« La Faute de l’abbé Mouret/Livre deuxième » : différence entre les versions

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Albine et Serge entrèrent dans le parterre. Elle le regardait avec une sollicitude inquiète, craignant qu’il ne se fatiguât. Mais lui, la rassura d’un léger rire. Il se sentait fort à la porter partout où elle voudrait aller. Quand il se retrouva en plein soleil, il eut un soupir de joie. Enfin, il vivait ; il n’était plus cette plante soumise aux agonies de l’hiver. Aussi quelle reconnaissance attendrie ! Il aurait voulu éviter aux petits pieds d’Albine la rudesse des allées ; il rêvait de la pendre à son cou, comme une enfant que sa mère endort. Déjà, il la protégeait en gardien jaloux, écartait les pierres et les ronces, veillait à ce que le vent ne volât pas sur ses cheveux adorés des caresses qui n’appartenaient qu’à lui. Elle s’était blottie contre son épaule, elle s’abandonnait, pleine de sérénité.
Albine et Serge entrèrent dans le parterre. Elle le regardait avec une sollicitude inquiète, craignant qu’il ne se fatiguât. Mais lui, la rassura d’un léger rire. Il se sentait fort à la porter partout où elle voudrait aller. Quand il se retrouva en plein soleil, il eut un soupir de joie. Enfin, il vivait ; il n’était plus cette plante soumise aux agonies de l’hiver. Aussi quelle reconnaissance attendrie ! Il aurait voulu éviter aux petits pieds d’Albine la rudesse des allées ; il rêvait de la pendre à son cou, comme une enfant que sa mère endort. Déjà, il la protégeait en gardien jaloux, écartait les pierres et les ronces, veillait à ce que le vent ne volât pas sur ses cheveux adorés des caresses qui n’appartenaient qu’à lui. Elle s’était blottie contre son épaule, elle s’abandonnait, pleine de sérénité.


Ce fut ainsi qu’Albine et Serge marchèrent dans le soleil, pour la première fois. Le couple laissait une bonne odeur derrière lui. Il donnait un frisson au sentier, tandis que le soleil déroulait un tapis d’or sous ses pas. Il avançait, pareil à un ravissement, entre les grands buissons fleuris,
Ce fut ainsi qu’Albine et Serge marchèrent dans le soleil, pour la première fois. Le couple laissait une bonne odeur derrière lui. Il donnait un frisson au sentier, tandis que le soleil déroulait un tapis d’or sous ses pas. Il avançait, pareil à un ravissement, entre les grands buissons

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Livre premier La Faute de l’abbé Mouret Livre troisième


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Deuxième partie.


I


Devant les deux larges fenêtres, des rideaux de calicot, soigneusement tirés, éclairaient la chambre de la blancheur tamisée du petit jour. Elle était haute de plafond, très vaste, meublée d’un ancien meuble Louis XV, à bois peint en blanc, à fleurs rouges sur un semis de feuillage. Dans le trumeau, au-dessus des portes, aux deux côtés de l’alcôve, des peintures laissaient encore voir les ventres et les derrières roses de petits Amours volant par bandes, jouant à deux jeux qu’on ne distinguait plus, tandis que les boiseries des murs, ménageant des panneaux ovales, les portes à double battant, le plafond arrondi, jadis à fond bleu de ciel, avec des encadrements de cartouches, de médaillons, de nœuds de rubans couleur chair, s’effaçaient, d’un gris très doux, un gris qui gardait l’attendrissement de ce paradis fané. En face des fenêtres, la grande alcôve, s’ouvrant sous des enroulements de nuages, que des Amours de plâtre écartaient, penchés, culbutés, comme pour regarder effrontément le lit, était fermée, ainsi que les fenêtres, par des rideaux de calicot, cousus à gros points, d’une innocence singulière

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au milieu de cette pièce restée toute tiède d’une lointaine odeur de volupté.

Assise près d’une console où une bouilloire chauffait sur une lampe à esprit-de-vin, Albine regardait les rideaux de l’alcôve, attentivement. Elle était vêtue de blanc, les cheveux serrés dans un fichu de vieille dentelle, les mains abandonnées, veillant d’un air sérieux de grande fille. Une respiration faible, un souffle d’enfant assoupi s’entendait, dans le grand silence. Mais elle s’inquiéta, au bout de quelques minutes ; elle ne put s’empêcher de venir, à pas légers, soulever le coin d’un rideau. Serge, au bord du grand lit, semblait dormir, la tête appuyée sur l’un de ses bras replié. Pendant sa maladie, ses cheveux s’étaient allongés, sa barbe avait poussé. Il était très blanc, les yeux meurtris de bleu, les lèvres pâles ; il avait une grâce de fille convalescente.

Albine, attendrie, allait laisser retomber le coin du rideau.

— Je ne dors pas, dit Serge d’une voix très basse.

Et il restait la tête appuyée, sans bouger un doigt, comme accablé d’une lassitude heureuse. Ses yeux s’étaient lentement ouverts ; sa bouche soufflait légèrement sur l’une de ses mains nues, soulevant le duvet de sa peau blonde.

— Je t’entendais, murmura-t-il encore. Tu marchais tout doucement.

Elle fut ravie de ce tutoiement. Elle s’approcha, s’accroupi devant le lit, pour mettre son visage à la hauteur du sien.

— Comment vas-tu ? demanda-t-elle.

Et elle goûtait à son tour la douceur de ce « tu », qui lui passait pour la première fois sur les lèvres.

— Oh ! tu es guéri, maintenant, reprit-elle. Sais-tu que je pleurais, tout le long du chemin, lorsque je revenais de là-bas avec de mauvaises nouvelles. On me disait que tu avais le délire, que cette mauvaise fièvre, si elle te faisait

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grâce, t’emporterais la raison… Comme j’ai embrassé ton oncle Pascal, lorsqu’il t’a amené ici, pour ta convalescence !

Elle bordait le lit, elle était maternelle.

— Vois-tu, ces roches brûlées, là-bas, ne te valaient rien. Il te faut des arbres, de la fraîcheur, de la tranquillité… Le docteur n’a pas même raconté qu’il te cachait ici. C’est un secret entre lui et ceux qui t’aiment. Il te croyait perdu… Va, personne ne nous dérangera. L’oncle Jeanbernat fume sa pipe devant ses salades. Les autres feront prendre de tes nouvelles en cachette. Et le docteur lui-même ne reviendra plus, parce que, à cette heure, c’est moi qui suis ton médecin… Il parait que tu n’as plus besoin de drogues. Tu as besoin d’être aimé, comprends-tu ?

Il semblait ne pas entendre, le crâne encore vide. Comme ses yeux, sans qu’il remuât la tête, fouillaient les coins de la chambre, elle pensa qu’il s’inquiétait du lieu où il se trouvait.

— C’est ma chambre, dit-elle. Je te l’ai donnée. Elle est jolie, n’est-ce pas ? J’ai pris les plus beaux meubles du grenier ; puis, j’ai fait ces rideaux de calicot, pour que le jour ne m’aveuglât pas… Et tu ne me gênes nullement. Je coucherai au second étage. Il y a encore trois ou quatre pièces vides.

Mais il restait inquiet.

— Tu es seule ? demanda-t-il.

— Oui. Pourquoi me fais-tu cette question ?

Il ne répondit pas, il murmura d’un air d’ennui :

— J’ai rêvé, je rêve toujours… J’entends des cloches, et c’est cela qui me fatigue.

Au bout d’un silence, il reprit :

— Va fermer la porte, mets les verrous. Je veux que tu sois seule, toute seule.

Quand elle revint, apportant une chaise, s’asseyant à son chevet, il avait une joie d’enfant, il répétait :

— Maintenant, personne n’entrera.

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Je n’entendrai plus les cloches… Toi, quand tu parles, cela me repose.

— Veux-tu boire ? demanda-t-elle.

Il fit signe qu’il n’avait pas soif. Il regardait les mains d’Albine d’un air si surpris, si charmé de les voir, qu’elle en avança une, au bord de l’oreiller, en souriant. Alors, il laissa glisser sa tête, il appuya une joue sur cette petite main fraîche. Il eut un léger rire, il dit :

— Ah ! c’est doux comme de la soie. On dirait qu’elle souffle de l’air dans mes cheveux… Ne la retire pas, je t’en prie.

Puis, il y eut un long silence. Ils se regardaient avec une grande amitié. Albine se voyait paisiblement dans les yeux vides du convalescent. Serge semblait écouter quelque chose de vague que la petite main fraîche lui confiait.

— Elle est très bonne, ta main, reprit-il. Tu ne peux pas t’imaginer comme elle me fait du bien… Elle a l’air d’entrer au fond de moi, pour m’enlever les douleurs que j’ai dans les membres. C’est une caresse partout, un soulagement, une guérison.

Il frottait doucement sa joue, il s’animait, comme ressuscité.

— Dis ? tu ne me donneras rien de mauvais à boire, tu ne me tourmenteras pas avec toutes sortes de remèdes ?… Ta main me suffit, vois-tu. Je suis venu pour que tu la mettes là, sous ma tête.

— Mon bon Serge, murmura Albine, tu as bien souffert, n’est-ce pas ?

— Souffert ? oui, oui ; mais il y a longtemps… J’ai mal dormi, j’ai eu des rêves épouvantables. Si je pouvais, je te raconterais tout cela.

Il ferma un instant les yeux, il fit un grand effort de mémoire.

— Je ne vois que du noir, balbutia-t-il. C’est singulier,

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j’arrive d’un long voyage. Je ne sais plus même d’où je suis parti. J’avais la fièvre, une fièvre qui galopait dans mes veines comme une bête… C’est cela, je me souviens. Toujours le même cauchemar me faisait ramper, le long d’un souterrain interminable. A certaines grosses douleurs, le souterrain, brusquement, se murait ; un amas de cailloux tombait de la voûte, les parois se resserraient, je restais haletant, pris de la rage de vouloir passer outre ; et j’entrais dans l’obstacle, je travaillais des pieds, des poings, du crâne, en désespérant de pouvoir jamais traverser cet éboulement de plus en plus considérable… Puis, souvent, il me suffisait de le toucher du doigt ; tout s’évanouissait, je marchais librement, dans la galerie élargie, n’ayant plus que la lassitude de la crise.

Albine voulut lui poser la main sur la bouche :

— Non, cela ne me fatigue pas de parler. Tu vois, je te parle à l’oreille. Il me semble que je pense, et que tu m’entends… Le plus drôle, dans mon souterrain, c’est que je n’avais pas la moindre idée de retourner en arrière ; je m’entêtais, tout en pensant qu’il me faudrait des milliers d’années pour déblayer un seul des éboulements. C’était une tâche fatale, que je devais accomplir sous peine des plus grands malheurs. Les genoux meurtris, le front heurtant le roc, je mettais une conscience pleine d’angoisse à travailler de toutes mes forces, pour arriver le plus vite possible. Arriver où ? je ne sais pas, je ne sais pas…

Il ferma les yeux, rêvant, cherchant. Puis, il eut une moue d’insouciance, il s’abandonna de nouveau sur la main d’Albine, en disant avec un rire :

— Tiens ! c’est bête, je suis un enfant.

Mais la jeune fille, pour voir s’il était bien à elle, tout entier, l’interrogea, le ramena aux souvenirs confus qu’il tenait d’évoquer ; il ne se rappelait rien, il était réellement dans une heureuse enfance. Il croyait être né la veille.

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— Oh ! je ne suis pas encore fort, dit-il. Vois-tu, le plus loin que je me souvienne, c’était dans un lit qui me brûlait partout le corps ; ma tête roulait sur l’oreiller ainsi que sur un brasier ; mes pieds s’usaient l’un contre l’autre, à se frotter, continuellement… Va ! j’étais bien mal ! Il me semblait qu’on me changeait le corps, qu’on m’enlevait tout, qu’on me raccommodait comme une mécanique cassée…

Ce mot le fit rire de nouveau. Il reprit :

— Je vais être tout neuf. Ça m’a joliment nettoyé, d’être malade… Mais qu’est-ce que tu me demandais ? Non, personne n’était là. Je souffrais tout seul, au fond d’un trou noir. Personne, personne. Et, au delà, il n’y a rien, je ne vois rien… Je suis ton enfant, veux-tu ? Tu m’apprendras à marcher. Moi, je ne vois que toi, maintenant. Ça m’est bien égal, tout ce qui n’est pas toi. Je te dis que je ne me souviens plus. Je suis venu, tu m’as pris, c’est tout.

Et il dit encore, apaisé, caressant :

— Ta main est tiède, à présent ; elle est bonne comme du soleil… Ne parlons plus. Je me chauffe.

Dans la grande chambre, un silence frissonnant tombait du plafond bleu. La lampe à esprit-de-vin venait de s’éteindre, laissant la bouilloire jeter un filet de vapeur de plus en plus mince. Albine et Serge, tous deux la tête sur le même oreiller, regardaient les grands rideaux de calicot tirés devant les fenêtres. Les yeux de Serge surtout allaient là, comme à la source blanche de la lumière. Il s’y baignait, ainsi que dans un jour pâli, mesuré à ses forces de convalescent. Il devinait le soleil derrière un coin plus jaune du calicot, ce qui suffisait pour le guérir. Au loin, il écoutait un large roulement de feuillages ; tandis que, à la fenêtre de droite, l’ombre verdâtre d’une haute branche, nettement dessinée, lui donnait le rêve inquiétant de cette forêt qu’il sentait si près de lui.

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— Veux-tu que j’ouvre les rideaux ? demanda Albine, trompée par la fixité de son regard.

— Non, non, se hâta-t-il de répondre.

— Il fait beau. Tu aurais le soleil. Tu verrais les arbres.

— Non, je t’en supplie… Je ne veux rien du dehors. Cette branche qui est là me fatigue, à remuer, à pousser, comme si elle était vivante… Laisse ta main, je vais dormir. Il faut tout blanc… C’est bon.

Et il s’endormit candidement, veillé par Albine, qui lui soufflait sur la face, pour rafraîchir son sommeil.


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II


Le lendemain, le beau temps s’était gâté, il pleuvait. Serge, repris par la fièvre, passa une journée de souffrance, les yeux fixés désespérément sur les rideaux, d’où ne tombait qu’une lueur de cave, louche, d’un gris de cendre. Il ne devinait plus le soleil, il cherchait cette ombre dont il avait eu peur, cette branche haute qui, noyée dans la buée blafarde de l’averse, lui semblait avoir emporté la forêt en s’effaçant. Vers le soir, agité d’un léger délire, il cria en sanglotant à Albine que le soleil était mort, qu’il entendait tout le ciel, toute la campagne pleurer la mort du soleil. Elle dut le consoler comme un enfant, lui promettre le soleil, l’assurer qu’il reviendrait, qu’elle le lui donnerait. Mais il plaignait aussi les plantes. Les semences devaient souffrir sous le sol, à attendre la lumière ; elles avaient ses cauchemars, elles rêvaient qu’elles rampaient le long d’un souterrain, arrêtées par des éboulements, luttant furieusement pour arriver au soleil. Et il se mit à pleurer à voix plus basse, disant que l’hiver était une maladie de la

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terre, qu’il allait mourir en même temps que la terre, si le printemps ne les guérissait tous deux.

Pendant trois jours encore, le temps resta affreux. Des ondées crevaient sur les arbres, dans une lointaine clameur de fleuve débordé. Des coups de vent roulaient, s’abattaient contre les fenêtres, avec un acharnement de vagues énormes. Serge avait voulu qu’Albine fermât hermétiquement les volets. La lampe allumée, il n’avait plus le deuil des rideaux blafards, il ne sentait plus le gris du ciel entrer par les plus minces fentes, couler jusqu’à lui, ainsi qu’une poussière qui l’enterrait. Il s’abandonnait, les bras amaigris, la tête pâle, d’autant plus faible que la campagne était plus malade. A certaines heures de nuages d’encre, lorsque les arbres tordus craquaient, que la terre laissait traîner ses herbes sous l’averse comme des cheveux de noyée, il perdait jusqu’au souffle, il trépassait, battu lui-même par l’ouragan. Puis, à la première éclaircie, au moindre coin de bleu, entre deux nuées, il respirait, il goûtait l’apaisement des feuillages essuyés, des sentiers blanchissants, des champs buvant leur dernière gorgée d’eau. Albine, maintenant, implorait à son tour le soleil ; elle se mettait vingt fois par jour à la fenêtre du palier, interrogeant l’horizon, heureuse des moindres taches blanches, inquiète des masses d’ombre, cuivrées, chargées de grêle, redoutant quelque nuage trop noir qui lui tuerait son cher malade. Elle parlait d’envoyer chercher le docteur Pascal. Mais Serge ne voulait personne. Il disait :

— Demain, il y aura du soleil sur les rideaux, je serai guéri.

Un soir qu’il était au plus mal, Albine lui donna sa main, pour qu’il y posât la joue. Et, la main ne le soulageant pas, elle pleura de se voir impuissante. Depuis qu’il était retombé dans l’assoupissement de l’hiver, elle ne se sentait plus assez forte pour le tirer à elle seule du cauchemar où

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il se débattait. Elle avait besoin de la complicité du printemps. Elle-même dépérissait, les bras glacés, l’haleine courte, ne sachant plus lui souffler la vie. Pendant des heures, elle rôdait dans la grande chambre attristée. Quand elle passait devant la glace, elle se voyait noire, elle se croyait laide.

Puis, un matin, comme elle relevait les oreillers, sans oser tenter encore le charme rompu de ses mains, elle crut retrouver le sourire du premier jour sur les lèvres de Serge, dont elle venait d’effleurer la nuque, du bout des doigts.

— Ouvre les volets, murmura-t-il.

Elle pensa qu’il parlait dans la fièvre ; car, une heure auparavant, elle n’avait aperçu, de la fenêtre du palier, qu’un ciel en deuil.

— Dors, reprit-elle tristement ; je t’ai promis de t’éveiller au premier rayon… Dors encore, le soleil n’est pas là.

— Si, je le sens, le soleil est là… Ouvre les volets.

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III


Le soleil était là, en effet. Quand Albine eut ouvert les volets, derrière les grands rideaux, la bonne lueur jaune chauffa de nouveau un coin de la blancheur du linge. Mais ce qui fit asseoir Serge sur son séant, ce fut de revoir l’ombre de la branche, le rameau qui lui annonçait le retour à la vie. Toute la campagne ressuscitée, avec ses verdures, ses eaux, son large cercle de collines, était là pour lui, dans cette tache verdâtre frissonnante au moindre souffle. Elle ne l’inquiétait plus. Il en suivait le balancement, d’un air avide, ayant le besoin des forces de la sève qu’elle lui annonçait ; tandis que, le soutenant dans ses bras, Albine, heureuse, disait :

— Ah ! mon bon Serge, l’hiver est fini… Nous voilà sauvés.

Il se recoucha, les yeux déjà vifs, la voix plus nette.

— Demain, dit-il, je serai très fort… Tu tireras les rideaux, je veux tout voir.

Mais, le lendemain, il fut pris d’une peur d’enfant. Jamais il ne consentit à ce que les fenêtres fussent grandes

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ouvertes. Il murmurait : « Tout à l’heure, plus tard. » Il demeurait anxieux, il avait l’inquiétude du premier coup de lumière qu’il recevrait dans les yeux. Le soir arriva, qu’il n’avait pu prendre la décision de revoir le soleil en face. Il était resté le visage tourné vers les rideaux, suivant sur la transparence du linge le matin pâle, l’ardent midi, le crépuscule violâtre, toutes les couleurs, toutes les émotions du ciel. Là, se peignait jusqu’au frisson que le battement d’ailes d’un oiseau donne à l’air tiède, jusqu’à la joie des odeurs, palpitant dans un rayon. Derrière ce voile, derrière ce rêve attendri de la vie puissante du dehors, il écoutait monter le printemps. Et même il étouffait un peu, par moments, lorsque l’afflux du sang nouveau de la terre, malgré l’obstacle des rideaux, arrivait à lui trop rudement.

Et, le matin suivant, il dormait encore, lorsque Albine, brusquant la guérison, lui cria :

— Serge ! Serge ! voici le soleil !

Elle tirait vivement les rideaux, elle ouvrait les fenêtres toutes larges. Lui, se leva, se mit à genoux sur son lit, suffoquant, défaillant, les mains serrées contra sa poitrine, pour empêcher son cœur de se briser. En face de lui, il avait le grand ciel, rien que du bleu, un infini bleu ; il s’y lavait de la souffrance, il s’y abandonnait, comme dans un bercement léger, il y buvait de la douceur, de la pureté, de la jeunesse. Seule, la branche dont il avait vu l’ombre, dépassait la fenêtre, tachait la mer bleue d’une verdure vigoureuse ; et c’était déjà là un jet trop fort pour ses délicatesses de malade, qui se blessaient de la salissure des hirondelles volant à l’horizon. Il naissait. Il poussait de petits cris involontaires, noyé de clarté, battu par des vagues d’air chaud, sentant couler en lui tout un engouffrement de vie. Ses mains se tendirent, et il s’abattit, il retomba sur l’oreiller, dans une pâmoison.


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Quelle heureuse et tendre journée ! Le soleil entrait à droite, loin de l’alcôve. Serge, pendant toute la matinée, le regarda s’avancer à petits pas. Il le voyait venir à lui, jaune comme de l’or, écornant les vieux meubles, s’amusant aux angles, glissant parfois à terre, pareil à un bout d’étoffe dérouté. C’était une marche lente, assurée, une approche d’amoureuse, étirant ses membres blonds, s’allongeant jusqu’à l’alcôve d’un mouvement rythmé, avec une lenteur voluptueuse qui donnait un désir fou de sa possession. Enfin, vers deux heures, la nappe de soleil quitta le dernier fauteuil, monta le long des couvertures, s’étala sur le lit, ainsi qu’une chevelure dénouée. Serge abandonna ses mains amaigries de convalescent à cette caresse ardente ; il fermait les yeux à demi, il sentait courir sur chacun de ses doigts des baisers de feu, il était dans un bain de lumière, dans une étreinte d’astre. Et comme Albine était là qui se penchait en souriant :

— Laisse-moi, balbutia-t-il, les yeux complètement fermés ; ne me serre plus si fort… Comment fais-tu donc pour me tenir ainsi, tout entier, entre tes bras ?

Puis, le soleil redescendit du lit, s’en alla à gauche, de son pas ralenti. Alors, Serge le regarda de nouveau tourner, s’asseoir de siège en siège, avec le regret de ne l’avoir pas retenu sur sa poitrine. Albine était restée au bord des couvertures. Tous deux, un bras passé au cou, virent le ciel pâlir peu à peu. Par moments, un immense frisson semblait le blanchir d’une émotion soudaine. Les langueurs de Serge s’y promenaient plus à l’aise, y trouvaient des nuances exquises qu’il n’avait jamais soupçonnées. Ce n’était pas tout du bleu, mais du bleu rose, du bleu lilas, du bleu jaune, une chair vivante, une vaste nudité immaculée qu’un souffle faisait battre comme une poitrine de femme. A chaque nouveau regard, au loin, il avait des surprises, des coins inconnus de l’air, des sourires discrets, des rondeurs

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adorables, des gazes cachant au fond de paradis entrevus de grands corps superbes de déesses. Et il s’envolait, les membres allégés par la souffrance, au milieu de cette soie changeante, dans ce duvet innocent de l’azur ; ses sensations flottaient au-dessus de son être défaillant. Le soleil baissait, le bleu se fondait dans de l’or pur, la chair vivante du ciel blondissait encore, se noyait lentement de toutes les teintes de l’ombre. Pas un nuage, un effacement de vierge qui se couche, un déshabillement ne laissant voir qu’une raie de pudeur à l’horizon. Le grand ciel dormait.

— Ah ! le cher bambin ! dit Albine, en regardant Serge qui s’était endormi à son cou, en même temps que le ciel.

Elle le coucha, elle ferma les fenêtres. Mais le lendemain, dès l’aube, elles étaient ouvertes. Serge ne pouvait plus vivre sans le soleil. Il prenait des forces, il s’habituait aux bouffées de grand air qui faisaient envoler les rideaux de l’alcôve. Même le bleu, l’éternel bleu commençait à lui paraître fade.

Cela le laissait d’être un cygne, une blancheur, et de nager sans fin sur le lac limpide du ciel. Il en arrivait à souhaiter un vol de nuages noirs, quelque écroulement de nuées qui rompît la monotonie de cette grande pureté. A mesure que la santé revenait, il avait des besoins de sensations plus fortes. Maintenant, il passait des heures à regarder la branche verte ; il aurait voulu la voir pousser, la voir s’épanouir, lui jeter des rameaux jusque dans son lit. Elle ne lui suffisait plus, elle ne faisait qu’irriter ses désirs, en lui parlant de ces arbres dont il entendait les appels profonds, sans qu’il pût en apercevoir les cimes. C’étaient un chuchotement infini de feuilles, un bavardage d’eaux courantes, des battements d’ailes, toute une voix haute, prolongée, vibrante.

Quand tu pourras te lever, disait Albine, tu t’assoiras devant la fenêtre… Tu verras le beau jardin !

Il fermait les yeux, il murmurait :

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— Oh ! je le vois, je l’écoute… Je sais où sont les arbres, où sont les eaux, où poussent les violettes.

Puis, il reprenait :

— Mais je le vois mal, je le vois sans lumière… Il faut que je sois très fort pour aller jusqu’à la fenêtre.

D’autre fois, lorsqu’elle le croyait endormi, Albine disparaissait pendant des heures. Et, lorsqu’elle rentrait, elle le trouvait les yeux luisants de curiosité, dévoré d’impatience. Il lui criait :

— D’où viens-tu ?

Et il la prenait par les bras, lui sentait les jupes, le corsage, les joues.

— Tu sens toutes sortes de bonnes choses… Hein ? tu as marché sur de l’herbe ?

Elle riait, elle lui montrait ses bottines mouillées de rosée.

— Tu viens du jardin ! tu viens du jardin ! répétait-il, ravi. Je le savais. Quand tu es entrée, tu avais l’air d’une grande fleur… Tu m’apportes tout le jardin dans ta robe.

Il la gardait auprès de lui, la respirant comme un bouquet. Elle revenait parfois avec des ronces, des feuilles, des bouts de bois accrochés à ses vêtements. Alors, il enlevait ces choses, il les cachait sous son oreiller, ainsi que des reliques. Un jour, elle lui apporta une touffe de roses. Il fut si saisi, qu’il se mit à pleurer. Il baisait les fleurs, il les couchait avec lui, entre ses bras. Mais lorsqu’elles se fanèrent, cela lui causa un tel chagrin, qu’il défendit à Albine d’en cueillir d’autres. Il la préférait, elle, aussi fraîche, aussi embaumée ; et elle ne se fanait pas, elle gardait toujours l’odeur de ses mains, l’odeur de ses cheveux, l’odeur de ses joues. Il finit par l’envoyer lui-même au jardin, en lui recommandant de ne pas remonter avant une heure.

— Vois-tu, comme cela, disait-il, j’ai du soleil, j’ai de l’air, j’ai des roses, jusqu’au lendemain.


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Souvent, en la voyant rentrer, essoufflée, il la questionnait. Quelle allée avait-elle prise ? S’était-elle enfoncée sous les arbres, ou avait-elle suivi le bord des prés. Avait-elle vu des nids ? S’était-elle assise, derrière un églantier, ou sous un chêne, ou à l’ombre d’un bouquet de peupliers ? Puis, lorsqu’elle répondait, lorsqu’elle tâchait de lui expliquer le jardin, il lui mettait la main sur la bouche.

— Non, non, tais-toi, murmurait-il. J’ai tort. Je ne veux pas savoir… J’aime mieux voir moi-même.

Et il retombait dans le rêve caressé de ces verdures qu’il sentait près de lui, à deux pas. Pendant plusieurs jours, il ne vécut que de ce rêve. Les premiers temps, disait-il, il avait vu le jardin plus nettement. A mesure qu’il prenait des forces, son rêve se troublait sous l’afflux du sang qui chauffait ses veines. Il avait des incertitudes croissantes. Il ne pouvait plus dire si les arbres étaient à droite, si les eaux coulaient au fond, si de grandes roches ne s’entassaient pas sous les fenêtres. Il en causait tout seul, très bas.

Sur les moindres indices, il établissait des plans merveilleux qu’un chant d’oiseau, un craquement de branche, un parfum de fleur, lui faisaient modifier, pour planter là un massif de lilas, pour remplacer plus loin une pelouse par des plates-bandes.

A chaque heure, il dessinait un nouveau jardin, aux grands rires d’Albine, qui répétait, lorsqu’elle le surprenait :

— Ce n’est pas ça, je t’assure. Tu ne peux pas t’imaginer. C’est plus beau que tout ce que tu as vu de beau… Ne te casse donc pas la tête. Le jardin est à moi, je te le donnerai. Va, il ne s’en ira pas.

Serge, qui avait déjà eu peur de la lumière, éprouva une inquiétude, lorsqu’il se trouva assez fort pour aller s’accouder à la fenêtre. Il disait de nouveau : « Demain, » chaque soir. Il se tournait vers la ruelle, frissonnant, lorsque Albine rentrait et lui criait qu’elle sentait l’aubépine, qu’elle s’é

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tait griffé les mains en se creusant un trou dans une haie pour lui apporter toute l’odeur. Un matin, elle dut le prendre brusquement entre les bras. Elle le porta presque à la fenêtre, le soutint, le força à voir.

— Es-tu poltron ! disait-elle avec son beau rire sonore.

Et elle agitait une de ses mains à tous les points de l’horizon, en répétant d’un air de triomphe, plein de promesses tendres :

— Le Paradou ! le Paradou !

Serge, sans voix, regardait.

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IV


Une mer de verdure, en face, à droite, à gauche, partout. Une mer roulant sa houle de feuilles jusqu’à l’horizon, sans l’obstacle d’une maison, d’un pan de muraille, d’une route poudreuse. Une mer déserte, vierge, sacrée, étalant sa douceur sauvage dans l’innocence de la solitude. Le soleil seul entrait là, se vautrait en nappe d’or sur les prés, enfilait les allées de la course échappée de ses rayons, laissait pendre à travers les arbres ses fins cheveux flambants, buvait aux sources d’une lèvre blonde qui trempait l’eau d’un frisson. Sous ce poudroiement de flammes, le grand jardin vivait avec une extravagance de bête heureuse, lâchée au bout du monde, loin de tout, libre de tout. C’était une débauche telle de feuillages, une marée d’herbes si débordante, qu’il était comme dérobé d’un bout à l’autre, inondé, noyé. Rien que des pentes vertes, des tiges ayant des jaillissements de fontaine, des masses moutonnantes, des rideaux de forêts hermétiquement tirés, des manteaux de plantes grimpantes traînant à terre, des volées de rameaux gigantesques s’abattant de tous côtés.


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A peine pouvait-on, à la longue, reconnaître sous cet envahissement formidable de la sève l’ancien dessin du Paradou. En face, dans une sorte de cirque immense, devait se trouver le parterre, avec des bassins effondrés, ses rampes rompues, ses escaliers déjetés, ses statues renversées dont on apercevait les blancheurs au fond des gazons noirs. Plus loin, derrière la ligne bleue d’une nappe d’eau, s’étalait un fouillis d’arbres fruitiers ; plus loin encore, une haute futaie enfonçait ses dessous violâtres, rayés de lumière, une forêt redevenue vierge, dont les cimes se mamelonnaient sans fin, tachées du vert-jaune, du vert pâle, du vert puissant de toutes les essences. A droite, la forêt escaladait des hauteurs, plantait des petits bois de pins, se mourait en broussailles maigres, tandis que des roches nues entassaient une rampe énorme, un écroulement de montagne barrant l’horizon ; des végétations ardentes y fendaient le sol, plantes monstrueuses immobiles dans la chaleur comme des reptiles assoupis ; un filet d’argent, un éclaboussement qui ressemblait de loin à une poussière de perles, y indiquait une chute d’eau, la source de ces eaux calmes qui longeaient si indolemment le parterre. A gauche enfin, la rivière coulait au milieu d’une vaste prairie, où elle se séparait en quatre ruisseaux, dont on suivait les caprices sous les roseaux, entre les saules, derrière les grands arbres ; à perte de vue, des pièces d’herbage élargissaient la fraîcheur des terrains bas, un paysage lavé d’une buée bleuâtre, une éclaircie de jour se fondant peu à peu dans le bleu verdi du couchant. Le Paradou, le parterre, la forêt, les roches, les eaux, les prés, tenaient toute la largeur du ciel.

— Le Paradou ! balbutia Serge ouvrant les bras comme pour serrer le jardin tout entier contre sa poitrine.

Il chancelait. Albine dut l’asseoir dans un fauteuil. Là, il resta deux heures sans parler. Le menton sur les mains, il regardait. Par moments,

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ses paupières battaient, une rougeur montait à ses joues. Il regardait lentement, avec des étonnements profonds. C’était trop vaste, trop complexe, trop fort.

— Je ne vois pas, je ne comprends pas, cria-t-il en tendant ses mains à Albine, avec un geste de suprême fatigue.

La jeune fille alors s’appuya au dossier du fauteuil. Elle lui prit la tête, le força à regarder de nouveau. Elle lui disait à demi-voix :

— C’est à nous. Personne ne viendra. Quand tu seras guéri, nous nous promènerons. Nous aurons de quoi marcher toute notre vie. Nous irons où tu voudras… Où veux-tu aller ?

Il souriait, il murmurait :

— Oh ! pas loin le premier jour, à deux pas de la porte. Vois-tu, je tomberais… Tiens, j’irai là, sous cet arbre, près de la fenêtre.

Elle reprit doucement :

— Veux-tu aller dans le parterre ? Tu verras les buissons de roses, les grandes fleurs qui ont tout mangé, jusqu’aux anciennes allées qu’elles plantent de leurs bouquets… Aimes-tu mieux le verger où je ne puis entrer qu’à plat ventre, tant les branches craquent sous les fruits ?… Nous irons plus loin encore, si tu te sens des forces. Nous irons jusqu’à la forêt, dans des trous d’ombre, très loin, si loin que nous coucherons dehors, lorsque la nuit viendra nous surprendre… Ou bien, un matin, nous monterons là-haut, sur ces rochers. Tu verras des plantes qui me font peur. Tu verras les sources, une pluie d’eau, et nous nous amuserons à en recevoir la poussière sur la figure… Mais si tu préfères marcher le long des haies, au bord d’un ruisseau, il faudra prendre par les prairies. On est bien sous les saules, le soir, au coucher du soleil. On s’allonge dans l’herbe, on regarde les petites grenouilles vertes sauter sur les brins de jonc.

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— Non, non, dit Serge, tu me lasses, je ne veux pas voir si loin… Je ferai deux pas. Ce sera beaucoup.

— Et moi-même, continua-t-elle, je n’ai encore pu aller partout. Il y a bien des coins que j’ignore. Depuis des années que je me promène, je sens des trous inconnus autour de moi, des endroits où l’ombre doit être plus fraîche, l’herbe plus molle… Écoute, je me suis toujours imaginé qu’il y en avait un surtout où je voudrais vivre à jamais. Il est certainement quelque part ; j’ai dû passer à côté, ou peut-être se cache-t-il si loin, que je ne suis pas allée jusqu’à lui, dans mes courses continuelles… N’est-ce pas ? Serge, nous le chercherons ensemble, nous y vivrons.

— Non, non, tais-toi, balbutia le jeune homme. Je ne comprends pas ce que tu me dis. Tu me fais mourir.

Elle le laissa un instant pleurer dans ses bras, inquiète, désolée de ne pas trouver les paroles qui devaient le calmer.

— Le Paradou n’est donc pas aussi beau que tu l’avais rêvé ? demanda-t-elle encore.

Il dégagea sa face, il répondit :

— Je ne sais plus. C’était tout petit, et voilà que ça grandit toujours… Emporte-moi, cache-moi.

Elle le ramena à son lit, le tranquillisant comme un enfant, le berçant d’un mensonge.

— Eh bien ! non, ce n’est pas vrai, il n’y a pas de jardin. C’est une histoire que je t’ai contée. Dors tranquille.

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II


Chaque jour, elle le fit ainsi asseoir devant la fenêtre, aux heures fraîches. Il commençait à hasarder quelques pas, en s’appuyant aux meubles. Ses joues avaient des lueurs roses, ses mains perdaient leur transparence de cire. Mais, dans cette convalescence, il fut pris d’une stupeur des sens qui le ramena à la vie végétative d’un pauvre être né de la ville. Il n’était qu’une plante, ayant la seule impression de l’air où il baignait. Il restait replié sur lui-même, encore trop pauvre de sang pour se dépenser au-dehors, tenant au sol, laissant boire toute la sève à son corps. C’était une seconde conception, une lente éclosion, dans l’œuf chaud du printemps. Albine, qui se souvenait de certaines paroles du docteur Pascal, éprouvait un grand effroi, à le voir demeurer ainsi, petit garçon, innocent, hébété. Elle avait enten-du conter que certaines maladies laissaient derrière elles la folie pour guérison. Et elle s’oubliait des heures à le regarder, s’ingéniant comme les mères à lui sourire, pour le faire sourire. Il ne riait pas encore. Quand

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elle lui passait la main devant les yeux, il ne voyait pas, il ne suivait pas cette ombre. A peine, lorsqu’elle lui parlait, tournait-il légèrement la tête du côté du bruit. Elle n’avait qu’une consolation : il poussait superbement, il était un bel enfant.

Alors, pendant une semaine, ce furent des soins délicats. Elle patientait, attendant qu’il grandît. A mesure qu’elle constatait certains éveils, elle se rassurait, elle pensait que l’âge en ferait un homme. C’étaient de légers tressaillements, lorsqu’elle le touchait. Puis, un soir, il eut un faible rire. Le lendemain, après l’avoir assis devant la fenêtre, elle descendit dans le jardin, où elle se mit à courir et à l’appeler. Elle disparaissait sous les arbres, traversait des nappes de soleil, revenait, essoufflée, tapant des mains. Lui, les yeux vacillants, ne la vit point d’abord. Mais, comme elle reprenait sa course, jouant de nouveau à cache-cache, surgissant derrière chaque buisson, en lui jetant un cri, il finit par suivre du regard la tache blanche de sa jupe. Et quand elle se planta brusquement sous la fenêtre, la face levée, il tendit les bras, il fit mine de vouloir aller à elle. Elle remonta, l’embrassa, toute fière.

— Ah ! tu m’as vue, tu m’as vue ! criait-elle. Tu veux bien venir dans le jardin avec moi, n’est-ce pas ?… Si tu savais comme tu me désoles, depuis quelques jours, à faire la bête, à ne pas me voir, à ne pas m’entendre !

Il semblait l’écouter, avec une légère souffrance qui lui pliait le cou, d’un mouvement peureux.

— Tu vas mieux, pourtant, continuait-elle. Te voilà assez fort pour descendre, quand tu voudras… Pourquoi ne me dis-tu plus rien ? Tu as donc perdu ta langue ? Ah ! quel marmot ! Vous verrez qu’il me faudra lui apprendre à parler !

Et, en effet, elle s’amusa à lui nommer les objets qu’il touchait. Il n’avait qu’un balbutiement, il redoublait les

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syllabes, ne prononçant aucun mot avec netteté. Cependant, elle commençait à le promener dans la chambre. Elle le soutenait, le menait du lit à la fenêtre. C’était un grand voyage. Il manquait de tomber deux ou trois fois en route, ce qui la faisait rire. Un jour, il s’assit par terre, et elle eut toutes les peines du monde à le relever. Puis, elle lui fit entreprendre le tour de la pièce, en l’asseyant sur le canapé, les fauteuils, les chaises, tour de ce petit monde, qui demandait une bonne heure. Enfin, il put risquer quelques pas tout seul. Elle se mettait devant lui, les mains ouvertes, reculait en l’appelant, de façon à ce qu’il traversât la chambre pour retrouver l’appui de ses bras. Quand il boudait, qu’il refusait de marcher, elle ôtait son peigne qu’elle lui tendait comme un joujou. Alors, il venait le prendre, et il restait tranquille, dans un coin, à jouer pendant des heures avec le peigne, à l’aide duquel il grattait doucement ses mains.

Un matin, Albine trouva Serge debout. Il avait déjà réussi à ouvrir un volet. Il s’essayait à marcher, sans s’appuyer aux meubles.

— Voyez-vous, le gaillard ! dit-elle gaiement. Demain, il sautera par la fenêtre, si on le laisse faire… Nous sommes donc tout à fait solide, maintenant ?

Serge répondit par un rire de puérilité. Ses membres avait repris la santé de l’adolescence, sans que des sensations plus conscientes se fussent éveillées en lui. Il restait des après-midi entiers en face du Paradou, avec sa moue d’enfant qui ne voit que du blanc, qui n’entend que le frisson des bruits. Il gardait ses ignorances de gamin, son toucher si innocent encore, qu’il ne lui permettait pas de distinguer la robe d’Albine de l’étoffe des vieux fauteuils. Et c’était toujours un émerveillement d’yeux grands ouverts qui ne comprennent pas, une hésitation de gestes ne sachant point aller où ils veulent, un commencement d’

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existence, purement instinctif, en dehors de la connaissance du milieu. L’homme n’était pas né.

— Bien, bien, fais la bête, murmura Albine. Nous allons voir.

Elle ôta son peigne, elle le lui présenta.

— Veux-tu mon peigne, dit-elle. Viens le chercher.

Puis, quand elle l’eut fait sortir de la chambre, en reculant, elle lui passa un bras à la taille, elle le soutint, à chaque marche. Elle l’amusait, tout en remettant son peigne, lui chatouillait le cou du bout de ses cheveux, ce qui l’empêchait de comprendre qu’il descendait. Mais, en bas, avant qu’elle eût ouvert la porte, il eut peur, dans les ténèbres du corridor.

— Regarde donc ! cria-t-elle.

Et elle poussa la porte toute grande.

Ce fut une aurore soudaine, un rideau d’ombre tiré brusquement, laissant voir le jour dans sa gaieté matinale. Le parc s’ouvrait, s’étendait, d’une limpidité verte, frais et profond comme une source. Serge, charmé, restait sur le seuil, avec le désir hésitant de tâter du pied ce lac de lumière.

— On dirait que tu as peur de te mouiller, dit Albine. Va, la terre est solide.

Il avait hasardé un pas, surpris de la résistance douce du sable. Ce premier contact de la terre lui donnait une secousse, un redressement de vie, qui le planta un instant debout, grandissant, soupirant.

— Allons, du courage, répéta Albine. Tu sais que tu m’as promis de faire cinq pas. Nous allons jusqu’à ce mûrier qui est sous la fenêtre… Là, tu te reposeras.

Il mit un quart d’heure pour faire les cinq pas. A chaque effort, il s’arrêtait comme s’il lui avait fallu arracher les racines qui le tenaient au sol. La jeune fille, qui le poussait, lui dit encore en riant :

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— Tu as l’air d’un arbre qui marche.

Et elle l’adossa contre le mûrier, dans la pluie de soleil tombant des branches. Puis, elle le laissa, elle s’en alla d’un bond, en lui criant de ne pas bouger. Serge, les mains pendantes, tournait lentement la tête, en face du parc. C’était une enfance. Les verdures pâles se noyaient d’un lait de jeunesse, baignaient dans une clarté blonde. Les arbres restaient puérils, les fleurs avaient des chairs de bambin, les eaux étaient bleues d’un bleu naïf de beaux yeux grands ouverts. Il y avait, jusque sous chaque feuille, un réveil adorable.

Serge s’était arrêté à une trouée jaune qu’une large allée faisait devant lui, au milieu d’une masse épaisse de feuillage ; tout au bout, au levant, des prairies trempées d’or semblaient le champ de lumière où descendait le soleil ; et il attendait que le matin prît cette allée pour couler jusqu’à lui. Il le sentait venir dans un souffle tiède, très faible d’abord, à peine effleurant sa peau, puis s’enflant peu à peu, si vif, qu’il en tressaillait tout entier. Il le goûtait venir, d’une saveur de plus en plus nette, lui apportant l’amertume saine du grand air, mettant à ses lèvres le régal des aromates sucrés, des fruits acides, des bois laiteux. Il le respirait venir avec les parfums qu’il cueillait dans sa course, l’odeur de la terre, l’odeur des bois ombreux, l’odeur des plantes chaudes, l’odeur des bêtes vivantes, tout un bouquet d’odeurs, dont la violence allait jusqu’au vertige. Il l’entendait venir, du vol léger d’un oiseau, rasant l’herbe, tirant du silence le jardin entier, donnant des voix à ce qu’il touchait, lui faisant sonner aux oreilles la musique des choses et des êtres. Il le voyait venir, du fond de l’allée, des prairies trempées d’or, l’air rose, si gai, qu’il éclairait son chemin d’un sourire, au loin gros comme une tache de jour, devenu en quelques bonds la splendeur même du soleil. Et le matin

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vint battre le mûrier contre lequel Serge s’adossait. Serge naquit dans l’enfance du matin.

— Serge ! Serge, cria la voix d’Albine, perdue derrière les hauts buissons du parterre. N’aie pas peur, je suis là.

Mais Serge n’avait plus peur. Il naissait dans le soleil, dans ce bain pur de lumière qui l’inondait. Il naissait à vingt-cinq ans, les sens brusquement ouverts, ravi du grand ciel, de la terre heureuse, du prodige de l’horizon étalé autour de lui. Ce jardin, qu’il ignorait la veille, était une jouissance extraordinaire. Tout l’emplissait d’extase, jusqu’aux brins d’herbe, jusqu’aux pierres des allées, jusqu’aux haleines qu’il ne voyait pas et qui lui passaient sur les joues. Son corps entier entrait dans la possession de ce bout de nature, l’embrassait de ses membres ; ses lèvres le buvaient, ses narines le respiraient ; il l’emportait dans ses oreilles, il le cachait au fond de ses yeux. C’était à lui. Les roses du parterre, les branches hautes de la futaie, les rochers sonores de la chute des sources, les prés où le soleil plantait ses épis de lumière, étaient à lui. Puis, il ferma les yeux, il se donna la volupté de les rouvrir lentement, pour avoir l’éblouissement d’un second réveil.

— Les oiseaux ont mangé toutes les fraises, dit Albine, qui accourait, désolée. Tiens, je n’ai pu trouver que ces deux-là.

Mais elle s’arrêta, à quelques pas, regardant Serge avec un étonnement ravi, frappée au cœur.

Comme tu es beau ! cria-t-elle.

Et elle s’approcha davantage ; elle resta là, noyée en lui, murmurant :

— Jamais je ne t’avais vu.

Il avait certainement grandi. Vêtu d’un vêtement lâche, il était planté droit, un peu mince encore, les membres fins, la poitrine carrée, les épaules rondes. Son cou blanc, taché

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de brun à la nuque, tournait librement, renversait légèrement la tête en arrière. La santé, la force, la puissance, étaient sur sa face. Il ne souriait pas, il était au repos, avec une bouche grave et douce, des joues fermes, un nez grand, des yeux gris, très clairs, souverains. Ses longs cheveux, qui lui cachaient tout le crâne, retombaient sur ses épaules en boucles noires ; tandis que sa barbe, légère, frisait à sa lèvre et à son menton laissant voir le blanc de la peau.

— Tu es beau, tu es beau ! répétait Albine, lentement accroupie devant lui, levant des regards caressants. Mais pourquoi me boudes-tu, maintenant ? Pourquoi ne me dis-tu rien ?

Lui, sans répondre, demeurait debout. Il avait les yeux au loin, il ne voyait pas cette enfant à ses pieds. Il parla seul. Il dit, dans le soleil :

— Que la lumière est bonne !

Et l’on eût dit que cette parole était une vibration même du soleil.

Elle tomba, à peine murmurée, comme un souffle musical, un frisson de la chaleur et de la vie. Il y avait quelques jours déjà qu’Albine n’avait plus entendu la voix de Serge. Elle la retrouvait, ainsi que lui, changée. Il lui sembla qu’elle s’élargissait dans le parc avec plus de douceur que la phrase des oiseaux, plus d’autorité que le vent courbant les branches. Elle était reine, elle commandait. Tout le jardin l’entendit, bien qu’elle eût passé comme une haleine, et tout le jardin tressaillit de l’allégresse qu’elle lui apportait.

— Parle-moi, implora Albine. Tu ne m’as jamais parlé ainsi. En haut, dans la chambre, quand tu n’étais pas encore muet, tu causais avec un babillage d’enfant… D’où vient donc que je ne reconnais plus ta voix ? Tout à l’heure, j’ai cru que ta voix descendait des arbres, qu’elle m’arrivait du jardin entier, qu’elle était un de ces soupirs profonds

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qui me troublaient la nuit, avant ta venue… Écoute, tout se tait pour t’entendre parler encore.

Mais il continuait à ne pas la savoir là. Et elle se faisait plus tendre.

— Non, ne parle pas, si cela te fatigue. Assois-toi à mon côté. Nous resterons sur ce gazon, jusqu’à ce que le soleil tourne… Et, regarde, j’ai trouvé deux fraises. J’ai eu bien de la peine, va ! Les oiseaux mangent tout. Il y en a une pour toi, les deux si tu veux ; ou bien nous les partagerons, pour goûter à chacune… Tu me diras merci, et je t’entendrai.

Il ne voulut pas s’asseoir, il refusa les fraises qu’Albine jeta avec dépit. Elle-même n’ouvrit plus les lèvres. Elle l’aurait préféré malade, comme aux premiers jours, lorsqu’elle lui donnait sa main pour oreiller et qu’elle le sentait renaître sous le souffle dont elle lui rafraîchissait le visage. Elle maudissait la santé, qui maintenant le dressait dans la lumière pareil à un jeune dieu indifférent. Allait-il donc rester ainsi, sans regard pour elle ? Ne guérirait-il pas davantage, jusqu’à la voir et à l’aimer ? Et elle rêvait de redevenir sa guérison, d’achever par la seule puissance de ses petites mains cette cure de seconde jeunesse. Elle voyait bien qu’une flamme manquait au fond de ses yeux gris, qu’il avait une beauté pâle, semblable à celle des statues tombées dans les orties du parterre. Alors, elle se leva, elle vint le reprendre à la taille, lui soufflant sur la nuque pour l’animer. Mais, ce matin-là, Serge n’eut pas même la sensation de cette haleine qui soulevait sa barbe soyeuse. Le soleil avait tourné, il fallut rentrer. Dans la chambre, Albine pleura.

A partir de cette matinée, tous les jours, le convalescent fit une courte promenade dans le jardin. Il dépassa le mûrier, il alla jusqu’au bord de la terrasse, devant le large escalier dont les marches rompues descendaient au parterre.

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Il s’habituait au grand air, chaque bain de soleil l’épanouissait. Un jeune marronnier, poussé d’une graine tombée, entre deux pierres de la balustrade, crevait la résine de ses bourgeons, déployait ses éventails de feuilles avec moins de vigueur que lui. Même un jour, il avait voulu descendre l’escalier ; mais, trahi par ses forces, il s’était assis sur une marche, parmi des pariétaires grandies dans les fentes des dalles. En bas, à gauche, il apercevait un petit bois de roses. C’était là qu’il rêvait d’aller.

— Attends encore, disait Albine. Le parfum des roses est trop fort pour toi. Je n’ai jamais pu m’asseoir sous les rosiers, sans me sentir toute lasse, la tête perdue, avec une envie très douce de pleurer… Va, je te mènerai sous les rosiers, et je pleurerai, car tu me rends bien triste.

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VI


Un matin enfin, elle put le soutenir jusqu’au bas de l’escalier, foulant l’herbe du pied devant lui, lui frayant un chemin au milieu des églantiers qui barraient les dernières marches de leurs bras souples. Puis, lentement, ils s’en allèrent dans le bois de roses. C’était un bois, avec des futaies de hauts rosiers à tige, qui élargissaient des bouquets de feuillage grands comme des arbres, avec des rosiers en buissons, énormes, pareils à des taillis impénétrables de jeunes chênes. Jadis, il y avait eu là, la plus admirable collection de plants qu’on pût voir. Mais, depuis l’abandon du parterre, tout avait poussé à l’aventure, la forêt vierge s’était bâtie, la forêt de roses, envahissant les sentiers, se noyant dans les rejets sauvages, mêlant les variétés à ce point, que des roses de toutes les odeurs et de tous les éclats semblaient s’épanouir sur les mêmes pieds. Des rosiers qui rampaient faisaient à terre des tapis de mousse, tandis que des rosiers grimpants s’attachaient à d’autres rosiers, ainsi que des lierres dévorants, montaient en fusées de verdure, laissaient retomber, au moindre souffle, la pluie de leurs fleurs effeuillées.

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Et des allées naturelles s’étaient tracées au milieu du bois, d’étroits sentiers, de larges avenues, d’adorables chemins couverts, où l’on marchait à l’ombre, dans le parfum. On arrivait ainsi à des carrefours, à des clairières, sous des berceaux de petites roses rouges, entre des murs tapissés de petites roses jaunes. Certains coins de soleil luisaient comme des étoffes de soie verte brochées de taches voyantes ; certains coins d’ombre avaient des recueillements d’alcôve, une senteur d’amour, une tiédeur de bouquet pâmé aux seins d’une femme. Les rosiers avaient des voix chuchotantes. Les rosiers étaient pleins de nids qui chantaient.

— Prenons garde de nous perdre, dit Albine en s’engageant dans le bois. Je me suis perdue, une fois. Le soleil était couché, quand j’ai pu me débarrasser des rosiers qui me retenaient par les jupes, à chaque pas.

Mais ils marchaient à peine depuis quelques minutes, lorsque Serge, brisé de fatigue, voulut s’asseoir. Il se coucha, il s’endormit d’un sommeil profond. Albine, assise à côté de lui, resta songeuse. C’était au débouché d’un sentier, au bord d’une clairière. Le sentier s’enfonçait très loin, rayé de coups de soleil, s’ouvrant à l’autre bout sur le ciel, par une étroite ouverture ronde et bleue. D’autres petits chemins creusaient des impasses de verdure. La clairière était faite de grands rosiers étagés, montant avec une débauche de branches, un fouillis de lianes épineuses tels, que des nappes épaisses de feuillage s’accrochaient en l’air, restaient suspendues, tendaient d’un arbuste à l’autre les pans d’une tente volante. On ne voyait, entre ces lambeaux découpés comme de la fine guipure, que des trous de jour imperceptibles, un crible d’azur laissant passer la lumière en une impalpable poussière de soleil. Et de la voûte, ainsi que des girandoles, pendaient des échappées de branches, de grosses touffes tenues par le fil vert d’une tige, des brassées de fleurs descendant jusqu’à terre, le long de

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quelque déchirure du plafond, qui traînait, pareille à un coin de rideau arraché.

Cependant, Albine regardait Serge dormir. Elle ne l’avait point encore vu dans un tel accablement des membres, les mains ouvertes sur le gazon, la face morte. Il était ainsi mort pour elle, elle pensait qu’elle pouvait le baiser au visage, sans qu’il sentît même son baiser. Et, triste, distraite, elle occupait ses mains oisives à effeuiller les roses qu’elle trouvait à sa portée. Au-dessus de sa tête, une gerbe énorme retombait, effleurant ses cheveux, mettant des roses à son chignon, à ses oreilles, à sa nuque, lui jetant aux épaules un manteau de roses. Plus haut, sous ses doigts, les roses pleuvaient, de larges pétales tendres, ayant la rondeur exquise, la pureté à peine rougissante d’un sein de vierge. Les roses, comme une tombée de neige vivante, cachaient déjà ses pieds repliés dans l’herbe. Les roses montaient à ses genoux, couvraient sa jupe, la noyaient jusqu’à la taille ; tandis que trois feuilles de rose égarées, envolées sur son corsage, à la naissance de la gorge, semblaient mettre là trois bouts de sa nudité adorable.

— Oh ! le paresseux ! murmura-t-elle, prise d’ennui, ramassant deux poignées de roses et les jetant sur la face de Serge pour le réveiller.

Il resta appesanti, avec des roses qui lui bouchaient les yeux et la bouche. Cela fit rire Albine. Elle se pencha. Elle lui baisa de tout son cœur les deux yeux, elle lui baisa la bouche, soufflant ses baisers pour faire envoler les roses ; mais les roses lui restaient aux lèvres, et elle eut un rire plus sonore, tout amusée par cette caresse dans les fleurs.

Serge s’était soulevé lentement. Il la regardait, frappé d’étonnement, comme effrayé de la trouver là. Il lui demanda :

— Qui es-tu, d’où viens-tu, que fais-tu à mon côté ?

Elle, souriait toujours, ravie de le voir ainsi s’éveiller.

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Alors, il parut se souvenir, il reprit, avec un geste de confiance heureuse :

— Je sais, tu es mon amour, tu viens de ma chair, tu attends que je te prenne entre mes bras, pour que nous ne fassions plus qu’un… Je rêvais de toi. Tu étais dans ma poitrine, et je te donnais mon sang, mes muscles, mes os. Je ne souffrais pas. Tu me prenais la moitié de mon cœur, si doucement, que c’était en moi une volupté de me partager ainsi. Je cherchais ce que j’avais de meilleur, ce que j’avais de plus beau, pour te l’abandonner. Tu aurais tout emporté, que je t’aurais dit merci… Et je me suis réveillé, quand tu es sortie de moi. Tu es sortie par mes yeux et par ma bouche, je l’ai bien senti. Tu étais toute tiède, toute parfumée, si caressante que c’est le frisson même de ton corps qui m’a mis sur mon séant.

Albine, en extase, l’écoutait parler. Enfin, il la voyait ; enfin, il achevait de naître, il guérissait. Elle le supplia de continuer, les mains tendues :

— Comment ai-je fait pour vivre sans toi ? murmura-t-il. Mais je ne vivais pas, j’étais pareil à une bête ensommeillée… Et te voilà à moi, maintenant ! Et tu n’es autre que moi-même ! Écoute, il faut ne jamais me quitter ; car tu es mon souffle, tu emporterais ma vie. Nous resterons en nous. Tu seras dans ma chair, comme je serai dans la tienne. Si je t’abandonnais un jour, que je sois maudit, que mon corps se sèche ainsi qu’une herbe inutile et mauvaise !

Il lui prit les mains, en répétant d’une voix frémissante d’admiration :

— Comme tu es belle !

Albine, dans la poussière du soleil qui tombait, avait une chair de lait, à peine dorée d’un reflet de jour. La pluie de roses, autour d’elle, sur elle, la noyait dans du rose. Ses cheveux blonds, que son peigne attachait mal, la coiffaient

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d’un astre à son coucher, lui couvrant la nuque du désordre de ses dernières mèches flambantes. Elle portait une robe blanche, qui la laissait nue, tant elle était vivante sur elle, tant elle découvrait ses bras, sa gorge, ses genoux. Elle montrait sa peau innocente, épanouie sans honte ainsi qu’une fleur, musquée d’une odeur propre. Elle s’allongeait, point trop grande, souple comme un serpent, avec des rondeurs molles, des élargissements de lignes voluptueux, toute une grâce de corps naissant, encore baigné d’enfance, déjà renflé de puberté. Sa face longue, au front étroit, à la bouche un peu forte, riait de toute la vie tendre de ses yeux bleus. Et elle était sérieuse pourtant, les joues simples, le menton gras, aussi naturellement belle que les arbres sont beaux.

— Et que je t’aime ! dit Serge, en l’attirant à lui.

Ils restèrent l’un à l’autre, dans leurs bras. Ils ne se baisaient point, ils s’étaient pris par la taille, mettant la joue contre la joue, unis, muets, charmés de n’être plus qu’un. Autour d’eux, les rosiers fleurissaient. C’était une floraison folle, amoureuse, pleine de rires rouges, de rires roses, de rires blancs. Les fleurs vivantes s’ouvraient comme des nudités, comme des corsages laissant voir les trésors des poitrines. Il y avait là des roses jaunes effeuillant des peaux dorées de filles barbares, des roses paille, des roses citron, des roses couleur de soleil, toutes les nuances des nuques ambrées par les cieux ardents. Puis, les chairs s’attendrissaient, les roses thé prenaient des moiteurs adorables, étalaient des pudeurs cachées, des coins de corps qu’on ne montre pas, d’une finesse de soie, légèrement bleuis par le réseau des veines. La vie rieuse du rose s’épanouissait ensuite : le blanc rose, à peine teinté d’une pointe de laque, neige d’un pied de vierge qui tâte l’eau d’une source ; le rose pâle, plus discret que la blancheur chaude d’un genou entrevu, que la lueur dont un jeune bras éclaire une

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large manche ; le rose franc, du sang sous du satin, des épaules nues, des hanches nues, tout le nu de la femme, caressé de lumière ; le rose vif, fleurs en boutons de la gorge, fleurs à demi ouvertes des lèvres, soufflant le parfum d’une haleine tiède. Et les rosiers grimpants, les grands rosiers à pluie de fleurs blanches, habillaient tous ces roses, toutes ces chairs, de la dentelle de leurs grappes, de l’innocence de leur mousseline légère ; tandis que, çà et là, des roses lie-de-vin, presque noires, saignantes, trouaient cette pureté d’épousée d’une blessure de passion. Noces du bois odorant, menant les virginités de mai aux fécondités de juillet et d’août ; premier baiser ignorant, cueilli comme un bouquet, au matin du mariage. Jusque dans l’herbe, des roses mousseuses, avec leurs robes montantes de laine verte, attendaient l’amour. Le long du sentier, rayé de coups de soleil, des fleurs rôdaient, des visages s’avançaient, appelant les vents légers au passage. Sous la tente déployée de la clairière, tous les sourires luisaient. Pas un épanouissement ne se ressemblait. Les roses avaient leurs façons d’aimer. Les unes ne consentaient qu’à entrebâiller leur bouton, très timides, le cœur rougissant, pendant que d’autres, le corset délacé, pantelantes, grandes ouvertes, semblaient chiffonnées, folles de leur corps au point d’en mourir. Il y en avait de petites, alertes, gaies, s’en allant à la file, la cocarde au bonnet ; d’énormes, crevant d’appas, avec des rondeurs de sultanes engraissées ; d’effrontées, l’air fille, d’un débraillé coquet, étalant des pétales blanchis de poudre de riz ; d’honnêtes, décolletées en bourgeoises correctes ; d’aristocratiques, d’une élégance souple, d’une originalité permise, inventant des déshabillés. Les roses épanouies en coupe offraient leur parfum comme dans un cristal précieux ; les roses renversées en forme d’urne le laissaient couler goutte à goutte ; les roses rondes, pareilles à des choux, l’exhalaient d’une haleine régulière

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de fleurs endormies ; les roses en boutons serraient leurs feuilles, ne livraient encore que le soupir vague de leur virginité.

— Je t’aime, je t’aime, répétait Serge à voix basse.

Et Albine était une grande rose, une des roses pâles, ouvertes du matin. Elle avait les pieds blancs, les genoux et les bras roses, la nuque blonde, la gorge adorablement veinée, pâle, d’une moiteur exquise. Elle sentait bon, elle tendait des lèvres qui offraient dans une coupe de corail leur parfum faible encore. Et Serge la respirait, la mettait à sa poitrine.

— Oh ! dit-elle en riant, tu ne me fais pas mal, tu peux me prendre tout entière.

Serge resta ravi de son rire, pareil à la phrase cadencée d’un oiseau.

— C’est toi qui as ce chant, dit-il ; jamais je n’en ai entendu d’aussi doux… Tu es ma joie.

Et elle riait, plus sonore, avec des gammes perlées de petites notes de flûte, très aiguës, qui se noyaient dans un ralentissement de sons graves. C’était un rire sans fin, un roucoulement de gorge, une musique sonnante, triomphante, célébrant la volupté du réveil. Tout riait, dans ce rire de femme naissant à la beauté et à l’amour, les roses, le bois odorant, le Paradou entier. Jusque-là, il avait manqué un charme au grand jardin, une voix de grâce, qui fût la gaieté vivante des arbres, des eaux, du soleil. Maintenant, le grand jardin était doué de ce charme du rire.

— Quel âge as-tu ? demanda Albine, après avoir éteint son chant sur une note filée et mourante.

— Bientôt vingt-six ans, répondit Serge.

Elle s’étonna. Comment ! il avait vingt-six ans ! Lui-même était tout surpris d’avoir répondu cela, si aisément. Il lui semblait qu’il n’avait pas un jour, pas une heure.

— Et toi, quel âge as-tu ? demanda-t-il à son tour.

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— Moi, j’ai seize ans.

Et elle repartit, toute vibrante, répétant son âge, chantant son âge. Elle riait d’avoir seize ans, d’un rire très fin, qui coulait comme un filet d’eau, dans un rythme tremblé de la voix. Serge la regardait de tout près, émerveillé de cette vie du rire, dont la face de l’enfant resplendissait. Il la reconnaissait à peine, les joues trouées de fossettes, les lèvres arquées, montrant le rose humide de la bouche, les yeux pareils à des bouts de ciel bleu s’allumant d’un lever d’astre. Quand elle se renversait, elle le chauffait de son menton gonflé de rire, qu’elle lui appuyait sur l’épaule.

Il tendit la main, il chercha derrière sa nuque, d’un geste machinal.

— Que veux-tu ? demanda-t-elle.

Et, se souvenant, elle cria :

— Tu veux mon peigne ! tu veux mon peigne !

Alors, elle lui donna le peigne, elle laissa tomber les nattes lourdes de son chignon. Ce fut comme une étoffe d’or dépliée. Ses cheveux la vêtirent jusqu’aux reins. Des mèches qui lui coulèrent sur la poitrine achevèrent de l’habiller royalement. Serge, à ce flamboiement brusque, avait poussé un léger cri. Il baisait chaque mèche, il se brûlait les lèvres à ce rayonnement de soleil couchant.

Mais Albine, à présent, se soulageait de son long silence. Elle causait, questionnait, ne s’arrêtait plus.

— Ah ! que tu m’as fait souffrir ! Je n’étais plus rien pour toi, je passais mes journées, inutile, impuissante, me désespérant comme une propre à rien… Et pourtant, les premiers jours, je t’avais soulagé. Tu me voyais, tu me parlais… Tu ne te rappelles pas, lorsque tu étais couché et que tu t’endormais contre mon épaule, en murmurant que je te faisais du bien ?

— Non, dit Serge, non, je ne me rappelle pas… Je ne

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t’avais jamais vue. Je viens de te voir pour la première fois, belle, rayonnante, inoubliable.

Elle tapa dans ses mains, prise d’impatience, se récriant :

— Et mon peigne ? Tu te souviens bien que je te donnais mon peigne, pour avoir la paix, lorsque tu étais redevenu enfant ? Tout à l’heure, tu le cherchais encore.

— Non, je ne me souviens pas… Tes cheveux sont une soie fine. Jamais je n’avais baisé tes cheveux.

Elle se fâcha, précisa certains détails, lui conta sa convalescence dans la chambre au plafond bleu. Mais lui, riant toujours, finit par lui mettre la main sur les lèvres, en disant avec une lassitude inquiète :

— Non, tais-toi, je ne sais plus, je ne veux plus savoir… Je viens de m’éveiller, et je t’ai trouvée là, pleine de roses. Cela suffit.

Et il la reprit entre ses bras, longuement, rêvant tout haut, murmurant :

— Peut-être ai-je déjà vécu. Cela doit être bien loin… Je t’aimais, dans un songe douloureux. Tu avais tes yeux bleus, ta face un peu longue, ton air enfant. Mais tu cachais tes cheveux, soigneusement, sous un linge ; et moi je n’osais écarter ce linge, parce que tes cheveux étaient redoutables et qu’ils m’auraient fait mourir… Aujourd’hui, tes cheveux sont la douceur même de ta personne. Ce sont eux qui gardent ton parfum, qui me livrent ta beauté assouplie, tout entière entre mes doigts. Quand je les baise, quand j’enfonce ainsi mon visage, je bois ta vie.

Il roulait les longues boucles dans ses mains, les pressant sur ses lèvres, comme pour en faire sortir tout le sang d’Albine. Au bout d’un silence, il continua :

— C’est étrange, avant d’être né, on rêve de naître… J’étais enterré quelque part. J’avais froid. J’entendais s’agiter au-dessus de moi la vie du dehors. Mais je me bouchais les oreilles, désespéré, habitué à mon trou de ténèbres, y

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goûtant des joies terribles, ne cherchant même plus à me dégager du tas de terre qui pesait sur ma poitrine… Où étais-je donc ? Qui donc m’a mis enfin à la lumière ?

Il faisait des efforts de mémoire, tandis qu’Albine, anxieuse, redoutait maintenant qu’il ne se souvînt. Elle prit en souriant une poignée de ses cheveux, la noua au cou du jeune homme, qu’elle attacha à elle. Ce jeu le fit sortir de sa rêverie.

— Tu as raison, dit-il, je suis à toi, qu’importe le reste !… C’est toi, n’est-ce pas, qui m’as tiré de la terre ? Je devais être sous ce jardin. Ce que j’entendais, c’étaient tes pas roulant les petits cailloux du sentier. Tu me cherchais, tu apportais sur ma tête des chants d’oiseaux, des odeurs d’œillets, des chaleurs de soleil… Et je me doutais bien que tu finirais par me trouver. Je t’attendais, vois-tu, depuis longtemps. Mais je n’espérais pas que tu te donnerais à moi sans ton voile, avec tes cheveux dénoués, tes cheveux redoutables qui sont devenus si doux.

Il la prit sur lui, la renversa sur ses genoux, en mettant son visage à côté du sien.

— Ne parlons plus. Nous sommes seuls à jamais. Nous nous aimons.

Ils demeurèrent innocemment aux bras l’un de l’autre. Longtemps encore, ils s’oublièrent là. Le soleil montait, une poussière de jour plus chaude tombait des hautes branches. Les roses jaunes, les roses blanches, les roses rouges, n’étaient plus qu’un rayonnement de leur joie, une de leurs façons de se sourire. Ils avaient certainement fait éclore des boutons autour d’eux. Les roses les couronnaient, leur jetaient des guirlandes aux reins. Et le parfum des roses devenait si pénétrant, si fort d’une tendresse amoureuse, qu’il semblait être le parfum même de leur haleine.

Puis, ce fut Serge qui recoiffa Albine. Il prit ses cheveux à

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poignée, avec une maladresse charmante, et planta le peigne de travers, dans l’énorme chignon tassé sur la tête. Or, il arriva qu’elle était adorablement coiffée. Il se leva ensuite, lui tendit les mains, la soutint à la taille pour qu’elle se mit debout. Tous deux souriaient toujours, sans parler. Doucement, ils s’en allèrent par le sentier.

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VII


Albine et Serge entrèrent dans le parterre. Elle le regardait avec une sollicitude inquiète, craignant qu’il ne se fatiguât. Mais lui, la rassura d’un léger rire. Il se sentait fort à la porter partout où elle voudrait aller. Quand il se retrouva en plein soleil, il eut un soupir de joie. Enfin, il vivait ; il n’était plus cette plante soumise aux agonies de l’hiver. Aussi quelle reconnaissance attendrie ! Il aurait voulu éviter aux petits pieds d’Albine la rudesse des allées ; il rêvait de la pendre à son cou, comme une enfant que sa mère endort. Déjà, il la protégeait en gardien jaloux, écartait les pierres et les ronces, veillait à ce que le vent ne volât pas sur ses cheveux adorés des caresses qui n’appartenaient qu’à lui. Elle s’était blottie contre son épaule, elle s’abandonnait, pleine de sérénité.

Ce fut ainsi qu’Albine et Serge marchèrent dans le soleil, pour la première fois. Le couple laissait une bonne odeur derrière lui. Il donnait un frisson au sentier, tandis que le soleil déroulait un tapis d’or sous ses pas. Il avançait, pareil à un ravissement, entre les grands buissons