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ne sont-elles serpens tout-à-fait, car les serpens se dépouillent chaque année de leur vieille peau et se rajeunissent.




Le marquis promit à la signora de la ramener à Bologne dès que l’indisposition qui la retenait au lit aurait cessé. On arrangea que le professeur prendrait les devans, et que le poète jouirait de la voiture du marquis, dont le siège du cocher pourrait le contenir lui et le petit chien favori. Pendant cet arrangement, la porte de la chambre voisine s’ouvrit violemment, et une créature singulière s’élança au milieu de nous.

Muses du monde ancien et du monde nouveau, et vous-mêmes, muses qui n’avez pas encore été découvertes, et dont j’ai soupçonné depuis long-temps l’existence dans les forêts et sur les mers, je vous en conjure, donnez-moi des couleurs pour peindre cette création qui est bien, après la vertu, ce qu’il y a de plus splendide sur la terre ! Certes, de toutes les magnificences, la vertu, il n’en faut pas douter, est bien la plus grande. Dieu l’orna de tant de charmes, qu’on eût dit qu’il avait épuisé ses trésors ; mais il rassembla de nouveau ses forces, et dans un moment propice, il créa la signora Francesca, la belle danseuse, grand chef-d’œuvre qu’il produisit après la vertu, en quoi il ne se répéta pas le moins du monde, comme font les compositeurs terrestres. — Non, Francesca est une création tout originale ; elle n’a point la moindre ressemblance avec la vertu, et il est des connaisseurs qui n’accordent à cette dernière que le mérite de l’ancienneté. Mais est-ce donc un si grand défaut pour une danseuse, que d’être de six cents ans trop jeune ?

Je la vois encore, s’élançant de la porte brusquement ouverte, jusqu’au milieu de la chambre, tournant de la même impulsion vingt fois sur un seul pied, puis se jetant de toute sa longueur sur le sofa, se couvrant les yeux de ses deux mains, et s’écriant hors d’haleine : Ah ! que je suis donc lasse de dormir ! Le marquis vint faire son compliment à la signora Francesca, qui, encore à demi endormie, l’écouta à peine ; et lorsqu’il lui demanda la permission de baiser ses pieds, et qu’il se fut agenouillé sur le mouchoir de soie jaune qu’il tirade sa poche, elle lui tendit indifféremment son pied gauche, qui était renfermé dans un charmant soulier rouge, tandis que le pied droit portait un soulier bleu, coquetterie piquante qui faisait encore mieux ressortir des formes délicates et gracieuses. En se relevant, le marquis demanda la permission de me présenter, ce qui lui fut accordé en bâillant. Je priai aussi la dame de me permettre de baiser son pied gauche ; mais, au moment où j’allais partager cet honneur, elle se réveilla comme d’un rêve, s’inclina vers moi en souriant,