« Julie ou la Nouvelle Héloïse » : différence entre les versions

La bibliothèque libre.
Contenu supprimé Contenu ajouté
match
match
Ligne 1 : Ligne 1 :
<pages index="Œuvres complètes de Jean-Jacques Rousseau - II.djvu" from= to= fromsection= tosection= header=1 titre="Julie ou la Nouvelle Héloïse" />
{{index|Œuvres complètes de Jean-Jacques Rousseau - II.djvu}}<div class="text">
{{titre|Julie ou La Nouvelle Héloïse|[[Auteur:Jean-Jacques Rousseau|Jean-Jacques Rousseau]]|1761 - <small>[[Livre:Œuvres complètes de Jean-Jacques Rousseau - II.djvu|Livre]]</small>}}


''Lettres de deux amants habitants d’une petite ville au pied des Alpes ; [texte établi par René Pomeau]''
''Lettres de deux amants habitants d’une petite ville au pied des Alpes ; [texte établi par René Pomeau]''


==__MATCH__:[[Page:Œuvres complètes de Jean-Jacques Rousseau - II.djvu/3]]==
Préface

Préface


Il faut des spectacles dans les grandes villes, et des romans aux peuples corrompus. J’ai vu les mœurs de mon temps, et j’ai publié ces lettres. Que n’ai-je vécu dans un siècle où je dusse les jeter au feu !
Il faut des spectacles dans les grandes villes, et des romans aux peuples corrompus. J’ai vu les mœurs de mon temps, et j’ai publié ces lettres. Que n’ai-je vécu dans un siècle où je dusse les jeter au feu !
Ligne 9 : Ligne 12 :
Quoique je ne porte ici que le titre d’éditeur, j’ai travaillé moi-même à ce livre, et je ne m’en cache pas. Ai-je fait le tout, et la correspondance entière est-elle une fiction ? Gens du monde, que vous importe ? C’est sûrement une fiction pour vous.
Quoique je ne porte ici que le titre d’éditeur, j’ai travaillé moi-même à ce livre, et je ne m’en cache pas. Ai-je fait le tout, et la correspondance entière est-elle une fiction ? Gens du monde, que vous importe ? C’est sûrement une fiction pour vous.


Tout honnête homme doit avouer les livres qu’il publie. Je me nomme donc à la tête de ce recueil, non pour me l’approprier, mais pour en répondre. S’il y a du mal, qu’on me l’impute ; s’il y a du bien, je n’entends point m’en faire honneur. Si le livre est mauvais, j’en suis plus obligé de le reconnaître:je ne veux pas passer pour meilleur que je ne suis.
Tout honnête homme doit avouer les livres qu’il publie. Je me nomme donc à la tête de ce recueil, non pour me l’approprier, mais pour en répondre. S’il y a du mal, qu’on me l’impute ; s’il y a du bien, je n’entends point m’en faire honneur. Si le livre est mauvais, j’en suis plus obligé de le reconnaître : je ne veux pas passer pour meilleur que je ne suis.


Quant à la vérité des faits, je déclare qu’ayant été plusieurs fois dans le pays des deux amants, je n’y ai jamais ouï parler du baron d’Étange, ni de sa fille, ni de M. d’Orbe, ni de milord Édouard Bomston, ni de M. de Wolmar. J’avertis encore que la topographie est grossièrement altérée en plusieurs endroits, soit pour mieux donner le change au lecteur, soit qu’en effet l’auteur n’en sût pas davantage. Voilà tout ce que je puis dire. Que chacun pense comme il lui plaira.
Quant à la vérité des faits, je déclare qu’ayant été plusieurs fois dans le pays des deux amants, je n’y ai jamais ouï parler du baron d’Etange, ni de sa fille, ni de M. d’Orbe, ni de milord Edouard Bomston, ni de M. de Wolmar. J’avertis encore que la topographie est grossièrement altérée en plusieurs endroits, soit pour mieux donner le change au lecteur, soit qu’en effet l’auteur n’en sût pas davantage. Voilà tout ce que je puis dire. Que chacun pense comme il lui plaira.


Ce livre n’est point fait pour circuler dans le monde, et convient à très peu de lecteurs. Le style rebutera les gens de goût ; la matière alarmera les gens sévères ; tous les sentiments seront hors de la nature pour ceux qui ne croient pas à la vertu. Il doit déplaire aux dévots, aux libertins, aux philosophes ; il doit choquer les femmes galantes, et scandaliser les honnêtes femmes. À qui plaira-t-il donc ? Peut-être à moi seul ; mais à coup sûr il ne plaira médiocrement à personne.
Ce livre n’est point fait pour circuler dans le monde, et convient à très peu de lecteurs. Le style rebutera les gens de goût ; la matière alarmera les gens sévères ; tous les sentiments seront hors de la nature pour ceux qui ne croient pas à la vertu. Il doit déplaire aux dévots, aux libertins, aux philosophes ; il doit choquer les femmes galantes, et scandaliser les honnêtes femmes. A qui plaira-t-il donc ? Peut-être à moi seul ; mais à coup sûr il ne plaira médiocrement à personne.


Quiconque veut se résoudre à lire ces lettres doit s’armer de patience sur les fautes de langue, sur le style emphatique et plat, sur les pensées communes rendues en termes ampoulés ; il doit se dire d’avance que ceux qui les écrivent ne sont pas des Français, des beaux-esprits, des académiciens, des philosophes ; mais des provinciaux, des étrangers, des solitaires, de jeunes gens, presque des enfants, qui, dans leurs imaginations romanesques, prennent pour de la philosophie les honnêtes délires de leur cerveau.
Quiconque veut se résoudre à lire ces lettres doit s’armer de patience sur les fautes de langue, sur le style emphatique et plat, sur les pensées communes rendues en termes ampoulés ; il doit se dire d’avance que ceux qui les écrivent ne sont pas des Français, des beaux-esprits, des académiciens, des philosophes ; mais des provinciaux, des étrangers, des solitaires, de jeunes gens, presque des enfants, qui, dans leurs imaginations romanesques, prennent pour de la philosophie les honnêtes délires de leur cerveau.


Pourquoi craindrais-je de dire ce que je pense ? Ce recueil avec son gothique ton convient mieux aux femmes que les livres de philosophie. Il peut même être utile à celles qui, dans une vie déréglée, ont conservé quelque amour pour l’honnêteté. Quant aux filles, c’est autre chose. Jamais fille chaste n’a lu de romans, et j’ai mis à celui-ci un titre assez décidé pour qu’en l’ouvrant on sût à quoi s’en tenir. Celle qui, malgré ce titre, en osera lire une seule page est une fille perdue; mais qu’elle n’impute point sa perte à ce livre, le mal était fait d’avance. Puisqu’elle a commencé, qu’elle achève de lire:elle n’a plus rien à risquer.
Pourquoi craindrais-je de dire ce que je pense ? Ce recueil avec son gothique ton convient mieux aux femmes que les livres de philosophie. Il peut même être utile à celles qui, dans une vie déréglée, ont conservé quelque amour pour l’honnêteté. Quant aux filles, c’est autre chose. Jamais fille chaste n’a lu de romans, et j’ai mis à celui-ci un titre assez décidé pour qu’en l’ouvrant on sût à quoi s’en tenir. Celle qui, malgré ce titre, en osera lire une seule page est une fille perdue ; mais qu’elle n’impute point sa perte à ce livre, le mal était fait d’avance. Puisqu’elle a commencé, qu’elle achève de lire : elle n’a plus rien à risquer.


Qu’un homme austère, en parcourant ce recueil, se rebute aux premières parties, jette le livre avec colère, et s’indigne contre l’éditeur, je ne me plaindrai point son injustice ; à sa place, j’en aurais pu faire autant. Que si, après l’avoir lu tout entier, quelqu’un m’osait blâmer de l’avoir publié, qu’il le dise, s’il veut, à toute la terre ; mais qu’il ne vienne pas me le dire; je sens que je ne pourrais de ma vie estimer cet homme-là.
Qu’un homme austère, en parcourant ce recueil, se rebute aux premières parties, jette le livre avec colère, et s’indigne contre l’éditeur, je ne me plaindrai point son injustice ; à sa place, j’en aurais pu faire autant. Que si, après l’avoir lu tout entier, quelqu’un m’osait blâmer de l’avoir publié, qu’il le dise, s’il veut, à toute la terre ; mais qu’il ne vienne pas me le dire ; je sens que je ne pourrais de ma vie estimer cet homme-là.


Lettres de deux amants habitants d’une petite ville au pied des Alpes
Lettres de deux amants habitants d’une petite ville au pied des Alpes

Version du 8 février 2012 à 22:41

Index


Julie ou La Nouvelle Héloïse
1761 - Livre

Lettres de deux amants habitants d’une petite ville au pied des Alpes ; [texte établi par René Pomeau]

__MATCH__:Page:Œuvres complètes de Jean-Jacques Rousseau - II.djvu/3

Préface 

Il faut des spectacles dans les grandes villes, et des romans aux peuples corrompus. J’ai vu les mœurs de mon temps, et j’ai publié ces lettres. Que n’ai-je vécu dans un siècle où je dusse les jeter au feu !

Quoique je ne porte ici que le titre d’éditeur, j’ai travaillé moi-même à ce livre, et je ne m’en cache pas. Ai-je fait le tout, et la correspondance entière est-elle une fiction ? Gens du monde, que vous importe ? C’est sûrement une fiction pour vous.

Tout honnête homme doit avouer les livres qu’il publie. Je me nomme donc à la tête de ce recueil, non pour me l’approprier, mais pour en répondre. S’il y a du mal, qu’on me l’impute ; s’il y a du bien, je n’entends point m’en faire honneur. Si le livre est mauvais, j’en suis plus obligé de le reconnaître : je ne veux pas passer pour meilleur que je ne suis.

Quant à la vérité des faits, je déclare qu’ayant été plusieurs fois dans le pays des deux amants, je n’y ai jamais ouï parler du baron d’Etange, ni de sa fille, ni de M. d’Orbe, ni de milord Edouard Bomston, ni de M. de Wolmar. J’avertis encore que la topographie est grossièrement altérée en plusieurs endroits, soit pour mieux donner le change au lecteur, soit qu’en effet l’auteur n’en sût pas davantage. Voilà tout ce que je puis dire. Que chacun pense comme il lui plaira.

Ce livre n’est point fait pour circuler dans le monde, et convient à très peu de lecteurs. Le style rebutera les gens de goût ; la matière alarmera les gens sévères ; tous les sentiments seront hors de la nature pour ceux qui ne croient pas à la vertu. Il doit déplaire aux dévots, aux libertins, aux philosophes ; il doit choquer les femmes galantes, et scandaliser les honnêtes femmes. A qui plaira-t-il donc ? Peut-être à moi seul ; mais à coup sûr il ne plaira médiocrement à personne.

Quiconque veut se résoudre à lire ces lettres doit s’armer de patience sur les fautes de langue, sur le style emphatique et plat, sur les pensées communes rendues en termes ampoulés ; il doit se dire d’avance que ceux qui les écrivent ne sont pas des Français, des beaux-esprits, des académiciens, des philosophes ; mais des provinciaux, des étrangers, des solitaires, de jeunes gens, presque des enfants, qui, dans leurs imaginations romanesques, prennent pour de la philosophie les honnêtes délires de leur cerveau.

Pourquoi craindrais-je de dire ce que je pense ? Ce recueil avec son gothique ton convient mieux aux femmes que les livres de philosophie. Il peut même être utile à celles qui, dans une vie déréglée, ont conservé quelque amour pour l’honnêteté. Quant aux filles, c’est autre chose. Jamais fille chaste n’a lu de romans, et j’ai mis à celui-ci un titre assez décidé pour qu’en l’ouvrant on sût à quoi s’en tenir. Celle qui, malgré ce titre, en osera lire une seule page est une fille perdue ; mais qu’elle n’impute point sa perte à ce livre, le mal était fait d’avance. Puisqu’elle a commencé, qu’elle achève de lire : elle n’a plus rien à risquer.

Qu’un homme austère, en parcourant ce recueil, se rebute aux premières parties, jette le livre avec colère, et s’indigne contre l’éditeur, je ne me plaindrai point son injustice ; à sa place, j’en aurais pu faire autant. Que si, après l’avoir lu tout entier, quelqu’un m’osait blâmer de l’avoir publié, qu’il le dise, s’il veut, à toute la terre ; mais qu’il ne vienne pas me le dire ; je sens que je ne pourrais de ma vie estimer cet homme-là.

Lettres de deux amants habitants d’une petite ville au pied des Alpes