« Les Amoureuses/Nature impassible » : différence entre les versions

La bibliothèque libre.
Contenu supprimé Contenu ajouté
nouvelle page
 
Phe (discussion | contributions)
mAucun résumé des modifications
Ligne 4 : Ligne 4 :




==__MATCH__:[[Page:Daudet - Les Amoureuses, Charpentier, 1908.djvu/83]]==


{{t3|NATURE IMPASSIBLE}}





Version du 25 mai 2016 à 01:55



__MATCH__:Page:Daudet - Les Amoureuses, Charpentier, 1908.djvu/83

NATURE IMPASSIBLE


 
Lorsque l’homme pleura sa première chimère,
Moins impassible qu’aujourd’hui,
La nature sentit frémir ses flancs de mère
Et voulut pleurer avec lui.
Tout s’assombrit. Les cieux n’eurent plus une étoile,
La terre n’eut plus une fleur.
Le soleil se cloîtra, la lune prit le voile,
Et la forêt tordit ses branches, de douleur.

Les couchants lumineux, les aubes éclatantes
S’éteignirent en un clin d’œil.
Les brumes de l’hiver déployèrent leurs tentes,
Les plaines prirent le grand deuil.
Le lac mouilla ses bords de son flot le plus triste ;
Dans la Notre-Dame des Bois
Les oiseaux et le vent, les clercs et l’organiste
Chantèrent en mineur pour la première fois.

La douleur arrachait des larmes aux abîmes
Et des cris de rage aux volcans.
Les ravins éplorés eurent des mots sublimes,
Les rochers furent éloquents.
« Nous voulons notre part de la souffrance humaine »,
Sanglotaient les vieux antres sourds…
L’homme oublia son mal au bout d’une semaine ;
Après quatre mille ans, eux sanglotaient toujours.

Quand la mère au grand cœur fut enfin consolée,
Presque honteuse de ses pleurs,
Vite elle rajusta les plis de sa vallée
Et mit son chaperon de fleurs.
Puis elle se dressa belle de tous ses charmes,
Poussant du vert à pleins talus ;
Mais sachant désormais ce que valent nos larmes,
Elle nous dit : « C’est bien ! vous ne m’y prendrez plus. »

Pour moi, si les douleurs chères aux grandes âmes
Viennent m’assaillir quelque jour,
Si jamais je m’éprends dans le troupeau des femmes
Trop belles pour aimer l’amour ;
Ou si, voyant mourir quelque chose qui m’aime,
Vivant, je souffre mille morts,
O nature ! tu peux rester toujours la même,
Je me passerai bien des pitiés du dehors.

Les plateaux de colzas, les blés, les plaines d’orge
Pourront impunément fleurir ;
Je ne leur mettrai pas ma douleur sur la gorge,
Non ! je serai seul à souffrir.

Terre, tu souriras ; bois, vous ferez comme elle.
Vous, les lacs, vous resplendirez,
Et vous chanterez tous sans craindre que je mêle
Un blasphème ou des pleurs à vos concerts sacrés.