« Le Diable à Paris/Série 4/Post-face » : différence entre les versions

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Dernière version du 3 janvier 2019 à 09:00

Post-face
Le Diable à ParisJ. HetzelVolume 4 (p. 191-192).
POST-FACE DE CETTE ÉDITION

On a écrit des milliers d’ouvrages sur Paris et les Parisiens, et c’est tout au plus si, dans le nombre, quelques-uns sont restés qu’on puisse encore lire avec un peu d’intérêt. De tous ceux qui ont paru et disparu depuis le Tableau de Mercier, un seul avait gardé sa valeur : le Diable à Paris, mais, ainsi que les Animaux peints par eux-mêmes que nous venons de remettre en lumière, des circonstances indépendantes de la volonté de l’éditeur avaient depuis vingt ans rendu impossible que ce livre célèbre fût réimprimé dans son complet.

C’est cette œuvre, devenue une vraie rareté bibliographique, que nous offrons aux Parisiens, non-seulement dans son entier, en ce qui concerne les illustrations, mais augmenté, mais enrichi et renouvelé dans des proportions si considérables, avec une telle prodigalité de textes et de dessins qui n’avaient pas fait partie des éditions primitives, que l’importance et le mérite de cette publication en sont doublés et triplés, alors cependant que son prix matériel, eu égard à tout ce qu’elle contient, est diminué de plus des trois quarts.

Paris n’a pas été bâti en un jour, a dit le proverbe ; nous ajouterons qu’il ne peut être donné à personne non plus de le peindre en un jour. C’est l’affaire du temps, c’est l’œuvre de plusieurs générations que d’exprimer dans sa diversité la physionomie vraie d’un monstre pareil, de fixer sur le papier, non son attitude d’un instant, non l’accident transitoire d’une de ses transformations éphémères, mais son caractère permanent, que de montrer ce qu’il fut — depuis qu’il est.

Un bon tableau de Paris ne s’improvisera donc jamais. Nul ne saurait décrire sur commande cet être fuyant, à la fois si multiple et si concentré qu’en lui se résument les traits épars de la France tout entière. L’histoire d’une grande ville comme Paris ne peut donc être que le résultat inconscient d’une sorte d’action commune ; elle ne saurait se composer qu’à la façon de ces terrains d’alluvions, résultat d’agrégations insensibles, travail des ans, qui apparaissent un beau jour comme des créations spontanées. Il faut que chacun apporte à cette création mystérieuse qui sa pierre, qui son monument. Il faut que tout entre dans la composition de cette œuvre, que toutes les formes y soient représentées, que le crayon y dise ce que la plume ne peut peindre, que la plume y décrive ce qui laisse le crayon impuissant. Types, personnages, portraits, tableaux de genre, pris à la vie intime aussi bien qu’à la vie publique, dans la rue et dans la maison ; vues matérielles du Paris ancien et du Paris moderne ; voilà la part du crayon. Histoire, anecdotes, saillies, bons mots, physiologies, pensées, maximes, réflexions, études critiques, pages descriptives, contes, nouvelles, dialogues, exprimant chacun à sa façon ce qu’on peut appeler « l’esprit de Paris ; » voilà la tache de la plume. Or des choses qui passent, on peut garder l’image ; mais de l’esprit, qui seul est permanent, ce qu’il faut garder c’est lui-même : c’est cet esprit qui reste, que notre livre s’est efforcé de fixer.

Cette double tâche, ce n’est certes pas trop pour la remplir que l’accumulation des matériaux laissés par le passé, que la réunion de tout ce qu’on a dit dans tous les temps et dans tous les pays sur le sujet, complété par ce que peut dire à son tour de lui-même cette portion du temps présent qui a chance de durée.

Eh bien, c’est précisément ce Paris écrit par tous et à toutes les époques, par les esprits de tout ordre et de tout genre, que notre édition nouvelle du Diable à Paris a eu pour but de mettre sous les yeux de nos lecteurs, sans affecter d’autre méthode, là où toute méthode serait d’ailleurs impossible, que l’agrément, la variété et la multiplicité du contraste dans la vérité.

Nous n’avons pas voulu, réimprimant une œuvre capitale ayant qualité déjà par sa base, en conserver les parties inutiles, quand le passé et le présent avec leurs dates, avec les signatures les plus illustres et les plus imprévues, pouvaient nous fournir en abondance les éléments dignes de la parfaire et de l’achever.

Se borner à photographier l’actualité si souvent éphémère pour remplir les lacunes, c’eût été boucher des trous avec du plâtre et non combler sérieusement les vides faits par le temps dans l’œuvre primitive. Le Paris qui passe au bout de notre nez est un Paris qui demain n’intéresserait personne. Où est le nuage qui fuit ? où sont les modes d’hier ? où sont les crinolines dont on a tant parlé ? Cependant les femmes charmantes qui semblaient s’être perdues pour toujours dans leurs bouffants contours sont encore, je le suppose, dans leur fourreau étranglé d’aujourd’hui, les mêmes aimables Parisiennes qui font la gloire de Paris et l’envie des autres nations.

Notre livre démontre, à la grande surprise des gens qui croient tout nouveau, que si l’apparence de Paris semble mobile, il n’y a évidemment rien de moins mobile au fond que ses mœurs, et qu’à bien peu de choses près, nous sommes aujourd’hui, messieurs et mesdames, ce qu’étaient autrefois nos grands-pères et nos grand’mères.

Sous ce titre : « Ce qu’on a dit de Paris et de ses habitants, dans tous les temps et dans tous les pays, » nous avons réuni à grands frais de recherches patientes et de lectures attentives, comme annexe naturelle, comme complément au texte des éditions primitives du Diable à Paris, ce qui a été dit de plus vrai et de plus piquant à toutes les époques, sur Paris, par les écrivains illustres et aussi par les grands personnages français et étrangers qui se sont occupés de Paris, qui ont laissé leur mot ou écrit leur page, soit en prose, soit en vers, pour ou contre le Parisien et la Parisienne qui ont vécu sous leurs yeux.

Dans ces fragments repris au passé éclate la vérité de ce que nous avons dit plus haut, c’est que Paris est loin d’être aussi varié et aussi léger qu’il se targue de l’être, puisque, à des siècles de distance, depuis le Paris gaulois et romain, depuis le Paris latin de César et de Julien jusqu’au Paris d’hier matin, les mêmes jugements ont pu justement lui être appliqués soit pour l’éloge, soit pour le blâme, puisque, pour tout dire, entre la vérité du passé et celle du présent il n’y a peut-être pas de différence appréciable sinon dans la manière dont, suivant les temps, elle est dite.

Si le Diable à Paris nous a paru devoir former le fond, la pierre d’assise du tableau de Paris plus complet que s’est proposé d’être notre Diable à Paris nouveau, c’est, d’une part, parce que aucun autre cadre n’eût eu l’élasticité qu’il nous offrait, parce que les écrivains illustres de la génération de 1840 y avaient laissé des pages qui comptent à bon droit parmi leurs meilleures ; c’est, d’autre part, parce que le plus profond, le plus subtil, le plus parisien des peintres de nos mœurs parisiennes, parce que Gavarni avait doté ce livre d’une œuvre impérissable, qui constituait à elle seule un tableau de Paris, impossible à tenter par tout ce qui n’est pas Gavarni.

L’admirable série de 260 dessins, avec légendes, que ce grand philosophe du crayon avait dessinée expressément pour le Diable à Paris sous cette rubrique : Les Gens de Paris, se trouve donc tout entière cette fois, comme dans les grandes éditions de luxe, dans notre édition nouvelle. Mais ce n’est pas tout. Une circonstance heureuse ayant remis en notre possession toute l’œuvre choisie de Gavarni, c’est-à-dire les 320 beaux dessins accompagnés de leurs précieuses légendes, qui, avec les Gens de Paris, constituaient ce que Gavarni eût été en droit d’appeler le Paris Gavarni, nous avons ajouté aux 260 dessins des Gens de Paris des grandes éditions primitives les — 320 — dessins comprenant les célèbres séries des lorettes, ces cocottes d’hier, des enfants terribles, etc., etc., et 50 compositions inédites.

CES SIX CENTS DESSINS DE GAVARNI constituent ainsi au Diable à Paris nouveau un trésor d’illustrations d’une inappréciable richesse.

Si chaque peuple avait eu dans le passé l’équivalent d’un Gavarni, un observateur assez doué pour laisser, comme ce grand esprit l’a fait, son siècle, représenté dans son caractère le plus intime et le plus philosophique, en une galerie, en un musée pareil à celui que nous offrons aujourd’hui au public français, de combien de clartés cette histoire au crayon n’illuminerait-elle pas la vie des siècles passés et des nations disparues ! Nos savants n’en seraient pas réduits à interroger à la sueur de leurs fronts les rébus sous forme de perroquets que leur offrent quelques rares obélisques.

Le joyau de notre livre, au point de vue de l’illustration, ce sont donc ces 600 dessins de Gavarni. Mais nous n’avons pas borné là notre effort. Aux dessins de Gavarni nous avons ajouté 112 dessins de Grandville, satires ingénieuses de la vie de Paris, choisies parmi celles des compositions de ce maître dont Paris est le sujet. Ces dessins, presque inconnus de la génération qui n’a pas vu 1840, sont de véritables nouveautés pour un grand nombre de nos lecteurs de 1869, et, pour la première fois, se trouvent réunies dans la même œuvre les productions de deux génies si différents, pour ne pas dire si contraires.

Nous n’avons eu garde d’oublier les aimables et si gais croquis que Bertall, au début de son talent, avait semés avec profusion, sous le titre Paris comique, dans le Diable à Paris, et qui avaient commencé la réputation du jeune et spirituel dessinateur ; c’est 538 petits croquis charmants à ajouter à l’avoir de l’illustration du Diable à Paris complété. Henri Monnier enfin nous a fourni son contingent, 38 dessins inédits. Dantan nous a donné le portrait d’un ami - celui de Cham. C’est-à-dire moins que nous n’eussions souhaité et espéré ; mais c’est toujours quelque chose qu’une jolie chose inédite de Dantan.

Le Paris matériel ne pouvait être négligé par nous. Champin avait dessiné pour le Diable à Paris primitif et pour l’Histoire de Paris 160 vues de Paris à tous ses âges ; nous avons donné toutes ces vues, qui sont de l’histoire monumentale conservée. Mais si Paris change peu au moral, au matériel il a subi des transformations capitales. MM. Clerget et Grandjacquet, dans une série de dessins faits pour l’édition nouvelle, ont dessiné du Paris d’aujourd’hui 25 grands aspects, de façon que sur aucun point notre livre ne reste en arrière. Avec 44 dessins d’Andrieux et de divers autres artistes de mérite, ces quatre volumes contiennent donc plus de 1 500 gravures.

Aux noms des anciens collaborateurs du Diable à Paris, nous devons ajouter ceux de MM. Victor Hugo, Erckmann-Chatrian, Jules Verne, Jean Macé, Dumas fils, Victor Malot[sic], Gustave Droz, Mme de Girardin, Adrien Decourcelle, A. Morel, Nestor Roqueplan, Henri Rochefort, Auguste Villemot, Xavier Aubryet, Edmond Texier, Kaempfen. Chaque chapitre porte en lui la date de son origine et fait de notre tableau de Paris comme une histoire comparée de Paris moral depuis quarante ans.

J. HETZEL.