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Version du 19 août 2018 à 10:16
Journal | Revue pour les Français |
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Volume | 1 |
Auteur | Collectif |
Année d’édition | 1906 |
Fac-similés | djvu |
Avancement | Avancement inconnu |
Pages
Constitution dite de la Malmaison, qui rétablissait dix-sept cantons et créait un embryon de gouvernement fédéral. Mais au bout de quelques mois les unitaires reprirent le dessus ; le premier consul, dont ces lamentables dissensions favorisaient le secret calcul, les laissa faire ; à la fin de 1802 il intervint de nouveau et rédigea lui-même l’« Acte de médiation » par lequel la Suisse se trouvait placée sous le protectorat français. C’était l’humiliation, sans doute, mais c’étaient aussi la sécurité et le travail ; c’était la période indispensable au tassement des idées. Effectivement, la réaction de 1815 et les tentatives de rétablissement des anciens privilèges ne purent prévaloir contre l’esprit public : il était né, il vivait. La Suisse moderne existait.
La guerre civile la consolida. Serait-ce donc là le remède héroïque dont les républiques ont besoin pour vivre et faut-il croire avec Montesquieu que, si dans une monarchie la gloire et la sécurité reposent sur la confiance, la forme républicaine a, par essence, « besoin d’inquiétude ? » Dans tous les cas, il est bien curieux de constater l’effet vivifiant qu’opérèrent sur les États-Unis la guerre de Sécession, sur la Suisse la guerre du Sonderbund et sur la troisième République française les tristes batailles communistes de 1871.
Les Helvètes avaient depuis longtemps l’habitude de ces luttes fratricides que les rivalités cantonales, à l’origine, rendaient presque inévitables. Facilement on en venait aux mains et le sang répandu ne suffisait pas à guérir le pays de ces querelles funestes sans cesse renaissantes. Mieux valait cent fois qu’un effort fût tenté de part et d’autre pour vider la querelle centrale, celle qui alimentait toutes les autres. Le temps a passé sur ces épisodes du Sonderbund qui passionnèrent l’Europe de 1847. On peut aujourd’hui les apprécier impartialement. À la lumière de l’histoire, la rébellion des sept cantons s’explique et se légitime presque par l’usage que, dès lors, le parti radical faisait de ses victoires électorales ; elle est condamnable sans merci pour quiconque met en regard des intérêts lésés la grandeur du risque couru : l’unité suisse faillit y sombrer. La rapidité avec laquelle le gouvernement fédéral eut raison des révoltés et parvint à rétablir l’ordre changea en bien certain le mal probable.
Plus d’un coup de fusil a été tiré depuis lors ; les derniers éveillèrent, voici treize ans, les échos des vallées tessinoises ; mais ce ne furent que les salves d’adieu d’un séparatisme impuissant et en 1903 des fêtes se célébrèrent à Bellinzona dont la signification est à retenir. Cinq ans plutôt, l’ex-principauté de Neuchâtel consacrait le monument commémoratif du renversement de la domination prussienne ; le Tessin à son tour en érigea un en souvenir de son entrée comme État souverain dans la Confédération suisse. Tous les cantons envoyèrent des représentants ; le Conseil fédéral délégua deux de ses membres, et à travers les rues pavoisées défilèrent les cinq cents personnages d’un de ces cortèges historiques que les Suisses excellent à restituer. Une exposition cantonale à laquelle participèrent curés et maîtres d’école — les uns prêtant de précieux objets du culte remontant aux premiers siècles du christianisme, les autres envoyant les modestes travaux de leurs élèves — acheva de donner au centenaire un caractère très frappant d’apaisement et de réconciliation. Désormais la nationalité suisse est sans fissures et la devise est réalisée qui s’inscrit en trois langues à l’entrée du palais fédéral de Berne : Un pour tous, tous pour un.
L’institution militaire est devenue l’épine dorsale de l’Helvétie. Rien d’étonnant pour quiconque se rappelle à quel point les Suisses d’autrefois aimèrent et pratiquèrent le métier d’homme de guerre. Mais ce souvenir demeure volontiers imprécis dans nos esprits ; il ne se précise pas au-delà de cette garde royale de Louis XVI dont le Lion de Lucerne évoque la fidélité et le sort malheureux. Sait-on que, trois siècles durant, la Suisse fournit à la France assez de soldats pour atteindre au total de quatre-vingt-dix-sept corps d’armée ? Sait-on que Naples et l’Espagne, le Piémont et l’Angleterre, le gouvernement pontifical et la république de Venise, l’empereur Habsbourg et la Compagnie orientale des Indes orientales entretinrent de nombreux régiments suisses ? Mercenaires tant que l’on voudra mais soldats avant tout, ces hommes portaient au feu les couleurs de la patrie et se réjouissaient que l’honneur de leurs hauts faits rejaillit sur elle. En 1859, quatre régiments suisses se battaient encore pour le roi de Naples ; la majorité radicale du Conseil fédéral leur ayant fait défense d’arborer leurs couleurs cantonales, beaucoup désertèrent et la vaillance de ceux qui restaient déclina aussitôt. En tenant compte des volontaires isolés qui servaient dans différents pays, notamment en Allemagne, on peut évaluer à trente mille le chiffre des contingents que, vers 1787, l’Europe empruntait à la Suisse. Voilà, n’est-il pas vrai, les éléments d’une puissante hérédité militaire ?
Vous en devineriez l’influence si, par exemple, à quelque revue, vous voyiez passer dans des prairies détrempées la solide infanterie bernoise contrastant avec les fantassins vaudois, fribourgeois ou genevois qui composent la majeure partie du ier corps. Ceux-là ne descendent pas d’aventuriers héroïques ; ils sont moins accoutumés aux rigueurs de la discipline et le harnais, parfois, leur semble lourd. Pourtant, leur éducation se poursuit rapide ; leurs efforts sont visibles et constants. Il est hors de doute qu’en ceci l’action des vieux cantons ne s’exerce de façon prépondérante sur l’ensemble du pays et que la diffusion de l’esprit militaire n’y soit en progrès régulier.
Dès 1786, le général Zur Lauben réclamait une refonte générale de l’armée suisse : la solde égale, l’instruction uniforme, l’étude des tactiques spéciales aux pays de montagne, l’unité de direction et de commandement, la construction des places fortes indispensables. « Salut, disait-il, dans le langage fleuri de l’époque, — salut à l’État qui, au sein de la paix la plus profonde, n’oublie pas les armes auxquelles il doit, avec la liberté, le respect dont il est entouré ! » Ces paroles-là résumaient, sous leur apparence ampoulée, un programme de réformes précis et judicieux. La réalisation en fut lente ; il fallut plus de cent ans et plus d’une leçon douloureuse pour que les cantons consentissent, entre les mains du gouvernement fédéral, les abdications nécessaires. Depuis 1874. c’est un fait accompli ; l’armée suisse peut se développer librement ; elle a conquis cette unité si nécessaire à son perfectionnement.
Jusqu’ici on a peu parlé d’elle ; encore que signés de noms compétents, les éloges qu’elle a mérités émanent de spécialistes dont le public n’est pas accoutumé à recueillir les avis. Et comme son organisation est aussi illogique qu’ingénieuse, aussi compliquée qu’efficace, les vulgarisateurs ne se sont point risqués à la décrire. L’armée suisse peut passer, si l’on veut, pour une armée de milices encore que ce mot désigne improprement une institution où beaucoup de rouages sont permanents. Or, quiconque l’étudiera constatera que les résultats vraiment admirables auxquels nos voisins sont parvenus ne modifient en rien — mais confirment au contraire —
les vieilles doctrines de nos pères sur l’organisation et la