« Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle/Buffet (d’orgues) » : différence entre les versions

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=== BUFFET D'ORGUES ===
=== BUFFET D’ORGUES ===


s. m. On désigne ainsi les armatures en charpente
s. m. On désigne ainsi les armatures en charpente
et menuiserie qui servent à renfermer les orgues des églises. Jusqu'au
et menuiserie qui servent à renfermer les orgues des églises. Jusqu’au
XV<sup>e</sup> siècle, il ne paraît pas que les grandes orgues fussent en usage. On ne
XV<sup>e</sup> siècle, il ne paraît pas que les grandes orgues fussent en usage. On ne
se servait guère que d'instruments de dimensions médiocres, et qui pouvaient
se servait guère que d’instruments de dimensions médiocres, et qui pouvaient
être renfermés dans des meubles, posés dans les chœurs, sur les
être renfermés dans des meubles, posés dans les chœurs, sur les
jubés, ou sur des tribunes plus ou moins vastes destinées à contenir non-seulement
jubés, ou sur des tribunes plus ou moins vastes destinées à contenir non-seulement
les orgues, mais encore des chantres et musiciens. Ce n'est que
les orgues, mais encore des chantres et musiciens. Ce n’est que
vers la fin du XV<sup>e</sup> siècle et au commencement du XVI<sup>e</sup> que l'on eut l'idée de
vers la fin du XV<sup>e</sup> siècle et au commencement du XVI<sup>e</sup> que l’on eut l’idée de
donner aux orgues des dimensions inusitées jusqu'alors, ayant une grande
donner aux orgues des dimensions inusitées jusqu’alors, ayant une grande
puissance de son et exigeant, pour les renfermer, des charpentes colossales.
puissance de son et exigeant, pour les renfermer, des charpentes colossales.
Les buffets d'orgues les plus anciens que nous connaissions ne remontent
Les buffets d’orgues les plus anciens que nous connaissions ne remontent
pas au-delà des dernières années du XV<sup>e</sup> siècle; et ces orgues ne sont rien
pas au-delà des dernières années du XV<sup>e</sup> siècle ; et ces orgues ne sont rien
auprès des instruments monstrueux que l'on fabrique depuis le XVII<sup>e</sup> siècle.
auprès des instruments monstrueux que l’on fabrique depuis le XVII<sup>e</sup> siècle.
Cependant, dès le XIV<sup>e</sup> siècle, certaines orgues étaient déjà composées des
Cependant, dès le XIV<sup>e</sup> siècle, certaines orgues étaient déjà composées des
mêmes éléments que celles de nos jours: claviers superposés et pouvant se
mêmes éléments que celles de nos jours : claviers superposés et pouvant se
réunir, tuyaux d'étain en montre, trois soufflets, jeux de mutation, et ce
réunir, tuyaux d’étain en montre, trois soufflets, jeux de mutation, et ce
qui doit être noté ici particulièrement, ces orgues avaient un <i>positif</i> placé
qui doit être noté ici particulièrement, ces orgues avaient un ''positif'' placé
derrière l'organiste et dans lequel on avait mis des flûtes dont l'effet est
derrière l’organiste et dans lequel on avait mis des flûtes dont l’effet est
signalé comme très-agréable.
signalé comme très-agréable.


M. Félix Clément, à qui nous devons des renseignements précieux sur
M. Félix Clément, à qui nous devons des renseignements précieux sur
l'ancienne musique et sur les orgues, nous fait connaître qu'il a trouvé,
l’ancienne musique et sur les orgues, nous fait connaître qu’il a trouvé,
dans les archives de Toulouse, un document fort curieux sur la donation
dans les archives de Toulouse, un document fort curieux sur la donation
faite à une confrérie, par Bernard de Rosergio, archevêque de Toulouse,
faite à une confrérie, par Bernard de Rosergio, archevêque de Toulouse,
d'un orgue, à la date de 1463. Il résulte de cette pièce que cinq orgues
d’un orgue, à la date de 1463. Il résulte de cette pièce que cinq orgues
furent placées sur le jubé dans l'ordre suivant: un grand orgue s'élevait
furent placées sur le jubé dans l’ordre suivant : un grand orgue s’élevait
au milieu, derrière un petit orgue disposé comme l'est actuellement le
au milieu, derrière un petit orgue disposé comme l’est actuellement le
positif; un autre orgue, de petite dimension, était placé au haut du grand
positif ; un autre orgue, de petite dimension, était placé au haut du grand
buffet et surmonté d'un ange; à droite et à gauche au jubé se trouvaient
buffet et surmonté d’un ange ; à droite et à gauche au jubé se trouvaient
deux autres orgues, dont deux confréries étaient autorisées à se servir,
deux autres orgues, dont deux confréries étaient autorisées à se servir,
tandis que l'usage des trois premiers était exclusivement réservé aux
tandis que l’usage des trois premiers était exclusivement réservé aux
chanoines et au chapitre de la cathédrale. Les cinq instruments pouvaient,
chanoines et au chapitre de la cathédrale. Les cinq instruments pouvaient,
du reste, résonner ensemble à la volonté de l'archevêque<span id="note1"></span>[[#footnote1|<sup>1</sup>]].
du reste, résonner ensemble à la volonté de l’archevêque<span id="note1" ></span>[[#footnote1|<sup>1</sup>]].


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<span id="Paris1" > « L’église de Saint-Severin, dit l’abbé Lebeuf<span id="note2" ></span>[[#footnote2|<sup>2</sup>]], est une des premières
de Paris où l'on ait vu des orgues: il y en eut dès le règne du roi Jean,
de Paris où l’on ait vu des orgues:il y en eut dès le règne du roi Jean,
mais c'était un petit buffet; aussi l'église n'étoit-elle alors ni si longue ni
mais c’était un petit buffet; aussi l’église n’étoit-elle alors ni si longue ni
si large. J'ai lu dans un extrait du nécrologe manuscrit de cette église que,
si large. J’ai lu dans un extrait du nécrologe manuscrit de cette église que,
<i>l'an</i> 1358, <i>le lundi après l'Ascension, maître Reynaud de Douy, écolier
''l’an'' 1358, <i>le lundi après l’Ascension, maître Reynaud de Douy, écolier
en théologie à Paris et gouverneur des grandes écoles de la parouesse
en théologie à Paris et gouverneur des grandes écoles de la parouesse
Saint-Severin, donna à l'église une bonne orgues et bien ordenées</i>. Celles
Saint-Severin, donna à l’église une bonne orgues et bien ordenées</i>. Celles
que l'on a vu subsister jusqu'en 1747, adossées à la tour de l'église,
que l’on a vu subsister jusqu’en 1747, adossées à la tour de l’église,
n'avoient été faites qu'en 1512...»
n’avoient été faites qu’en 1512… »
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[[Image:Buffet.orgue.cathedrale.Perpignan.png|center]]
[[Image:Buffet.orgue.cathedrale.Perpignan.png|center]]
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Au XV<sup>e</sup> siècle, on parle, pour la première fois, d'orgues de seize et même
Au XV<sup>e</sup> siècle, on parle, pour la première fois, d’orgues de seize et même
de trente-deux pieds; les buffets durent donc prendre, dès cette époque,
de trente-deux pieds ; les buffets durent donc prendre, dès cette époque,
des dimensions monumentales.
des dimensions monumentales.


Au XVI<sup>e</sup> siècle, tous les jeux de l'orgue actuel étaient en usage et formaient
Au XVI<sup>e</sup> siècle, tous les jeux de l’orgue actuel étaient en usage et formaient
un ensemble de quinze cents à deux mille tuyaux. L'orgue qui passe
un ensemble de quinze cents à deux mille tuyaux. L’orgue qui passe
pour le plus ancien en France est celui de Soliès-Ville dans le Var<span id="note3"></span>[[#footnote3|<sup>3</sup>]]. <span id="Perpignan1">Celui
pour le plus ancien en France est celui de Soliès-Ville dans le Var<span id="note3" ></span>[[#footnote3|<sup>3</sup>]]. <span id="Perpignan1" >Celui
de la cathédrale de Perpignan date des premières années du XVI<sup>e</sup> siècle;
de la cathédrale de Perpignan date des premières années du XVI<sup>e</sup> siècle ;
nous en donnons ici (fig. 1) la montre. Le buffet se ferme au moyen de
nous en donnons ici (fig. 1) la montre. Le buffet se ferme au moyen de
deux grands volets couverts de peintures représentant l'Adoration des
deux grands volets couverts de peintures représentant l’Adoration des
Mages, le baptême de Notre-Seigneur et les quatre Évangélistes. Un positif,
Mages, le baptême de Notre-Seigneur et les quatre Évangélistes. Un positif,
placé à la fin du XVI<sup>e</sup> siècle, est venu défigurer la partie inférieure de la
placé à la fin du XVI<sup>e</sup> siècle, est venu défigurer la partie inférieure de la
montre; le dessin que nous donnons ici le suppose enlevé. Le positif n'est
montre ; le dessin que nous donnons ici le suppose enlevé. Le positif n’est
pas, d'ailleurs, indispensable dans les grandes orgues. Lorsque le facteur
pas, d’ailleurs, indispensable dans les grandes orgues. Lorsque le facteur
peut disposer son mécanisme sur une tribune assez spacieuse pour placer
peut disposer son mécanisme sur une tribune assez spacieuse pour placer
ses sommiers dans le corps principal du buffet, le positif n'est plus qu'une
ses sommiers dans le corps principal du buffet, le positif n’est plus qu’une
décoration qui cache l'organiste aux regards de la foule. Un clavier à
décoration qui cache l’organiste aux regards de la foule. Un clavier à
consoles est préférable, car il est nécessaire que l'artiste puisse voir ce qui
consoles est préférable, car il est nécessaire que l’artiste puisse voir ce qui
se passe dans le chœur. Il est probable, cependant, que les anciens facteurs
se passe dans le chœur. Il est probable, cependant, que les anciens facteurs
trouvaient plus commode de placer le sommier du positif à une certaine
trouvaient plus commode de placer le sommier du positif à une certaine
distance des claviers, à cause du peu de largeur du mécanisme, tandis
distance des claviers, à cause du peu de largeur du mécanisme, tandis
qu'en plaçant leurs sommiers dans l'intérieur du grand buffet, ils étaient
qu’en plaçant leurs sommiers dans l’intérieur du grand buffet, ils étaient
obligés d'établir la correspondance par des abrégés, des registres, etc.,
obligés d’établir la correspondance par des abrégés, des registres, etc.,
dont la longueur devait amener des irrégularités dans la transmission des
dont la longueur devait amener des irrégularités dans la transmission des
mouvements. Le buffet de la cathédrale de Perpignan est bien exécuté, en
mouvements. Le buffet de la cathédrale de Perpignan est bien exécuté, en
beau bois de chêne, et sa construction, comme on peut le voir, établie sur
beau bois de chêne, et sa construction, comme on peut le voir, établie sur
un seul plan, est fort simple; elle ne se compose que de montants et de
un seul plan, est fort simple ; elle ne se compose que de montants et de
traverses avec panneaux à jour. Presque tous les tuyaux de montre sont
traverses avec panneaux à jour. Presque tous les tuyaux de montre sont
utilisés. L'organiste, placé derrière la balustrade, au centre, touchait les
utilisés. L’organiste, placé derrière la balustrade, au centre, touchait les
claviers disposés dans le renfoncement inférieur; la soufflerie est établie
claviers disposés dans le renfoncement inférieur ; la soufflerie est établie
par derrière dans un réduit.<span id=Hombleux>
par derrière dans un réduit.<span id=Hombleux>
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[[Image:Buffet.orgue.eglise.Hombleux.png|center]]
[[Image:Buffet.orgue.eglise.Hombleux.png|center]]
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On va voir (fig. 2) le buffet et la tribune des orgues de l'église
On va voir (fig. 2) le buffet et la tribune des orgues de l’église
d'[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes H#Hombleux|Hombleux]] (Picardie), qui datent du commencement du XVI<sup>e</sup> siècle. Ici,
d’[[../Index communes H#Hombleux|Hombleux]] (Picardie), qui datent du commencement du XVI<sup>e</sup> siècle. Ici,
l'instrument est porté par des encorbellements, la partie inférieure n'ayant
l’instrument est porté par des encorbellements, la partie inférieure n’ayant
guère que la largeur nécessaire aux claviers et aux registres. Cette disposition
guère que la largeur nécessaire aux claviers et aux registres. Cette disposition
permettait à des musiciens, joueurs d'instruments ou chanteurs, de
permettait à des musiciens, joueurs d’instruments ou chanteurs, de
se placer dans la tribune autour de l'organiste, assis dans la petite chaire
se placer dans la tribune autour de l’organiste, assis dans la petite chaire
portée sur un cul-de-lampe; et, sous ce rapport, elle mérite d'être signalée.
portée sur un cul-de-lampe ; et, sous ce rapport, elle mérite d’être signalée.
Du reste, même système de menuiserie qu'à Perpignan et à Soliès. Ce sont
Du reste, même système de menuiserie qu’à Perpignan et à Soliès. Ce sont
les tuyaux qui commandent la forme de la boiserie, celle-ci les laissant
les tuyaux qui commandent la forme de la boiserie, celle-ci les laissant
apparents dans toute leur hauteur et suivant leur déclivité. Nous citerons
apparents dans toute leur hauteur et suivant leur déclivité. Nous citerons
encore les buffets d'orgues de la cathédrale de Strasbourg, des églises de
encore les buffets d’orgues de la cathédrale de Strasbourg, des églises de
Gonesse, de Moret près Fontainebleau, de Clamecy, de Saint-Bertrand de
Gonesse, de Moret près Fontainebleau, de Clamecy, de Saint-Bertrand de
Comminges, de la cathédrale de Chartres, qui datent de la fin du XV<sup>e</sup> siècle
Comminges, de la cathédrale de Chartres, qui datent de la fin du XV<sup>e</sup> siècle
et du XVI<sup>e</sup>. La menuiserie de tous ces buffets est soumise à l'instrument et
et du XVI<sup>e</sup>. La menuiserie de tous ces buffets est soumise à l’instrument et
ne fait que le couvrir; les panneaux à jour ne remplissent que les vides
ne fait que le couvrir ; les panneaux à jour ne remplissent que les vides
existant entre l'extrémité supérieure de ces tuyaux et les plafonds, afin de
existant entre l’extrémité supérieure de ces tuyaux et les plafonds, afin de
permettre l'émission du son; quant au mécanisme et aux porte-vent, ils
permettre l’émission du son ; quant au mécanisme et aux porte-vent, ils
sont complètement renfermés entre les panneaux pleins des soubassements.
sont complètement renfermés entre les panneaux pleins des soubassements.
Il arrivait souvent que, pour donner plus d'éclat aux montres,
Il arrivait souvent que, pour donner plus d’éclat aux montres,
les tuyaux visibles étaient gauffrés et dorés, rehaussés de filets noirs ou
les tuyaux visibles étaient gauffrés et dorés, rehaussés de filets noirs ou
de couleur; la menuiserie elle-même était peinte et dorée: tel est le
de couleur ; la menuiserie elle-même était peinte et dorée : tel est le
buffet des grandes orgues de la cathédrale de Strasbourg. <span id="Perpignan2">Presque tous les
buffet des grandes orgues de la cathédrale de Strasbourg. <span id="Perpignan2" >Presque tous les
anciens buffets, comme celui de la cathédrale de Perpignan, étaient clos
anciens buffets, comme celui de la cathédrale de Perpignan, étaient clos
par des volets peints, que l'organiste ouvrait lorsqu'il touchait de l'orgue.
par des volets peints, que l’organiste ouvrait lorsqu’il touchait de l’orgue.
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<span id="footnote1">[[#note1|1]] : <i>Rapport adressé par M. Felix Clément à M. le Ministre de l'Instruction publique et des Cultes, sur l'orgue de Toulouse</i>, 1849.
<span id="footnote1" >[[#note1|1]]: ''Rapport adressé par M. Felix Clément à M. le Ministre de l’Instruction publique et des Cultes, sur l’orgue de Toulouse'', 1849.


<span id="footnote2">[[#note2|2]] : <i>Hist. de la ville et du diocèse de Paris</i>, t. I, p. 168.
<span id="footnote2" >[[#note2|2]]: ''Hist. de la ville et du diocèse de Paris'', t. I, p. 168.


<span id="footnote3">[[#note3|3]] : L'orgue de Soliès-Ville est fort petit. Sa montre n'a pas plus de 2<sup>m</sup>,50 sur 2<sup>m</sup>,60
<span id="footnote3" >[[#note3|3]]: L’orgue de Soliès-Ville est fort petit. Sa montre n’a pas plus de 2<sup>m</sup>, 50 sur 2<sup>m</sup>, 60
de haut; cette montre est datée de 1499. Nous préférons donner à nos lecteurs la
de haut ; cette montre est datée de 1499. Nous préférons donner à nos lecteurs la
montre de l'orgue de Perpignan, qui est plus grande et plus belle comme travail et
montre de l’orgue de Perpignan, qui est plus grande et plus belle comme travail et
comme composition, et qui date de la même époque. D'ailleurs, et malgré que l'attention
comme composition, et qui date de la même époque. D’ailleurs, et malgré que l’attention
des archéologues ait été fixée sur les orgues de Soliès (voy. le 3<sup>e</sup> vol. du
des archéologues ait été fixée sur les orgues de Soliès (voy. le 3<sup>e</sup> vol. du
<i>Bulletin archéol.</i>, pub. par le Min. de l'Inst. publique, p. 176.), l'instrument a été
''Bulletin archéol.'', pub. par le Min. de l’Inst. publique, p. 176.), l’instrument a été
enlevé du buffet et refondu par un Polonais. L'inscription curieuse qui était sculptée
enlevé du buffet et refondu par un Polonais. L’inscription curieuse qui était sculptée
à la base de la montre a été arrachée, et le curé actuel de Soliès médite de faire de
à la base de la montre a été arrachée, et le curé actuel de Soliès médite de faire de
ce buffet vide un confessional.
ce buffet vide un confessional.

Version du 13 avril 2012 à 22:04

< Brique
Index alphabétique - B
Buize >
Index par tome


BUFFET D’ORGUES

s. m. On désigne ainsi les armatures en charpente et menuiserie qui servent à renfermer les orgues des églises. Jusqu’au XVe siècle, il ne paraît pas que les grandes orgues fussent en usage. On ne se servait guère que d’instruments de dimensions médiocres, et qui pouvaient être renfermés dans des meubles, posés dans les chœurs, sur les jubés, ou sur des tribunes plus ou moins vastes destinées à contenir non-seulement les orgues, mais encore des chantres et musiciens. Ce n’est que vers la fin du XVe siècle et au commencement du XVIe que l’on eut l’idée de donner aux orgues des dimensions inusitées jusqu’alors, ayant une grande puissance de son et exigeant, pour les renfermer, des charpentes colossales. Les buffets d’orgues les plus anciens que nous connaissions ne remontent pas au-delà des dernières années du XVe siècle ; et ces orgues ne sont rien auprès des instruments monstrueux que l’on fabrique depuis le XVIIe siècle. Cependant, dès le XIVe siècle, certaines orgues étaient déjà composées des mêmes éléments que celles de nos jours : claviers superposés et pouvant se réunir, tuyaux d’étain en montre, trois soufflets, jeux de mutation, et ce qui doit être noté ici particulièrement, ces orgues avaient un positif placé derrière l’organiste et dans lequel on avait mis des flûtes dont l’effet est signalé comme très-agréable.

M. Félix Clément, à qui nous devons des renseignements précieux sur l’ancienne musique et sur les orgues, nous fait connaître qu’il a trouvé, dans les archives de Toulouse, un document fort curieux sur la donation faite à une confrérie, par Bernard de Rosergio, archevêque de Toulouse, d’un orgue, à la date de 1463. Il résulte de cette pièce que cinq orgues furent placées sur le jubé dans l’ordre suivant : un grand orgue s’élevait au milieu, derrière un petit orgue disposé comme l’est actuellement le positif ; un autre orgue, de petite dimension, était placé au haut du grand buffet et surmonté d’un ange ; à droite et à gauche au jubé se trouvaient deux autres orgues, dont deux confréries étaient autorisées à se servir, tandis que l’usage des trois premiers était exclusivement réservé aux chanoines et au chapitre de la cathédrale. Les cinq instruments pouvaient, du reste, résonner ensemble à la volonté de l’archevêque1.

« L’église de Saint-Severin, dit l’abbé Lebeuf2, est une des premières de Paris où l’on ait vu des orgues:il y en eut dès le règne du roi Jean, mais c’était un petit buffet; aussi l’église n’étoit-elle alors ni si longue ni si large. J’ai lu dans un extrait du nécrologe manuscrit de cette église que, l’an 1358, le lundi après l’Ascension, maître Reynaud de Douy, écolier en théologie à Paris et gouverneur des grandes écoles de la parouesse Saint-Severin, donna à l’église une bonne orgues et bien ordenées. Celles que l’on a vu subsister jusqu’en 1747, adossées à la tour de l’église, n’avoient été faites qu’en 1512… »

Au XVe siècle, on parle, pour la première fois, d’orgues de seize et même de trente-deux pieds ; les buffets durent donc prendre, dès cette époque, des dimensions monumentales.

Au XVIe siècle, tous les jeux de l’orgue actuel étaient en usage et formaient un ensemble de quinze cents à deux mille tuyaux. L’orgue qui passe pour le plus ancien en France est celui de Soliès-Ville dans le Var3. Celui de la cathédrale de Perpignan date des premières années du XVIe siècle ; nous en donnons ici (fig. 1) la montre. Le buffet se ferme au moyen de deux grands volets couverts de peintures représentant l’Adoration des Mages, le baptême de Notre-Seigneur et les quatre Évangélistes. Un positif, placé à la fin du XVIe siècle, est venu défigurer la partie inférieure de la montre ; le dessin que nous donnons ici le suppose enlevé. Le positif n’est pas, d’ailleurs, indispensable dans les grandes orgues. Lorsque le facteur peut disposer son mécanisme sur une tribune assez spacieuse pour placer ses sommiers dans le corps principal du buffet, le positif n’est plus qu’une décoration qui cache l’organiste aux regards de la foule. Un clavier à consoles est préférable, car il est nécessaire que l’artiste puisse voir ce qui se passe dans le chœur. Il est probable, cependant, que les anciens facteurs trouvaient plus commode de placer le sommier du positif à une certaine distance des claviers, à cause du peu de largeur du mécanisme, tandis qu’en plaçant leurs sommiers dans l’intérieur du grand buffet, ils étaient obligés d’établir la correspondance par des abrégés, des registres, etc., dont la longueur devait amener des irrégularités dans la transmission des mouvements. Le buffet de la cathédrale de Perpignan est bien exécuté, en beau bois de chêne, et sa construction, comme on peut le voir, établie sur un seul plan, est fort simple ; elle ne se compose que de montants et de traverses avec panneaux à jour. Presque tous les tuyaux de montre sont utilisés. L’organiste, placé derrière la balustrade, au centre, touchait les claviers disposés dans le renfoncement inférieur ; la soufflerie est établie par derrière dans un réduit.

On va voir (fig. 2) le buffet et la tribune des orgues de l’église d’Hombleux (Picardie), qui datent du commencement du XVIe siècle. Ici, l’instrument est porté par des encorbellements, la partie inférieure n’ayant guère que la largeur nécessaire aux claviers et aux registres. Cette disposition permettait à des musiciens, joueurs d’instruments ou chanteurs, de se placer dans la tribune autour de l’organiste, assis dans la petite chaire portée sur un cul-de-lampe ; et, sous ce rapport, elle mérite d’être signalée. Du reste, même système de menuiserie qu’à Perpignan et à Soliès. Ce sont les tuyaux qui commandent la forme de la boiserie, celle-ci les laissant apparents dans toute leur hauteur et suivant leur déclivité. Nous citerons encore les buffets d’orgues de la cathédrale de Strasbourg, des églises de Gonesse, de Moret près Fontainebleau, de Clamecy, de Saint-Bertrand de Comminges, de la cathédrale de Chartres, qui datent de la fin du XVe siècle et du XVIe. La menuiserie de tous ces buffets est soumise à l’instrument et ne fait que le couvrir ; les panneaux à jour ne remplissent que les vides existant entre l’extrémité supérieure de ces tuyaux et les plafonds, afin de permettre l’émission du son ; quant au mécanisme et aux porte-vent, ils sont complètement renfermés entre les panneaux pleins des soubassements. Il arrivait souvent que, pour donner plus d’éclat aux montres, les tuyaux visibles étaient gauffrés et dorés, rehaussés de filets noirs ou de couleur ; la menuiserie elle-même était peinte et dorée : tel est le buffet des grandes orgues de la cathédrale de Strasbourg. Presque tous les anciens buffets, comme celui de la cathédrale de Perpignan, étaient clos par des volets peints, que l’organiste ouvrait lorsqu’il touchait de l’orgue.


1: Rapport adressé par M. Felix Clément à M. le Ministre de l’Instruction publique et des Cultes, sur l’orgue de Toulouse, 1849.

2: Hist. de la ville et du diocèse de Paris, t. I, p. 168.

3: L’orgue de Soliès-Ville est fort petit. Sa montre n’a pas plus de 2m, 50 sur 2m, 60 de haut ; cette montre est datée de 1499. Nous préférons donner à nos lecteurs la montre de l’orgue de Perpignan, qui est plus grande et plus belle comme travail et comme composition, et qui date de la même époque. D’ailleurs, et malgré que l’attention des archéologues ait été fixée sur les orgues de Soliès (voy. le 3e vol. du Bulletin archéol., pub. par le Min. de l’Inst. publique, p. 176.), l’instrument a été enlevé du buffet et refondu par un Polonais. L’inscription curieuse qui était sculptée à la base de la montre a été arrachée, et le curé actuel de Soliès médite de faire de ce buffet vide un confessional.