« Charles Baudelaire, étude biographique/Préface » : différence entre les versions

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Version du 12 mars 2009 à 01:38

Étude biographique
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morts dont l’humanité recueille jusqu’aux vestiges de leurs écrits… J’acquiesçai alors ; mais, du même coup, je prenais envers moi-même l’engagement de rééditer aussi, après l’avoir revue et complétée, la première partie du livre de M. Eugène Crépet, son Étude biographique, qu’on avait bien voulu déclarer, en 1887, aussi neuve en révélations que les manuscrits et les correspondances dont elle était suivie. Il me sembla que je devais cet effort autant à la mémoire de mon père qu’à ma ferveur baudelairienne.

Dans l’Avant-Propos de son ouvrage, M. Eugène Crépet a exposé par le détail à quel rare concours de circonstances et de bonnes volontés cette Étude devait son mérite. Possesseur lui-même des principaux manuscrits inédits du poète, il avait eu facilement accès auprès de nombreux collectionneurs, dont MM. de Spœlberch de Lovenjoul, Piat, Parran, Maurice Tourneux, notamment, qui, avec une obligeance toute confraternelle, lui avaient ouvert leurs archives.

Il fut assez heureux encore pour trouver chez M. Ancelle, conseiller judiciaire et confident intime de Baudelaire pendant vingt-deux ans, l’accueil le plus bienveillant et l’aide la plus désintéressée. Cet aimable octogénaire, dont l’âge n’avait pas glacé le cœur ni altéré l’esprit, se réjouit de donner à la mémoire de l’ami une dernière preuve de son dévouement ; les trésors de ses dossiers, incomparables pour la période du séjour en Belgique, vinrent enrichir l’étude du biographe.

Enfin il y avait, dans la vie de Baudelaire, une époque sur laquelle les renseignements certains faisaient défaut : ses années de jeunesse et de début dans les lettres. Par les notes pittoresques et circonstanciées que l’on sait — ou qu’on lira, — MM. Gustave Le Vavasseur, Ernest Prarond, Jules Buisson, Philippe de Chennevières, Auguste Dozon, Champfleury, qui, de 1841 à 1848, avaient été des plus intimes compagnons du poète, voulurent bien combler cette lacune regrettable….

Après avoir constaté les résultats inespérés de ses recherches, M. Eugène Crépet pouvait conclure : « Je crois avoir le droit de dire qu’aucune publication sur la vie ou sur les œuvres de Baudelaire ne renferme autant de matériaux de cette qualité. Je serais même en mesure d’établir que presqu’aucun document du même ordre ne peut plus se produire. » Le temps n’a point démenti cette affirmation qui, voici vingt ans, put sembler un peu téméraire. Les lignes fondamentales de la vie de Baudelaire, du Baudelaire le plus récent, — tel qu’il résulte des dernières publications, — étaient toutes dans l’Étude biographique de M. Eugène Crépet. Il n’est même que juste de dire qu’elles lui ont été souvent empruntées.

Cependant, depuis 1887, de nombreux documents ont paru, qui, s’ils n’apportaient pas de révélations capitales, n’en demeurent pas moins fort précieux, tant pour l’explication de l’œuvre baudelairienne que pour l’évocation de l’atmosphère où vécut son auteur. Ainsi, La Plume a étudié la vie de Jeanne Duval et dégagé l’influence qu’exerça la trop fameuse Vénus noire sur son malheureux amant ; Le Tombeau de Charles Baudelaire a essayé de pénétrer « l’architecture secrète » des Fleurs du Mal, ouvrant par là une voie féconde. Sur un signe de M. Maurice Tourneux, la Présidente est apparue, dans un éclair d’or et de soie, pour revendiquer les pièces admirables qui lui furent dédiées. Empruntant sa méthode à l’art de la mosaïque, M. Féli Gautier a fait tenir l’œuvre du poète dans l’étude de sa vie. M. Camille Lemonnier a raconté une des conférences de Bruxelles, Cladel une correction d’épreuves chez son maître, M. Georges Barral ses entretiens avec Baudelaire, en 1864, M. Catulle Mendès, la dernière nuit que celui-ci, encore vaillant, ait passée à Paris… Est-ce là tout, non certes ! Mais je ne puis énumérer ici tant de livres et d’articles qu’on trouvera mentionnés ou copieusement cités à leur place. — Toutes ces publications forment le premier fonds, et le plus important, où j’ai puisé les éléments de mon travail complémentaire.

J’en ai trouvé un second dans les ouvrages antérieurs à la publication de cette étude. L’abondance de ses matériaux neufs avait contraint M. Eugène Crépet à négliger quelque peu ses prédécesseurs. Le cadre nouveau de cette édition m’a permis de leur faire plus de place. C’est ainsi que j’ai multiplié les emprunts aux livres d’Asselineau et de Pincebourde ; ils m’ont semblé d’autant plus justifiés que ces ouvrages sont, depuis de longues années, complètement épuisés.

Enfin un troisième fonds m’a été fourni par les papiers qu’a laissés M. Eugène Crépet lui-même. Il y avait là des documents nombreux qui, pour diverses raisons, n’avaient été mis en œuvre, ou qu’incomplètement, par leur possesseur ; d’aucuns ne lui étant pas parvenus en temps utile ; d’autres desquels, faute de place encore, il avait dû se résigner à ne citer que les principaux passages, et qu’il était intéressant de restituer dans leur saveur et leur intégrité originales ; quelques-uns encore, d’un ordre très familier, voire tout intime et dont je dois croire que, dans un sentiment de réserve déférente, il avait préféré en ajourner la publication.

Ces derniers mots m’amènent à m’expliquer très nettement sur l’esprit où j’ai conçu ma tâche.

C’est un lieu commun, où excellent beaucoup de gens, que de s’élever avec indignation — et en deux colonnes — contre toute biographie qui, avec minutie et de propos délibéré, entre dans la vie privée d’un auteur ; il n’a pas été ménagé à M. Eugène Crépet ; j’ai de fortes raisons de croire qu’il me le sera moins encore. Soit. Je déclare d’avance qu’il me trouvera tout indifférent. Si des reproches de cette nature peuvent me sembler fondés quand l’œuvre de l’auteur considéré n’a que des rapports éloignés avec sa vie, — mais tout le trésor littéraire nous offrirait-il le phénomène d’une seule œuvre profonde dans ce cas ? — je proteste qu’au contraire c’est le droit absolu du biographe, déporter sa sonde jusque dans le cœur et les reins de son modèle, lorsque les investigations dans la vie éclairent l’œuvre d’une lumière utile à sa pleine compréhension. Niera-t-on que telle soit ici l’espèce ? Alors je demanderai, par exemple, si la publication des lettres de Baudelaire et de Mme Sabatier, — documents d’un ordre tout privé, que je sache, — n’a pas apporté le plus instructif commentaire à l’une des parties les plus mystérieuses des Fleurs du mal ; si, auprès du lecteur, quelques-unes des pièces en cause n’ont pas gagné à cette révélation un supplément d’humanité et de subjectivité, si l’on peut dire, qui fait mieux sentir leurs beautés et leur émotion ?

Mais, pour légitimer ses recherches les plus minutieuses et les plus intimes, une étude dont Baudelaire est l’objet peut encore exciper d’un argument plus convaincant et plus particulier que ceux dont la biographie a coutume de s’autoriser justement. Compte-t-on pour rien la légende baudelairienne ? À quel point elle fut préjudiciable à son infortuné héros, on ne le dira, on ne le prouvera jamais assez. Il lui dut, pendant sa vie, de n’être pas « pris au sérieux », comme le constatait tristement un témoin de sa lente agonie ; et l’homme mort, elle est cause que des doutes subsistent sur la sincérité du poète. Oui, chez beaucoup, « la peur d’être dupe de ce grand dédaigneux empêche la pleine admiration [1]. » Ainsi s’exprimait M. Paul Bourget, dans ses si pénétrants Essais de psychologie contemporaine : on ne saurait mieux rapporter ni mieux résumer le sentiment général.

Eh bien ! je dis qu’il n’y a point de considération qui doive prévaloir contre l’urgence de détruire, jusqu’en ses fondements, cette légende meurtrière. Le plus grand service dont les Baudelairiens puissent obliger la mémoire de leur poète, c’est donc d’arracher à la vérité jusqu’au dernier haillon dont elle se voile, en publiant intégralement tous les témoignages, tous les documents qu’ils possèdent, fussent ceux-ci d’un ordre familier et intime, — surtout s’ils sont tels, dirai-je même, car on y trouvera de meilleures raisons où asseoir sa conviction. L’heure est propice, puisque, assagi, le symbolisme a ramené la faveur et la curiosité du public vers le grand ancêtre que ses exubérances — d’ailleurs fécondes — avaient un instant aidé à compromettre. Et quelles convenances nous opposerait-on ? La respectabilité du lecteur ? — « Hypocrite lecteur mon semblable, mon frère !  » — Celle du poète ? Je répondrais d’abord que la morale d’un Baudelaire a le droit, de n’être pas taillée sur celle de la foule, puis qu’à jeter dans la balance commune sa vie tout entière, il n’est point prouvé que ses vertus ne l’emporteraient pas, et de beaucoup, sur ses faiblesses. Mais qu’importe ? L’important, c’est qu’allant rejoindre définitivement tant d’accessoires funambulesques du romantisme, le pourpoint moyennâgeux du bon Théo et l’ours que Byron menait au spectacle, les fables des cheveux verts ou de la cervelle de petit enfant cessent de faire tort aux Fleurs du Mal ; le capital, c’est qu’on puisse décider en connaissance de cause s’il faut continuer d’avoir « peur d’être dupe », ou si Baudelaire fut l’homme de son livre, si les Fleurs du Mal sont une œuvre sincère. Voilà où réside la vraie question baudelairienne, celle qui motive et légitime toutes les recherches biographiques, et qui ne sera entièrement résolue qu’à l’heure où la vie et le caractère de Baudelaire nous seront entièrement familiers.

J’ai fait ici ce qu’il était en mon pouvoir pour aider à son éclaircissement. Non point en prenant parti, — alors mon travail n’aurait valu que ce que vaut une opinion, — mais en réunissant aux documents déjà connus, tous ceux, sans réserve aucune, dont je disposais personnellement ou qu’on a bien voulu me communiquer. Ce livre se réclame donc, avant toute chose, de son caractère documentaire et de son effort centralisateur ; j’ose croire qu’il ne sera pas inutile. Pour ne mentionner que les principales entre les sources nouvelles qu’il apporte, on trouvera notamment, à l’Appendice, une longue suite de lettres adressées au poète, qui étaient restées inédites jusqu’à ce jour, et qui fournissent très opportunément sa contre-partie au Charles Baudelaire, Lettres, publié tout dernièrement par le Mercure de France. On y lira aussi le Recueil d’Anecdotes d’Asselineau, pour la première fois donné in-extenso ; nuls Baudelairiana ne nous avaient encore introduits aussi profondément dans l’intimité du poète, et il est à peine besoin d’insister sur le caractère de véracité qu’empruntent ces notes si pittoresques à la personnalité de leur auteur.

Quant à la partie de ce travail qui m’est personnelle, c’est éparse dans les multiples notes de cette Étude qu’il faut la chercher. Il est toujours délicat de revoir l’œuvre d’autrui ; alors quels scrupules n’éveille point une telle tâche quand l’auteur nous touche du plus près ? J’ai donc, dès l’origine de mon effort, adopté cette règle, de ne retoucher le corps du texte que si le besoin s’en faisait rigoureusement sentir, par exemple lorsque je me trouvais en présence d’une inexactitude matérielle, ou quand l’importance d’un document nouveau, à être reléguée au second plan, eût accusé un défaut regrettable dans les proportions de l’Étude. Pour continuer à m’exprimer par images architectoniques, j’ai respecté, autant qu’il était de moi, la façade du bâtiment existant, n’y ouvrant guère qu’une fenêtre neuve (le chapitre VIII), et j’ai empilé mes compléments, citations, rapprochements, commentaires de toute sorte, dans les fondations. À tout prendre, c’était là leur place marquée. N’ai-je pas dit que nombre de ces notes étaient simplement extraites des papiers de M. Eugène Crépet ? Il convenait donc qu’elles rejoignissent les bases

Il me reste à dire combien je suis redevable à tous ceux, gens de lettres, collectionneurs, éditeurs, qui m’ont aidé dans l’élaboration de ce livre. En première ligne, je citerai M. Albert Ancelle, le plus désintéressé des Baudelairiens, qui acheva de vider entre mes mains les richesses de ses dossiers, et M. Maurice Tourneux, dont l’accueillante érudition m’a évité tant de recherches. L’autorisation de M. Camille Lemonnier, contresignée par M. Fasquelle, m’a permis de reproduire un témoignage précieux sur une des tribulations les plus ignorées du poète ; celle de M. Alphonse Lemerre, de puiser abondamment dans l’ouvrage d’Asselineau ; celle de Mlle Judith Cladel, de donner des pages qui, mieux qu’aucunes autres, mettent en relief la haute vertu et la ferveur littéraires de Charles Baudelaire. Je dois encore à la gracieuseté de M. le vicomte de Spœlberch de Lovenjoul, d’avoir pu réimprimer les pièces capitales du livre de Pincebourde, et les documents mis au jour par M. Féli Gautier sont parmi les plus intéressants qui aient pris place ici. Enfin M. Jules Troubat, reportant sur le fils un peu de la cordiale sympathie qui l’unissait au père, a bien voulu l’aider souvent de ses souvenirs. On le voit, si ce livre a quelque mérite, il le doit moins à son signataire qu’à tous ses collaborateurs anonymes. Que ceux-ci, du moins, reçoivent l’assurance bien sincère de ma très vive gratitude.

Jacques Crépet
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  1. Essais de psychologie contemporaine (Alph. Lemerre, éd., 1885).