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— Mais enfin, mille tonnerres de cré tonnerre, vous commencez à me raser, avec vos grands hommes !... Est-ce ma faute, à moi, s’il n’est jamais né le moindre grand homme dans notre pays !
— Mais enfin, mille tonnerres de cré tonnerre, vous commencez à me raser, avec vos grands hommes !... Est-ce ma faute, à moi, s’il n’est jamais né le moindre grand homme dans notre pays !

Version du 8 septembre 2010 à 07:46

La Vaniteuse Localité

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— Mais enfin, mille tonnerres de cré tonnerre, vous commencez à me raser, avec vos grands hommes !... Est-ce ma faute, à moi, s’il n’est jamais né le moindre grand homme dans notre pays !

Et, furieux, monsieur le maire frappait à coups redoublés le drap vert de la table.

Cela se passait à une séance du Conseil municipal de Bizemoy-sur-Loreille.

Quelques édiles s’étaient mis en tête d’ériger sur la principale place de Bizemoy une statue, ou tout au moins un fort buste.

D’autres, peu exigeants, se seraient, à la rigueur, contentés d’une bonne plaque commémorative.

On avait mis M. le maire en demeure de découvrir un grand homme né natif de Bizemoy-sur-Loreille, mais M. le maire n’avait rien trouvé du tout.

— Vous ne me ferez pas croire, s’écria un des plus farouches conseillers, qu’il n’est pas né un seul grand homme à Bizemoy depuis le treizième siècle ! Car, enfin, Bizemoy date du treizième siècle ! Et même, notre ville avait une certaine importance avant la Révolution.

— Je ne vous dis pas, ripostait le pauvre maître ; mais, moi, je ne connais aucun grand homme né chez nous, et j’avoue ne pas m’en désoler autrement. Une ville peut très bien se passer de statues.

— De statues, peut-être, mais de plaques commémoratives ! Il m’est pénible, à moi, citoyen de Bizemoy-sur-Loreille, de penser que ma localité ne possède même pas une plaque commémorative, une de ces plaques comme on en rencontre parfois sur des maisons dans de petites bourgades de sept ou huit cents habitants !

— C’est, en effet, intolérable ! appuya la majorité turbulente du Conseil.

— Si on fouillait dans les archives, peut-être trouverait-on un bonhomme du temps passé, digne de bronze ou de marbre !

— C’est une idée.

Le secrétaire de la mairie fut chargé de cette recherche, à laquelle il travailla un long mois.

Finalement, il dut avouer son insuccès.

Le seul personnage vaguement notoire originaire de Bizemoy était un nommé Poncelet, qui fut gouverneur de Carcassonne sous Henri IV.

Malheureusement, ce personnage ayant un beau jour livré la ville à l’armée belge (contre une petite somme d’argent), peut-être ne convenait-il pas de perpétuer la mémoire de ce gentleman dont, d’ailleurs, la femme avait eu une fâcheuse tendance à se mêler de ce qui ne la regardait pas.

La population de Bizemoy-sur-Loreille fut atterrée : pas même une plaque commémorative à coller quelque part !

À la suivante séance du Conseil, un édile se leva, grave, et proposa :

— Messieurs, voulez-vous vous en rapporter à moi ? Notre vaillante petite cité aura sa plaque tout comme une autre, et nous l’inaugurerons dimanche, pas plus tard !

On convint de s’en rapporter au mystérieux édile— il paraissait si sûr de lui ! —et d’attendre au dimanche suivant.

. . . . . . . . . . . . . . .

À Bizemoy-sur-Loreille, vivait, en une coquette petite maison de la rue Saint-Michel, un vieux général de brigade en retraite, le général Dumachin (Jean-Baptiste-Auguste), un de ces héroïques débris qui, à l’instar du colonel Ramollot, ne se consolent pas de voir le gouvernement s’obstiner à recruter l’armée dans le civil.

Ce vieux brave était venu là vivre tranquillement de sa retraite.

. . . . . . . . . . . . . . .

Or, le dimanche suivant, vers six heures de l’après-midi, comme il revenait de la chasse chez des amis, le général Dumachin vit un grand attroupement autour de sa demeure.

Le maire en écharpe et les autorités semblaient l’attendre.

Dès qu’il parut, la fanfare municipale déchira l’air d’une vigoureuse Marseillaise.

La foule s’écarta, respectueuse.

Et le maire, sans un mot, mais avec une émotion visible, dirigea, de son doigt tendu, le regard du général vers une plaque de marbre fraîchement vissée au-dessus de la porte.

Lapidaire et d’or, l’inscription disait :


C’EST DANS CETTE MAISON

QVE MOVRRA

NOTRE ILLVSTRE COMPATRIOTE

DVMACHIN (JEAN-BAPTISTE-AVGVSTE)

GÉNÉRAL FRANÇAIS


Dumachin (Jean-Baptiste-Auguste), général français, la trouva plutôt mauvaise, et je ne compte étonner personne en annonçant que sa coquette petite maison de la rue Saint-Michel est à vendre présentement, sans la plaque.