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Chi ha tempo ha vita. C’était le secret de la patience de Frédéric. Il avait gardé en effet son impertinence, sa façon un peu précieuse de plaisanter, son sourire à la mode de France, mais d’une lèvre plus raide que la nôtre. Or ce furent des choses terriblement sérieuses que lui dirent, en l’éveillant, le colonel et le capitaine. « Seigneur Jésus, s’écria-t-il, prenez-moi plutôt ma vie ! » Pendant deux heures, il gémit, pleura, se tordit les mains. Il envoya vers Katte pour lui demander son pardon. Il implora un sursis de l’exécution : une estafette aurait vite fait de courir à Wüsterhausen, où était le roi, pour y porter, en échange de la grâce de Katte, sa renonciation à la couronne, son consentement à la prison perpétuelle pour lui-même, et même l’offre de sa vie, s’il la fallait à sa majesté. Mais les visages de ceux qui l’écoutaient disaient qu’il priait et pleurait en vain.

Cependant Katte avait reçu la communion. A Schack, revenu auprès de lui, il avait dit ses dernières volontés : il laissait ses vêtemens à l’ordonnance du major, qui l’avait assisté, pendant la dernière nuit, lui avait fait son café et s’apprêtait à le servir sur l’échafaud ; sa bible, à un caporal qui avait dévotement chanté avec lui le cantique : « Loin de mon cœur, les pensées ! » A sept heures, l’escorte des trente gendarmes était prête. « Il est temps ? demanda le condamné. — Oui. »

La porte s’ouvrit. Katte alla se placer au milieu des gendarmes, entre deux prêtres qui priaient. Il marchait librement, très calme, le chapeau sous le bras. Parti de la porte de la forteresse, qui fait face à la ville, il contourna le bâtiment pour se rendre dans une cour longue, comprise entre le corps de logis et le rempart baigné par l’Oder. Frédéric était enfermé dans une des chambres qui donnaient sur le fleuve. Par ordre du roi, les deux officiers l’avaient conduit à la fenêtre. Dès qu’il aperçut Katte, qui levait vers lui son regard, il lui envoya un baiser : « Mon cher Katte, cria-t-il, je vous demande mille pardons ! » Katte fit la révérence et répondit que le prince n’avait rien à se faire pardonner. Arrivé au cercle formé par des hommes de la garnison, il entendit sans émotion lecture de sa sentence. Il appela près de lui les officiers des gendarmes, et leur dit adieu ainsi qu’à toute l’assemblée. Il reçut dévotement la bénédiction des prêtres, ôta sa perruque qu’il tendit à l’ordonnance de Schack, et mit sur sa tête un bonnet blanc ; il se fit enlever son habit et ouvrit largement le col de sa chemise, tranquille toujours, comme un homme qui bravement « se prépare à une affaire sérieuse. » Alors il s’agenouilla, le visage tourné vers le prince, sur le tas de sable qui avait été préparé là. « Seigneur Jésus ! » dit-il. Mais l’ordonnance lui voulait bander les yeux ; il l’écarta