« Monologue du Franc Archier de Baignollet » : différence entre les versions

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{{Titre|Monologue du Franc Archier de Baignollet|Anonyme|XV<sup>e</sup> siècle|Monologue du Franc archier de Baignollet}}




{{c|S’ENSUIT LE MONOLOGUE DU <br />FRANC ARCHIER DE BAIGNOLLET <br />AVEC SON ÉPITAPHE}}
{{Titre|Monologue du Franc Archier de Baignollet|Anonyme|XV<sup>e</sup> siècle}}


<div style="text-align:center;">S'ENSUIT LE MONOLOGUE DU <br />FRANC ARCHIER DE BAIGNOLLET <br />AVEC SON EPITAPHE</div>


<poem>
<poem>


C’est à meshuy! J'ay beau corner!
C’est à meshuy ! J’ay beau corner !
Or ça, il s'en fault retourner,
Or ça, il s’en fault retourner,
Maulgré ses dentz, en sa maison
Maulgré ses dentz, en sa maison
Si ne vis-je pieça saison
Si ne vis-je pieça saison
Où j’eusse si hardy couraige
Où j’eusse si hardy couraige
Que j'ay! Par la morbieu! j'enraige
Que j’ay ! Par la morbieu ! j’enraige
Que je n'ay à qui me combatre...
Que je n’ay à qui me combatre…
Y a-il homme qui à quatre,
Y a-il homme qui à quatre,
Dy-je, y a-il quatre qui vueillent
Dy-je, y a-il quatre qui vueillent
Combatre à moy? Se tost recueillent
Combatre à moy ? Se tost recueillent
Mon gantelet; vela pour gaige!
Mon gantelet ; vela pour gaige !
Par le sang bieu! je ne crains paige,
Par le sang bieu ! je ne crains paige,
S'il n'a point plus de quatorze ans.
S’il n’a point plus de quatorze ans.
J'ay autresfoys tenu les rencz,
J’ay autresfoys tenu les rencz,
Dieu Mercy! et gaigné le prix
Dieu Mercy ! et gaigné le prix
Contre cinq Angloys que je pris,
Contre cinq Angloys que je pris,
Povres prisonniers desnuez,
Povres prisonniers desnuez,
Si tost que je les euz ruez.
Si tost que je les euz ruez.
Ce fust au siège d'Alençon.
Ce fust au siège d’Alençon.
Les troys se misrent à rançon,
Les troys se misrent à rançon,
Et le quatriesme s'enfuyt.
Et le quatriesme s’enfuyt.
Incontinent que l'autre ouyt
Incontinent que l’autre ouyt
Ce bruit, il me print à la gorge.
Ce bruit, il me print à la gorge.
Se je n'eusse crié: Sainct George!
Se je n’eusse crié : Sainct George !
Combien que je suys bon Françoys,
Combien que je suys bon Françoys,
Sang bieu! il m'eust tué ançoys
Sang bieu ! il m’eust tué ançoys
Que personne m'eust secouru.
Que personne m’eust secouru.
Et quand je me senty feru
Et quand je me senty feru
D'une bouteille, qu'il cassa
D’une bouteille, qu’il cassa
Sur ma teste: « Venez ça, ça!
Sur ma teste : « Venez ça, ça !
Dis-je lors. Que chascun s'appaise!
Dis-je lors. Que chascun s’appaise !
Je ne quiers point faire de noise,
Je ne quiers point faire de noise,
Ventre bieu! et buvons ensemble.
Ventre bieu ! et buvons ensemble.
Posé soit ores que je tremble,
Posé soit ores que je tremble,
Sang bieu! je ne vous crains pas maille. »
Sang bieu ! je ne vous crains pas maille. »


''Cy dit ung quidem, par derrière les gens:''
''Cy dit ung quidem, par derrière les gens : ''
:Coquericoq.
: Coquericoq.


Qu'esse cy? J'ay oüy poullaille
Qu’esse cy ? J’ay oüy poullaille
Chanter chez quelque bonne vieille;
Chanter chez quelque bonne vieille ;
Il convient que je la resveille.
Il convient que je la resveille.
Poullaille font icy leurs nidz!
Poullaille font icy leurs nidz !
C'est du demourant d'Ancenys,
C’est du demourant d’Ancenys,
Par ma foy! ou du Champ-Toursé...
Par ma foy ! ou du Champ-Toursé…
Helas! que je me vis coursé
Helas ! que je me vis coursé
De la mort d'ung de mes nepveux!
De la mort d’ung de mes nepveux !
J'euz d'ung canon par les cheveux,
J’euz d’ung canon par les cheveux,
Qui me vint cheoir tout droit en barbe;
Qui me vint cheoir tout droit en barbe ;
Mais je m'escriay: « Saincte Barbe!
Mais je m’escriay : « Saincte Barbe !
Vueille-moy ayder à ce coup,
Vueille-moy ayder à ce coup,
Et je t'ayderay l'autre coup! »
Et je t’ayderay l’autre coup ! »
Adonc le canon m'esbranla,
Adonc le canon m’esbranla,
Et vint ceste fortune-là
Et vint ceste fortune-là
Quand nous eusmes le fort conquis.
Quand nous eusmes le fort conquis.
Le Baronnet et le Marquis,
Le Baronnet et le Marquis,
Craon, Cures, l'Aigle et Bressoire,
Craon, Cures, l’Aigle et Bressoire,
Accoururent pour veoir l'histoire;
Accoururent pour veoir l’histoire ;
La Rochefouquault, l'Amiral,
La Rochefouquault, l’Amiral,
Aussi Beuil et son attirail,
Aussi Beuil et son attirail,
Pontièvre, tous les capitaines,
Pontièvre, tous les capitaines,
Y deschaussèrent leurs mitaines
Y deschaussèrent leurs mitaines
De fer, de paour de m'affoler,
De fer, de paour de m’affoler,
Et si me vindrent acoler
Et si me vindrent acoler
A terre, où j'estoye meshaigné,
A terre, où j’estoye meshaigné,
De paour de dire: « Il n'a daigné! »
De paour de dire : « Il n’a daigné ! »
Combien que je fusse malade,
Combien que je fusse malade,
Je mis la main à la salade,
Je mis la main à la salade,
Car el m'estouffoit le visaige.
Car el m’estouffoit le visaige.
« Ha! dist le Marquis, ton oultraige
« Ha ! dist le Marquis, ton oultraige
Te fera une foys mourir! »
Te fera une foys mourir ! »
Car il m'avoit bien veu courir,
Car il m’avoit bien veu courir,
Oultre l'ost, devant le chasteau.
Oultre l’ost, devant le chasteau.
Hélas! j'y perdy mon manteau,
Hélas ! j’y perdy mon manteau,
Car je cuidoye d'une poterne
Car je cuidoye d’une poterne
Que ce fust l'huys d'une taverne.
Que ce fust l’huys d’une taverne.
Et moy tantost de pietonner,
Et moy tantost de pietonner,
Car, quand on oyt clarons sonner,
Car, quand on oyt clarons sonner,
Il n'est courage qui ne croisse.
Il n’est courage qui ne croisse.
Tout aussitost: « Où esse? Où esse? »
Tout aussitost : « Où esse ? Où esse ? »
Et, à brief parler, je m'y fourre,
Et, à brief parler, je m’y fourre,
Ne plus ne moins qu'en une bourre.
Ne plus ne moins qu’en une bourre.
Si ce n'eust esté la brairie
Si ce n’eust esté la brairie
Du costé devers la prairie,
Du costé devers la prairie,
De nos gens, qui crioient trestous,
De nos gens, qui crioient trestous,
Disant: « Pierre, que faictes-vous?
Disant : « Pierre, que faictes-vous ?
N'assaillez pas la basse court
N’assaillez pas la basse court
Tout seul! » je l'eusse prins tout court,
Tout seul ! » je l’eusse prins tout court,
Certes; mais c'eust esté outraige.
Certes ; mais c’eust esté outraige.
Et se ce n'eust esté ung paige
Et se ce n’eust esté ung paige
Qui nous vint trencher le chemin,
Qui nous vint trencher le chemin,
Mon frère d'armes Güillemin
Mon frère d’armes Güillemin
Et moy, Dieu lui pardoint, pourtant!
Et moy, Dieu lui pardoint, pourtant !
Car, quoy? il nous en pend autant
Car, quoy ? il nous en pend autant
A l'oeil, eussions, sans nulle faille,
A l’œil, eussions, sans nulle faille,
Frappé au travers la bataille
Frappé au travers la bataille
Des Bretons; mais nous apaisames
Des Bretons ; mais nous apaisames
Nos couraiges et recullames...
Nos couraiges et recullames…
Que dy-je? non pas reculer,
Que dy-je ? non pas reculer,
Chose dont on ne doibt parler...
Chose dont on ne doibt parler…
Ung rien, jusque au Lyon d'Angiers.
Ung rien, jusque au Lyon d’Angiers.
Je ne craignoye que les dangiers,
Je ne craignoye que les dangiers,
Moy; je n avoye paour d'aultre chose.
Moy ; je n avoye paour d’aultre chose.
Et quand la bataille fut close,
Et quand la bataille fut close,
D'artillerie grosse et gresle
D’artillerie grosse et gresle
Vous eussez ouy, pesle-mesle:
Vous eussez ouy, pesle-mesle :
''Tip, tap, sip, sap'', à la barrière,
''Tip, tap, sip, sap'', à la barrière,
Aux esles, devant et derrière.
Aux esles, devant et derrière.
J'en eus d'ung parmy la cuirace.
J’en eus d’ung parmy la cuirace.
Les dames qu'estoient en la place
Les dames qu’estoient en la place
Si ne craignoyent que le couillart.
Si ne craignoyent que le couillart.
Certes, j'estoye ung bon paillart;
Certes, j’estoye ung bon paillart ;
J'en avoye ung si portatif,
J’en avoye ung si portatif,
Se je n'eusse esté si hastif
Se je n’eusse esté si hastif
De mettre le feu en la pouldre,
De mettre le feu en la pouldre,
J'eusse destruit et mis en fouldre
J’eusse destruit et mis en fouldre
Tout quanqu'avoit de damoiselles.
Tout quanqu’avoit de damoiselles.
Il porte deux pierres jumelles,
Il porte deux pierres jumelles,
Mon couillart: jamais n'en a meins.
Mon couillart : jamais n’en a meins.
Et dames de joindre les mains,
Et dames de joindre les mains,
Quand ilz virent donner l'assault.
Quand ilz virent donner l’assault.
Les ungs se servoyent du courtault
Les ungs se servoyent du courtault
Si dru, si net, si sec que terre.
Si dru, si net, si sec que terre.
Et puis, quoy? parmy ce tonnerre,
Et puis, quoy ? parmy ce tonnerre,
Eussez ouy sonner trompilles,
Eussez ouy sonner trompilles,
Pour faire dancer jeunes filles
Pour faire dancer jeunes filles
Au son du courtault, haultement.
Au son du courtault, haultement.
Quand j'y pense, par mon serment!
Quand j’y pense, par mon serment !
C'est vaine guerre qu'avec femmes;
C’est vaine guerre qu’avec femmes ;
J'avoye toujours pitié des dames.
J’avoye toujours pitié des dames.
Veu qu'ung courtault tresperce ung mur,
Veu qu’ung courtault tresperce ung mur,
Ilz auroyent le ventre bien dur,
Ilz auroyent le ventre bien dur,
S'il ne passoit oultre... Pensez
S’il ne passoit oultre… Pensez
Qu'on leur eust faict du mal assez,
Qu’on leur eust faict du mal assez,
Se l'en n'eust eu noble couraige;
Se l’en n’eust eu noble couraige ;
Mesmes ces pehons de villaige,
Mesmes ces pehons de villaige,
J'entens pehons de plat pays,
J’entens pehons de plat pays,
Ne se fussent point esbahis
Ne se fussent point esbahis
De leur mal faire; mais nous sommes
De leur mal faire ; mais nous sommes
Tousjours, entre nous gentilz hommes,
Tousjours, entre nous gentilz hommes,
Au guet dessus la villenaille.
Au guet dessus la villenaille.
J'estoye par deçà la bataille,
J’estoye par deçà la bataille,
Tousjours la lance ou la bouteille
Tousjours la lance ou la bouteille
Sur la cuisse: c'estoit merveille,
Sur la cuisse : c’estoit merveille,
Merveille de me regarder.
Merveille de me regarder.
Il vint ung Breton estrader,
Il vint ung Breton estrader,
Qui faisoit rage d'une lance;
Qui faisoit rage d’une lance ;
Mais il avoit, de jeune enfance,
Mais il avoit, de jeune enfance,
Les reins rompus; c'estoit dommaige.
Les reins rompus ; c’estoit dommaige.
Il vint tout seul, par son oultraige,
Il vint tout seul, par son oultraige,
Estrader par mont et par val;
Estrader par mont et par val ;
Pour bien pourbondir ung cheval
Pour bien pourbondir ung cheval
Il faisoit feu et voire flambe.
Il faisoit feu et voire flambe.
Mais je lui trenchay une jambe,
Mais je lui trenchay une jambe,
D'ung revers, jusques à la hanche;
D’ung revers, jusques à la hanche ;
Et fis ce coup-là ung dimenche,
Et fis ce coup-là ung dimenche,
Que dy-je? ung lundy matin.
Que dy-je ? ung lundy matin.
Il ne s'armoit que de satin,
Il ne s’armoit que de satin,
Tant craignoit à grever ses reins.
Tant craignoit à grever ses reins.
Voulentiers frappoit aux chanfrains
Voulentiers frappoit aux chanfrains
D'ung cheval, quand venoit en jouste,
D’ung cheval, quand venoit en jouste,
Ou droit à la queue, sans doubte.
Ou droit à la queue, sans doubte.
Point il ne frappoit son roussin,
Point il ne frappoit son roussin,
Pource qu'il avoit le farcin,
Pource qu’il avoit le farcin,
Que d'ung baston court et noailleux,
Que d’ung baston court et noailleux,
Dessus sa teste et ses cheveulx,
Dessus sa teste et ses cheveulx,
De paour de le faire clocher.
De paour de le faire clocher.
Aussi, de paour de tresbucher,
Aussi, de paour de tresbucher,
Il alloit son beau pas, ''tric, trac'',
Il alloit son beau pas, ''tric, trac'',
Et ung grant panon de bissac
Et ung grant panon de bissac
Voulentiers portoit sur sa teste.
Voulentiers portoit sur sa teste.
D'ung tel homme fault faire feste
D’ung tel homme fault faire feste
Autant que d'ung million d'or.
Autant que d’ung million d’or.
Gens d'armes! c'est ung grant tresor ;
Gens d’armes ! c’est ung grant tresor ;
S'il vault riens il ne fault pas dire.
S’il vault riens il ne fault pas dire.
J'ay fait raige avecques La Hire :
J’ay fait raige avecques La Hire :
Je l'ay servy trestout mon aage.
Je l’ay servy trestout mon aage.
Je fus gros vallet, et puis page,
Je fus gros vallet, et puis page,
Archier, et puis je pris la lance,
Archier, et puis je pris la lance,
Et la vous portoye sur la panse,
Et la vous portoye sur la panse,
Tousjours troussé comme une poche.
Tousjours troussé comme une poche.
Et puis, monseigneur de la Roche,
Et puis, monseigneur de la Roche,
Que Dieu pardoint, me print pour paige.
Que Dieu pardoint, me print pour paige.
J'estoye gent et beau de visaige,
J’estoye gent et beau de visaige,
Je chantoye et brouilloye des flustes,
Je chantoye et brouilloye des flustes,
Et si tiroye entre deux butes.
Et si tiroye entre deux butes.
A brief parler, j'estoye ainsi
A brief parler, j’estoye ainsi
Mignon comme cest enfant-cy;
Mignon comme cest enfant-cy ;
Je n'avoys pas gramment plus d'aage...
Je n’avoys pas gramment plus d’aage…
Or ça, ça, par où assauldray-je
Or ça, ça, par où assauldray-je
Ce cocq que j'ay ouy chanter?
Ce cocq que j’ay ouy chanter ?
A peu besongner bien vanter;
A peu besongner bien vanter ;
Il fault assaillir cest hostel.
Il fault assaillir cest hostel.


''Adonc apperçoit le Franc Archier un espoventail de''
''Adonc apperçoit le Franc Archier un espoventail de''
''chenevière, faict en façon d'ung gendarme,''
''chenevière, faict en façon d’ung gendarme, ''
''croix blanche devant et croix noire''
''croix blanche devant et croix noire''
''derrière, en sa main tenant''
''derrière, en sa main tenant''
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(A part.)
(A part.)
Ha! le Sacrement de l'autel!
Ha ! le Sacrement de l’autel !
Je suis affoibly! Qu'esse-cy?
Je suis affoibly ! Qu’esse-cy ?


(A l'espoventail.)
(A l’espoventail.)
Ha! Monseigneur, pour Dieu, mercy!
Ha ! Monseigneur, pour Dieu, mercy !
Hault le trait, qu'aye la vie franche!
Hault le trait, qu’aye la vie franche !
Je voy bien, à vostre croix blanche,
Je voy bien, à vostre croix blanche,
Que nous sommes tout d'ung party.
Que nous sommes tout d’ung party.


(A part.)
(A part.)
D'ond, tous les diables! est-il sorty,
D’ond, tous les diables ! est-il sorty,
Tout seul et ainsi effroyé?
Tout seul et ainsi effroyé ?


(A l'espoventail.)
(A l’espoventail.)
Comment! Estes-vous desvoyé?
Comment ! Estes-vous desvoyé ?
Mettez jus, je gage l'amende.
Mettez jus, je gage l’amende.
Et, pour Dieu, mon amy, desbende
Et, pour Dieu, mon amy, desbende
Au hault ou au loing ton baston!
Au hault ou au loing ton baston !


''Adonc il advise sa croix noire.''
''Adonc il advise sa croix noire.''


Par le sang bieu! c'est ung Breton,
Par le sang bieu ! c’est ung Breton,
Et je dy que je suis Françoys!...
Et je dy que je suis Françoys !
Il est fait de toy, ceste fois,
Il est fait de toy, ceste fois,
Perrenet; c'est ung parti contraire!
Perrenet ; c’est ung parti contraire !


(A l'espoventail.)
(A l’espoventail.)
Hen, Dieu! et où voulez-vous traire?
Hen, Dieu ! et où voulez-vous traire ?
Vous ne sçavez pas que vous faictes.
Vous ne sçavez pas que vous faictes.
Dea! je suis Breton, si vous l'estes.
Dea ! je suis Breton, si vous l’estes.
Vive sainct Denis ou sainct Yve!
Vive sainct Denis ou sainct Yve !
Ne m'en chault qui, mais que je vive!
Ne m’en chault qui, mais que je vive !
Par ma foi! Monseigneur mon maistre,
Par ma foi ! Monseigneur mon maistre,
Se vous voulez sçavoir mon estre,
Se vous voulez sçavoir mon estre,
Ma mère fut née d'Anjou,
Ma mère fut née d’Anjou,
Et mon père je ne sçay d'où,
Et mon père je ne sçay d’où,
Sinon que j'ouy reveler
Sinon que j’ouy reveler
Qu'il fut natif de Lantriquer.
Qu’il fut natif de Lantriquer.
Comment sçauray-je vostre nom?
Comment sçauray-je vostre nom ?
Monseigneur Rollant, ou Yvon,
Monseigneur Rollant, ou Yvon,
Mort seray quand il vous plaira!
Mort seray quand il vous plaira !


(A part.)
(A part.)
Et comment! il ne cessera
Et comment ! il ne cessera
Meshuy de me persecuter,
Meshuy de me persecuter,
Et si ne me veult escouter!
Et si ne me veult escouter !


(A l'espoventail.)
(A l’espoventail.)
En l'honneur de la Passion
En l’honneur de la Passion
De Dieu, que j'aye confession,
De Dieu, que j’aye confession,
Car je me sens jà fort malade!
Car je me sens jà fort malade !
Or, tenez, vela ma salade,
Or, tenez, vela ma salade,
Qui n'est froissée ne couppée;
Qui n’est froissée ne couppée ;
Je la vous rens, et mon espée,
Je la vous rens, et mon espée,
Et faictes prier Dieu pour moy.
Et faictes prier Dieu pour moy.
Je vous laisse, sur vostre foy,
Je vous laisse, sur vostre foy,
Ung vœu que je doibs à sainct Jacques.
Ung vœu que je doibs à sainct Jacques.
Pour le faire, prendrez mon jacques,
Pour le faire, prendrez mon jacques,
Et ma ceinture et mon cornet.
Et ma ceinture et mon cornet.


(A part.)
(A part.)
Tu meurs bien maulgré toy, Pernet,
Tu meurs bien maulgré toy, Pernet,
Voire maulgré toi et à force!
Voire maulgré toi et à force !


(Au public.)
(Au public.)
Puis qu'endurer fault et à force,
Puis qu’endurer fault et à force,
Priez pour l'ame, s'il vous plaist,
Priez pour l’ame, s’il vous plaist,
Du Franc Archier de Baignolet,
Du Franc Archier de Baignolet,
Et m'escripvez, à ung paraphe,
Et m’escripvez, à ung paraphe,
Sur moy ce petit epitaphe:
Sur moy ce petit epitaphe :


''Cy gist Pernet le Franc Archier,''
''Cy gist Pernet le Franc Archier, ''
''Qui cy mourut sans desmarcher,''
''Qui cy mourut sans desmarcher, ''
''Car de fuyr n'eut onc espace,''
''Car de fuyr n’eut onc espace, ''
''Lequel Dieu, par sa saincte grace,''
''Lequel Dieu, par sa saincte grace, ''
''Mette ès cieulx, avecques les ames''
''Mette ès cieulx, avecques les ames''
''Des francs archiers et des gens d'armes,''
''Des francs archiers et des gens d’armes, ''
''Arrière des arbalestriers.''
''Arrière des arbalestriers.''
''Je les hay tous : ce sont meurdriers!''
''Je les hay tous : ce sont meurdriers ! ''
''Je les congnois bien de pieça.''
''Je les congnois bien de pieça.''
''Et mourut l'an qu'il trespassa.''
''Et mourut l’an qu’il trespassa.''


Velà tout; les mots sont très beaux.
Velà tout ; les mots sont très beaux.
Or, vous me lairrez mes houseaulx,
Or, vous me lairrez mes houseaulx,
Car, se j'alloye en paradis
Car, se j’alloye en paradis
A cheval, comme fist jadis
A cheval, comme fist jadis
Sainct Martin, et aussi sainct George,
Sainct Martin, et aussi sainct George,
J'en seroye bien plus prest... Or je
J’en seroye bien plus prest… Or je
Vous laisse gantelet et dague:
Vous laisse gantelet et dague :
Car, au surplus, je n'ay plus bague
Car, au surplus, je n’ay plus bague
De quoy je me puisse deffendre.
De quoy je me puisse deffendre.


(A l'espoventail.)
(A l’espoventail.)
Attendez! me voulez-vous prendre
Attendez ! me voulez-vous prendre
En desaroy ? Je me confesse
En desaroy ? Je me confesse
A Dieu, tandis qu'il n'y a presse,
A Dieu, tandis qu’il n’y a presse,
A la Vierge et à tous sainctz.
A la Vierge et à tous sainctz.


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Or meurs-je les membres tous sains
Or meurs-je les membres tous sains
Et tout en bon point, ce me semble.
Et tout en bon point, ce me semble.
Je n'ay mal, sinon que je tremble
Je n’ay mal, sinon que je tremble
De paour et de malle froidure,
De paour et de malle froidure,
Et de mes cinq sens de nature...
Et de mes cinq sens de nature…
Cinq cens! Où prins, qui ne les emble ?
Cinq cens ! Où prins, qui ne les emble ?
Je n'en veiz onc cinq cens ensemble,
Je n’en veiz onc cinq cens ensemble,
Par ma foy! n'en or, n'en monnoye.
Par ma foy ! n’en or, n’en monnoye.
Pour néant m'en confesseroye:
Pour néant m’en confesseroye :
Oncques ensemble n'en veiz deux.
Oncques ensemble n’en veiz deux.
Et de mes sept pechez morteux
Et de mes sept pechez morteux
Il fault bien que m'en supportez:
Il fault bien que m’en supportez :
Sur moy je les ay trop portez;
Sur moy je les ay trop portez ;
Je les metz jus, avec mon jacques.
Je les metz jus, avec mon jacques.
J'eusse attendu jusques à Pasques,
J’eusse attendu jusques à Pasques,
Mais vecy ung advancement.
Mais vecy ung advancement.
Et du premier commendement
Et du premier commendement
De la Loy, qui dit qu'on doibt croire
De la Loy, qui dit qu’on doibt croire
(Non pas l'estoc quand on va boire,
(Non pas l’estoc quand on va boire,
Cela s'entend) en ung seul Dieu,
Cela s’entend) en ung seul Dieu,
Jamais ne me trouvay en lieu
Jamais ne me trouvay en lieu
j'y creusse mieulx qu'à ceste heure,
j’y creusse mieulx qu’à ceste heure,
Mais qu'à ce besoing me sequeure.
Mais qu’à ce besoing me sequeure.


(A l'espoventail.)
(A l’espoventail.)
Ne desbendez? Je ne me fuys!
Ne desbendez ? Je ne me fuys !


(A part.)
(A part.)
Hélas! je suis mort où je suis.
Hélas ! je suis mort où je suis.
Je suis aussi simple, aussi coy
Je suis aussi simple, aussi coy
Comme une pucelle; car, quoy
Comme une pucelle ; car, quoy
Dit le second commendement?
Dit le second commendement ?
Qu'on ne jure Dieu vainement.
Qu’on ne jure Dieu vainement.
Non ay-je en vain, mais très ferme,
Non ay-je en vain, mais très ferme,
Ainsi que fait ung bon genderme,
Ainsi que fait ung bon genderme,
Car il n'est rien craint, s'il ne jure.
Car il n’est rien craint, s’il ne jure.
Le tiers nous enjoingt et procure,
Le tiers nous enjoingt et procure,
Et advertist et admoneste,
Et advertist et admoneste,
Que l'en doit bien garder la feste,
Que l’en doit bien garder la feste,
Autant en hyver qu en esté:
Autant en hyver qu en esté :
J'ay tousjours voulentiers festé,
J’ay tousjours voulentiers festé,
De ce ne mentiray-je point;
De ce ne mentiray-je point ;
Et le quatriesme nous enjoint
Et le quatriesme nous enjoint
Qu'on doit honnorer père et mère:
Qu’on doit honnorer père et mère :
J'ay tousjours honoré mon père,
J’ay tousjours honoré mon père,
En moy congnoissant gentilhomme
En moy congnoissant gentilhomme
De son costé, combien qu'en somme
De son costé, combien qu’en somme
Sois villain et de villenaille.
Sois villain et de villenaille.


(A l'espoventail.)
(A l’espoventail.)
Et, pour Dieu, mon amy, que j'aille
Et, pour Dieu, mon amy, que j’aille
Jusques amen; miséricorde!
Jusques amen ; miséricorde !
Relevez ung peu vostre corde;
Relevez ung peu vostre corde ;
Ferez que le traict ne me blesse.
Ferez que le traict ne me blesse.


(A part.)
(A part.)
Item, morbieu! je me confesse
Item, morbieu ! je me confesse
Du cinquiesme, sequentement:
Du cinquiesme, sequentement :
Deffend-il pas expressément
Deffend-il pas expressément
Que nul si ne soit point meurtrier?
Que nul si ne soit point meurtrier ?


(A l'espoventail.)
(A l’espoventail.)
Las! Monseigneur l'arbalestrier,
Las ! Monseigneur l’arbalestrier,
Gardez bien ce commendement;
Gardez bien ce commendement ;
Quant est à moy, par mon serment,
Quant est à moy, par mon serment,
Meurdre ne fis onc qu'en poulaille.
Meurdre ne fis onc qu’en poulaille.


(A part.)
(A part.)
L'aultre commendement nous baille
L’aultre commendement nous baille
Qu'on n'emble rien; ce ne fis oncque,
Qu’on n’emble rien ; ce ne fis oncque,
Car en lieu n'en place quelconque
Car en lieu n’en place quelconque
Je n'euz loysir de rien embler.
Je n’euz loysir de rien embler.
J'ay assez à qui ressembler
J’ay assez à qui ressembler
En ce point; je n'ay point meffait,
En ce point ; je n’ay point meffait,
Car, se l'en m'eust pris sur le fait,
Car, se l’en m’eust pris sur le fait,
Dieu scet comme il me fust mescheu!
Dieu scet comme il me fust mescheu !


''Cy lusse tomber à terre l'espoventail, celluy qui le tient.''
''Cy lusse tomber à terre l’espoventail, celluy qui le tient.''


(A l'espoventail.)
(A l’espoventail.)
Las! monseigneur! vous estes cheu!...
Las ! monseigneur ! vous estes cheu !
Jésus! et qui vous a bouté,
Jésus ! et qui vous a bouté,
Dictes? Ce n'ay-je pas esté,
Dictes ? Ce n’ay-je pas esté,
Vrayement, ou diable ne m'emporte,
Vrayement, ou diable ne m’emporte,
Au cas, dictes? Je m'en rapporte
Au cas, dictes ? Je m’en rapporte
A tous ceulx qui sont cy, beau sire,
A tous ceulx qui sont cy, beau sire,
Affin que ne vueillez pas dire
Affin que ne vueillez pas dire
Que c'est demain ou pour demain.
Que c’est demain ou pour demain.
Au fort, baillez-moy vostre main,
Au fort, baillez-moy vostre main,
Je vous ayderay à lever.
Je vous ayderay à lever.
Mais ne me vueillez pas grever:
Mais ne me vueillez pas grever :
J'ai pitié de vostre fortune.
J’ai pitié de vostre fortune.


''Cy apperçoyt le Franc Archier, de l'espoventail, que ce n'est pas ung homme.''
''Cy apperçoyt le Franc Archier, de l’espoventail, que ce n’est pas ung homme.''


Par le corps bieu! j'en ay pour une!
Par le corps bieu ! j’en ay pour une !
Il n'a pié ne main; il ne hobe;
Il n’a pié ne main ; il ne hobe ;
Par le corps bieu! c'est une robe
Par le corps bieu ! c’est une robe
Plaine, de quoy? charbieu! de paille!
Plaine, de quoy ? charbieu ! de paille !
Qu'esse-cy? morbieu! on se raille,
Qu’esse-cy ? morbieu ! on se raille,
Ce cuiday-je, des gens de guerre...
Ce cuiday-je, des gens de guerre…
Que la fièvre quartaine serre
Que la fièvre quartaine serre
Celluy qui vous a mis icy!
Celluy qui vous a mis icy !
Je le feray le plus marry,
Je le feray le plus marry,
Par la vertu bieu! qu'il fut oncques.
Par la vertu bieu ! qu’il fut oncques.
Se mocque on de moy quelconques?
Se mocque on de moy quelconques ?
Et ce n'est, j'advoue sainct Pierre!
Et ce n’est, j’advoue sainct Pierre !
Qu'espoventail de chenevière,
Qu’espoventail de chenevière,
Que le vent a cy abatu!...
Que le vent a cy abatu !
La mort bieu! vous serez batu,
La mort bieu ! vous serez batu,
Tout au travers, de ceste espée...
Tout au travers, de ceste espée…
Quand la robbe seroit couppée,
Quand la robbe seroit couppée,
Ce seroit ung très grand dommaige.
Ce seroit ung très grand dommaige.
Je vous emporteray pour gaige,
Je vous emporteray pour gaige,
Toutesfoys, après tout hutin.
Toutesfoys, après tout hutin.
Au fort, ce sera mon butin,
Au fort, ce sera mon butin,
Que je rapporte de la guerre.
Que je rapporte de la guerre.
On s'est bien raillé de toi, Pierre,
On s’est bien raillé de toi, Pierre,
La charbieu saincte et beniste!
La charbieu saincte et beniste !
Vous eussiez eu l'assault bien viste,
Vous eussiez eu l’assault bien viste,
Se j'eusse sceu vostre prouesse:
Se j’eusse sceu vostre prouesse :
Vous eussiez tost eu la renverse,
Vous eussiez tost eu la renverse,
Voir, quelque paour que j'en eusse.
Voir, quelque paour que j’en eusse.
Or pleust à Jésus que je fusse,
Or pleust à Jésus que je fusse,
A tout cecy, en ma maison!
A tout cecy, en ma maison !
Qu'il poise! Mengié a foison
Qu’il poise ! Mengié a foison
De paille: elle chiet par derrière.
De paille : elle chiet par derrière.
C'est paine pour la chamberière,
C’est paine pour la chamberière,
De la porter hors de ce lieu.
De la porter hors de ce lieu.


Ligne 442 : Ligne 440 :
Seigneurs, je vous commande à Dieu ;
Seigneurs, je vous commande à Dieu ;
Et se l’on vous vient demander
Et se l’on vous vient demander
Qu'est devenu le Franc Archier,
Qu’est devenu le Franc Archier,
Dictes qu'il n'est pas mort encor,
Dictes qu’il n’est pas mort encor,
Et qu'il emporte dague et cor,
Et qu’il emporte dague et cor,
Et reviendra par cy de brief.
Et reviendra par cy de brief.
Adieu; je m'en vois au relief.
Adieu ; je m’en vois au relief.
</poem>
</poem>


{{c|FIN DU MONOLOGUE <br />DU FRANC ARCHIER DE BAIGNOLLET.}}

<div style="text-align:center;">FIN DU MONOLOGUE <br />DU FRANC ARCHIER DE BAIGNOLLET.</div>


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Version du 2 septembre 2011 à 22:47


Anonyme
Monologue du Franc Archier de Baignollet
XVe siècle


S’ENSUIT LE MONOLOGUE DU
FRANC ARCHIER DE BAIGNOLLET
AVEC SON ÉPITAPHE


C’est à meshuy ! J’ay beau corner !
Or ça, il s’en fault retourner,
Maulgré ses dentz, en sa maison
Si ne vis-je pieça saison
Où j’eusse si hardy couraige
Que j’ay ! Par la morbieu ! j’enraige
Que je n’ay à qui me combatre…
Y a-il homme qui à quatre,
Dy-je, y a-il quatre qui vueillent
Combatre à moy ? Se tost recueillent
Mon gantelet ; vela pour gaige !
Par le sang bieu ! je ne crains paige,
S’il n’a point plus de quatorze ans.
J’ay autresfoys tenu les rencz,
Dieu Mercy ! et gaigné le prix
Contre cinq Angloys que je pris,
Povres prisonniers desnuez,
Si tost que je les euz ruez.
Ce fust au siège d’Alençon.
Les troys se misrent à rançon,
Et le quatriesme s’enfuyt.
Incontinent que l’autre ouyt
Ce bruit, il me print à la gorge.
Se je n’eusse crié : Sainct George !
Combien que je suys bon Françoys,
Sang bieu ! il m’eust tué ançoys
Que personne m’eust secouru.
Et quand je me senty feru
D’une bouteille, qu’il cassa
Sur ma teste : « Venez ça, ça !
Dis-je lors. Que chascun s’appaise !
Je ne quiers point faire de noise,
Ventre bieu ! et buvons ensemble.
Posé soit ores que je tremble,
Sang bieu ! je ne vous crains pas maille. »

Cy dit ung quidem, par derrière les gens :
 : Coquericoq.

Qu’esse cy ? J’ay oüy poullaille
Chanter chez quelque bonne vieille ;
Il convient que je la resveille.
Poullaille font icy leurs nidz !
C’est du demourant d’Ancenys,
Par ma foy ! ou du Champ-Toursé…
Helas ! que je me vis coursé
De la mort d’ung de mes nepveux !
J’euz d’ung canon par les cheveux,
Qui me vint cheoir tout droit en barbe ;
Mais je m’escriay : « Saincte Barbe !
Vueille-moy ayder à ce coup,
Et je t’ayderay l’autre coup ! »
Adonc le canon m’esbranla,
Et vint ceste fortune-là
Quand nous eusmes le fort conquis.
Le Baronnet et le Marquis,
Craon, Cures, l’Aigle et Bressoire,
Accoururent pour veoir l’histoire ;
La Rochefouquault, l’Amiral,
Aussi Beuil et son attirail,
Pontièvre, tous les capitaines,
Y deschaussèrent leurs mitaines
De fer, de paour de m’affoler,
Et si me vindrent acoler
A terre, où j’estoye meshaigné,
De paour de dire : « Il n’a daigné ! »
Combien que je fusse malade,
Je mis la main à la salade,
Car el m’estouffoit le visaige.
« Ha ! dist le Marquis, ton oultraige
Te fera une foys mourir ! »
Car il m’avoit bien veu courir,
Oultre l’ost, devant le chasteau.
Hélas ! j’y perdy mon manteau,
Car je cuidoye d’une poterne
Que ce fust l’huys d’une taverne.
Et moy tantost de pietonner,
Car, quand on oyt clarons sonner,
Il n’est courage qui ne croisse.
Tout aussitost : « Où esse ? Où esse ? »
Et, à brief parler, je m’y fourre,
Ne plus ne moins qu’en une bourre.
Si ce n’eust esté la brairie
Du costé devers la prairie,
De nos gens, qui crioient trestous,
Disant : « Pierre, que faictes-vous ?
N’assaillez pas la basse court
Tout seul ! » je l’eusse prins tout court,
Certes ; mais c’eust esté outraige.
Et se ce n’eust esté ung paige
Qui nous vint trencher le chemin,
Mon frère d’armes Güillemin
Et moy, Dieu lui pardoint, pourtant !
Car, quoy ? il nous en pend autant
A l’œil, eussions, sans nulle faille,
Frappé au travers la bataille
Des Bretons ; mais nous apaisames
Nos couraiges et recullames…
Que dy-je ? non pas reculer,
Chose dont on ne doibt parler…
Ung rien, jusque au Lyon d’Angiers.
Je ne craignoye que les dangiers,
Moy ; je n avoye paour d’aultre chose.
Et quand la bataille fut close,
D’artillerie grosse et gresle
Vous eussez ouy, pesle-mesle :
Tip, tap, sip, sap, à la barrière,
Aux esles, devant et derrière.
J’en eus d’ung parmy la cuirace.
Les dames qu’estoient en la place
Si ne craignoyent que le couillart.
Certes, j’estoye ung bon paillart ;
J’en avoye ung si portatif,
Se je n’eusse esté si hastif
De mettre le feu en la pouldre,
J’eusse destruit et mis en fouldre
Tout quanqu’avoit de damoiselles.
Il porte deux pierres jumelles,
Mon couillart : jamais n’en a meins.
Et dames de joindre les mains,
Quand ilz virent donner l’assault.
Les ungs se servoyent du courtault
Si dru, si net, si sec que terre.
Et puis, quoy ? parmy ce tonnerre,
Eussez ouy sonner trompilles,
Pour faire dancer jeunes filles
Au son du courtault, haultement.
Quand j’y pense, par mon serment !
C’est vaine guerre qu’avec femmes ;
J’avoye toujours pitié des dames.
Veu qu’ung courtault tresperce ung mur,
Ilz auroyent le ventre bien dur,
S’il ne passoit oultre… Pensez
Qu’on leur eust faict du mal assez,
Se l’en n’eust eu noble couraige ;
Mesmes ces pehons de villaige,
J’entens pehons de plat pays,
Ne se fussent point esbahis
De leur mal faire ; mais nous sommes
Tousjours, entre nous gentilz hommes,
Au guet dessus la villenaille.
J’estoye par deçà la bataille,
Tousjours la lance ou la bouteille
Sur la cuisse : c’estoit merveille,
Merveille de me regarder.
Il vint ung Breton estrader,
Qui faisoit rage d’une lance ;
Mais il avoit, de jeune enfance,
Les reins rompus ; c’estoit dommaige.
Il vint tout seul, par son oultraige,
Estrader par mont et par val ;
Pour bien pourbondir ung cheval
Il faisoit feu et voire flambe.
Mais je lui trenchay une jambe,
D’ung revers, jusques à la hanche ;
Et fis ce coup-là ung dimenche,
Que dy-je ? ung lundy matin.
Il ne s’armoit que de satin,
Tant craignoit à grever ses reins.
Voulentiers frappoit aux chanfrains
D’ung cheval, quand venoit en jouste,
Ou droit à la queue, sans doubte.
Point il ne frappoit son roussin,
Pource qu’il avoit le farcin,
Que d’ung baston court et noailleux,
Dessus sa teste et ses cheveulx,
De paour de le faire clocher.
Aussi, de paour de tresbucher,
Il alloit son beau pas, tric, trac,
Et ung grant panon de bissac
Voulentiers portoit sur sa teste.
D’ung tel homme fault faire feste
Autant que d’ung million d’or.
Gens d’armes ! c’est ung grant tresor ;
S’il vault riens il ne fault pas dire.
J’ay fait raige avecques La Hire :
Je l’ay servy trestout mon aage.
Je fus gros vallet, et puis page,
Archier, et puis je pris la lance,
Et la vous portoye sur la panse,
Tousjours troussé comme une poche.
Et puis, monseigneur de la Roche,
Que Dieu pardoint, me print pour paige.
J’estoye gent et beau de visaige,
Je chantoye et brouilloye des flustes,
Et si tiroye entre deux butes.
A brief parler, j’estoye ainsi
Mignon comme cest enfant-cy ;
Je n’avoys pas gramment plus d’aage…
Or ça, ça, par où assauldray-je
Ce cocq que j’ay ouy chanter ?
A peu besongner bien vanter ;
Il fault assaillir cest hostel.

Adonc apperçoit le Franc Archier un espoventail de
chenevière, faict en façon d’ung gendarme,
croix blanche devant et croix noire
derrière, en sa main tenant
une arbaleste.

(A part.)
Ha ! le Sacrement de l’autel !
Je suis affoibly ! Qu’esse-cy ?

(A l’espoventail.)
Ha ! Monseigneur, pour Dieu, mercy !
Hault le trait, qu’aye la vie franche !
Je voy bien, à vostre croix blanche,
Que nous sommes tout d’ung party.

(A part.)
D’ond, tous les diables ! est-il sorty,
Tout seul et ainsi effroyé ?

(A l’espoventail.)
Comment ! Estes-vous desvoyé ?
Mettez jus, je gage l’amende.
Et, pour Dieu, mon amy, desbende
Au hault ou au loing ton baston !

Adonc il advise sa croix noire.

Par le sang bieu ! c’est ung Breton,
Et je dy que je suis Françoys !…
Il est fait de toy, ceste fois,
Perrenet ; c’est ung parti contraire !

(A l’espoventail.)
Hen, Dieu ! et où voulez-vous traire ?
Vous ne sçavez pas que vous faictes.
Dea ! je suis Breton, si vous l’estes.
Vive sainct Denis ou sainct Yve !
Ne m’en chault qui, mais que je vive !
Par ma foi ! Monseigneur mon maistre,
Se vous voulez sçavoir mon estre,
Ma mère fut née d’Anjou,
Et mon père je ne sçay d’où,
Sinon que j’ouy reveler
Qu’il fut natif de Lantriquer.
Comment sçauray-je vostre nom ?
Monseigneur Rollant, ou Yvon,
Mort seray quand il vous plaira !

(A part.)
Et comment ! il ne cessera
Meshuy de me persecuter,
Et si ne me veult escouter !

(A l’espoventail.)
En l’honneur de la Passion
De Dieu, que j’aye confession,
Car je me sens jà fort malade !
Or, tenez, vela ma salade,
Qui n’est froissée ne couppée ;
Je la vous rens, et mon espée,
Et faictes prier Dieu pour moy.
Je vous laisse, sur vostre foy,
Ung vœu que je doibs à sainct Jacques.
Pour le faire, prendrez mon jacques,
Et ma ceinture et mon cornet.

(A part.)
Tu meurs bien maulgré toy, Pernet,
Voire maulgré toi et à force !

(Au public.)
Puis qu’endurer fault et à force,
Priez pour l’ame, s’il vous plaist,
Du Franc Archier de Baignolet,
Et m’escripvez, à ung paraphe,
Sur moy ce petit epitaphe :

Cy gist Pernet le Franc Archier,
Qui cy mourut sans desmarcher,
Car de fuyr n’eut onc espace,
Lequel Dieu, par sa saincte grace,
Mette ès cieulx, avecques les ames
Des francs archiers et des gens d’armes,
Arrière des arbalestriers.
Je les hay tous : ce sont meurdriers !
Je les congnois bien de pieça.
Et mourut l’an qu’il trespassa.

Velà tout ; les mots sont très beaux.
Or, vous me lairrez mes houseaulx,
Car, se j’alloye en paradis
A cheval, comme fist jadis
Sainct Martin, et aussi sainct George,
J’en seroye bien plus prest… Or je
Vous laisse gantelet et dague :
Car, au surplus, je n’ay plus bague
De quoy je me puisse deffendre.

(A l’espoventail.)
Attendez ! me voulez-vous prendre
En desaroy ? Je me confesse
A Dieu, tandis qu’il n’y a presse,
A la Vierge et à tous sainctz.

(A part.)
Or meurs-je les membres tous sains
Et tout en bon point, ce me semble.
Je n’ay mal, sinon que je tremble
De paour et de malle froidure,
Et de mes cinq sens de nature…
Cinq cens ! Où prins, qui ne les emble ?
Je n’en veiz onc cinq cens ensemble,
Par ma foy ! n’en or, n’en monnoye.
Pour néant m’en confesseroye :
Oncques ensemble n’en veiz deux.
Et de mes sept pechez morteux
Il fault bien que m’en supportez :
Sur moy je les ay trop portez ;
Je les metz jus, avec mon jacques.
J’eusse attendu jusques à Pasques,
Mais vecy ung advancement.
Et du premier commendement
De la Loy, qui dit qu’on doibt croire
(Non pas l’estoc quand on va boire,
Cela s’entend) en ung seul Dieu,
Jamais ne me trouvay en lieu
Où j’y creusse mieulx qu’à ceste heure,
Mais qu’à ce besoing me sequeure.

(A l’espoventail.)
Ne desbendez ? Je ne me fuys !

(A part.)
Hélas ! je suis mort où je suis.
Je suis aussi simple, aussi coy
Comme une pucelle ; car, quoy
Dit le second commendement ?
Qu’on ne jure Dieu vainement.
Non ay-je en vain, mais très ferme,
Ainsi que fait ung bon genderme,
Car il n’est rien craint, s’il ne jure.
Le tiers nous enjoingt et procure,
Et advertist et admoneste,
Que l’en doit bien garder la feste,
Autant en hyver qu en esté :
J’ay tousjours voulentiers festé,
De ce ne mentiray-je point ;
Et le quatriesme nous enjoint
Qu’on doit honnorer père et mère :
J’ay tousjours honoré mon père,
En moy congnoissant gentilhomme
De son costé, combien qu’en somme
Sois villain et de villenaille.

(A l’espoventail.)
Et, pour Dieu, mon amy, que j’aille
Jusques amen ; miséricorde !
Relevez ung peu vostre corde ;
Ferez que le traict ne me blesse.

(A part.)
Item, morbieu ! je me confesse
Du cinquiesme, sequentement :
Deffend-il pas expressément
Que nul si ne soit point meurtrier ?

(A l’espoventail.)
Las ! Monseigneur l’arbalestrier,
Gardez bien ce commendement ;
Quant est à moy, par mon serment,
Meurdre ne fis onc qu’en poulaille.

(A part.)
L’aultre commendement nous baille
Qu’on n’emble rien ; ce ne fis oncque,
Car en lieu n’en place quelconque
Je n’euz loysir de rien embler.
J’ay assez à qui ressembler
En ce point ; je n’ay point meffait,
Car, se l’en m’eust pris sur le fait,
Dieu scet comme il me fust mescheu !

Cy lusse tomber à terre l’espoventail, celluy qui le tient.

(A l’espoventail.)
Las ! monseigneur ! vous estes cheu !…
Jésus ! et qui vous a bouté,
Dictes ? Ce n’ay-je pas esté,
Vrayement, ou diable ne m’emporte,
Au cas, dictes ? Je m’en rapporte
A tous ceulx qui sont cy, beau sire,
Affin que ne vueillez pas dire
Que c’est demain ou pour demain.
Au fort, baillez-moy vostre main,
Je vous ayderay à lever.
Mais ne me vueillez pas grever :
J’ai pitié de vostre fortune.

Cy apperçoyt le Franc Archier, de l’espoventail, que ce n’est pas ung homme.

Par le corps bieu ! j’en ay pour une !
Il n’a pié ne main ; il ne hobe ;
Par le corps bieu ! c’est une robe
Plaine, de quoy ? charbieu ! de paille !
Qu’esse-cy ? morbieu ! on se raille,
Ce cuiday-je, des gens de guerre…
Que la fièvre quartaine serre
Celluy qui vous a mis icy !
Je le feray le plus marry,
Par la vertu bieu ! qu’il fut oncques.
Se mocque on de moy quelconques ?
Et ce n’est, j’advoue sainct Pierre !
Qu’espoventail de chenevière,
Que le vent a cy abatu !…
La mort bieu ! vous serez batu,
Tout au travers, de ceste espée…
Quand la robbe seroit couppée,
Ce seroit ung très grand dommaige.
Je vous emporteray pour gaige,
Toutesfoys, après tout hutin.
Au fort, ce sera mon butin,
Que je rapporte de la guerre.
On s’est bien raillé de toi, Pierre,
La charbieu saincte et beniste !
Vous eussiez eu l’assault bien viste,
Se j’eusse sceu vostre prouesse :
Vous eussiez tost eu la renverse,
Voir, quelque paour que j’en eusse.
Or pleust à Jésus que je fusse,
A tout cecy, en ma maison !
Qu’il poise ! Mengié a foison
De paille : elle chiet par derrière.
C’est paine pour la chamberière,
De la porter hors de ce lieu.

(Au public.)
Seigneurs, je vous commande à Dieu ;
Et se l’on vous vient demander
Qu’est devenu le Franc Archier,
Dictes qu’il n’est pas mort encor,
Et qu’il emporte dague et cor,
Et reviendra par cy de brief.
Adieu ; je m’en vois au relief.

FIN DU MONOLOGUE
DU FRANC ARCHIER DE BAIGNOLLET.