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SOPHIE,
OU LE
MARIAGE CACHÉ,
COMÉDIE
EN
TROIS ACTES,
mèlée d’Ariettes.

Repréſentée pour la première fois ſur le Théâtre de la Haye, le      Octobre 1770.


La Muſique eſt de
M. KOHAUT.



A LA HAYE,
Chez FREDERIC STAATMAN,
Libraire ſur le Kalvermarkt,
MDCCLXX.
PERSONNAGES.

 
SOPHIE.
Mr. de St. AUBIN, Tuteur de Sophie.
Mad. de St. AUBIN, ſa Femme.
HENRIETTE, Fille de Mr. & Mad. St. Aubin.
CLAIRVILLE, Fils de Mr. & Mad. St. Aubin.
CELICOUR, Amant d’Henriette.
DURVAL, vieux Officier Marin, Oncle de Celicour, & Ami de Mr. de St. Aubin.
NISON, ſervante de Sophie.


La Scène eſt à la Campagne de M. de St. Aubin.

SOPHIE,
OU LE
MARIAGE CACHÉ,
COMÉDIE.

ACTE PREMIER.

Le Théâtre repréſente un Sallon, une porte de chaque côté ; l’une conduiſant à l’appartement de Sophie, l’autre à celui de Madame de St. Aubin, & d’Henriette, au fond, une autre Porte par laquelle on entre dans le Sallon.



Scène PREMIERE.

Sophie, ſortant ſeule de ſon appartement.

TRiſte & pénible abſence,
Effroi des amans,
Pour mon impatience,
Que vos momens
Sont lents !

Toi, toi que je regrette
Preſſe, preſſe les inſtans,
De mon ame inquiette
Viens calmer les tourmens.



Scène II.

SOPHIE, NISON.
Nison, qui entre par la Porte du fond & dit avec empreſſement.

MAdame… Mademoiſelle…

Sophie.

Pourquoi cet empreſſement, qu’avez-vous Niſon ?

Nison.

Eh, Madame, votre mari…

Sophie.

Paix, ne prononcez jamais ce nom ; ſi l’on vous entendoit, je ſerois perdue, que venez vous m’apprendre ?

Nison.

Qu’enfin après un mois d’abſence, mon cher Maître… votre Mari… (Sophie lui fait ſigne) je veux dire Monſieur Clairville, le fils de votre tuteur, vient d’arriver dans l’inſtant.

Sophie avec beaucoup de joie.

En vérité ?

Nison.

Oui, en vérité, Madame, je viens de le voir deſcendre de ſa chaiſe, en habit de Campagne, il eſt beau comme l’amour.

Sophie.

Eſt-il venu ſeul ?

Nison.

Tout ſeul.

Sophie.

Ah ! que ſon retour me cauſe de joie… mais de grace, ſoyez prudente, il eſt important que mon ſecret ne ſoit pas découvert avant que les amis de Clairville aient diſpoſé ſon père à l’apprendre ſans colere ; mon tuteur eſt bon, il m’aime, mais ſa femme me hait, ſi elle ſoupçonnoit ſeulement la moindre intelligence entre Clairville & moi, elle préviendroit l’eſprit de ſon mari, jamais il ne nous pardonneroit. Ainſi prenez garde, prenez bien garde, qu’il ne vous échappe un ſeul mot.

Nison.

Oh ! que dites-vous là ?… reveler les ſecrets de ma bonne Maîtreſſe !… de ma chere Elève… ſuis-je donc une étourdie ? ne ſais-je pas que cette Madame de St. Aubin eſt tracaſſière, médiſante, envieuſe, … vraiment elle ſeroit capable de me queſtionner ſur vos converſations ſecrètes avec mon jeune Maître, mais c’eſt bien à moi qu’il faut s’addreſſer.

Ariette.

Jamais on ne me fait jaſer,
Car Niſon ſait ſe taire ;
Si l’on oſe vous accuſer,
Sans trahir le myſtère,

Je répondrai tout doux, tout doux,
Pour arranger leur rendez-vous,
Si je prête mon miniſtère ;
C’eſt en tout bien & tout honneur,
N’ayez pas peur, n’ayez pas peur,
Laiſſez-moi faire :
Je rendrai muet le cenſeur
Sans trahir le myſtère.
Je répondrai &c.

Sophie.

Me voilà fort raſſurée, vous n’y penſez pas, ma bonne ; heureuſement vous ſerez bientôt délivrée du ſoin pénible de garder mon ſecret : Clairville a dû le confier à M. Durval ; cet honête Marin a de l’amitié pour moi, du pouvoir ſur l’eſprit de mon tuteur, j’eſpere tout de ſa protection.

Nison.

Ce M. Durval n’eſt-il pas l’Oncle de Célicour, dont le mariage eſt arrêté avec la fille de Madame de St. Aubin ?

Sophie.

Oui, tous deux doivent ſe rendre ici pour dreſſer les Articles ; Clairville étoit convenu de les accompagner, & d’engager Durval à parler à ſon Père ; Ah ! Niſon, je tremble en penſant que ce jour va peut-être décider de mon ſort pour jamais : M. de St. Aubin pardonnera-t-il à ſon fils un mariage fait ſans ſon aveu ? s’il entreprenoit de le rompre que deviendrois-je ?

Nison.

Eh ! pourquoi voudroit-il vous rendre malheureuſe ? Qu’a-t-il à vous reprocher ? Sur la naiſſance il n’y a rien à dire, il eſt négociant, votre Père ne l’étoit-il pas ? Vous êtes belle, jeune, ſage ; ſon fils vous aimoit, il vous a épouſée (ſans le conſulter à la vérité) mais enfin il ne pouvoit faire un meilleur choix ; d’ailleurs M. de St. Aubin eſt ſi riche…

Sophie.

Oui, mais il eſt avare, & je ſuis ſans bien.

Nison.

N’importe, vous lui êtes chers tous deux, il vous pardonnera. Voici mon jeune Maître, il vous cherche, je vous laiſſe…



Scène III.

CLAIRVILLE, SOPHIE, NISON.
Sophie, allant au devant de Clairville.

AH ! Clairville !

Clairville lui baiſant la main.

Chere Epouſe.

Nison.

Ah ! le charmant couple, le joli ménage, les aimables enfans ! Il ſeroit bien cruel de les ſéparer, & de les empêcher de ſe parler.



Scène IV.

SOPHIE, CLAIRVILLE.
Sophie.


QUe votre abſence m’a paru longue & que j’ai de plaiſir à vous revoir ! mais vous êtes venu ſeul, dit-on ; je croyois que Célicour & ſon Oncle…

Clairville.

Ils me ſuivent, je les ai devancés pour me ménager un moment d’entretien avec vous ; leur préſence va vous gêner, ils paſſeront ici pluſieurs jours ; car Durval ſouhaite que le mariage de ſon neveu ſe faſſe à la Campagne.

Sophie.

Lui avez-vous confié le nôtre ?

Clairville.

Non, je n’ai oſé lui ouvrir mon cœur ; vous l’avouerai-je ? Durval m’effraie : Obligeant, honête, ſincere, mais brusque & peu ſenſible, ſon âge, ſon état & ſon caractère l’éloignent de l’amour ; le ſentiment, qui m’attache à vous, lui paroîtra peut-être une foibleſſe, notre union une imprudence, une folie, enfin Celicour (jeune & mon Ami) m’inſpire plus de confiance ; Permettez-moi de lui apprendre notre ſecret, il a de l’aſcendant ſur ſon Oncle, il l’employera pour l’engager à nous ſervir.

Sophie.

Ah ! Clairville, qu’avons-nous fait ?

Clairville tendrement,

Vous repentez-vous, Sophie ?

Sophie.

Me repentir ! ah jamais ; je crains ſeulement pour vous la colère de votre Pere, la haine de votre Belle-mere ; elle nous perdra tous deux.

Clairville.

Ne vous livrez point à ces vaines terreurs, la différence de nos fortunes pouvoit ſeule empêcher mon Pere de conſentir à notre union ; l’intérêt l’eut rendu contraire à nos nœuds, l’honneur lui défendra de les rompre ; nous le fléchirons ma chère Sophie, vous ſerez à moi de ſon aveu, je pourrai ſans crainte jouir de ma félicité, la publier, m’en applaudir à tous les yeux.

Sophie.

Mon cher Clairville, cette liberté de l’avouer n’en diminuera-t-elle pas les douceurs ?

Clairville.

Vos charmes devroient ſuffire pour vous raſſurer ; mais quelque puiſſans qu’ils ſoient, vous avez d’autres garans de ma fidélité ; des liens plus forts que ceux de la beauté m’attachent à vous, & de la durée de mes ſentimens dépend celle de mon bonheur.

Ariette.

Ne crains rien, ma Sophie,
Pour toute la vie
Je ſuis ſous tes loix.
Ne crains rien, ma Sophie,
Pour toute la vie,
Belle Sophie,
Je ſuis ſous tes loix.
Dans ſa femme chérie
Trouver ſa tendre amie
Et Maîtreſſe jolie
C’eſt raſſembler tous les biens à la fois.
Ne crains rien, ma Sophie,
Mes plaiſirs aſſurent ces droits,
Non, non, ne crains rien, ma Sophie,
Pour toute la vie, pour toute la vie,
Je ſuis ſous tes loix.
Ne crains rien &c.

Sophie.

Vous me charmez Clairville, vous ranimez ma confiance, hâtons-nous d’inſtruire votre Pere, qu’il apprenne les nœuds que nous avons oſé former, & quelles que ſoient les ſuites de cet aveu, conſervons nos ſentimens, & nous ne ſerons jamais tout-à-fait malheureux.

Duo.

Pour bannir de nos jours
Le regret, la triſteſſe,
Aimons, aimons toujours
D’une égale tendreſſe.
Uniſſons nos deſirs,

Serrons nos chaînes
L’amour diſſipe les peines
Et rend plus doux les plaiſirs
Uniſſons nos deſirs,
Pour bannir &c.



Scène V.

NISON, SOPHIE, CLAIRVILLE.
Nison.


EH, vite, vite, retirez-vous, Henriette me ſuit.


Clairville.

L’importune ! quoi, déja ſe quitter ! mais bientôt, ma chere Sophie, aucun égard ne pourra nous ſéparer ; me permettez-vous d’inſtruire Célicour ?

Sophie.

Oui, faites-en naître l’occaſion, adieu, ſortez ; je ne veux pas qu’on nous ſurprenne enſemble.

(Il ſort.)
Nison.

Hélas ! ne pouvoir même ſe parler ; pour moi je n’y tiendrai pas.

Sophie.

Paix, voici Henriette.



Scène VI.

HENRIETTE, SOPHIE, NISON.
HENRIETTE d’un air vif & étourdi.

Ariette.

SAns la liberté,
Point de bonheur dans la vie :
Suivre ſa volonté,
Céder à ſa fantaiſie,
C’eſt la ſeule félicité
Digne d’envie.
Sans la liberté &c.
Du plaiſir, de la gaîté,
La contrainte eſt l’ennemie.
Céder à ſa fantaiſie,
C’eſt la ſeule félicité.
Sans la liberté &c.

Sophie.

En vérité ma chere Henriette, ſi vous mettez un ſi grand prix à la liberté, je dois vous plaindre, en voyant approcher l’inſtant où vous allez perdre la vôtre.

HENRIETTE vivement.

La perdre ? dites-vous, je vais l’acquerir au contraire ; une fille en connoit-elle jamais les douceurs ? tant de bienſéances à obſerver, de ſentimens à diſſimuler, de devoirs à remplir… eſt-elle mariée ? plus d’auſtérité, plus de contrainte, ſes goûts, ſes volontés, ſes caprices même ſont des loix, une foule d’admirateurs la ſuit, s’empreſſe autour d’elle : d’un regard, d’un ſouris elle fait le deſtin de tout ce qui l’environne ; les plaiſirs naiſſent ſous ſes pas. Oh ! l’agréable, le charmant inſtant, & que j’ai d’impatience d’en jouir !

Nison.

Celà s’appelle voir en beau.

Sophie.

Oui, votre imagination vous ſert agréablement, mais parmi tous les biens qu’elle vous promet, le Mari, ce me ſemble, eſt compté pour rien.

Nison.

Bon, bon, Mademoiſelle a bien fait de l’oublier ; toutes les fois que ces Meſſieurs là ſe préſentent à notre ſouvenir, c’eſt toujours moins pour accroître nos plaiſirs que pour les troubler.

Henriette.

Que nous allons être heureuſes, ma chere Sophie ! j’engagerai Monſieur de St. Aubin à vous permettre de vivre avec moi, vous ferez ma Compagne, vous partagerez tous mes amuſemens.

Sophie.

Je vous rends grace, Henriette, mes idées de bonheur ne reſſemblent point aux vôtres, & nous différons trop dans nos principes pour nous accorder dans nos goûts.

Henriette

Vous dirai-je ma penſée ? vous êtes trop ſérieuſe, trop grave, ce n’eſt pas le moyen…

Nison

Mademoiſelle, j’apperçois Madame votre Mere, remettez vos remarques à une autre fois.

(elle ſort)


Scène VII.

Mad. de St. AUBIN, DURVAL, Mr. de St. AUBIN, CELICOUR, HENRIETTE, SOPHIE.

(Pendant toute cette Scène, Célicour eſt triſte, diſtrait, fait peu d’attention à Henriette, & regarde ſouvent Sophie ; il doit être placé entr’elles deux.)

Mad. de St. Aubin.


APprochez ma fille, voici Monſieur Durval & ſon neveu.

Durval, d’un ton gai.

Qui nous voila, nous venons pour conclure, bon jour Sophie (à Henriette), bon jour ma Niece, embraſſez-moi (à Célicour), embraſſe, embraſſe auſſi toi.

Celicour, d’un air froid.

Cette liberté ne peut m’être permiſe.

Mad. de St. Aubin, d’un ton sec.

Il a raiſon, Monſieur, il n’eſt pas encore tems.

Durval.

Belle cérémonie ! ne vont-ils pas être mariés ? & vous, ma jolie Sophie, n’irai-je point à vos noces auſſi ? Mon vieil Ami ne penſes-tu pas à établir cet enfant là ?

St. Aubin.

Elle n’eſt pas preſſée, d’ailleurs ſon pere lui a laiſſé ſi peu de bien…

Durval.

Que veux-tu dire de ſon pere ? c’étoit un honête-homme & le meilleur de mes Amis.

Mad. de St. Aubin, avec aigreur.

A la bonne heure ; mais cet honête-homme a diſſipé ſa fortune, &, dans la ſituation où Sophie eſt réduite, on trouve difficilement un Mari ; l’état d’une fille eſt desagréable dans le Monde, mais le Couvent lui offre un aſyle.

Durval.

Fi donc, fi donc, que dites-vous là ? Si je croyois qu’on voulût la forcer à prendre ce parti, je l’enleverois demain & la ferois paſſer ſur mon bord… le Couvent ! belle imagination !… auriez-vous cette fantaiſie, Sophie ?

Sophie.

Je n’ai pris encore aucune réſolution, Monſieur, & je me trouve ſi heureuſe dans cette maiſon, que j’héſiterai toujours à faire un choix qui puiſſe m’en éloigner.

Durval.

C’eſt bien répondre, & vous êtes une bonne fille, mais morbleu ! ne vous mettez pas en peine avec ce peſte de minois-là : les Maris ne vous manqueront pas… qu’en penſes-tu mon neveu ?

Celicour.

Je ſuis de votre ſentiment, mon Oncle, heureux celui qu’elle daignera choiſir !

Durval.

Eh, que ſçait-on ?… peut-être… il ſuffit… je m’entends…

Mad. de st. Aubin, avec humeur.

Laiſſons ces propos inutiles.

Durval, gaiment.

Vous avez raiſon, parlons de nos affaires ; ça Madame, les Notaires arrivent ce ſoir, nous dreſſerons les Articles, & nous finirons promptement ; j’ai hâte de me rembarquer, & puis Célicour eſt impatient… n’eſt-il pas vrai ? Eh bien, parle donc, toi… à qui diable en as-tu ?

Celicour d’un air diſtrait & embaraſſé.

Oui… oui… Monſieur… aſſurément… on ne ſçauroit douter de mon empreſſement, mais nous ne devons pas gêner Madame.

Henriette à part.

Il me paroît bien indifférent.

St. Aubin.

Mon ami, ma femme eſt diſpoſée à conclure dès que le contract ſera ſigné, mais vous parlez déja de nous quitter : nous eſpérions vous retenir plus longtems.

Durval.

Bon, bon, que veux-tu que je faſſe ici ? je m’ennuie, je ſuis tout triſte, tout malade, depuis que je ſuis à terre.

St. Aubin.

Comment ! après les dangers que vous avez courus, vous iriez encore ?…

Durval.

Quoi, quoi, quels dangers ? que veux-tu dire ?

Mad. de St. Aubin.

N’avez-vous pas eſſuyé des tempêtes, livré des combats ?…

Durval.

Eh bien ! des combats… des tempêtes ? Qu’eſt-ce que c’eſt que celà ?

Mad. de St. Aubin.

Y penſez-vous Monſieur ? L’idée ſeule en eſt effrayante.

Durval.

Oh vraiment ! les femmes ont peur de tout ; j’en ai pourtant vu de diablement hardies dans l’occaſion : pour moi j’y ſuis intrépide.

Dans le combat
Rien ne m’abbat.
Vif, attentif,
Toujours actif,
Jamais craintif,
Je ſuis expéditif.

Vers l’ennemi, je cingle avec audace,
Sans me laſſer, je lui donne la chaſſe.
C’eſt vainement
Qu’il a pincé le vent,
Malgré ſa fuite,
Ardens à ſa pourſuite,
Nous le joignons
Alerte, Compagnons,
Chargeons, pointons,
Braves amis, tirons,
Bon, bon, bon, bon, bon, bon, bon, bon, &c.
Il faudra qu’il amene,
J’ai briſé la miſaine
Et ſon mât d’artimon,
Allons, allons,
Recommençons,
A grands coups de canon.
Bon, bon, bon, bon, bon, bon, bon, bon, &c.
A l’abordage
Enfans courage
Soudain, ſoudain
Attachons le grapin
Soudain, attachons le grapin.
A l’abordage
Enfans courage,
Courage, courage.
Avec vigueur ſur le Pont je me lance
A mon aſpect rien ne fait réſiſtance :
En un moment
Attaquant, combattant
Frappant, frappant,
Et d’eſtoc & de raille,
J’abbats cette Canaille,
Plus d’ennemis
Tout eſt ſoumis.

La Victoire eſt à moi,
Vive le Roi, vive le Roi : &c.

Allons mes Amis, allons nous mettre à table.

(Durval donne la main à Sophie, au moment où Madame de St. Aubin lui préſente la sienne ; elle lève les épaules d’un air d’humeur, il s’en apperçoit, repouſſe Sophie, et prend brusquement la main de Mad. de St. Aubin.)


Fin du premier Acte.


ACTE SECOND.

Le Théâtre repréſente les Allées d’un Parc.


Scène PREMIERE.

Clairville, Celicour.
Ils ſe promenent quelque tems ſans parler, & ſe regardent d’un air embaraſſé.
Celicour.


QU’avez-vous, Clairville, vous paroiſſez inquiet ?

Clairville.

Je ne ſuis pas tranquille, mais vous-même n’êtes pas dans votre état naturel ; je vous ai vu tout le jour triſte, rêveur, embarraſſé.

Celicour.

J’ai du trouble, des deſirs, des projets ; je voudrois vous les confier, mais je héſite à vous ouvrir mon cœur.

Clairville.
Doutez-vous de mon amitié ?
Celicour.

Non, mais je crains votre raiſon.

Clairville.

Ma raiſon ! ah, mon ami ne vous y trompez pas, j’ai beſoin moi-même d’indulgence ; ſi vous avez une confidence à me faire, j’ai un ſecret à vous apprendre, d’où dépend mon repos, ma joie ; mais parlez, parlez, mon Ami, votre exemple eſt néceſſaire pour m’encourager.

Celicour avec feu.

Clairville, connoiſſez vous l’amour ? ce ſentiment vif, impétueux, auquel nos plus grands efforts ne peuvent rien oppoſer ?

Clairville vivement.

Eh ! qui jamais éprouve mieux que mot l’impoſſibilité de lui réſiſter ?

Celicour.

Vous ne penſez donc pas que de froides conſidérations, de vaines bienſéances, doivent nous faire renoncer à nous-mêmes, au bonheur de toute notre vie ?

Clairville.

Ah ! mon Ami, je ſuis bien loin de le croire.

Ariette.

L’amour exerce ſes droits
Avec violence,
Et la raiſon à ſa voix
Garde le ſilence.
Dès qu’il ſe rend maître d’un Cœur,
Fortune, éclat, grandeur,

Tout eſt chimere.
Un amant ne voit le bonheur
Qu’avec l’objet qui ſait lui plaire ;
L’amour &c.

Celicour vivement.

Vous exprimez mes ſentimens, vous peignez ma ſituation.

Clairville.

Achevez de me la faire connoître ; je vois déja que peu ſenſible aux charmes d’Henriette, une autre a touché votre cœur ; mais pourquoi vous taire ? pourquoi laiſſer avancer une affaire qu’à préſent il fera difficile de rompre ?

Celicour.

Libre encore, lorſque mon oncle me propoſa le mariage, rien ne m’engageoit à le refuſer ; je vis Henriette, elle n’eſt pas faite pour inſpirer de la repugnance, je l’aurois aimée ſans doute ; mais une autre vint s’offrir à mes yeux, & m’apprit à connoître un ſentiment dont juſqu’alors je n’avois eu qu’une foible idée ; ah ! comment ſe défendre quand on aime Sophie ?

Clairville ſurpris & troublé.

Sophie !… Comment ?… Quoi ?… De quelle Sophie parlez-vous ?

Celicour, avec feu.

De celle qui a habite cette maiſon, de l’aimable pupile de votre pere ; vous êtes ſurpris ?

Clairville.

Confondu… l’instant… la circonſtance…

Celicour.

Eſt malheureuſe, ſinguliere…

Clairville.

Oh, plus que vous ne pouvez l’imaginer, … eſt-elle inſtruite de vos ſentimens ?

Celicour.

Mes regards ſeuls ont pu les lui faire connoître ; timide pour la premiere fois, mon embarras eſt extrême ; j’ai beſoin de votre amitié, de vos conſeils, & ſurtout de votre ſecours, pour me procurer un entretien avec elle.

Clairville.

Moi ! ne l’eſpérez pas.

Celicour.

Comment ?

Clairville.

Non, vous dis-je. Votre folie eſt inconcevable ; quoi ? ſur le point de conclure un mariage avantageux…

Celicour, piqué.

N’achevez pas, j’ai tout conſidéré, tout prévu, & ſi Sophie daigne accepter ma main, il n’eſt point d’obſtacle qui puiſſe m’arrêter… mais je l’apperçois, le hazard la conduit vers nous, ah ! de grace, laiſſez-moi profiter de cette heureuſe occaſion.

(Celicour a dit ces derniers mots en appercevant Sophie, qui a paru au bout d’une allée d’arbres au fond du Théâtre.)

Clairville avec humeur.

Quoi ! vous prétendez ?

Celicour.

Oui, mon Ami, votre préſence l’embarraſſeroit peut-être ; éloignez-vous, je vous en conjure.

Clairville.

Ecoutez-moi…

Celicour.

Le tems preſſe, vous connoiſſez ma ſituation…

Clairville.

Et vous ignorez la mienne… apprenez donc…

Celicour.

Vous m’inſtruirez une autre fois.



Scène II.

St. AUBIN, CLAIRVILLE, CELICOUR.
St. Aubin traverſant une allée, un papier à la main, qu’il paroît examiner.


CE compte eſt faux… (appercevant ſon fils) Clairville, Clairville.

Clairville.

Quel contretems !

Celicour.

Votre pere vous appelle, vous ne pouvez vous diſpenſer…

St. Aubin.

Clairville.

Celicour.

Ne le faites pas attendre, allez donc.

Clairville.

Mais…

Celicour avec impatience en le pouſſant vers ſon pere qui l’emmene.

Mais… Mais… vous me mettez au deſeſpoir… au nom du Ciel laiſſez nous. (Cette Scène entre Celicour & Clairville, conſiſtant principalement en petits mots, doit être parfaitement ſçue, afin d’être jouée très vivement.)



Scène III.

SOPHIE, CELICOUR.

(Pendant la fin de la Scène précédente, Sophie s’eſt avancée très lentement, & comme quelqu’un qui ſe promène, en voyant Clairville s’éloigner, elle s’arrête, fait un mouvement pour ſe retirer : Celicour va au devant d’elle & la retient.)

Celicour.


POurquoi vous retirer, belle Sophie ; Craignez-vous ma préſence ?

Sophie d’un ton doux & timide.

Non, mais peut-être la mienne interrompt-elle une converſation intéreſſante.

Celicour tendrement.

Oui, bien intéreſſante ! … ne pouvez-vous en deviner le ſujet ?

Sophie toujours avec timidité.

Mais… Clairville eſt votre Ami.

Celicour.

Je le crois.

Sophie.

Votre confiance eſt mutuelle.

Celicour.

Hé puis il eſt des momens où l’on trouve ſi doux de laiſſer lire dans ſon ame !

Sophie avec vivacité & tendreſſe.

Oh ſans doute !

Celicour.

Vous imaginez donc ? …

Sophie en héſitant.

Oui… j’imagine, … je penſe…

Celicour.

Vous penſez ? …

Sophie baiſſant la voix & les yeux.

Qu’un ſecret juſqu’à préſent caché, … une confidence…

Celicour avec feu.

Dont vous êtes l’objet… pourquoi rougir ? pourquoi baiſſer les yeux ?

Sophie.

Pardonnez un embarras, dont je ne ſuis pas maîtreſſe… Clairville n’auroit pas dû s’éloigner… me laiſſer ſeule avec vous… raſſurée par ſa préſence…

Celicour.

Elle n’auroit ſervi qu’à vous contraindre, car je vous l’avoue, je ne ſuis point du tout ſatisfait de lui.

Sophie avec inquiétude.

Comment Monſieur ?

Celicour.

Non ! loin de lui trouver cette chaleur, cet empreſſement…

Sophie effrayée.

Que me dites-vous ?

Celicour.

Il m’a paru froid, chagrin, mécontent…

Sophie.

Ô Ciel ! que vous m’affligez ; Se pourroit-il que Clairville ?…

Celicour.

Ne craignez rien, belle Sophie, vous avez pénétré mes ſentimens, vous daignez y prendre intérêt, rien ne pourra m’empêcher d’être heureux.

Sophie le regardant avec ſurpriſe.

Mais je ne puis comprendre…

Celicour.

Fiez-vous à ma tendreſſe, permettez-moi d’aſpirer à votre main, conſentez d’être à moi, & les obſtacles diſparoîtront.

Sophie.

Qu’entends je ?… ce diſcours eſt inconcevable… vous ! aſpirer à ma main ?… moi ! conſentir d’être à vous ?… & vous avez vu Clairville ?… Qu’a-t’il donc pu vous dire ?…

Celicour tendrement.

Eh ! que vous importent ſes ſentimens ?… chere Sophie, ſi vous approuvez les miens, ſi je puis me flatter que mes ſoins, mes empreſſemens vous les faſſent un jour partager ?…

Sophie, à part les premiers mots.

Je ne puis revenir de ma ſurpriſe !… Quel embarras !… Aurois-je dû m’attendre ?… Y ſongez-vous, Monſieur, & qui peut vous faire eſpérer que, perdant de vue mes devoirs, j’approuve jamais un amour qui m’offenſe ?… Oubliez-vous ce que vous devez à un parent généreux, à une fille reſpectable, vos engagemens avec Henriette ?…

Celicour vivement.

Elle ne ſera jamais à moi ; votre délicateſſe ſur ce point ne peut changer ma réſolution.

Ariette.

 
Non, non, je ne veux aimer que vous,
Quelle autre pourroit me plaire ?
C’eſt vainement que l’on eſpere,
D’Henriette me voir l’époux,
Non, non, non, non, je ne veux aimer que vous.

(Il ſe met à ſes genoux.)


Scène IV.

MADAME de St. AUBIN, HENRIETTE, SOPHIE, CELICOUR.

(Les deux femmes ſont entrées pendant la derniere Ariette, & ſe ſont tenues au fond du Théâtre.)

QUATUOR.

Sophie.

Ciel à mes genoux,
De grace levez-vous,
Ah ! levez-vous,
Ah ! levez-vous,
Ah ! levez-vous,
Votre imprudence
M’expoſe à leur courroux,
Votre imprud. &c.

Henriette.

Ciel à ſes genoux,
Près d’être mon époux,
Le voyez-vous,
Le voyez-vous,
Le voyez-vous ?
Quelle indécence !
Se mettre à ſes genoux,
Près d’être mon époux.

Quelle indécence,
Quelle imprudence,
Se mettre à ſes genoux,
Près d’être mon époux :

Modérez-vous,
Ah ! laiſſez-nous,
Modérez-vous,
Ah ! ſauvez-vous.

Le ſouffrir à genoux,
Près d’être mon époux,
Redoutez mon courroux,
Oui, oui, oui,
Redoutez mon courroux.

QUATUOR.

Mad. de St. Aubin.
Celicour.

Quelle imprudence
Vous mettre à ſes genoux,
Près d’être ſon époux,

Son innocence
L’excuſe auprès de vous,
Mon imprudence
Mérite ce courroux :

Quelle innocence,
Quelle indécence,

Se mettre à ſes genoux,
Près d’être ſon époux,
Quelle indécence
Quelle imprudence,
Redoutez mon courroux,
Oui, oui, oui,
Redoutez mon courroux.

Modérez-vous,
Ah ! ſauvons-nous,
Modérez-vous,
Ah ! ſauvons-nous,



Scène V.

DURVAL, SOPHIE, Mad. de St. AUBIN, HENRIETTE.

(Il eſt important auſſi que cette 5me. Scène ſoit jouée très vivement, & qu’un mot n’attende pas l’autre.)

Durval.


QUel bruit, quel tapage, à qui en avez-vous Mesdames ?

Mad. de St. Aubin en colere.

Vous arrivez à propos, Monſieur, pour nous faire juſtice.

Durval.

Et de qui donc ?

Mad. de St. Aubin.

De Celicour, de votre Neveu ; pour cette impertinente, je me reſerve le ſoin de la punir.

Durval.

De quoi eſt-il queſtion ?

Sophie.

Madame, ſi vous vouliez m’entendre !

Mad. de St. Aubin.

Vous entendre ! & qu’avez-vous à oppoſer à des faits ?

Durval.

Des faits ! Comment diable, celà eſt ſérieux.

Henriette.

Oh ! très ſérieux, je vous aſſure.

Sophie.

Henriette, écoutez-moi, je vous en conjure.

Henriette.

Me jouer un pareil tour !

Mad. de St. Aubin.

Nous expoſer à cet affront !

Durval.

Mais écoutez-la !

Sophie.

Je proteſte, je jure…

Henriette, pleurant.

Nous mettre dans la néceſſité de rompre un Mariage prêt à conclure.

Durval ſe fâchant.

Eh ! à propos de quoi le rompre, s’il vous plaît ?

Mad. de St. Aubin.

Ne vous affligez pas, ma fille, déſormais un Couvent nous répondra d’elle.

Durval ſe fâchant plus fort.

Doucement, Madame, je vous ai déja dit, que je ne le ſouffrirois pas.

Henriette avec aigreur.

Quoi ! Monſieur, vous prenez ſon parti ?

Mad. de St. Aubin.

Vous oſez la ſoutenir contre moi ?

Henriette.

L’Oncle & le Neveu ſont d’intelligence.

Mad. de St. Aubin.

Il n’en faut point douter.

Durval.

Au Diable ſoient les folles.

Mad. de St. Aubin.

Comment ! vous joignez l’inſulte à la perfidie ? ce dernier trait m’apprend à vous connoître : je romps toute alliance avec vous.

Durval.

L’enfer puiſſe confondre…

Mad. de St. Aubin.

Vous êtes un homme emporté…

Durval très en colere.

Madame !…

Henriette.

Sans politeſſe.

Durval.

Mademoiſelle !…

Mad. de St. Aubin.

Sans éducation.

Durval criant très fort.

Courage !… mais enfin parviendrai-je à ſavoir ?…

Mad. de St. Aubin avec volubilité.

Déraiſonnable, inſociable, à qui l’on ne peut parler, qui ne voit rien, n’entend rien ! Pour votre neveu, c’eſt un impertinent, un fat ; je vous le repète, ne comptez plus ſur nous ; tout eſt fini, tout eſt rompu. Sophie, préparez-vous à partir demain. Oui Monſieur, demain, demain, en dépit de votre protection ! Suivez-moi, ma fille, allons trouver mon mari, & lui apprendre l’honête procedé de ſon digne Ami.



Scène VI.

DURVAL, SOPHIE.
Durval.


OUf… eſt-elle partie ?… quelle furie ! … m’apprendrez-vous ce que ſignifie tout celà ? les unes crient, l’autre pleure ; expliquez-moi cette énigme.

Sophie.

Rien de plus facile, Monſieur ; Henriette & Madame de St. Aubin ont ſurpris Celicour à mes genoux.

Durval.

A vos genoux ! Eh ! que Diable faiſoit-il là ?

Sophie.

Il me juroit de m’aimer toujours.

Durval.

L’étourdi ! le ſot ! il prend bien ſon tems… vous aimer toujours ? à propos de quoi ?… & vous l’écoutiez ?… que prétend-il ? qu’eſpérez-vous ?… les femmes n’ont pas tant de tort ; celà n’eſt pas bien à vous, Sophie.

Sophie.

Mais, Monſieur…

Durval brusquement.

Non, vous dis-je, cela eſt mal, très mal, elles ont raiſon ; c’eſt un fort vilain procédé que celà.

Sophie.

Allez-vous m’affliger auſſi, vous fâcher ?…

Durval élevant la voix.

Me fâcher, me fâcher ?… je ne me fâche point : je vous parle doucement ; vous affliger ? ce n’eſt pas mon deſſein… mais un homme à vos genoux… ces femmes qui arrivent, s’en prennent à moi… me diſent mille injures… comment diable puis je vous excuſer ?

Sophie.

S’il m’étoit permis de parler…

Durval.

Que me diriez-vous ?

Sophie.

Que loin d’encourager les eſpérances de Celicour, je lui faiſois ſentir combien elles étoient chimériques, & combien j’en étois offenſée

Durval ſe radouciſſant.

Oui !… lui diſiez-vous celà ?… à la bonne heure, celà eſt différent.

Sophie.

Je n’ai pu l’empêcher de ſe mettre à genoux.

Durval.

Non,… Non,… j’entends bien… ce n’eſt pas votre faute…

Sophie.

Si mon caractere vous étoit connu, ſi vous étiez inſtruit de ma ſituation…

Durval.

Vraiment, je vois bien que vous n’êtes point heureuſe dans cette maiſon… & ſi mon neveu ſe fût déclaré plutôt, je ne me ſerois peut-être pas oppoſé…

Sophie.

Ah ! Monſieur, je ne ſonge point à Celicour !

Durval.

Vous avez raiſon ; c’eſt une mauvaiſe tête ; d’ailleurs il n’eſt pas aſſez riche… (il lui prend la main) mais ne vous chagrinez pas, votre Pere étoit mon Ami… vous m’avez toujours vivement intéreſſé… &, ma foi, puiſque les choſes vont ainſi… je veux travailler à votre bonheur.

Sophie.

Vous n’imaginez pas combien je ſuis à plaindre.

Ariette.

De vous exprimer ma peine,
Non je n’ai pas le pouvoir,
Helas ! timide, incertaine,
Je crains de la laiſſer voir.
En vous j’ai mis tout mon eſpoir.
De vous exprimer ma peine,
Non je n’ai pas le pouvoir.

De nous un inſtant diſpoſe,
Nous ne pouvons le prévoir,
Souvent notre cœur s’oppoſe
A la raiſon, au devoir.
Je voudrois parler, je n’oſe,
En vous j’ai mis tout mon eſpoir,
De nous un inſtant &c.

Durval.

Pauvre petite !… (il lui baiſe la main) vous avez donc un peu d’amitié pour moi ?

Sophie.

Je vous reſpecte, je vous aime, & vous aurez des droits éternels à ma reconnoisſance, ſi vous voulez parler à mon tuteur, l’engager…

Durval, gaiment.

Laiſſez, laiſſez-moi faire, je ſais comment m’y prendre… j’avois déja quelques idées, mais vagues… Ce que je vois, ce que j’entends, achève de m’y confirmer… (il lui baiſe encore la main) Petite ſéductrice, aurois-je dû m’attendre ?… il faut pourtant dire vrai, je me ſuis douté de quelque choſe.

Sophie avec empreſſement.

Quoi ! Monſieur, vous auriez découvert ?…

Durval toujours gaiment.

Oui, oui, j’ai découvert… en honneur, je ne me croyois pas ſuſceptible de cette ſottiſe-là, mais, plus j’y penſe… plus je vous vois… plus je vous regarde… & plus il me ſemble que je ſuis amoureux.

Sophie effrayée.

Amoureux ! vous Monſieur ?

Durval.

Oui, ma foi… cela vous étonne… & moi auſſi… mais enfin, que faire ? je ne ſuis pas ſi vieux… & ſi vous voulez être ma femme, cela pourra retarder mon voyage… l’empécher même ; car vous ne vous ſoucieriez peut-être pas de venir à la Chine ?… Vous ne dites mot ?

Sophie, chagrine & embarraſſée.

En vérité, Monſieur, l’honneur que vous me faites… m’interdit à tel point… je prévoyois ſi peu… Ô Ciel ! quel nouvel embarras ! Comment oſer lui confier à préſent ?…

Durval.

Mon air dur, mon ton bruſque, vous effraie peut-être ; mais, quoiqu’en puiſſent dire ces ſottes femmes, je ſuis bon, ſincère, facile, point jaloux, point capricieux, point trop obſtiné, un peu colère ; mais celà s’appaiſe d’abord, & vous ferez de moi tout ce qu’il vous plaira.

Sophie.

Ah ! Monſieur, vous avez trompé mes eſpérances ; j’avois deſſein de vous regarder comme un Ami, comme un Père.

Durval.

Eh ! bien, je ſerai votre Ami, votre Père & votre Mari.

Sophie

Vos ſentimens pour moi ne peuvent être aſſez vifs.

Durval.

Eſt-ce là ce qui vous inquiette ? raſſurez-vous, je ne ſuis pas galant, moi, mais j’aime bien mieux qu’un autre ; toujours fidèle, toujours occupé de vous, je ne vous quitterai pas un inſtant.

Dans ſes beaux ans
L’homme eſt leger,
Et ſon printems
Se paſſe à voltiger.

Il s’engage
Et devient volage
En un moment.

Dans ſes beaux &c.

Mais le tems
Amene l’inſtant
Où plus ſage,
Il eſt ſans partage,
A l’objet qui ſait le charmer,
Et ſoixante ans eſt le bel âge
Pour bien aimer,
Mais le tems &c.

Sophie.

Ecoutez, Monſieur, je vais vous ouvrir mon cœur, vous apprendre…

Durval.

Oui, ma chere petite, dites-moi ce que vous penſez ; mais voici St. Aubin, de quoi s’aviſe-t-il de nous interrompre ?



Scène VII.

St. AUBIN, DURVAL, SOPHIE.
Durval.


EH ! bien : viens-tu me faire un appel ? Mad. de St. Aubin eſt une terrible femme au moins.

St. Aubin.

Elle n’eſt pas douce, &, dans ſa colère, on a peine à la concevoir ; j’ai pourtant démêlé qu’elle ſe plaint de vous, mon Ami, de Celicour, & ſur-tout de Sophie : Quoi ! ſeroit-il poſſible que vous vous fûſſiez oubliée au point ?…

Durval.

Tais-toi, ne la gronde pas : Ce n’eſt pas ſa faute ; mon neveu eſt un étourdi, ta femme une pie griéche, ſa fille une impertinente ; mais tout celà s’arrangera.

St. Aubin.

J’en doute : elle s’obſtine à rompre abſolument, & vient de m’obliger à lui promettre, de conduire demain Sophie au Couvent.

Sophie.

Quoi ! Monſieur ?

Durval.

N’ayez pas peur, il n’en fera rien : Pauvre homme, tout s’arrangera, te dis-je… premièrement, je te débarraſſe de Sophie, je l’épouſe…

St. Aubin.

Vous l’épouſez ?

Durval.

Eh ! oui, je l’épouſe : n’y conſens-tu pas ?

St. Aubin.

Aſſurément ; mais elle n’a rien.

Durval.

Hé bien, elle m’aura, moi, ma fortune, mon cœur : Celà ne lui ſuffira-t-il pas ? Qu’en dites-vous, Sophie ? Morbleu, répondez donc ?

Sophie.

De grace, Monſieur, de précipitez rien.

St. Aubin.

Comment Mademoiſelle ? Laiſſeriez-vous échapper un bonheur, où vous ne pouviez prétendre ? Acceptez l’honneur que vous fait mon Ami ; ou j’exécute la volonté de ma femme : je veux être tranquille chez moi.

TRIO.

Sophie.
St. Aubin.
Durval.

A lui donner la main,
Dès demain,

A me donner la main,
Dès demain

Quoi demain ?
Fatal deſtin !
C’eſt en vain,
Vous préparez en vain,
Pour demain,
Cette fête.
Cet arrêt…
J’eſpérois…

Oui demain,
Soyez prête
Quand je forme un deſſein,
Jamais rien ne m’arrête,
Je veux demain,
Célébrer cette fête
Eſt certain,
C’eſt en vain.
Je l’ai mis dans ma tête,
Oui demain, c’eſt certain,

Oui demain,
Soyez prête.
Quand je forme un deſſein,
Pour moi rien ne m’arrête,
Je veux demain,
Célébrer cette fête.
Eſt certain,
Oui demain,
Devinez ma conquête,
Oui demain, c’eſt certain,

Quoi demain ?
Fatal deſtin !
Vous préparez en vain,
Cette fête pour demain.
C’eſt en vain,
Qu’on s’apprête.

A lui donner la main
Soyez prête dès demain,
Oui demain,
Je veux célébrer cette fête.

A me donner la main,
Soyez prête dès demain,
Oui demain,
Je veux célébrer cette fête.

Fin du Second Acte.

ACTE TROISIEME.

Le Théâtre repréſente un Sallon.


Scène PREMIERE.

Sophie entre par la Porte du fond ; (à droite il doit y avoir une Porte ſur le devant du Théâtre pour entrer dans la Chambre de Sophie.)

Recit.

Le trouble, la crainte
Agitent mon cœur ;
Et je ſuis contrainte,
À cacher ma douleur.
Ah ! tout s’unit pour mon malheur ;
C’en eſt fait, une prompte fuite
Loin d’ici conduira mes pas.
Mais où fuir ? en quels lieux ? helas !
Quelle peine, quel embarras !
Tremblante, interdite,
Je balance, j’héſite,
Que réſoudre ? à quoi m’arrêter ?
Tout m’eſt contraire,
Dois-je me taire ?
Dois-je parler ?

Ariette.

Amour, tendre amour, je t’implore,
Ecoute, écoute ma voix.
Sur l’objet que j’adore,
Tu fixas mon choix.
Amour &c.
Finis mes allarmes,
Comble mes déſirs,
Après tant de larmes,
Tu me dois des plaiſirs.
Finis &c.
Et l’himen encore
Reſpecte tes droits ?
Amour je t’implore
Ecoute ma voix.



Scène II.

NISON, SOPHIE.
Nison.


POurquoi quitter ſi-tôt le jardin, Madame ? mon Maître aurait pu vous y joindre & vous entretenir un moment.

Sophie.

Dans les diſpoſitions où ſont les eſprits, je dois veiller ſur mes démarches ; on m’examine, on m’obſerve, il faut pourtant que je parle à Clairville, le tems preſſe ; demain ſon Père veut décider de mon ſort. Eh ! quoi, n’avez-vous pu lui parler, l’avertir de ſe rendre cette nuit à mon appartement ?

Nison.

Il ne m’a pas été poſſible de l’approcher ; dès que je me ſuis préſentée, les yeux de Madame de St. Aubin, & ceux d’Henriette, ſe ſont fixés ſur moi ; je n’ai oſé riſquer le moindre ſigne ; mais, de l’humeur dont ils ſont tous, ils ne peuvent reſter long-tems à table ; Clairville rêve, Celicour bâille, Madame de St. Aubin gronde, ſon Mari dort, Henriette boude, & Durval boit. Celà fait un petit ſouper bien gai !

Sophie.

Que je ſuis inquiette ! ah Niſon ! comment finira tout ceci ? Je ne trouverai plus que des ennemis dans cette maiſon.

Nison.

Ma foi, Madame, je commence à trembler pour vous ; Celicour aura peu de crédit pour vous nuire ; mais cette méchante Mad. de St. Aubin, cette jalouſe Henriette, & Durval ce vieux fou, qui s’aviſe d’être amoureux, vous feront tout le mal qu’ils pourront.

Sophie.

Durval eſt un honête homme, & je ne puis penſer….

Nison.

Je ne m’y fierois pas.

Sophie.

Ils n’oſeront, je l’eſpere, me ſéparer de Clairville.

Nison.

Soit, mais il ſera deshérité.

Sophie.

Eh bien ! nous vivrons de peu.

ROMANCE.

Eſt-ce donc la richeſſe,
Qui donne des plaiſirs ?
Elle trompe ſans ceſſe
Notre eſpoir, nos déſirs.

Le bonheur que j’envie
Eſt plus doux, plus conſtant ;
Point de bien dans la vie
Si le cœur n’eſt content.

Eſt-ce donc la richeſſe &c.

Une ſimple demeure,
Loin du monde & du bruit,
Qui nous offre à toute heure,
L’objet qui nous ſéduit :

Pour notre ame ravie,
C’eſt un bien ſuffiſant ;
Point de maux dans la vie,
Si le cœur eſt content.

Eſt-ce donc la richeſſe &c.

Nison.

Tout cela pourroit bien n’avoir de prix que dans l’éloignement.

Sophie.

Ah ! Niſon, vous n’avez jamais aimé.

Nison.

Oh ! que ſi, j’ai été folle tout comme une autre ; ne fis-je pas autrefois la ſottiſe de me marier ? j’avois le cœur tendre, l’imagination vive ; elle diminuoit les maux, exageroit les biens, celà étoit charmant ; qu’arriva-t-il ? Au bout d’un mois le preſtige ceſſa ; mais à quoi vous déterminez-vous ?

Sophie.

A voir Clairville cette nuit, à prendre avec lui des meſures promptes & ſûres, pour nous tirer de l’embarras où nous ſommes.

Nison.

Rentrez donc dans votre appartement ; je vais guêter l’inſtant de lui parler ; & dès que tout le monde ſera retiré, nous viendrons enſemble vous retrouver. Voici Mad. de St. Aubin & Henriette, rentrez vite avant qu’elles vous apperçoivent.

Sophie.

Conduiſez-vous avec prudence.

Nison.

Fiez-vous à moi, je ſçaurai bien me débaraſſer d’elles.



Scène III.

Mad. de St. AUBIN, NISON, HENRIETTE.
Mad. De St. Aubin, avec aigreur.

QUe faites-vous dans cette Salle ?

Nison.

Rien, je ſors.

Henriette l’arrêtant.

Un moment, où eſt votre Maîtreſſe ?

Nison.

Où ſeroit-elle ? Dans ſon appartement.

Mad. De St. Aubin avec ironie.

C’eſt une jolie perſonne !

Nison.

Tout le monde le dit :

Mad. De St. Aubin.

Inſolente ! me manquez-vous de reſpect ?

Nison.

Je n’ai garde.

Mad. De St. Aubin.

Allons, répondez-moi, depuis quand ont commencé les liaiſons avec Celicour ?

Nison d’un air fin.

Avec Celicour ?… attendez donc… ma foi je l’ignore.

Mad. De St. Aubin.

Quelles sont ſes vûes, ſes deſſeins ?

Nison.

Que ſçais-je ?

Henriette.

Elle ſéduit le neveu.

Mad. De St. Aubin.

Tourne la tête à l’oncle.

Henriette.

Duquel des deux veut-elle faire un mari ?

Nison.

Devinez.

Henriette.

De Celicour ?

Nison.

Hum, hum, peut-être bien.

Mad. De St. Aubin.

De Durval ?

Nison.

Eh ! mais… pourquoi non ?

Mad. De St. Aubin impatientée.

Allons, allons, ſortez & préparez-vous à quitter demain cette maiſon. Je ſuis plus inſtruite que vous ne penſez.

Nison d’un air miſtérieux & regardant autour d’elle.

Vous croyez l’être, mais vous ne ſçavez rien… vous voyez mal, vos yeux vous trompent, votre eſprit vous abuſe, vous ſuppoſez, imaginez… erreur… eh ! qui n’y eſt pas ſujet ? mais le tems… ce grand maître… prenez patience, tout s’éclaircit… ſe découvre… on penſoit … on croyoit… point du tout, ce n’eſt pas celà, on eſt ſurpriſe, étonnée … confondue… & celà vous arrivera, je vous en avertis… motus… l’heure s’avance… il ſe fait tard… bon ſoir Madame.

(Elle s’enfuit).


Scène IV.

HENRIETTE, Mad. de St. AUBIN.
Henriette.


MAdame, ce diſcours extravagant pourroit bien renfermer un miſtère … j’ai vû tout le ſoir Niſon aller, venir, elle cherchoit ſûrement à s’approcher de Celicour.

Mad. De St. Aubin.

Vous croyez…

Henriette.

Oui, Madame, je crois que cette perfide Sophie mettra tout en uſage pour ſe ſouſtraire à l’autorité de ſon Tuteur, & que, pouvant choiſir entre Durval & ſon neveu, Celicour obtiendra la préférence ; ſi vous y conſentez, reſtons dans cette ſalle, il faut abſolument y paſſer pour aller chez Sophie…

Mad. De St. Aubin.

Je vous entens… vous avez raiſon, éclairciſſons vos doutes… ils pourroient être fondés ; éteignez les lumieres & ne faiſons point de bruit.

Henriette éteint les lumieres

Je ſuis ſure qu’il ſe trame quelque complot… peut-être ont-ils réſolu de fuir enſemble… où êtes-vous, Madame ?

Mad. De St. Aubin.

Me voici, reſtons de ce côté.

Henriette écoutant, & baiſſant la voix.

Madame, j’entens, je crois, marcher quelqu’un… écoutez…

Mad. De St. Aubin.

Oui, oui, vous ne vous trompez pas, on approche… paix, taiſons-nous.



Scène V.

CLAIRVILLE, NISON, Mad. de St. AUBIN, HENRIETTE.

Nison pendant la ritournelle avance ſeule ſur le devant du Théâtre, écoute & dit à Clairville en s’approchant de la porte du fond, par laquelle elle eſt entrée, & dont il ne s’eſt pas éloigné.

Ariette.

Chut, paix, il eſt minuit,
Chut point de bruit,
Ecoutons bien,
Je n’entens rien,
Tout ſommeille,
L’amour, l’amour ſeul veille.
Suivez mes pas,
Point de fracas,
Tout ſommeille,
L’amour ſeul veille.
Ecoutons bien,
Je n’entens rien,
Prenez ma main,
Par ce chemin,
Tout ſommeille,
L’amour, l’amour ſeul veille.
Chut, paix, ne craignez rien,

Ecoutons bien,

Je n’entens rien.

bis.

Mad. de St. AUBIN, HENRIETTE.

Elles ſe ſont doucement approchées, & ſaiſiſſent chacune une main de Ninon, Clairville, qui doit en ce moment être tout près de la porte de Sophie, entre & la ferme ſur lui.

TRIO.

Nison

Ah finiſſez,
Vous me bleſſez,
Quelle ſurpriſe,
Me voilà priſe,
Quelle ſurpriſe,
Me voilà priſe,
Me voilà priſe,
Quelle ſurpriſe.
Aye, aye, le bras,
Quel embarras !
Aye, aye, le bras.

Henriette.

Ah ! je la tiens
Ah ! je la tiens
Tenez la bien,
Tenez la bien,
Tenez la bien,
La voilà priſe,
La voilà priſe,
Ne lâchez pas,
Prenez ſon bras,
Ne lâchez pas,
Ouvrez, ouvrez, point de remiſe.

Me voilà priſe,
Quelle ſurpriſe,
Aye, aye, le bras,
Ne me battez pas,
Ne me battez pas.

Ne lâchez pas,
Prenez ſon bras,
Ne lâchez pas,
Ne lâchons pas.
Il faut dire la vérité,
Vous connoiſſez notre bonté.

Oui je connois votre bonté,
Je vous dirais la vérité,

Chut, paix,
Ecoutez bien,
Ne dites rien,
Chut, paix.

Oui, c’eſt moi,
Elle échappe,
Et nous attrappe,
Allons crions,
Allons crions.

(Niſon se ſauve dans la chambre de Sophie.)

TRIO.

Mad. de St. Aubin.

Ah je la tiens !
Ah je la tiens !
Tenez la bien,
Tenez la bien,
Tenez la bien,
La voilà priſe,
La voilà priſe,
Ne lâchez pas,
Prenez ſon bras,
Ne lâchez pas,
Ouvrez, ouvrez, point de remiſe.
Ne lâchez pas,
Prenez ſon bras,
Ne lâchez pas,
Ne lâchons pas,
Il faut dire la vérité,
Vous connoiſſez notre bonté.

Eſt-ce toi ?

Elle échappe,
Et nous attrappe,
Allons crions,
Allons crions.



Scène VI.

Mad. de St. AUBIN, HENRIETTE
Mad. de St. Aubin

HOla quelqu’un ! vîte de la lumière.

Henriette cherchant Niſon dans l’obſcurité.

Madame, je ne puis la trouver.

Mad. de St. Aubin

N’importe, le galant eſt pris, reſtez près de l’appartement de Sophie, de peur qu’il ne s’échappe auſſi… de la lumière… de la lumière.

Un Valet entre avec des lumières qu’il poſe ſur une table.
Mad. de St. Aubin regardant autour d’elle.

Elle n’y eſt plus… votre Maître eſt-il au lit ?

Le Valet.

Pas encore, Madame.

Mad. de St. Aubin vivement.

Avertiſſez-le, qu’il vienne promptement ici, courez, volez, il n’y a pas de tems à perdre : ma fille, l’heure de nous venger eſt venue & Sophie eſt perdue pour toujours.

Henriette.

Bon, bon, Madame, Mr. de St. Aubin eſt ſi foible !

Mad. de St. Aubin.

Ne craignez rien, après un pareil éclat, il ſera forcé de la punir.



Scène VII

Mr. de St. AUBIN, HENRIETTE, Mad. de St. AUBIN.
Mad. de St. Aubin.


VEnez, venez, Monſieur, il ſe paſſe des choſes fort honêtes dans votre maiſon.

Mr. de St. Aubin., en bâillant.

Eh ! bien, qu’eſt-ce, Madame, qu’avez-vous de ſi preſſé à me dire à l’heure qu’il eſt ?

Mad. de St. Aubin.

J’ai à vous dire, Monſieur, que Celicour eſt actuellement enfermé dans la Chambre de Sophie.

Mr. de St. Aubin avec flegme.

Celà ne ſe peut pas.

Mad. de St. Aubin avec impatience.

Quel homme !

Henriette.

Je l’avois prévû.

Mad. de St. Aubin.

Vous refuſez de me croire ?

Mr. de St. Aubin., toujours du même ton.

Aſſurément.

Mad. De St. Aubin avec impatience.

Je vous dis que je l’ai vû, de mes deux yeux, vû, vû.

St. Aubin.

Folie ! Vapeurs !

Mad. De St. Aubin, en colère.

Quelle tête ! allons, Monſieur, tout à l’heure, faites ouvrir cette porte.

St. Aubin.

Je n’en ferai rien.

Mad. De St. Aubin.

Non ?

St. Aubin.

Non, vous dis-je.

Mad. De St. Aubin.

Ah ! c’en eſt trop, il faut vous convaincre.



Scène VIII.

Mad. de St. AUBIN, HENRIETTE, Mr de St. AUBIN, DURVAL.
Durval criant.


QUel tapage ! à qui en avez-vous, vous autres ?

St. Aubin.

Ce n’eſt rien, mon ami, ma femme eſt folle.

Mad. De St. Aubin.

Mon mari n’a pas le ſens commun,

Durval.

Eh bien, morbleu ! faut-il faire tant de bruit pour cela ?

Mad. De St. Aubin.

Celicour eſt enfermé dans cet appartement.

Durval.

Quoi ! chez Sophie ? Le coquin !

St. Aubin.

Mon ami, n’en croyez rien, jamais Sophie…

Durval.

Doucement, doucement, s’il vous plaît ; elle doit être ma femme, il eſt bon d’éclaircir le fait, mais il faut s’y prendre honêtement… Sophie… Sophie… ouvrez… perſonne ne répond, attendez.

St. Aubin.

Que voulez-vous faire ?

Durval.

Enfoncer la porte.



Scène IX et DERNIERE.

Au moment où Durval donne un coup dans la porte, Clairville ſort de l’appartement de Sophie & Celicour entre par le fond du Théâtre, ils doivent obſerver de paroitre tous deux en même tems.

DURVAL, St AUBIN, CELICOUR, CLAIRVILLE, Mad. de St. AUBIN, HENRIETTE.
Mad. De St. Aubin & Henriette, voyant entrer Celicour.

CElicour ! ô Ciel !

St. Aubin voyant ſortir ſon fils de chez Sophie.

Mon fils !

Durval, ils doivent dire celà tous quatre en même tems.

En voici bien d’une autre !

Clairville à Durval.

Doucement, Monſieur, point de violence, vous ne pouvez entrer dans cet appartement.

St. Aubin.

Comment ! malheureux, tu oſes encore ?…

Celicour.

Que ſignifie tout ceci ?

Durval.

A qui ſe fier deſormais ?… quoi ! le petit ſerpent de Sophie, que je croyois l’innocence même ?…

Clairville avec feu.

Gardez-vous de la ſoupçonner, Monſieur, elle eſt ma femme.

Tous les Acteurs s’écrient. Sa femme !

Celicour.

O Ciel ! il eſt ſon mari, je m’adreſſois bien.

St. Aubin.

Ta femme ! Comment ! ſans mon conſentement ?

Clairville.

Ah mon Pere ! Pardonnez une faute…

St. Aubin.

Ne t’en flatte pas ; ſe marier à mon inſçû à une fille, qui n’a rien encore.

Clairville.

Elle a des vertus, Monſieur, vous l’aimez, ne réſiſteż point à ſes larmes, … venez, ma chere Sophie, venez obtenir votre grace & la mienne.

(Il va chercher Sophie.)
St. Aubin.

Non, non, point de grace, tu l’eſpéres en vain.

Sophie, à St. Aubin.

Ah Monſieur ! j’oſe à peine ſoutenir vos regards ; montrez-vous indulgent : Daignez…

St. Aubin.

Laiſſez-moi, je ne veux rien entendre.

Mad. de St. Aubin à ſon mari

Courage ! ſoutenez votre autorité.

Sophie à Durval

Vous qui m’avez promis de me rendre heureuſe, devenez mon appui !

Durval un peu attendri, à St. Aubin

Mais, mais écoute donc, au bout du compte, s’ils ſont mariés…

St. Aubin.

Diſcours inutiles, ce mariage ne peut ſubſiſter ſans mon aveu, dès demain, je vais travailler à le rompre, & dès ce jour, je les bannis de ma maiſon.

Mad. de St. Aubin.

Voilà la premiere fois que je vous ai vu raiſonnable.

DUO.

Entre Sophie & Clairville.

Nous deſunir,
C’eſt en vain qu’on eſpère,
Avant que d’obéir
A cet arrêt ſevère,
Vous me verrez mourir.

Sophie.

Ah ! pardonnez,
Daignez être mon Père,

Clairv.

Séche tes pleurs,
Grace, grace, mon Père.

Sophie.

Non, non, rien ne peut appaiſer ma douleur,
Et je ſens déchirer mon cœur.

Clairv.

Chère Sophie, appaiſe ta douleur,
Et je ſens déchirer mon cœur.

Sophie &
Clairv.

A la pitié laiſſez-vous attendrir,
Je paſſerai mes jours à vous chérir.
Ah ! pardonnez &c.


Durval pleurant.

Oh, par ma foi, je n’y ſaurois tenir, … Ecoute, tu feras toutes les ſottiſes que tu voudras, mais je t’avertis, que ſi tu les bannis de ta maiſon, je les recevrai dans la mienne, &, s’il faut plaider, nous plaiderons.

St. Aubin.

Mais conſidérez donc que Sophie ne devoit jamais prétendre…

Durval.

Quoi ! que vas-tu dire, n’allois-je pas épouſer moi ? allons ! ne t’oppoſe plus à leur bonheur. Sophie devoit être ma femme, je l’adopte pour ma fille, & je m’engage à la doter. Je le peux ſans faire tort à Celicour.

Sophie.

Ah ! Monſieur ; ah mon Père ! tant de bonté…

Durval.

Eh ! bien, à quoi te détermines-tu ?

St. Aubin.

Quoi ! ſérieuſement mon Ami, vous voulez l’adopter, lui donner une dot ?

Durval.

C’eſt ma réſolution : Quelle eſt la tienne ?

St. Aubin.

De leur pardonner, il n’y a pas moyen de tenir contre vous, mon Ami.

Clairville.

Ah ! mon Père, que vous me rendez heureux !… & vous, Monſieur, dont l’amitié…

Durval gaiment

Bon, bon, ne vas-tu pas me remercier ? va, va, c’eſt peut-être moi, qui te ſuis obligé.

Clairville.

Celicour, j’avois deſſein de vous confier…

Celicour.

Paix, mon Ami, ne parlons point de celà, vous aviez raiſon tantôt : C’eſt à préſent auprès de Madame & de ſa charmante fille, que j’ai beſoin de votre ſecours… mon Oncle, intercedez auſſi

pour moi !
Durval.

Fripon, tu ne le mérites pas : Qu’en penſez-vous, Henriette ?

Henriette regardant ſa mere.

Madame…

Mad. de St. Aubin.

Je vous laiſſe la liberté de décider, ma fille.

Henriette à Celicour

Eh ! bien, Monſieur, le tems m’apprendra, ſi votre repentir eſt ſincère.

Durval.

Voilà qui n’eſt que pour la forme, … croyez-moi, hâtons-nous de conclure, le mariage le rendra peut-être raiſonnable. Pour moi, mes amis, je l’ai échappé belle.

CHŒUR.

Sophie, Henriette, Mad. de St. Aubin, Nison, Clairville, Celicour, Mr. de St. Aubin, Durval.
Choeur.

Le calme eſt revenu ſur l’onde,
Jouiſſons de ſon retour.
La raiſon en vain gronde,
Il faut céder à l’amour.

Clairv. à Sophie.
Celic. à Henr.

Deſormais mon bonheur ſe fonde
Sur vos bontés, ſur mon amour,

Ces quatre enſemble.

Le calme eſt revenu ſur l’onde,
Jouiſſons de ſon retour.

Mr. de St. Aubin.

Je ſuis le plus heureux de monde
De pouvoir dire à mon tour,

Choeur.

Le calme eſt revenu ſur l’onde,
Jouiſſons de ſon retour.


FIN.