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comprendre que la majorité souveraine n’ait pas droit au respect de ses croyances traditionnelles. C’est à ce point de vue pratique que les pénalités contre le blasphème et le manquement au repos du dimanche continuèrent d’être appliquées et interprétées par les décisions du pouvoir judiciaire local et fédéral. « Dans un pays où le christianisme domine, les actes réputés impies et blasphématoires selon ses préceptes on sa morale, dit Cooley, sont légalement punis comme offenses à la société civile, puisqu’ils blessent au premier chef le sentiment public et ont pour conséquence immédiate de corrompre la société [1]. » A ceux qui leur reprochaient de tenir fermées les portes de l’exposition de Philadelphie pendant la journée du dimanche, les Américains répondaient simplement : « Ici, nous vivons sous le régime des majorités, et le dimanche est pour le plus grand nombre d’entre nous le jour de repos des chrétiens, que nos pères observaient religieusement. Les étrangers viennent sans doute chez nous pour étudier nos mœurs. Eh bien ! l’observance dominicale est une de nos institutions en vigueur. La question se réduit donc à ces termes : pour plaire à la très faible minorité d’une seule classe de la population, devons-nous choquer les sentimens de la forte majorité des fidèles [2] ? »

L’état, devenu laïque, se garde bien d’être athée ou d’afficher l’indifférence à l’égard des choses de la foi. Loin de se désintéresser des manifestations religieuses, il les encourage au contraire et en prend même l’initiative. Chacun des pouvoirs conserve fidèlement les traditions chrétiennes du passé. En 1789, sur la demande expresse du congrès fédéral, Washington lance une proclamation au peuple, afin de l’inviter à s’unir dans un profond sentiment de reconnaissance envers « le glorieux auteur de tout le bien qui fut et sera jamais. » Le président désignait le jour à consacrer aux actions de grâces publiques « en l’honneur du souverain maître et arbitre des nations, pour le remercier humblement de ses infinies miséricordes et des insignes faveurs dont il lui a plu de combler l’Amérique. » L’ancien usage s’est toujours maintenu depuis. Sous la présidence de Lincoln, la crise terrible alors traversée par l’Union y ajouta un cachet particulier de gravité sombre et biblique. Aujourd’hui, la fête du thanksgiving day se passe beaucoup plus gaîment ; les repas de famille et les plaisirs profanes se mêlent aux exercices du culte. Elle n’en garde pas moins son caractère religieux primitif dans les cérémonies et les discours officiels. La proclamation de M. Cleveland, adressée naguère au peuple des États-Unis pour

  1. Cooley, Constitutional limitations.
  2. Scientific american, 20 mai 1876.