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vage est une cause nationale! Il n’en faut pas davantage pour embarrasser la grande multitude des esprits qui se nourrissent de mots sans idées.
vage est une cause nationale ! Il n’en faut pas davantage pour embarrasser la grande multitude des esprits qui se nourrissent de mots sans idées.


Admettons, je le veux bien, qu’une nationalité soit une chose inviolable lorsqu’elle a ses racines lointaines dans l’histoire; au moins lui faut-il le temps de se former : elle ne s’improvise pas en quatre ans. On dit, non sans raison, que celle des États-Unis se forme encore, et Davis, qui prétend en avoir fait une, en sent déjà le faisceau se briser dans ses mains. La ''reconstruction'' est loin d’être aussi difficile qu’on se l’est figuré. Il y a sans doute entre les deux sociétés des différences profondes d’intérêts et de coutumes : il y en a moins, à tout prendre, qu’entre le Gascon et le Flamand, l’Alsacien et le Breton, ou les peuples de la Haute et de la Basse-Italie. Ce sont des intérêts matériels et des passions sociales qui les ont désunies: l’esclavage, en un mot, était le seul obstacle à l’Union. Cet obstacle une fois levé, le même intérêt qui les a désunies les rapproche; leur antagonisme doit finir avec la matière même de leur dispute. Pour le peuple américain provoqué, la guerre était le seul parti possible, le seul qui convînt à sa dignité et lui donnât le droit de se dire une nation; mais c’est une question de savoir si, même sans la guerre, l’unité nationale n’aurait pas triomphé. La politique des amis du sud, qui conseillaient hypocritement la tolérance du fait accompli, aurait bien pu à la fin tourner contre eux. C’est ce que prédisait M. Pendleton le jour où il adjurait l’assemblée de dire tendrement adieu aux états rebelles et d’attendre que, comme l’enfant prodigue, ils revinssent au bercail. Sa prophétie était moins fausse qu’il ne le croyait lui-même, car si une confédération maîtresse de l’ouest, maîtresse du Maryland, de Washington, du Kentucky, resserrant les anciens États-Unis entre le Mississipi, les grands lacs et la ''ligne de Mason et Dixon'', eût bientôt absorbé les états du nord, une rébellion bloquée entre l’Océan, le Mississipi et la ligne indécise du Potomac eût bientôt dépéri. Supposez une paix durable, les relations rétablies, le mélange inévitable de ces populations de même race, et leur parenté naturelle aurait promptement repris ses droits.
Admettons, je le veux bien, qu’une nationalité soit une chose inviolable lorsqu’elle a ses racines lointaines dans l’histoire ; au moins lui faut-il le temps de se former : elle ne s’improvise pas en quatre ans. On dit, non sans raison, que celle des États-Unis se forme encore, et Davis, qui prétend en avoir fait une, en sent déjà le faisceau se briser dans ses mains. La ''reconstruction'' est loin d’être aussi difficile qu’on se l’est figuré. Il y a sans doute entre les deux sociétés des différences profondes d’intérêts et de coutumes : il y en a moins, à tout prendre, qu’entre le Gascon et le Flamand, l’Alsacien et le Breton, ou les peuples de la Haute et de la Basse-Italie. Ce sont des intérêts matériels et des passions sociales qui les ont désunies : l’esclavage, en un mot, était le seul obstacle à l’Union. Cet obstacle une fois levé, le même intérêt qui les a désunies les rapproche ; leur antagonisme doit finir avec la matière même de leur dispute. Pour le peuple américain provoqué, la guerre était le seul parti possible, le seul qui convînt à sa dignité et lui donnât le droit de se dire une nation ; mais c’est une question de savoir si, même sans la guerre, l’unité nationale n’aurait pas triomphé. La politique des amis du sud, qui conseillaient hypocritement la tolérance du fait accompli, aurait bien pu à la fin tourner contre eux. C’est ce que prédisait M. Pendleton le jour où il adjurait l’assemblée de dire tendrement adieu aux états rebelles et d’attendre que, comme l’enfant prodigue, ils revinssent au bercail. Sa prophétie était moins fausse qu’il ne le croyait lui-même, car si une confédération maîtresse de l’ouest, maîtresse du Maryland, de Washington, du Kentucky, resserrant les anciens États-Unis entre le Mississipi, les grands lacs et la ''ligne de Mason et Dixon'', eût bientôt absorbé les états du nord, une rébellion bloquée entre l’Océan, le Mississipi et la ligne indécise du Potomac eût bientôt dépéri. Supposez une paix durable, les relations rétablies, le mélange inévitable de ces populations de même race, et leur parenté naturelle aurait promptement repris ses droits.


Les violences même de cette guerre n’ont pu creuser entre les combattans l’abîme d’une haine nationale; au contraire elles en détruisent la cause matérielle, sans inspirer, quoi qu’on en dise, aux révoltés cette force morale incalculable qui relève les peuples terrassés. Il se découvre parmi les rebelles beaucoup d’unionistes cachés, pour qui la conquête est une délivrance. Combien de prisonniers se sont échappes du sud par la secrète assistance de ces amis inconnus! Le général Sherman a trouvé dans Savannah nombre d’officiers fédéraux hébergés et recelés par les familles. Les
Les violences même de cette guerre n’ont pu creuser entre les combattans l’abîme d’une haine nationale ; au contraire elles en détruisent la cause matérielle, sans inspirer, quoi qu’on en dise, aux révoltés cette force morale incalculable qui relève les peuples terrassés. Il se découvre parmi les rebelles beaucoup d’unionistes cachés, pour qui la conquête est une délivrance. Combien de prisonniers se sont échappes du sud par la secrète assistance de ces amis inconnus ! Le général Sherman a trouvé dans Savannah nombre d’officiers fédéraux hébergés et recelés par les familles. Les

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vage est une cause nationale ! Il n’en faut pas davantage pour embarrasser la grande multitude des esprits qui se nourrissent de mots sans idées.

Admettons, je le veux bien, qu’une nationalité soit une chose inviolable lorsqu’elle a ses racines lointaines dans l’histoire ; au moins lui faut-il le temps de se former : elle ne s’improvise pas en quatre ans. On dit, non sans raison, que celle des États-Unis se forme encore, et Davis, qui prétend en avoir fait une, en sent déjà le faisceau se briser dans ses mains. La reconstruction est loin d’être aussi difficile qu’on se l’est figuré. Il y a sans doute entre les deux sociétés des différences profondes d’intérêts et de coutumes : il y en a moins, à tout prendre, qu’entre le Gascon et le Flamand, l’Alsacien et le Breton, ou les peuples de la Haute et de la Basse-Italie. Ce sont des intérêts matériels et des passions sociales qui les ont désunies : l’esclavage, en un mot, était le seul obstacle à l’Union. Cet obstacle une fois levé, le même intérêt qui les a désunies les rapproche ; leur antagonisme doit finir avec la matière même de leur dispute. Pour le peuple américain provoqué, la guerre était le seul parti possible, le seul qui convînt à sa dignité et lui donnât le droit de se dire une nation ; mais c’est une question de savoir si, même sans la guerre, l’unité nationale n’aurait pas triomphé. La politique des amis du sud, qui conseillaient hypocritement la tolérance du fait accompli, aurait bien pu à la fin tourner contre eux. C’est ce que prédisait M. Pendleton le jour où il adjurait l’assemblée de dire tendrement adieu aux états rebelles et d’attendre que, comme l’enfant prodigue, ils revinssent au bercail. Sa prophétie était moins fausse qu’il ne le croyait lui-même, car si une confédération maîtresse de l’ouest, maîtresse du Maryland, de Washington, du Kentucky, resserrant les anciens États-Unis entre le Mississipi, les grands lacs et la ligne de Mason et Dixon, eût bientôt absorbé les états du nord, une rébellion bloquée entre l’Océan, le Mississipi et la ligne indécise du Potomac eût bientôt dépéri. Supposez une paix durable, les relations rétablies, le mélange inévitable de ces populations de même race, et leur parenté naturelle aurait promptement repris ses droits.

Les violences même de cette guerre n’ont pu creuser entre les combattans l’abîme d’une haine nationale ; au contraire elles en détruisent la cause matérielle, sans inspirer, quoi qu’on en dise, aux révoltés cette force morale incalculable qui relève les peuples terrassés. Il se découvre parmi les rebelles beaucoup d’unionistes cachés, pour qui la conquête est une délivrance. Combien de prisonniers se sont échappes du sud par la secrète assistance de ces amis inconnus ! Le général Sherman a trouvé dans Savannah nombre d’officiers fédéraux hébergés et recelés par les familles. Les