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Berthollet, Laplace et Lagrange à côté de Kellermann, Jourdan et Lefebvre, Otto et Tronchet à côté de m’asséna, Angereau, Ney, Lannes, Soult et Davout, quatre cardinaux à côté de dix-huit maréchaux, et de même au-dessous, jusqu’à des caporaux, à des vétérans d’Egypte aveuglés par l’ophtalmie du Nil, y compris les simples soldats qui, par des actions d’éclat, ont déjà gagné le sabre ou le fusil d’honneur, par exemple ce Coignet [1], qui, la baïonnette en avant et tuant cinq artilleurs autrichiens sur leur pièce, a pris un canon à lui seul : six ans auparavant, il était garçon d’écurie dans une terme, et il ne sait ni lire ni écrire ; à présent, le voilà l’un des premiers nommés de la première promotion, confrère et presque camarade de Monge, l’inventeur de la géométrie descriptive, de Fontanes, le grand-maître de l’université, des maréchaux, des amiraux, des plus hauts dignitaires, tous propriétaires en commun d’un trésor inestimable, légitimes héritiers de toute la gloire accumulée depuis douze ans par le sacrifice de tant de vies héroïques, d’autant plus glorifiés qu’ils sont en plus petit nombre [2] et qu’en ce temps-là un homme ne gagne pas la croix par vingt ans d’assiduité dans un bureau, à force de ponctualité dans la routine, mais par des merveilles d’énergie et d’audace, par des blessures, par la mort cent fois bravée et regardée tous les jours en face.

Désormais, dans l’opinion et de par la loi, ils sont l’état-major de la société nouvelle, ses notables déclarés, vérifiés, pourvus de préséances et même de privilèges. Quand ils passent dans la rue, le factionnaire leur présente les armes ; un piquet de vingt-cinq hommes figure à leur convoi ; dans les collèges électoraux de département ou d’arrondissement, ils sont électeurs de droit et sans être élus, par la seule vertu de leur grade ; leurs fils ont des bourses à La Flèche, à Saint-Cyr, dans les lycées ; leurs filles, à Ecouen ou à Saint-Denis. Sauf le titre d’autrefois, rien ne leur manque pour

  1. Les Cahiers du capitaine Coignet, passim, et p. 95. 145. Au sortir de la cérémonie, a le » belles dames, qui pouvaient m’approcher pour toucher à ma croix, me demandaient la permission de m’embrasser. » — Au Palais-Royal. le maître du café lui dit : « Je vais vous servir ce que vous désirez : les membres de la Légion d’honneur sont régalés gratis. »
  2. Mazas, ibid., p. 413. — Edmond Blanc, Napoléon : ses institutions civiles et administratives, p. 279. — Primitivement, le nombre des décorés doit être de 6.000. En 1806, l’empereur a fait 14,560 nominations, et, si l’on prend tout son règne, jusqu’à sa chute, environ 48,000. Mais l’effectif réel des légionnaires vivans en même temps ne dépasse pas 30,000, dont 1,200 seulement dans les carrières civiles. — Aujourd’hui, 1er décembre 1888 (documens fournis par la grande-chancellerie de la légion d’honneur), il y a 52,915 décorés, dont 31,757 militaires et 21, 158 civils. Partout, sous l’empire, il y avait une croix pour 1, 400 Français, et aujourd’hui il y a une croix pour 730 Français ; en ce temps-là, sur 50 croix, il n’y en avait que 2 pour les services civils ; de nos jours, c’est près de 20.