« Les Étoiles filantes (Hugo) » : différence entre les versions

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[[Catégorie:Victor Hugo]]

Version du 24 juin 2006 à 07:24



                      VII 


                      I 
À qui donc le grand ciel sombre 
Jette-t-il ses astres d'or ? 
Pluie éclatante de l'ombre, 
Ils tombent... - Encor ! encor ! 

Encor ! - lueurs éloignées, 
Feux purs, pâles orients, 
Ils scintillent... - ô poignées 
De diamant effrayants ! 

C'est de la splendeur qui rôde, 
Ce sont des points univers, 
La foudre dans l'émeraude ! 
Des bleuets dans des éclairs ! 

Réalités et chimères 
Traversant nos soirs d'été ! 
Escarboucles éphémères 
De l'obscure éternité ! 

De quelle main sortent-elles ? 
Cieux, à qui donc jette-t-on 
Ces tourbillons d'étincelles ? 
Est-ce à l'âme de Platon ? 

Est-ce à l'esprit de Virgile ? 
Est-ce aux monts ? est-ce au flot vert ? 
Est-ce à l'immense évangile 
Que Jésus-Christ tient ouvert ? 

Est-ce à la tiare énorme 
De quelque Moïse enfant 
Dont l'âme a déjà la forme 
Du firmament triomphant ? 

Ces feux-là vont-ils aux prières ? 
À qui l'Inconnu profond 
Ajoute-t-il ces lumières, 
Vagues flammes de son front ? 

Est-ce, dans l'azur superbe, 
Aux religions que Dieu, 
Pour accentuer son verbe, 
Jette ces langues de feu ? 

Est-ce au-dessus de la Bible 
Que flamboie, éclate et luit 
L'éparpillement terrible 
Du sombre écrin de la nuit ? 

Nos questions en vain pressent 
Le ciel, fatal ou béni. 
Qui peut dire à qui s'adressent 
Ces envois de l'infini ? 

Qu'est-ce que c'est que ces chutes 
D'éclairs au ciel arrachés ? 
Mystère ! Sont-ce des luttes ? 
Sont-ce des hymens ? Cherchez. 

Sont-ce les anges du soufre ? 
Voyons-nous quelque essaim bleu 
D'argyraspides du gouffre 
Fuir sur des chevaux de feu ? 

Est-ce le Dieu des désastres, 
Le Sabaoth irrité, 
Qui lapide avec des astres 
Quelque soleil révolté ? 

                      II 
Mais qu'importe ! l'herbe est verte, 
Et c'est l'été ! Ne pensons, 
Jeanne qu'à l'ombre entrouverte, 
Qu'aux parfums et qu'aux chansons. 

La grande saison joyeuse 
Nous offre les prés, les eaux, 
Les cressons mouillés, l'yeuse, 
Et l'exemple des oiseaux. 

L'été, vainqueur des tempêtes, 
Doreur des cieux essuyés, 
Met des rayons sur nos têtes 
Et des fraises sous nos pieds. 

Été sacré ! l'air soupire. 
Dieu, qui veut tout apaiser, 
Fait le jour pour le sourire 
Et la nuit pour le baiser. 

L'étang frémit sous les aulnes ; 
La plaine est un gouffre d'or 
Où court, dans les grands blés jaunes, 
Le frisson de messidor. 

C'est l'instant qu'il faut qu'on aime, 
Et qu'on le dise aux forêts, 
Et qu'on ait pour but suprême 
La mousse des antres frais ! 

À quoi bon songer aux choses 
Qui se passent dans les cieux ? 
Viens, donnons notre âme aux roses ; 
C'est ce qui l'emplit le mieux. 

Viens, laissons là tous ces rêves, 
Puisque nous sommes aux mois 
Où les charmilles, les grèves, 
Et les coeurs, sont pleins de voix ! 

L'amant entraîne l'amante, 
Enhardi dans son dessein 
Par la trahison charmante 
Du fichu montrant le sein. 

Ton pied sous ta robe passe, 
Jeanne, et j'aime mieux le voir, 
Que d'écouter dans l'espace 
Les sombres strophes du soir. 

Il ne faut pas craindre, ô belle, 
De montrer aux prés fleuris 
Qu'on est jeune, peu rebelle, 
Blanche, et qu'on vient de Paris ! 

La campagne est caressante 
Au frais amour ébloui ; 
L'arbre est gai pourvu qu'il sente 
Que Jeanne va dire oui. 

Aimons-nous ! et que les sphères 
Fassent ce qu'elles voudront ! 
Il est nuit ; dans les clairières 
Les chansons dansent en rond ; 

L'ode court dans les rosées ; 
Tout chante ; et dans les torrents 
Les idylles déchaussées 
Baignent leurs pieds transparents ; 

La bacchanale de l'ombre 
Se célèbre vaguement 
Sous les feuillages sans nombre 
Pénétrés de firmament ; 

Les lutins, les hirondelles, 
Entrevus, évanouis, 
Font un ravissant bruit d'ailes 
Dans le bleue horreur des nuits ; 

La fauvette et la sirène 
Chantent des chants alternés 
Dans l'immense ombre sereine 
Qui dit aux âmes : Venez ! 

Car les solitudes aiment 
Ces caresses, ces frissons, 
Et, le soir, les rameaux sèment 
Les sylphes sur les gazons ; 

L'elfe tombe des lianes 
Avec des fleurs plein les mains ; 
On voit de pâles dianes 
Dans la lueur des chemins ; 

L'ondin baise les nymphées ; 
Le hallier rit quand il sent 
Les courbures que les fées 
Font aux brins d'herbe en passant. 

Viens ; les rossignols t'écoutent ; 
Et l'éden n'est pas détruit 
Par deux amants qui s'ajoutent 
À ces noces de la nuit. 

Viens, qu'en son nid qui verdoie, 
Le moineau bohémien 
Soit jaloux de voir ma joie, 
Et ton coeur si près du mien ! 

Charmons l'arbre et sa ramure 
Du tendre accompagnement 
Que nous faisons au murmure 
Des feuilles, en nous aimant. 

À la face des mystères, 
Crions que nous nous aimons ! 
Les grands chênes solitaires 
Y consentent sur les monts. 

Ô Jeanne, c'est pour ces fêtes, 
Pour ces gaietés, pour ces chants, 
Pour ces amours, que sont faites 
Toutes les grâces des champs ! 

Ne tremble pas, quoiqu'un songe 
Emplisse mes yeux ardents. 
Ne crains d'eux aucun mensonge 
Puisque mon âme est dedans. 

Reste chaste sans panique. 
Sois charmante avec grandeur. 
L'épaisseur de la tunique, 
Jeanne, rend l'amour boudeur. 

Pas de terreur, pas de transe ; 
Le ciel diaphane absout 
Du péché de transparence 
La gaze du canezout. 

La nature est attendrie ; 
Il faut vivre ! Il faut errer 
Dans la douce effronterie 
De rire et de s'adorer. 

Viens, aime, oublions le monde, 
Mêlons l'âme à l'âme, et vois 
Monter la lune profonde 
Entre les branches des bois ! 

                     III 
Les deux amants, sous la nue, 
Songent, charmants et vermeils... - 
L'immensité continue 
Ses semailles de soleils. 

À travers le ciel sonore, 
Tandis que, du haut des nuits, 
Pleuvent, poussière d'aurore, 
Les astres épanouis, 

Tant de feux tombants qui perce 
Le zénith vaste et bruni, 
Braise énorme que disperse 
L'encensoir de l'infini ; 

En bas, parmi la rosée, 
Étalant l'arum, l'oeillet, 
La pervenche, la pensée, 
Le lys, lueur de juillet, 

De brume à demi noyée, 
Au centre de la forêt, 
La prairie est déployée, 
Et frissonne, et l'on dirait 

Que la terre, sous les voiles 
Des grands bois mouillés de pleurs, 
Pour recevoir les étoiles 
Tend son tablier de fleurs.