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c'est être indigne d'Octave. Que de fois ne m'a-t-il pas dit, que tel est le signe secret auquel on reconnaît les âmes nobles! Ah! je me soumettrai à votre arrêt, mon noble ami, mon cher Octave! La fièvre lui donnait l'audace de prononcer ce nom à demi voix, et elle trouvait du bonheur à le répéter.
c’est être indigne d’Octave. Que de fois ne m’a-t-il pas dit, que tel est le signe secret auquel on reconnaît les âmes nobles ! Ah ! je me soumettrai à votre arrêt, mon noble ami, mon cher Octave ! La fièvre lui donnait l’audace de prononcer ce nom à demi-voix, et elle trouvait du bonheur à le répéter.


Bientôt Armance se vit religieuse. Il y eut des moments où elle était étonnée des ornements mondains qui paraient sa petite chambre. Cette belle gravure de la madone de San Sisto que m'a donnée Mme de Malivert, il faudra la donner à mon tour, se dit-elle; elle a été choisie par Octave, il l'a préférée au Mariage de la Madone, le premier tableau de Raphaël. Déjà dans ce temps-là je me souviens que je disputais avec lui sur la bonté de son choix, uniquement pour avoir le plaisir de le voir le défendre. L'aimais-je donc sans le savoir? l'ai-je toujours aimé? Ah! il faut arracher de mon cœur cette passion affreuse. Et la malheureuse Armance, cherchant à oublier son cousin, trouvait son souvenir mêlé à toutes les actions de sa vie même les plus indifférentes. Elle était seule, elle avait renvoyé sa femme de chambre afin de pouvoir pleurer sans contrainte. Elle sonna et fit transporter ses gravures dans la pièce voisine. Bientôt la petite chambre fut dépouillée et seulement ornée de son joli papier bleu lapis. Est-il permis à une religieuse, se dit-elle, d'avoir un papier dans sa cellule? Elle pensa longtemps à cette difficulté; son âme avait besoin de se figurer exactement l'état où elle serait réduite dans sa cellule; l'incertitude à cet égard était au delà de tous les maux, car c'était l'imagination qui se chargeait de les peindre. Non, se dit-elle enfin les papiers ne doivent pas être permis, ils n'étaient pas inventés du temps des fondatrices des ordres religieux; ces ordres viennent d'Italie; le prince Touboskine nous disait qu'une muraille blanchie chaque année avec de la chaux est le seul ornement de tant de beaux monastères. Ah! reprit-elle dans son délire, il faut peut-être
Bientôt Armance se vit religieuse. Il y eut des moments où elle était étonnée des ornements mondains qui paraient sa petite chambre. Cette belle gravure de la madone de San Sisto que m’a donnée madame de Malivert, il faudra la donner à mon tour, se dit-elle ; elle a été choisie par Octave, il l’a préférée au ''Mariage de la Madone'', le premier tableau de Raphaël. Déjà dans ce temps-là je me souviens que je disputais avec lui sur la bonté de son choix, uniquement pour avoir le plaisir de le voir le défendre. L’aimais-je donc sans le savoir ? l’ai-je toujours aimé ? Ah ! il faut arracher de mon cœur cette passion affreuse. Et la malheureuse Armance, cherchant à oublier son cousin, trouvait son souvenir mêlé à toutes les actions de sa vie même les plus indifférentes. Elle était seule, elle avait renvoyé sa femme de chambre, afin de pouvoir pleurer sans contrainte. Elle sonna et fit transporter ses gravures dans la pièce voisine. Bientôt la petite chambre fut dépouillée et seulement ornée de son joli papier bleu lapis. Est-il permis à une religieuse, se dit-elle, d’avoir un papier dans sa cellule ? Elle pensa longtemps à cette difficulté ; son âme avait besoin de se figurer exactement l’état où elle serait réduite dans sa cellule ; l’incertitude à cet égard était au delà de tous les maux, car c’était l’imagination qui se chargeait de les peindre. Non, se dit-elle enfin les papiers ne doivent pas être permis, ils n’étaient pas inventés du temps des fondatrices des ordres religieux ; ces ordres viennent d’Italie ; le prince Touboskine nous disait qu’une muraille blanchie chaque année avec de la chaux est le seul ornement de tant de beaux monastères. Ah ! reprit-elle dans son délire, il faut peut-être

Version du 17 décembre 2015 à 16:55

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c’est être indigne d’Octave. Que de fois ne m’a-t-il pas dit, que tel est le signe secret auquel on reconnaît les âmes nobles ! Ah ! je me soumettrai à votre arrêt, mon noble ami, mon cher Octave ! La fièvre lui donnait l’audace de prononcer ce nom à demi-voix, et elle trouvait du bonheur à le répéter.

Bientôt Armance se vit religieuse. Il y eut des moments où elle était étonnée des ornements mondains qui paraient sa petite chambre. Cette belle gravure de la madone de San Sisto que m’a donnée madame de Malivert, il faudra la donner à mon tour, se dit-elle ; elle a été choisie par Octave, il l’a préférée au Mariage de la Madone, le premier tableau de Raphaël. Déjà dans ce temps-là je me souviens que je disputais avec lui sur la bonté de son choix, uniquement pour avoir le plaisir de le voir le défendre. L’aimais-je donc sans le savoir ? l’ai-je toujours aimé ? Ah ! il faut arracher de mon cœur cette passion affreuse. Et la malheureuse Armance, cherchant à oublier son cousin, trouvait son souvenir mêlé à toutes les actions de sa vie même les plus indifférentes. Elle était seule, elle avait renvoyé sa femme de chambre, afin de pouvoir pleurer sans contrainte. Elle sonna et fit transporter ses gravures dans la pièce voisine. Bientôt la petite chambre fut dépouillée et seulement ornée de son joli papier bleu lapis. Est-il permis à une religieuse, se dit-elle, d’avoir un papier dans sa cellule ? Elle pensa longtemps à cette difficulté ; son âme avait besoin de se figurer exactement l’état où elle serait réduite dans sa cellule ; l’incertitude à cet égard était au delà de tous les maux, car c’était l’imagination qui se chargeait de les peindre. Non, se dit-elle enfin les papiers ne doivent pas être permis, ils n’étaient pas inventés du temps des fondatrices des ordres religieux ; ces ordres viennent d’Italie ; le prince Touboskine nous disait qu’une muraille blanchie chaque année avec de la chaux est le seul ornement de tant de beaux monastères. Ah ! reprit-elle dans son délire, il faut peut-être