu Europe au temps des croisés, en Arabie sous Mahomet. Elle surexcite les facultés, elle décuple les énergies, elle transporte l’homme au-delà ou à côté de lui-même, elle fait des enthousiastes et des héros, des aveugles et des fous, par suite, des conquérans, des dominateurs irrésistibles ; elle marque son empreinte et gravit son mémorial en caractères ineffaçables, sur les hommes et sur les choses, de Cadix à Moscou. Toutes les barrières naturelles sont renversées, toutes les limites ordinaires sont dépassées. « Les soldats français, écrit un officier prussien après Iéna [1], sont petits, chétifs ; un seul de nos Allemands en battrait quatre. Mais ils deviennent au feu des êtres surnaturels : ils sont emportés par une ardeur inexprimable, dont on ne voit aucune trace chez nos soldats… Que voulez-vous faire avec des paysans menés au feu par des nobles, dont ils partagent tous les dangers, sans partager ni leurs passions ni leurs récompenses ? » — — A côté du besoin physique qui réclame pour le corps un peu de bien-être ou du moins le pain quotidien, et qui, s’il est trop frustré, produit les jacqueries passagères, il est un besoin moral, encore plus fort, qui, lorsqu’il rencontre tout à coup sa pâture, se jette dessus, s’y accroche, s’en gorge et produit les révolutions définitives : c’est le besoin de se contempler avec satisfaction et complaisance, de se faire de soi-même une image belle et flatteuse, de transporter et d’imprimer cette image dans l’esprit des autres, bref, le désir de s’estimer beaucoup et d’être estimé beaucoup [2]. Selon la qualité des âmes et selon les circonstances, ce sentiment enfante tantôt les plus hautes vertus et les plus sublimes dévoûmens, tantôt les pires méfaits et les plus dangereux délires : l’homme se transfigure ; on voit subitement apparaître le dieu et le démon

  1. Thiers, VII, 210.
  2. Thiers, VII, 195 (octobre 1806). Dans un de ses bulletins, Napoléon n’a nommé que la cavalerie de Murat et a omis l’infanterie de Lannes, qui pourtant a fait aussi bien. Lannes, désolé, n’ose lire le bulletin à ses soldats et réclame pour eux auprès de l’empereur : « Quelle récompense peuvent-ils espérer, sinon voir leur nom publié par les cent voix de la Renommée, dont vous seul disposez ? » — Napoléon lui répond : « Vous et vos soldats, vous êtes des enfans ; il y a de la gloire pour tous… Un autre jour, ce sera votre tour de remplir de votre nom les bulletins de la grande armée. » — Lannes lit cette lettre à son infanterie assemblée sur la grande place de Stettin : transports d’enthousiasme.