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GANGRENE, s. f. terme de Chirurg. est la mort d’une partie, c’est-à-dire l’extinction ou l’abolition parfaite du sentiment & de toute action organique dans cette partie. Les auteurs mettent communément la gangrene au rang des tumeurs contre nature ; quoiqu’il y ait des gangrenes sans tuméfaction, comme Ambroise Paré, fameux chirurgien du xvj. siecle, l’avoit remarqué ; & c’est ce que les praticiens plus modernes ont reconnu par la division si utile qu’ils ont faite de la gangrene, en humide & en seche. L’on a aussi confondu la gangrene avec la pourriture. Cependant les parties peuvent être mortes sans être atteintes de putréfaction. Il est vrai que la pourriture dans bien des cas succede très-promptement à la mortification ; d’un autre côté la pourriture des chairs est toûjours accompagnée de mortification : mais la pourriture a des signes certains & très-sensibles, qui sont la dissolution putride & la puanteur cadavéreuse, qui ne se trouvent pas dans toutes les especes de gangrene. Il est donc important d’examiner cet état si différent suivant ses différentes causes, dont les effets variés produisent autant de maladies distinctes, qui fournissent des indications très-opposées.

La cause prochaine de la gangrene est l’extinction du principe vital dans les parties qui en sont atteintes. S’il y a de l’engorgement, la gangrene est humide. L’abondance des sucs arrêtés dans la partie qui tombe en mortification, est le caractere distinctif de cette gangrene. C’est l’engorgement qui la rend susceptible de pourriture, & qui est la principale source des indications particulieres que ce genre de gangrene fournit.

Les causes éloignées de la gangrene humide, sont les inflammations, l’étranglement, l’infiltration, les contusions & stupéfactions, la morsure des bêtes venimeuses, le froid excessif, la brûlure & la pourriture. La gangrene seche vient ordinairement du défaut des sucs nourriciers.

De la gangrene par inflammation. La vie ne subsiste que par le cours des fluides des arteres dans les veines. Toute inflammation suppose un obstacle dans les extrémités artérielles, par le moyen duquel le passage du liquide, qui doit traverser les vaisseaux, est intercepté. Lorsque cet obstacle a lieu dans tous les vaisseaux d’une partie, le mouvement vital y est entierement aboli, elle tombe en gangrene. Les signes qui caractérisent cette espece de gangrene sont assez faciles à saisir. L’inflammation qui étoit l’état primitif de la maladie, diminue à mesure que l’engorgement devient excessif ; le jeu des arteres est empêché par le sang qui les remplit ; la chaleur s’affoiblit de plus en plus : elle ne suffit plus pour entretenir la fluidité du sang : la tumeur s’affaisse, la rougeur vive de l’inflammation devient plus foncée : les sucs stagnans se putréfient : la partie exhale une odeur fétide & cadavéreuse ; effets de la pourriture qui détruit les parties solides.

L’essentiel de la cure des inflammations qui tendent à dégénérer en gangrene par un engorgement extrème, est de débarrasser au-plûtôt la partie malade. La diete & la saignée se présentent d’elles-mêmes pour satisfaire à cette intention ; mais lorsque ces secours poussés aussi loin qu’il est possible, ne réussissent pas, & qu’on voit la tumeur s’affaisser, la chaleur s’éteindre, la rougeur s’obscurcir, l’élasticité s’anéantir, les chairs devenir compactes & un peu pâteuses, qui sont les signes de la cessation de l’action organique des vaisseaux engorgés ; les saignées sont inutiles aussi-bien que les topiques, qui ne peuvent agir que par l’entremise de l’action des solides. Or dans ce cas les vaisseaux ont perdu toute action ; ils ne sont donc plus capables de déplacer les humeurs arrêtées. Les scarifications produisent alors un dégorgement efficace ; les cataplasmes résolutifs & antiputrides donnent aux vaisseaux le ton nécessaire pour détacher les parties mortifiées. Il se fait dans les parties vives une suppuration purulente ; les chairs animées se distinguent, & l’ulcere se cicatrise suivant la marche ordinaire que tient la nature dans la réunion des plaies avec perte de substance. Voyez Incarnation & Ulcere.

M. Quesnay ne croit pas qu’il puisse survenir gangrene par excès d’inflammation simplement ; il pense que c’est plûtôt la malignité qui accompagne l’inflammation ou les étranglemens qu’elle suscite, lorsqu’elle occupe ou qu’elle avoisine des parties nerveuses qui attirent cette gangrene.

A l’égard de la malignité qui accompagne les inflammations, il y en a une qui se déclare d’abord par l’extinction du principe vital : à peine l’inflammation se saisit-elle d’une partie, qu’elle la fait périr sur le champ. Les malades perdent presque tout-à-coup la sensibilité ; ils sont ordinairement assez tranquilles, le pouls est petit & sans vigueur ; il s’affoiblit peu-à-peu, & les malades périssent lorsque la gangrene est fort étendue. Il y a de la ressource lorsque cette sorte de gangrene est circonscrite & bornée à un certain espace. L’inflammation maligne qui la précede est causée par un hétérogene pernicieux répandu dans la masse des humeurs, & qui fait périr l’endroit où il se rassemble. L’indication qui se présente le plus naturellement, c’est de fortifier & de ranimer le principe vital affoibli & languissant, afin qu’il puisse résister à la malignité de l’humeur gangréneuse. Les saignées ne conviennent point dans ce cas, puisqu’elles diminuent la force de l’action organique : loin d’arrêter les effets funestes de cette malignité, elles peuvent au contraire les accélerer. C’est vraissemblablement, selon M. Quesnay, dans de pareils cas que Boerhaave dit que dans certaines inflammations épidémiques, on a vû les malades périr presqu’aussi tôt qu’ils ont été saignés, & plus ou moins promptement, selon qu’on leur tiroit plus ou moins de sang. On ne doit donc pas trop legerement recourir à ce remede dans ces inflammations languissantes qui tendent si fort à la gangrene : il y a des exemples sans nombre de fievres malignes & pestilentielles, de petites véroles, & de fievres pourprées, & autres maladies inflammatoires causées par des substances malignes qui tendent immédiatement à éteindre le principe vital, dans lesquelles la saignée, si utile dans d’autres cas, n’a d’autre effet que celui d’accélerer la mort.

Les Chirurgiens qui voyent à découvert les effets de la malignité des inflammations dont il s’agit, pensent plûtôt à défendre & à ranimer la partie mourante, qu’à répandre le sang du malade. Cependant si ces inflammations arrivent dans des corps pléthoriques, si elles ne dégénerent pas d’abord en gangrene, ou si elles sont fort ardentes, comme le sont souvent les érésipeles malignes, quelques saignées paroissent alors bien indiquées pour faciliter le jeu des vaisseaux, & tempérer un peu, s’il est possible, l’inflammation & la fievre ; mais lorsque la gangrene est décidée par l’œdématie pateuse, accompagnée de phlyctaines & de taches livides, la saignée est inutile.

Il faut considérer ces inflammations sous deux états différens ; savoir, lorsqu’elles font encore du progrès, & lorsqu’elles sont entierement dégénérées en gangrene. Dans le premier état, loin de s’opposer au progrès de cette inflammation, il faut la ranimer ; elle dépend d’une cause maligne qu’on doit laisser déposer entierement. On se sert avec succès des topiques résolutifs fort actifs, & quelquefois même des sinapismes les plus animés. Lorsque la mortification s’est emparée de la partie qui a été frappée d’inflammation maligne, il faut soûtenir les forces du malade par des cordiaux ; & s’il reste de l’espérance pour la vie, on pense à procurer la séparation des chairs mortes d’avec les chairs vives. Cette séparation dépend plus de la nature que de l’art ; on favorise l’action vitale en emportant une partie des escarres gangréneuses, sans intéresser les chairs vives, en touchant la circonférence des chairs mortes avec une dissolution de mercure dans l’esprit de nitre ; c’est un remede que Belloste vantoit beaucoup. Son efficacité vient de ce qu’il raffermit l’escarre, & qu’il suscite au bord des chairs vives voisines une petite inflammation, d’où résulte une suppuration purulente bien conditionnée, par laquelle se doit faire la séparation du mort d’avec le vif. Ce procédé, ou tout autre équivalent, a lieu dans toutes les gangrenes de causes humorales bornées, pour appeller la suppuration lorsqu’elle ne se déclare point, ou qu’elle est languissante.

L’étranglement est une des principales causes de la gangrene, & c’est celle qui a été le plus ignorée. M. Quesnay en a parlé savamment dans son traité de la gangrene ; on range sous le genre d’étranglement toutes les causes capables de comprimer ou de serrer assez les vaisseaux pour y arrêter le cours des liquides. Les anciens ne rapportoient à ce genre de cause que les compressions sensibles, qui empêchoient la distribution du sang ou des esprits dans une partie, comme une forte ligature, une tumeur, un os de plaie, ou une autre cause sensible qui comprimoit les nerfs ou les arteres d’une partie.

Les étranglemens qui arrêtent le sang dans les veines, peuvent être suivis d’engorgemens prodigieux, sans inflammation considérable ; M. Wanswieten rapporte d’après Boerhaave, le cas d’un jeune homme qui s’endormit les coudes appuyés sur la fenêtre étant ivre. Ses jarretieres étoient si étroitement serrées, que le sang retenu avoit enflé les jambes ; le mouvement vital des humeurs ayant entierement été suffoqué, la gangrene survint ; elle gagna promptement les deux cuisses, & causa la mort.

Les étranglemens capables de causer la gangrene, ne sont pas même toûjours accompagnés d’engorgemens bien sensibles ; l’inflammation qui se fait sur les parties aponévrotiques ne produit pas une tuméfaction apparente : mais les arteres étranglées ne portent bien-tôt plus les sucs nourriciers à la partie ; elle devient œdémateuse, parce que les sucs graisseux sont arrêtés par l’extinction de la vie ou de l’action organique. Ces sucs croupissant se dépravent, & détruisent promptement le foible tissu qui les contient. L’espece de gangrene cachée dont nous parlons, est fort redoutable, parce qu’elle s’étend, sans presque qu’on s’en apperçoive, fort au loin dans les tissus graisseux.

C’est l’étranglement qui rend les plaies des parties nerveuses & aponévrotiques si dangereuses. On a commis des fautes considérables dans la pratique, parce qu’on n’a pas connu la véritable cause de ces desordres, & qu’on a ignoré qu’ils fussent l’effet d’un étranglement causé par la construction des parties blessées. On s’étoit bien apperçu qu’en débridant par des incisions assez étendues une aponévrose blessée, les enflures qui dépendoient de cette plaie se dissipoient aussi surement, que celles qui sont causées par des ligatures trop serrées, se dissipent facilement lorsqu’on coupe ces ligatures. Mais combien de fois n’a-t-on pas reconnu cette cause, en attribuant les accidens à un vice des humeurs, ou à un excès d’inflammation, pour lequel on croyoit avoir épuisé les ressources de l’art, en faisant de grandes scarifications sur la partie tuméfiée consécutivement, lorsqu’il auroit suffi de faire un leger débridement aux parties membraneuses qui occasionnoient tout le desordre par leur tension ? Une piquûre d’épine au doigt, forme une plaie imperceptible, qui suscite des étranglemens suivis d’engorgemens gangreneux très-funestes. Les morsures des animaux produisent souvent les mêmes effets, surtout lorsqu’elles sont petites : on a imagine que l’animal portoit dans la plaie quelque malignité particuliere. Cependant nous avons les exemples de morsures très-considérables qui n’ont eu aucunes suites fâcheuses, sans doute parce que la grande déchirure ne donne pas lieu à l’étranglement comme une plaie étroite. Les sucs qui s’épanchent dans ces sortes de plaies, & qui n’ont point d’issue, le dépravent aussi sur les parties nerveuses ; ils les irritent, & excitent des étranglemens qui seroient bien-tôt suivis d’engorgemens prodigieux, si l’on ne procuroit pas un écoulement à ces sucs épanchés.

On voit que le point essentiel dans la cure des étranglemens est de lever l’obstacle que la tension des parties met au libre cours du sang. C’est aux connoissances anatomiques bien précises, à éclairer le chirurgien sur ces cas, & à diriger ses opérations ; s’il ne connoît pas bien toutes les cloisons que les parties membraneuses & aponévrotiques fournissent aux muscles des parties engorgées, il risquera d’opérer au hasard & infructueusement.

Quand l’étranglement est levé, il reste encore à satisfaire aux indications de l’engorgement qu’il a causé ; & elles sont différentes, selon les différens états ou les différens degrés où il est parvenu. Si les sucs arrêtés n’ont point encore perdu leur chaleur & leur fluidité, ni affoibli l’action organique des solides, dès qu’il n’y a plus d’obstacle à la circulation, la partie engorgée peut se débarrasser facilement : on peut aider l’action des vaisseaux par des fomentations avec le vin aromatique ou l’eau-de-vie camphrée. Mais si l’action organique du tissu cellulaire est entierement éteinte, on ne doit plus espérer de dégorgement par la résolution ; il ne se peut faire que par la suppuration ; & dans ce cas, la suppuration même ne peut se faire que par la pourriture. Or il est extrèmement dangereux d’attendre qu’une suppuration putride s’ouvre elle-même une voie, parce qu’elle fait un grand progrès dans la partie avant que d’avoir fourni à l’extérieur une issue suffisante aux sucs arrêtés & aux tissus cellulaires tombés en mortification. Il faut donc hâter ce dégorgement par des scarifications qui penetrent le tissu des parties, & qu’elles soient assez étendues, pour emporter facilement par lambeaux ce tissu, dès que la suppuration commencera à la corrompre & à la détacher. On peut favoriser ce commencement de pourriture par les suppuratifs & digestifs ; mais à mesure qu’ils produiront leur effet, il faut que le chirurgien soit attentif à emporter tout le tissu qui commencera à s’attendrir par la pourriture, & à pouvoir être détaché facilement. On voit bien qu’on procure ici la pourriture des débris du tissu cellulaire, pour prévenir celle de toute la partie. C’est un mal qui sert de remede ; on fait usage de la pourriture pour en prévenir les mauvaises suites. Lorsqu’on aura à-peu-près toutes les graisses que la suppuration devoit détruire, on se sert de digestifs moins pourrissans ; on les anime par le mélange de substances balsamiques & antiputrides, telles que l’onguent de stirax, le camphre, l’esprit de térébenthine, &c. On travaille ensuite à déterger l’ulcere. Voyez Détersif.

Si la mortification avoit fait des progrès irréparables, & que tout le membre en fût attaqué, cet état connu sous le nom de sphacele, exige l’amputation. Voyez Sphacele & Amputation.

L’infiltration des humeurs cause la gangrene en suffoquant le principe vital par la gêne de la circulation, le sang épanché dans les cellules du tissu adipeux à l’occasion de la plaie d’une veine ou d’une artere, occasionne par sa masse une compression sur les vaisseaux qui intercepte le cours du sang. Cela arrive principalement dans l’anevrysme faux, si l’on n’a pas recours assez promptement aux moyens que l’art indique. Voyez Anevrysme. La collection de lymphe sereuse dans les œdemes des cuisses, des jambes & du scrotum, attire la gangrene sur ces parties, en les macérant, & y éteignant insensiblement le principe vital : quelquefois cette eau devient acrimonieuse. Le pannicule adipeux considérablement distendu se corrompt facilement, sur-tout lorsque l’air a quelque accès dans la partie à l’occasion de scarifications faites imprudemment pour l’évacuation des humeurs infiltrées. Il faut se contenter de trois legeres mouchetures qui n’intéressent que l’épiderme ; on applique des compresses avec l’eau de chaux qui est un excellent antiseptique ; la matiere s’évacue, la partie reprend son ressort, & l’on ne craint point la gangrene. Lorsque par quelque occasion que ce soit, la gangrene survient aux œdemes, ce n’est point la croûte gangréneuse qu’il faut scarifier. On fera sur la partie les legeres mouchetures que je viens d’indiquer pour la cure radicale de la maladie, & l’on aura recours aux cataplasmes faits avec les farines résolutives cuites dans l’oximel, ou avec ces farines & les poudres de plantes aromatiques cuites dans du vin. Ces cataplasmes conservent plus la chaleur qu’on leur donne que de simples fomentations, & il faut les étendre fort épais. Ils se refroidissent facilement par l’écoulement de l’humeur qui forme l’œdeme ; aussi recommande-t-on bien dans ces cas d’entretenir la chaleur des médicamens par quelques bouteilles d’eau bouillante, des linges & des briques chaudes, placées proche de la partie malade, ou des sachets remplis de sable échauffé. Les parties débarrassées de la lymphe reprenant du ressort, il se fait à la circonférence de l’escarre une suppuration purulente qui détache ce qui est gangrené. Le chirurgien seconde la nature, & conduit le malade à une parfaite guérison par les moyens que nous avons déjà indiqués.

Dans les contusions, le froissement des chairs affoiblit ou détruit l’action organique des vaisseaux. Si l’organisation des chairs est entierement ruinée, ces parties doivent être déjà regardées comme mortes, c’est-à-dire gangrenées ; leur substance écrasée se laisse pénétrer & remplir excessivement de sucs, dont la corruption attire bien-tôt celle de toute la partie. C’est le seul cas où l’engorgement succede à la gangrene. La contusion est souvent accompagnée de commotion ; c’est-à-dire d’un ébranlement interne & violent, qui s’étend quelquefois fort loin dans les nerfs, & qui ralentit le mouvement des esprits. La stupeur que produit cette commotion suspend l’action des vaisseaux, & interdit la circulation dans toute la partie frappée. Cet accident est d’une grande considération dans les plaies d’armes-à-feu. L’effet de la commotion ne se borne pas toûjours à la partie blessée ; elle se communique quelquefois par le moyen du genre nerveux jusqu’au cerveau, & en dérange les fonctions. Les sucs arrêtés dans les chairs mortes ou stupéfiées, ne sont plus défendus contre la pourriture par l’action des vaisseaux. Ces sucs pervertis irritent les parties nerveuses, & suscitent quelquefois des étranglemens, suivis d’un engorgement gangreneux. Nous avons parlé de cette cause de gangrene. Il suffit de remarquer ici que souvent c’est la dépravation des sucs, qui seule fait périr immédiatement les parties engorgées ; parce que les sucs corrompus irritent, enflamment & éteignent le principe vital. La contagion putride contribue ensuite aux progrès de la gangrene, en infectant les sucs des chairs voisines ; progrès que l’action vigoureuse des vaisseaux pourroit empêcher : mais cette action est affoiblie dans les parties qui ont souffert commotion ; aussi la gangrene fait-elle des progrès fort rapides dans cette complication de causes.

Dans toutes les gangrenes humides, il faut procurer l’évacuation des sucs corrompus, & emporter les chairs qui ne sont pas en état de pouvoir être revivifiées. Quelque précieuse que soit la partie, les chairs mortes ne prescrivent aucun ménagement ; elles n’appartiennent plus au corps vivant, elles ne peuvent plus par leur séjour que lui être nuisibles à cause de l’infection & de la malignité de la pourriture. Ce sera sur ces vûes générales que le chirurgien dirigera ses opérations. Si le voisinage de quelque partie qu’il seroit dangereux d’intéresser, l’empêche d’emporter bien exactement les parties corrompues, il doit défendre ce qui en reste par le moyen des anti-putrides les plus pénétrans & les plus puissans. Le sel ammoniac & le sel marin sont des dissolvans anti-putrides, qui prouvent efficacement le dégorgement des chairs. On peut aussi réduire les chairs en escarres, par le feu, l’huile bouillante, des esprits acides concentrés, seuls ou dulcifiés avec l’esprit-de-vin, suivant les parties sur lesquelles on doit les appliquer. L’huile de térébenthine suffit pour le cerveau, &c. L’inflammation des parties circonvoisines, & l’établissement d’une bonne suppuration, donnent des espérances qu’on pourra conserver le membre. Lorsque le desordre est fort considérable dans les os & dans les chairs, les accidens viennent quelquefois si brusquement & sont si funestes, qu’on le repent de n’avoir pas emporté le membre. Il est certain qu’on risque souvent la vie du malade, en voulant éviter l’opération ; & il n’est pas douteux qu’on ampute beaucoup de membres qu’on auroit pû guérir. Dans les cas mêmes où l’opération est nécessaire, il y en a qui exigent que l’amputation ne soit pas faite sur le champ. L’académie royale de Chirurgie a cru cette question très-importante ; elle en a fait le sujet d’un prix. Les auteurs qui ont concouru, ont exposé une fort bonne doctrine sur ce point délicat, qu’il faudra lire dans le troisieme volume des mémoires des prix de cette académie.

La stupeur est un effet des corps contondans, qui frappent avec beaucoup de violence. Cet accident, auquel on sera dorénavant plus attentif dans la cure des plaies d’armes-à-feu, depuis les solides réflexions qu’on doit à M. Quesnay, prescrit de la modération dans les incisions. On croit souvent avoir bien débridé une plaie par de grandes incisions extérieures, qui ne l’est point-du-tout ; parce que l’on n’a point eu d’égard aux parties tendues & qui brident dans le trajet du coup. C’est en portant le doigt dans la plaie, qu’on juge s’il n’y a point d’étranglement ; & il y a des personnes qui n’en veulent juger que par la vûe. La stupeur exige des remedes pénétrans & fortifians ; des cataplasmes vulnéraires & aromatiques. S’il survient engorgement qui oblige à faire quelques scarifications, elles doivent se borner aux graisses, & être disposées de la façon la plus favorable à procurer le dégorgement.

La morsure des animaux venimeux produit la gangrene par la faculté déletere du virus, manifestée par le grand abattement, les syncopes, les sueurs froides, les vomissemens, les ardeurs d’entrailles qui accompagnent la morsure de la plûpart des serpens. Dans la partie blessée, il y a une douleur fort vive, avec douleur, tension & inflammation, qui dégénerent en une mollesse œdémateuse. Il se forme de grandes taches d’un rouge violet très-foncé, qui annoncent une mortification prochaine.

Les desordres qui troublent toute l’économie animale, dépendent de l’impression funeste que fait le venin sur le genre nerveux. Cette pernicieuse substance attaque directement le principe de la vie ; aussi n’a-t-on pas cru qu’il y ait d’autre indication à remplir dans la cure de ces plaies, que de combattre la malignité du venin par des remedes pris intérieurement, & appliqués extérieurement. Les anciens, dans la piquûre de la vipere, faisoient prendre une forte dose des sels volatils & de la poudre de vipere, & frottoient la blessure avec des eaux thériacales & spiritueuses. L’alkali volatil passe actuellement pour un spécifique contre cette morsure. M. Quesnay examine à fond, dans son traité de la gangrene, toutes les cures empyriques des morsures faites par des animaux venimeux. Peut-être réussiroit-on mieux par un procédé méthodique, en s’attachant aux indications prises de l’état manifeste de la tumeur, plûtôt que de la cause particuliere qui l’a produit. Les accidens paroissant un effet de l’étranglement des incisions, aussi profondes que les piquûres faites par les dents de l’animal, changeroient la nature de la plaie & pourroient empêcher l’action du virus. Ambroise Paré proposoit le cautere actuel, ou le potenciel. Tous les grands praticiens ont recommandé cette méthode. Il faut essentiellement observer si la morsure n’est point placée dans un endroit où quelque aponévrose ou tendon pourroit avoir été piqué ; car une telle piquûre seroit aussi dangereuse que le venin ; & alors, comme l’observe judicieusement M. Quesnay, la maniere ordinaire de traiter ces morsures ne réussiroit certainement pas seule. Toutes les réflexions rappellent à donner la préférence à la cure rationelle sur l’empyrique.

Le froid cause la gangrene, en congelant les sucs dans les vaisseaux. Il n’est pas même nécessaire que nos parties soient exposées à un froid trop vif, pour que les liqueurs s’arrêtent. Les repercussifs employés indiscretement sur une partie enflammée, y causent la gangrene. Plusieurs personnes ont été attaquées d’une esquinancie gangreneuse, pour avoir bû de l’eau fraîche étant fort échauffées. Ambroise Paré rapporte qu’il a vû un si grand froid, que des malades couchés à l’Hôtel-Dieu eurent le nez mortifié sans aucune pourriture. Il le coupa à quatre, deux guérirent. Ce n’étoit point l’amputation de la partie gelée qu’il falloit faire dans ce cas ; il falloit avoir recours à l’expédient dont se servent les habitans des pays septentrionaux, où ces sortes de maux sont assez fréquens. Fabrice de Hilden dit qu’en retournant le soir à leur maison, ils se frottent d’abord les mains de neige, les extrémités du nez & les oreilles, avant que d’approcher du feu ; s’ils se chauffoient sans cette précaution, les parties saisies du froid tomberoient en pourriture. C’est ce qu’on voit arriver aux pommes gelées ; si on les approche du feu & qu’on les laisse geler une seconde fois, elles perdent tout leur goût & se corrompent bien-tôt : si au contraire on les plonge à plusieurs reprises dans de l’eau très froide, étant ensuite bien essuyées & bien séchées, elles jouissent encore de leur premiere saveur, & peuvent être long-tems conservées. L’application de la neige ou de l’eau froide fait sortir les particules frigorifiques que la chaleur mettroit en mouvement, & qui détruiroit par-là le tissu des vaisseaux de la partie dans laquelle elles ont pénétré.

Fabrice de Hilden raconte qu’un voyageur qui étoit tombé roide de froid dans un chemin, ayant été porté à une hôtellerie comme un homme presque mort, fut sur le champ plongé par l’aubergiste dans de l’eau froide. Ayant après cela avalé un grand verre d’hydromel, avec de la canelle, du maïs & du gérofle, réduits en poudre, on le mit au lit pour provoquer la sueur. Il recouvra la santé, ayant cependant perdu les dernieres phalanges des piés & des mains. On peut donc espérer de revivifier une partie actuellement saisie de froid ; & l’expérience a découvert une voie à laquelle la théorie n’auroit peut-être jamais conduit. Suivant le grand axiome que les maladies guérissent par leur contraire, la chaleur auroit paru seule capable de dissiper un mal que produit un froid actuel : mais toutes les voies de la circulation étant fermées, la raréfaction des sucs retenus trop étroitement romproit les vaisseaux, & feroit périr la partie qu’on voudroit dégeler, avant que les sucs fussent en état de passer librement dans les vaisseaux voisins.

La brûlure un peu profonde attire une inflammation fort vive autour des parties que le feu a détruites, & un engorgement, que le défaut d’action dans les solides ne peut pas faire suppurer. Les sucs arrêtés se dépravent, & deviennent sort susceptibles de pourriture. Il faut dans ce cas, à raison de la vive douleur, joindre aux remedes adoucissans des anodyns volatils & un peu actifs, comme le camphre, les fleurs de sureau. Les oignons cuits corrigent la suppuration putride ; l’esprit-de-vin est employé utilement pour résister à la pourriture. On suit d’ailleurs dans ces cas les indications générales, qui sont de faire dégorger par les scarifications, les sucs arrêtés dans les chairs mortes, ou prêtes à tomber en mortification ; de procurer la séparation des escarres, en excitant une suppuration purulente dans les chairs vives.

La pourriture qui précede la gangrene humide, en est la principale cause. Lorsqu’elle vient de la dissolution putride de la masse des humeurs, les malades périssent en peu de jours. Les sucs vicieux & putrides que fournissent les vieux ulceres cacoethes, sont aussi une cause de gangrene, qu’on reprime par des détersifs irritans, lorsqu’ils dependent du vice local. L’eau phagedénique, l’ægyptiac, le sublimé corrosif, détruisent les chairs gangrenées. Les anciens avoient recours au feu pour cautériser les mauvaises chairs.

Les ulceres scorbutiques sont fort sujets à la gangrene. Les remedes anti-scorbutiques doivent être pris intérieurement pour corriger le vice de la masse du sang ; & l’on panse aussi avec grand succès les ulceres, dont on touche les chairs gangreneuses avec l’esprit ardent des plantes anti-scorbutiques, & les couvrant ensuite de remedes anti-putrides ordinaires.

Nous parlerons des hernies avec gangrene au mot Hernie.

La gangrene seche est celle qui n’est point accompagnée d’engorgement, & qui est suivie d’un desséchement, qui préserve la partie morte de tomber en dissolution putride ; la partie commence à devenir froide ; la chaleur cesse avec le jeu des arteres ; ces vaisseaux se resserrent par leur propre ressort ; les chairs mortifiées deviennent plus fermes, plus coriaces, & plus difficiles à couper que les chairs vives. Les parties sont mortes bien auparavant qu’elles ne se dessechent. J’ai vû emporter plusieurs membres beaucoup plus haut que ce qui en paroissoit gangrené. Les malades ne sentoient rien ; les chairs étoient sans pourriture, comme celles d’un homme récemment mort ; il ne sortit qu’un peu de sang noirâtre. Les malades éprouvent quelquefois un sentiment de chaleur brûlante, quoique la partie soit actuellement froide ; quelquefois ils sentent un froid très-douloureux ; & il y a des gangrenes seches qui s’emparent d’une partie sans y causer de douleur. Les malades s’apperçoivent seulement d’un sentiment de pesanteur & d’engourdissement. Cette maladie peut venir de la paralysie des arteres. M. Boerhaave parle d’un jeune homme qui avoit eu l’artere axillaire coupée. Son bras étoit devenu sec & aride, ensorte qu’il étoit en tout semblable à une momie d’Egypte.

Le progrès des gangrenes seches est ordinairement fort lent : quelquefois il est très-rapide. Il y a des gangrenes seches critiques ; elles sont salutaires, lorsqu’elles se placent avantageusement & qu’elles ne s’étendent pas trop ; car il est impossible d’en arrêter le progrès. L’amputation ne peut avoir lieu qu’après que toute la cause morbifique est déposée, que la mortification s’est fixée, & qu’on en connoît manifestement les bornes.

Parmi les causes qui éteignent l’action organique des vaisseaux artériels, & qui par cette extinction causent ensuite la perte de la partie, il y en a qui s’introduisent par la voie des alimens ; tel est l’usage du blé ergoté : le virus vénérien & le scorbutique produisent assez souvent de pareilles gangrenes. Les causes des maladies aiguës en se portant sur une partie, peuvent la faire tomber subitement en mortification, sans y causer aucun engorgement ni inflammation précédente.

Cette maladie présente trois indications générales : prévenir le mal, en arrêter les accidens, le guérir lorsqu’il est arrivé.

L’épuisement & la caducité qui donnent lieu à cette maladie dans les vieillards, n’empruntent de la Medecine que quelques remedes fortifians, presque toûjours assez inutiles. On peut opposer au vice vénérien le spécifique connu, & l’on peut combattre avec avantage les causes qui dépendent de tout autre vice humoral, qui éteint immédiatement l’action organique des vaisseaux artériels d’une partie ; j’entends parler de l’usage du quinquina. Des auteurs respectables assûrent que les essais qu’on a faits en France de ce remede, n’ont que confirmé les succès équivoques, rapportés dans les observations qu’on a rendues publiques en Angleterre.

Les succès seroient équivoques, si les auteurs ne nous avoient communiqué les cures qu’ils ont faites que pour se faire honneur du succès, si l’on ne voyoit pas des observateurs attentifs à démêler les effets de la nature d’avec ceux de l’art, & qu’ils n’eussent pas exposé scrupuleusement plusieurs phénomenes, sur lesquels ils ont connu qu’il étoit important d’être éclairés. Le quinquina donne du ressort aux vaisseaux, il corrige dans le sang les sucs putrides, qui sont les causes de la gangrene. C’est M. Rushworth chirurgien à Northampton, qui a fait cette découverte en 1715. MM. Amyand & Douglas, chirurgiens de Londres, ont confirmé la vertu de ce remede. M. Shipton aussi chirurgien anglois, a parlé dans les transactions philosophiques, des bons effets qu’il lui a vû produire. On lit dans les essais de la société d’Edimbourg, plusieurs observations sur l’efficacité du quinquina dans la gangrene interne : l’on y voit l’interruption de l’usage du remede marquée par un ralentissement de séparation dans les escarres, & cette séparation se rétablir en reprenant le quinquina. Dans un autre malade, toutes les fois qu’il arrivoit qu’on laissoit plus de huit heures d’intervalle entre chaque prise de quinquina, on étoit sûr de trouver une suppuration moins abondante & d’une plus mauvaise qualité. M. Monro a confirmé cette observation par sa propre expérience, & il a étendu l’usage du quinquina à beaucoup de cas, en conséquence d’effets si marqués, qu’on ne peut établir aucun doute pour les infirmer. On ne doit point toucher aux escarres ; c’est à la nature à les détacher ; les tentatives indiscretes sont dangereuses. On irrite les chairs vives, & la gangrene seche qui n’est pas contagieuse, peut le devenir ; & au lieu d’arrêter la mortification, on contribue à ses progrès. Les chairs vives découvertes doivent être pansées avec les digestifs balsamiques, comme toutes les plaies avec perte de substance. On peut aider à la séparation du membre, & même accélérer cette opération de la nature, en coupant le membre qui embarrasse au-dessous de la ligne de séparation, & préservant le moignon de pourriture avec des remedes balsamiques. Le bout du moignon se séparera comme une escarre, & plus facilement que le membre entier. On doit lire principalement, sur la gangrene, le traité de Fabricius Hildanus ; les commentaires de M. Wanswieten, sur les aphorismes de Boerhaave, & le traité de M. Quesnay. (Y)

Gangrene, (Manége & Maréchall.) Voyez sa définition à l’article précédent.

Cette maladie est infiniment moins funeste & moins commune dans le cheval que dans l’homme, dont les humeurs, conséquemment à un mauvais régime & aux différentes impuretés fournies par les substances souvent nuisibles dont il se nourrit, sont exposées à divers genres de dépravation & de perversion que nous n’observons point dans les fluides de l’animal.

Nous ne la considérerons ici que sous le caractere distinctif de gangrene humide, produite par des causes extérieures, & capables par elles-mêmes de priver une partie des sucs qui l’entretiennent ; telles sont les ligatures, les étranglemens, les compressions sur quelques vaisseaux considérables : ou de la suffoquer & d’éteindre en elle le mouvement & la vie ; tels sont un air pestilentiel qui occasionne des charbons, & la morsure des bêtes venimeuses : ou de la détruire enfin ; telles sont les fortes contusions & les brûlures.

Les effets de ces causes qui réduisent plus ou moins promptement la partie affligée à un véritable état de mort, se manifestent différemment.

Supposons un obstacle à la liberté du mouvement circulaire, à l’occasion d’une ligature extrèmement serrée, ou de la formation d’une tumeur dure & voisine de quelques gros tuyaux, ou du déplacement d’un os, ou de l’étranglement que peuvent éprouver des vaisseaux, conséquemment à une irritation & à une inflammation des parties nerveuses ou membraneuses. Si cet obstacle intercepte totalement le passage des liqueurs dans le canal artériel & dans le canal veineux, la partie perd bien-tôt le mouvement, la chaleur, & même le sentiment, dans le cas où le nerf se ressent de la compression. Le gonflement qui survient est médiocre ; la peau & les chairs sont molles & dénuées d’élasticité ; le poil tombe, l’épiderme se sépare, on apperçoit un suintement d’une sérosité putréfiée, enfin une couleur verdâtre ou livide, & une puanteur cadavéreuse, annoncent la mortification absolue. Au contraire si l’empêchement est tel que le sang puisse encore se frayer une route par la voie des arteres, l’engorgement a d’abord lieu dans les veines, une moindre opposition suffisant pour arrêter ce fluide dans son retour ; il s’y accumule, il force ces tuyaux, & les artériels ensuite ; l’enflure & la douleur sont excessives, la chaleur subsiste & se maintient dans la partie, tant que les pulsations du cœur & l’action des arteres peuvent y influer, & l’inflammation est véritable & réelle : mais quelque tems après la vie s’éteint totalement, les humeurs croupies se putréfient, les fibres tombent en dissolution, & l’épiderme enlevé nous présente une peau & des chairs dans une entiere pourriture. Il arrive aussi quelquefois, & le plus souvent dans les étranglemens produits par l’irritation d’une partie membraneuse ou aponévrotique, ainsi qu’on l’observe dans certaines blessures, que les arteres conservent assez de mouvement & de jeu pour déterminer une suppuration : alors il se forme des dépôts, des fusées, & la gangrene ne se montre qu’en quelques points de la portion qui est affectée.

Celle qui suit la morsure des bêtes venimeuses n’offre pas d’abord les mêmes symptomes, la substance ou l’humeur maligne, qui est introduite & versée dans la plaie, fait une impression subite sur les fluides & sur les solides ; elle coagule les uns, elle irrite & crispe les autres : de-là la douleur, la tension & la prompte inflammation de la partie ; tandis que d’une autre part le venin se dispersant & s’insinuant dans la masse, porte dans l’économie animale un trouble que décelent un grand abattement, des syncopes, des sueurs froides, quelquefois des tranchées & un dérangement dans toutes les secrétions, également produit par l’éréthisme des solides & par l’état des liqueurs. C’est à ces divers accidens qu’il est possible de distinguer dans l’animal, privé de la faculté de se plaindre, la cause & la nature du mal, sur lequel il n’est plus permis de former aucun doute, lorsque l’enflure subsistant malgré la diminution de la tension & de la douleur, la partie lesée devient froide, molle, pâteuse, & d’un rouge extrèmement foncé en plusieurs endroits.

Les charbons causés par la peste sont toûjours accompagnés d’un escarre, que l’on doit envisager comme une portion gangrenée. Cette gangrene a sa source dans l’acrimonie très-active des corpuscules pestilentiels, mêlés avec les humeurs, & qui se déposent particulierement en un lieu quelconque. Là ils suscitent aussi-tôt la douleur, la tension & l’inflammation, à laquelle nous voyons succéder la pourriture & la mort de toute la partie sur laquelle le virus s’est spécialement fixé.

Dans les fortes contusions, d’un côté les solides sont écrasés & dénués de leur ressort & de leur élasticité ordinaires ; de l’autre les fluides extravasés entre les fibres dilacerées & macerées, croupissent au point de se pervertir totalement. Si cet accident ne cede point à l’action des résolutifs, ou des autres moyens par lesquels on pourroit tenter d’y remédier, il n’est pas douteux que la douleur & la chaleur s’évanoüiront, & que l’inflammation dégénérera en une mollesse œdémateuse, à laquelle nous ne pouvons méconnoître une gangrene commençante, suivie de beaucoup plus d’humidité que les autres, attendu l’abord & l’accumulation continuelle des sucs, que la partie, dont l’action organique est en quelque façon abolie, ne sauroit dominer & renvoyer.

Enfin, de tous ces différens agens pernicieux, celui qui agit le plus simplement, est le feu. En même tems qu’il crispe & qu’il resserre les parties molles, il raréfie les fluides, il en dissipe les parties les plus subtiles ; les plus grossieres restent, elles se coagulent, elles se fixent dans les vaisseaux, dont les fibres sont elles-mêmes tellement resserrées, qu’elles ne font plus avec cette matiere coagulée qu’une masse informe. Les parties voisines de cette masse se ressentent aussi de l’impression de ce corps brûlant ; elles eprouvent une inflammation, un engorgement, qui portant atteinte à leur jeu, ne leur permettent pas de changer en un pus loüable les sucs arrêtés, & contribuent à une mortification qui ne differe en rien, par son caractere & par ses suites, d’une gangrene véritablement humide.

La connoissance de la maniere dont une cause morbifique affecte & frappe une partie, & de l’état de cette même partie, conséquemment à l’effet de cette cause, conduit aisément à celle des ressources que l’art nous suggere & nous fournit pour aider la nature, & pour triompher des obstacles qui peuvent en gêner les opérations.

Dans la circonstance de l’interruption de la circulation, ou l’on ôtera les ligatures, ou l’on remettra l’os déplacé qui comprime, ou l’on remettra membranes tendues & crispées d’où résulte l’étranglement ; ou l’on détruira la tumeur qui produit le mal, si elle n’est pas intérieure, inaccessible, & pourvû qu’elle n’adhere pas à quelque vaisseau qu’il seroit dangereux d’intéresser ; à moins qu’on ne veuille, après avoir vainement recouru à des fondans, toûjours inefficaces en pareil cas, risquer une extirpation, qui ne peut à la vérité avoir des suites plus fâcheuses que celles d’une compression, qui occasionnera inévitablement la perte d’un membre que nous n’aurons sans doute garde d’amputer, dans le dessein & dans l’espérance de conserver les jours d’un animal dès-lors inutile.

S’il s’agit d’une gangrene qui se manifeste ensuite de la morsure d’une bete venimeuse, ce qui prouve que la blessure a été négligée dans les commencemens, il est fort à craindre que les ravages & les desordres que le venin a produits. tant au-dedans qu’au-dehors, ne rendent tous nos secours infructueux : on fera néanmoins des scarifications jusqu’au vif, à l’effet de favoriser l’évacuation des humeurs coagulées ; & l’action des médicamens aromatiques & spiritueux, qui, s’ils pénetrent très-avant, amortiront peut-être celle de la liqueur funeste qui a été introduite dans la plaie, ranimeront les parties qui sont encore susceptibles d’oscillations & des mouvemens, & pourront borner ainsi le cours de la contagion.

A l’égard de la pourriture qui arrive après des charbons pestilentiels, la cautérisation est la voie la plus courte & la plus sûre d’en arrêter le progrès, & de surmonter les effets du virus qui la provoque. On doit d’abord ouvrir la tumeur, quand elle est en état d’être ouverte, par un bouton de feu appliqué vivement, & de maniere qu’il se fraye une route jusque dans le centre & dans le foyer. Lorsque la suppuration est bien établie, on peut la cerner avec quelques raies de feu donné en façon de rayons, afin de limiter l’escarre, d’en accélérer & d’en faciliter la chûte, par l’abondance de la matiere suppurée dont le flux succede à cette application. Nous ne parlons point au surplus ici du traitement intérieur qu’exige cette maladie, & qui principalement dans ce cas, ainsi que dans le précédent, consiste dans l’administration des médicamens alexiteres & cordiaux, capables d’atténuer le sang & les humeurs, & de faire passer par la voie de la transpiration & des urines, ce qui pourroit les fixer de plus en plus.

Quant à la gangrene par contusion, il n’importe pas moins de solliciter la séparation des parties mortes & l’écoulement de tous les sucs putréfiés. On pourra y parvenir en soûtenant & en augmentant l’action des parties voisines par des remedes spiritueux, en même tems que par d’amples scarifications. On ménagera à ces mêmes remedes les moyens de faire des impressions salutaires & profondes ; aux sucs extravasés, ceux de s’évacuer ; & aux parties saines, ceux d’occasionner promptement la chûte des fibres détruites.

Enfin dans la gangrene par brulure on aura attention de mettre des défensifs, tels que ceux qui résultent des médicamens savonneux mêlés avec le vin, sur les portions qui avoisinent la partie brulée, tandis qu’on employera sur celle-ci des émolliens & des suppuratifs pour hâter la séparation du mort d’avec le vif par une suppuration purulente, qui, trop tardive quelquefois, nous impose l’obligation de faire dégorger par des taillades les sucs arrêtés dans les chairs mortes, & de la provoquer par ce moyen.

Tels sont les remedes auxquels nous avons recours dans toutes les affections gangreneuses qui procedent des causes externes. Il en est d’autres qui tendent à regénérer les chairs, à les dessécher, à les cicatriser ; à détruire des dépôts ; à fortifier les parties après la cure, à les assouplir, à les rétablir dans leur mouvement & dans leur jeu. Mais outre que tous ces objets nous entraîneroient trop loin, il seroit assez difficile de tracer sur ces points divers, des regles certaines, chaque cas exigeant quelques différences dans le traitement ; ce qui constitue conséquemment le maréchal dans la nécessité de faire usage des lumieres particulieres qu’il doit avoir, ou qu’on ne sauroit trop le presser d’acquérir.