29 avril 1874
Exposition du boulevard des Capucines. Les impressionnistes
M. Monet a des emportements de main qui font merveille. À la vérité, je n’ai pu trouver le point d’optique pour voir son Boulevard des Capucines ; il m’eût fallu, je crois, traverser la rue et regarder le tableau des fenêtres de la maison d’en face. Mais les natures mortes de son Déjeuner sont superbement brossées, et son Soleil levant dans le brouillard retentit comme les accents de la diane au matin.
M. Sisley a de la distinction, et il la porte jusqu’à la grâce dans un paysage vraiment poétique qu’il intitule Route de Saint-Germain.
M. Renoir a l’audace. C’est à lui qu’on avait refusé l’an passé cette Amazone revenant du bois, où il y avait de si remarquables parties de dessin et de modelé. La Loge qu’il expose aujourd’hui est encore empruntée aux mœurs contemporaines, et les personnages, vus à mi-corps, y sont de grandeur naturelle. Le soir, à la lumière, cette femme, décolletée, gantée, fardée, rose aux cheveux et rose entre les seins, fait illusion.
M. Degas a l’étrangeté et pousse quelquefois jusqu’à la bizarrerie. Les chevaux, les ballerines, les blanchisseuses, voilà ses sujets de prédilection, et ce qui paraît le préoccuper exclusivement dans tout le monde qui l’entoure. Mais quelle justesse dans le dessin et quelle jolie entente de la couleur !
Mlle Berthe Morisot enfin a de l’esprit jusqu’au bout des ongles, surtout au bout des ongles. Quel fin sentiment artistique ! On ne saurait trouver pages plus gracieuses, plus délibérément et plus délicatement touchées, que le Berceau et Cache-cache, et j’ajouterai qu’ici l’exécution est en rapport parfait avec l’idée à exprimer.
Ce sont là les notes personnelles à chacun. Les vues communes qui les réunissent en groupe et en font une force collective au sein de notre époque désagrégée, c’est le parti pris de ne pas chercher le rendu, de s’arrêter à un certain aspect général. L’impression une fois saisie et fixée, ils déclarent leur rôle terminé. La qualification de Japonais, qu’on leur a donnée d’abord, n’avait aucun sens. Si l’on tient à les caractériser d’un mot qui les explique, il faudra forger le terme nouveau d'Impressionnistes. Ils sont impressionnistes en ce sens qu’ils rendent non le paysage, mais la sensation produite par le paysage. Le mot même est passé dans leur langue : ce n’est pas paysage, c’est Impression que s’appelle au catalogue le Soleil levant de M. Monet. Par ce côté, ils sortent de la réalité et entrent en plein idéalisme.
Ainsi ce qui les sépare essentiellement de leurs prédécesseurs, c’est une question de plus ou de moins dans le fini. L’objet de l’art ne change pas, le moyen de traduction seul est modifié, d’autres diraient