« Résurrection (Tolstoï, tr. Wyzewa.)/3/07 » : différence entre les versions

La bibliothèque libre.
Contenu supprimé Contenu ajouté
Aucun résumé des modifications
m Révocation des modifications de 46.193.1.204 (discussion) vers la dernière version de Hsarrazin
Balise : Révocation
Ligne 1 : Ligne 1 :
{{TextQuality|Textes validés}}
{{TextQuality|Textes validés}}
<pages index="Tolstoï - Résurrection, trad. Wyzewa, 1900.djvu" titre="[[Résurrection_(Tolstoï)|Résurrection]]. 3{{e}} partie" from=488 to=491 header=1 current="[[Résurrection_(Tolstoï)/3/07|3{{e}} partie, Chapitre VII]]" prev="[[Résurrection_(Tolstoï)/3/06|3{{e}} partie, Chapitre VI]]" next="[[Résurrection_(Tolstoï)/3/08|3{{e}} partie, Chapitre VIII]]"/>
<pages index="Tolstoï - Résurrection, trad. Wyzewa, 1900.djvu" titre="[[Résurrection]]. 3{{e}} partie" from=488 to=491 header=1 current="" />

Version du 12 mars 2020 à 14:37

Résurrection. 3e partie
Traduction par T. de Wyzewa.
Perrin (p. 484-487).

CHAPITRE VII


Le matin où, dans la cour de l’étape, avait eu lieu la querelle entre l’officier de police et le père de la petite fille, Nekhludov, qui avait couché à l’auberge, s’était éveillé moins tôt que d’ordinaire : et il avait eu encore, sitôt levé, à écrire de nombreuses lettres, de sorte qu’il était parti trop tard pour pouvoir rejoindre le convoi en chemin, comme il l’avait fait les jours précédents. Quand il était arrivé au village où se trouvait l’étape suivante du convoi, déjà le soir commençait à tomber.

Nekhludov se fit d’abord conduire à l’auberge du village. Après avoir changé de linge et de vêtement, — car le brouillard l’avait trempé jusqu’aux os, — il s’assit dans une grande salle propre et avenante, toute décorée d’images pieuses et de portraits de la famille impériale. Il but, coup sur coup, plusieurs verres de thé, subit sans trop d’impatience le bavardage de l’hôtesse, une grosse veuve à la gorge débordante, et se prépare à sortir pour aller demander à l’officier du convoi la permission de s’entretenir avec la Maslova.

Pendant les six derniers jours, cette permission lui avait été refusée. Il avait pu échanger quelques paroles avec la Maslova et ses compagnons sur la route, mais pas une fois on ne l’avait laissé entrer dans l’étape, Cette sévérité provenait de ce qu’on attendait la visite d’un haut fonctionnaire, un inspecteur des prisons. Mais l’inspecteur était enfin venu, ou plutôt il avait passé près du convoi, sans même daigner s’arrêter au passage. Et Nekhludov espérait que l’officier qui avait pris la direction du convoi ce jour-là l’autoriserait, comme ses prédécesseurs, à pénétrer dans la chambrée des condamnés politiques.

L’hôtesse offrit à Nekhludov de le faire conduire en voiture jusqu’à l’étape, qui était située à l’autre bout du village : mais Nekhludov préféra s’y rendre à pied. Un jeune garçon d’auberge aux larges épaules, chaussé d’énormes bottes fraîchement goudronnées, fut chargé de lui tenir compagnie pour lui montrer le chemin. Le brouillard était devenu si épais, à la tombée de la nuit, que Nekhludov ne voyait pas son guide, qui cependant marchait à deux pas de lui : il entendait seulement le clapotis de ses grosses bottes s’enfonçant dans la boue gluante et profonde. Au sortir de la longue rue du village, où par endroits des lumières brillaient aux fenêtres, l’obscurité se fit plus complète encore : mais bientôt Nekhludov aperçut, devant lui, les feux des lanternes attachées à la porte de l’étape. Et les deux taches rouges sans cesse se rapprochèrent, apparurent plus nettes, jusqu’à ce qu’enfin Nekhludov pût distinguer les poteaux qui formaient l’enceinte, et la guérite du factionnaire, et la sombre figure de ce factionnaire lui-même, debout près de la porte, le fusil au bras.

Le factionnaire lança dans les ténèbres son réglementaire : « Qui vive ? » et, en découvrant que les nouveaux venus n’appartenaient pas au convoi, il leur cria, d’un ton sévère, qu’aucun étranger n’était admis dans l’étape, ni même n’avait le droit de s’arrêter le long de l’enceinte. Mais le guide de Nekhludov ne s’alarma point de cette sévérité :

— Eh ! bien, vrai, en voilà un ogre ! — dit-il. — Fais donc signe à ton caporal, nous allons l’attendre ici !

Le soldat, se retournant vers la porte, appela quelqu’un ; et puis il se remit en faction, considérant la façon dont le jeune garçon d’auberge essuyait, avec une poignée de feuilles, les bottes de Nekhludov, où la boue s’était déposée en couches épaisses. Derrière le mur d’enceinte, on entendait un bourdonnement confus de voix entremêlées de rires.

Après trois minutes d’attente, Nekhludov vit un guichet s’ouvrir dans la porte : et des ténèbres surgit, pleinement éclairé par le reflet des lanternes, un vieux sous-officier en uniforme, qui demanda ce qu’on lui voulait. Nekhludov lui remit sa carte de visite, qu’il tenait en main, et le pria d’aller dire au chef de convoi qu’il désirait lui parler pour affaire personnelle.

Le vieux sous-officier était moins sévère que son subordonné ; mais il était, en revanche, extrêmement curieux. Il tint à savoir pourquoi Nekhludov désirait parler à l’officier, et d’où il venait, et qui il était : encore que, sans doute, il flairât simplement la possibilité d’un pourboire, en échange de sa complaisance. Il ne se décida à aller porter la carte que lorsque Nekhludov lui eût promis de le récompenser s’il parvenait à le faire admettre auprès de l’officier de convoi. Alors il hocha la tête, et partit en courant.

Pendant que Nekhludov et son guide continuaient à attendre, devant la porte, le guichet s’ouvrit de nouveau, pour livrer passage à toute une troupe de femmes portant des paniers, des sacs, des cruches et des bouteilles. Elles parlaient, sans arrêt, et très vite, avec leur sombre accent sibérien. Toutes étaient vêtues de pelisses courtes, qui leur donnaient un air de petites bourgeoises de la ville plutôt que de paysannes ; mais elles avaient des fichus sur la tête, et leurs jupes étaient relevées très haut, découvrant leurs mollets jusqu’au niveau des genoux. À la lumière des lanternes, elles examinèrent avec curiosité Nekhludov et son guide. Et l’une d’elles, visiblement ravie de retrouver là le garçon d’auberge aux larges épaules, se mit tout de suite à l’accabler d’injures, par manière de plaisanterie, à la sibérienne.

— Hé toi, cochon, qu’est-ce que tu fais là, vilaine bête ! — lui dit-elle.

— Je conduis un étranger ! — répondit, le jeune homme. — Et toi, qu’est-ce que tu es venue apporter !

— Du fromage blanc. Et on m’a encore dit de revenir demain matin.

— Et on ne t’a pas gardée à coucher ! — demanda malicieusement le garçon d’auberge.

— Qu’est-ce qui te prend, tête de porc ! — répondit en riant la jeune femme. — Allons, rentre au village avec nous, tu nous tiendras compagnie !

Le garçon dit alors quelque chose qui fit rire non seulement toutes les femmes, mais jusqu’au solennel factionnaire lui-même. Puis, se retournant vers Nekhludov :

— Vous croyez que vous trouverez votre chemin sans moi, pour revenir ? Vous ne vous égarerez pas ?

— Mais non, mais non, sois tranquille !

— Quand vous aurez dépassé l’église, la troisième porte à droite après la grande maison à deux étages ! Et puis, tenez, voici mon fouet !

Et il remit à Nekhludov un long et mince bâton qu’il tenait en main ; après quoi, il s’enfonça dans les ténèbres en compagnie des femmes, avec un bruyant clapotis de ses énormes bottes.

Nekhludov entendait encore les rires et les voix des femmes, lorsque le vieux sous-officier, avec un sourire caressant, vint lui annoncer que l’officier consentait à le recevoir.