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[[Catégorie:L’Encyclopédie, 1re édition]]
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Version du 7 juillet 2012 à 12:55

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DIPHTHONGUE, s. f. terme de Grammaire ; ce mot par lui-même est adjectif de syllabe ; mais dans l’usage, on le prend substantivement. a est une syllabe monophthongue, μονόφθογγος, c’est-à-dire une syllabe énoncée par un son unique ou simple ; au lieu que la syllade au, prononcée à la latine a-ou, & comme on la prononce encore en Italie, &c. & même dans nos provinces méridionales ; au, dis-je, ou plûtôt a-ou, c’est une diphthongue, c’est-à-dire une syllabe qui fait entendre le son de deux voyelles par une même émission de voix, modifiée par le concours des mouvemens simultanées des organes de la parole. R R. δὶς, bis, & φθόγγος, sonus.

L’essence de la diphthongue consiste donc en deux points.

1°. Qu’il n’y ait pas, du moins sensiblement, deux mouvemens successifs dans les organes de la parole.

2°. Que l’oreille sente distinctement les deux voyelles par la même émission de voix : Dieu, j’entens l’i & la voyelle eu, & ces deux sons se trouvent réunis en une seule syllabe, & énoncés en un seul tems. Cette réunion, qui est l’effet d’une seule émission de voix, fait la diphthongue. C’est l’oreille qui est juge de la diphthongue ; on a beau écrire deux, ou trois, ou quatre voyelles de suite, si l’oreille n’entend qu’un son, il n’y a point de diphthongue : ainsi au, ai, oient, &c. prononcés à la françoise ô, è, ê, ne sont point diphthongues. Le premier est prononcé comme un o long, au-mône, au-ne : les partisans même de l’ancienne orthographe l’écrivent par o en plusieurs mots, malgré l’étymologie or, de aurum, o-reille, de auris : & à l’égard de ai, oit, aient, on les prononce comme un è, qui le plus souvent est ouvert, palais comme succès, ils av-oien-t, ils avê, &c.

Cette différence entre l’orthographe & la prononciation, a donné lieu à nos Grammairiens de diviser les diphthongues en vraies ou propres, & en fausses ou impropres. Ils appellent aussi les premieres, diphthongues de l’oreille, & les autres, diphthongues aux yeux : ainsi l’æ & l’œ, qui ne se prononcent plus aujourd’hui que comme un e, ne sont diphthongues qu’aux yeux ; c’est improprement qu’on les appelle diphthongues.

Nos voyelles sont a, é, è, ê, i, o, u, eu, e muet, ou. Nous avons encore nos voyelles nasales, an, en, in, on, un : c’est la combinaison ou l’union de deux de ces voyelles en une seule syllabe, en un seul tems, qui fait la diphthongue.

Les Grecs nomment prépositive la premiere voyelle de la diphthongue, & postpositive la seconde : ce n’est que sur celle-ci que l’on peut faire une tenue, comme nous l’avons remarqué au mot Consonne.

Il seroit à souhaiter que nos Grammairiens fussent d’accord entre eux sur le nombre de nos diphthongues ; mais nous n’en sommes pas encore à ce point-là. Nous avons une grammaire qui commence la liste des diphthongues par eo, dont elle donne pour exemple Géographie, Théologie : cependant il me semble que ces mots sont de cinq syllabes, Gé-o-gra-phi-e, Thé-o-lo-gi-e. Nos Grammairiens & nos dictionnaires me paroissent avoir manqué de justesse & d’exactitude au sujet des diphthongues. Mais sans me croire plus infaillible, voici celles que j’ai remarquées, en suivant l’ordre des voyelles ; les unes se trouvent en plusieurs mots, & les autres seulement en quelques-uns.

Ai, tel qu’on l’entend dans l’interjection de douleur ou d’exclamation ai, ai, ai, & quand l’a entre en composition dans la même syllabe avec le moüillé fort, comme dans m-ail, b-ail, de l’-ail, ati-r-ail, évan-t-ail, por-t-ail, &c. ou qu’il est suivi du moüillé foible, la ville de Bl-aye en Guienne, les îles Luc-ayes en Amérique.

Cette diphthongue ai est fort en usage dans nos provinces d’au-delà de la Loire. Tous les mots qu’on écrit en françois par ai, comme faire, nécessaire, jamais, plaire, palais, &c. y sont prononcés par a-i diphthongue : on entend l’a & l’i. Telle étoit la prononciation de nos peres, & c’est ainsi qu’on prononce cette diphthongue en grec, μoῦσαι, τιμαὶ ; telle est aussi la prononciation des Italiens, des Espagnols, &c. Ce qui fait bien voir avec combien peu de raison quelques personnes s’obstinent à vouloir introduire cette diphthongue oculaire à la place de la diphthongue oculaire oi dans les mots François, croire, &c. comme si ai étoit plus propre que oi à représenter le son de l’è. Si vous avez à réformer oi dans les mots où il se prononce è, mettez è : autrement, c’est réformer un abus par un plus grand, & c’est pécher contre l’analogie. Si l’on écrit François, j’avois, c’est que nos peres prononçoient François, j’avois ; mais on n’a jamais prononcé Français en faisant entendre l’a & l’i. En un mot, si l’on vouloit une réforme, il falloit plûtôt la tirer de procès, succès, très, auprès, dès, &c. que de se regler sur palais, & sur un petit nombre de mots pareils qu’on écrit par ai, par la raison de l’étymologie palatium, & par ce que telle étoit la prononciation de nos peres ; prononciation qui se conserve encore, non-seulement dans les autres langues vulgaires, mais même dans quelques-unes de nos provinces.

Il n’y a pas long-tems que l’on écrivoit nai, natus, il est nai ; mais enfin la prononciation a soûmis l’orthographe en ce mot, & l’on écrit .

Quand les Grecs changeoient ai en η dans la prononciation, ils écrivoient αἴρω, attollo, ἦρον, attollebam.

Observons en passant que les Grecs ont fait usage de cette diphthongue ai, au commencement, au milieu, & à la fin de plusieurs mots, tant dans les noms que dans les verbes : les Latins au contraire ne s’en sont guere servis que dans l’interjection ai, ou dans quelques mots tirés du Grec. Ovide parlant d’Hyacinthe, dit,

Ipse suos gemitus foliis inscribit : & ai ai
Flos habet inscriptum. Ovid. met. liv. X. v. 215.

Lorsque les Latins changent l’æ en ai, cet ai n’est point diphthongue, il est dissyllabe. Servius sur ce vers de Virgile,

Aulaï in medio. Æneid. liv. III. v. 354.


dit aulaï pro aulæ, & est diæresis de grecâ ratione veniens ; quorum ai diphthongus resoluta, apud nos duas syllabas facit. Voyez Dierèse.

Mais passons aux autres diphthongues. J’observerai d’abord que l’i ne doit être écrit par y, que lorsqu’il est le signe du mouillé foible.

Eau. Fléau, ce mot est de deux syllabes.

Etre l’effroi du monde & le fléau de Dieu. Corneille.

A l’égard de seau, eau, communément ces trois lettres eau se prononcent comme un o fort long, & alors leur ensemble n’est qu’une dipthongue oculaire ou une sorte de demi-diphtongue dont la prononciation doit être remarquée : car il y a bien de la différence dans la prononciation entre un seau à puiser de l’eau & un sot, entre de l’eau & un os, entre la peau & le riviere ou Pau ville. M. l’abbé Regnier, gramm. pag. 70. dit que l’é qui est joint à au dans cette diphthongue, se prononce comme un é féminin, & d’une maniere presqu’imperceptible.

Ei, comme en Grec τείνω, tendo : nous ne prononçons guere cette diphthongue que dans des mots étrangers, bei ou bey, dei ; ou dey ; le dey de Tunis ; ou avec le n nazal, comme dans teindre, Rheims, ville.

Selon quelques grammairiens on entend en ces mots un i très-foible, ou un son particulier qui tient de l’e & de l’i. Il en est de même devant le son mouillé dans les mots so-l-eil, con-s-eil, so-m-eil. &c.

Mais selon d’autres il n’y a en ces derniers que l’e suivi du son mouillé ; le v-ie-il-home, con-s-e-il, some-il, &c. & de même avec les voyelles a, ou, eu. Ainsi selon ces grammairiens, dans œil qu’on prononce euil, il n’y a que eu suivi du son mouillé, ce qui me paroît plus exact. Comme dans la prononciation du son mouillé, les organes commencent d’abord par être disposés comme si l’on alloit prononcer i, il semble qu’il y ait un i ; mais on n’entend que le son mouillé, qui dans le mouillé fort est une consonne : mais à l’égard du mouillé foible, c’est un son mitoyen qui me paroît tenir de la voyelle & de la consonne : moi-yen, pa-yen ; en ces mots, yen est un son bien différent de celui qu’on entend dans bien, mien, tien.

Ia, d-ia-cre, d-ia-mant, sur-tout dans le discours ordinaire : fiacre ; les Plé-ia-des, de la v-ian-de, négoc-ian-t, inconvé-n-ien-t.

. P-ié ou p-iéd, les p-ié-ds, ami-t-ié, pi-t-ié, prem-ier, der-n-ier, mé-t-ie-r.

ouvert. Une v-iè-le instrument, vol-iè-re, Gu-iène province de France, V-iè-ne ville, ou verbe, veniat, n-iai-s, b-iai-s ; on prononce niès, biès, f-iè-r, un t-iè-rs ; le c-ie-l, Ga-br-ie-l, es-sen-t-ie-l, du m-ie-l, f-ie-l.

Ien, où l’i n’est point un mouillé foible ; b-ien, m-ien, t-ien, s-ien, en-tre-t-ien, ch-ien, comé-d-ien, In-d-ien, gar-d-ien, pra-ti-c-ien ; l’i & la voyelle nazale en sont la diphthongue.

Ieu ; D-ieu, l-ieu, les c-ieu-x, m-ieu-x.

Io ; s-io-le, capr-io-le, car-io-le, v-io-le, sur-tout en prose.

Ion ; p-ion, que nous ai-m-ion-s, di-s-ion-s, &c. ac t-ion, occa-s-ion : ion est souvent de deux syllabes en vers.

Iou ; cette diphthongue n’est d’usage que dans nos provinces méridionales, ou bien en des mots qui viennent de-là ; Mon-tes-qu-iou, Ch-iou-r-me, O-l-iou-les ville de Provence ; la Ciotat, en Provence on dit la C-iou-tat.

Ya, yan, ye e muet, , &c. l’i ou l’y a souvent devant les voyelles un son mouillé foible ; c’est-à-dire un son exprimé par un mouvement moins fort que celui qui fait entendre le son mouillé dans Versailles, paille ; mais le peuple de Paris qui prononce Versa-ye, pa-ye, fait entendre un mouillé foible ; on l’écrit par y. Ce son est l’effet du monvement affoibli qui produit le mouillé fort ; ce qui fait une prononciation particuliere différente de celle qu’on entend dans mien, tien, où il n’y a point de son mouillé, comme nous l’avons déjà observé.

Ainsi je crois pouvoir mettre au rang des diphthongues les sons composés qui résultent d’une voyelle jointe au mouillé foible ; a-yan-t, vo-yan-t, pa-yen, pai-yan-t, je pai-ye, em-plo-ye-r, do-yen, afin que vous so-ye-z, dé-lai-ye-r, bro-ye-r.

Oi. La prononciation naturelle de cette diphthongue est celle que l’on suit en grec, λόγοι ; on entend l’o & l’i. C’est ainsi qu’on prononce communément voi-ye-le, voi-ye-r, moi-yen, loi-yal, roi-yaume ; on écrit communément voyelle, voyer, moyen, loyal, royaume. On prononce encore ainsi plusieurs mots dans les provinces d’au-delà de la Loire ; on dit Sav-oi-e, en faisant entendre l’o & l’i. On dit à Paris Sa-v-o-ya-rd ; ya est la diphthongue.

Les autres manieres de prononcer la diphthongue oi ne peuvent pas se faire entendre exactement par écrit : cependant ce que nous allons observer ne sera pas inutile à ceux qui ont les organes assez délicats & assez souples pour écouter & pour imiter les personnes qui ont eu l’avantage d’avoir été élevées dans la capitale, & d’y avoir reçû une éducation perfectionnée par le commerce des personnes qui ont l’esprit cultivé.

Il y a des mots où oi est aujourd’hui presque toûjours changé en æ, d’autres où oi se change en ou, & d’autres enfin en oua : mais il ne faut pas perdre de vûe que hors les mots où l’on entend l’o & l’i, comme en grec λόγοι, il n’est pas possible de représenter bien exactement par écrit les differentes prononciations de cette diphthongue.

Oi prononcé par oe où l’e a un son ouvert qui approche de l’o ; f-oi, l-oi, sr-oi-d, t-oi-ct, m-oi, à s-oison, qu-oi, c-oi-ffe, oi-seau, j-oi-e, d-oi-gt (digitus), d-oi-t (debet), ab-oi-s, t-oi-le, &c.

Oi prononcé par oa ; m-oi-s, p-oi-s, n-oi-x, tr-oi-s, la ville de Tr-oi-e, & c. prononcez, m-oa, p-oa, & c.

Oi prononcé par oua ; b-oi-s (lignum), prononcez b-ou-a.

Oin : s-oin, l-oin, be-s-oin, f-oin, j-oin-dre, m-oin-s, on doit plûtôt prononcer en ces mots une sorte d’e nazal après l’o, que de prononcer ouin ; ainsi prononcez soein plûtôt que souin.

Il faut toûjours se ressouvenir que nous n’avons pas de signes pour représenter exactement ces sortes de sons.

Oua écrit par ua, éq-ua-teur, éq-ua-tion, aq-uatique, quin-q-ua-gésime ; prononcez é-c-oua-teur, é-q-ouation, a-q-oua-tique, quin-q-oua-gésime.

 : p-oe-te, p-oe-me ; ces mots sont plus ordinairement de trois syllabes en vers ; mais dans la liberté de la conversation on prononce poe comme diphthongue.

Ou an : Ec-ouan, R-ouan, villes, diphthongues en prose.

Oue : oue-st, sud-oue-st.

Oui : b-oüi-s, l-oüi-s, en prose ; ce dernier mot est de deux syllabes en vers ; oüi, ita.

Oüi, ce sont ces plaisirs & ces pleurs que j’envie.
Oüi, je t’acheterai le praticien françois. Racine.

Ouin : bara-g-oüin, ba-b-oüin.

Ue : statue éq-ue-stre, ca-s-ue-l, an-ue-l, éc-ue-le, r-ue-le, tr-ue-le, sur-tout en prose.

Ui : l-ui, ét-ui, n-uit, br-uit, fr-uit, h-uit, l-ui-re, je s-uis, un s-ui-s-se.

Uin : Al-c-uin théologien célebre du tems de Charlemagne. Q-uin-quagésime, prononcez quin comme en latin ; & de même Q-uin ti-l-ien, le mois de J-uin. On entend l’u & l’i nasal.

Je ne parle point de Caën, Laon, paon, Jean, &c. parce qu’on n’entend plus aujourd’hui qu’une voyelle nasale en ces mots-là, Can, pan, Jan, &c.

Enfin il faut observer qu’il y a des combinaisons de voyelles qui sont diphthongues en prose & dans la conversation, & que nos poëtes font de deux syllabes.

Un de nos traducteurs a dit en vers,

Voudrois-tu bien chanter pour moi, cher Licidas,
Quelqu’air si-ci-li-en. Longepierre ?

On dit si-ci-lien en trois syllabes dans le discours ordinaire. Voici d’autres exemples.

La foi, ce nœud sacré, ce li-en pré-ci-eux.

Brebeuf.

Il est juste, grand roi, qu’un meurtri-er périsse.

Corneille.

Allez, vous devri-ez mourir de pure honte. Mol.

Vous perdri-ez le tems en discours superflus.

Fontenelle.

Cette fiere raison dont on fait tant de bruit,
Contre les passi-ons n’est pas un sûr remede.

Deshoulieres

Non, je ne hais rien tant que les contorsi-ons
De tous ces grands faiseurs de protestati-ons.

Moliere.

La plûpart des mots en ion & ions sont diphthongues en prose. Voyez les divers traités que nous avons de la versification françoise.

Au reste, qu’il y ait en notre langue plus ou moins de diphthongues que je n’en ai marqué, cela est fort indifférent, pourvû qu’on les prononce bien. Il est utile, dit Quintilien, de faire ces observations ; César, dit-il, Cicéron, & d’autres grands hommes, les ont faites ; mais il ne faut les faire qu’en passant. Marcus Tullius orator, artis hujus diligentissimus fuit, & in filio ut in epistolis apparet. . . . . Non obstant hæ disciplinæ per illas euntibus, sed circa illas hærentibus. Quint. instit. orat. lib. I. cap. vij. in fine. (F)