« Page:Leblanc - Le Chapelet rouge, paru dans Le Grand Écho du Nord, 1937.djvu/85 » : différence entre les versions

La bibliothèque libre.
Phe-bot (discussion | contributions)
Toto256: split
 
État de la page (Qualité des pages)État de la page (Qualité des pages)
-
Page non corrigée
+
Page corrigée
Contenu (par transclusion) :Contenu (par transclusion) :
Ligne 1 : Ligne 1 :
<nowiki />
<nowiki />


Vous ne vous trompez pas, cher ami.
Vous ne vous trompez pas, cher ami.


Vous avez donc pressenti l'intention de {{M.}} d'Orsacq ?
Vous avez donc pressenti l’intention de {{M.}} d’Orsacq ?


Oui… de même que {{M.}} et {{Mme}} Debrioux.
Oui… de même que {{M.}} et {{Mme}} Debrioux.


Et vous avez estimé qu'il ne fallait pas mettre d'obstacle à cette intention ?
Et vous avez estimé qu’il ne fallait pas mettre d’obstacle à cette intention ?


En effet… Je n'ai jamais pu séparer, chez moi, l'homme du magistrat. Si j'ai commis une faute professionnelle, ma conscience m'absout. Cela me suffit. Il n'y avait pas, pour {{M.}} d'Orsacq, d'autre issue que la mort. Il l'a compris. Tout est bien.
En effet… Je n’ai jamais pu séparer, chez moi, l’homme du magistrat. Si j’ai commis une faute professionnelle, ma conscience m’absout. Cela me suffit. Il n’y avait pas, pour {{M.}} d’Orsacq, d’autre issue que la mort. Il l’a compris. Tout est bien.


Ils remontaient le cours de la rivière, et {{M.}} Rousselain soupira d'aise.
Ils remontaient le cours de la rivière, et {{M.}} Rousselain soupira d’aise.


Mais avouez, mon cher ami, que j'ai de la chance ! Ce drame commençait à prendre une envergure redoutable. Savez-vous combien le planton de gendarmerie a empoché de cartes de journalistes à la grille de la cour d'honneur ? Vingt-sept, dont aucune ne me fut communiquée. Consigne : le silence ! N'importe, j'allais être débordé. C'était la grosse affaire, la vedette pour moi, et, un jour prochain, ma nomination à Paris. La catastrophe, quoi ! Plus de tranquillité ! Plus de pêche à la ligne !… Et puis, v'lan ! un coup de théâtre qui arrange tout. Ah ! oui, je la classe, l'affaire, je la classe sans scrupule !
Mais avouez, mon cher ami, que j’ai de la chance ! Ce drame commençait à prendre une envergure redoutable. Savez-vous combien le planton de gendarmerie a empoché de cartes de journalistes à la grille de la cour d’honneur ? Vingt-sept, dont aucune ne me fut communiquée. Consigne : le silence ! N’importe, j’allais être débordé. C’était la grosse affaire, la vedette pour moi, et, un jour prochain, ma nomination à Paris. La catastrophe, quoi ! Plus de tranquillité ! Plus de pêche à la ligne !… Et puis, v’lan ! un coup de théâtre qui arrange tout. Ah ! oui, je la classe, l’affaire, je la classe sans scrupule !


Il reprit haleine. Il faisait un temps doux, calme et parfumé. Un clair soleil s'ouvrait mille chemins à travers les feuilles des grands arbres, et se reflétait mille fois sur l'eau nonchalante.
Il reprit haleine. Il faisait un temps doux, calme et parfumé. Un clair soleil s’ouvrait mille chemins à travers les feuilles des grands arbres, et se reflétait mille fois sur l’eau nonchalante.


Oui, je la classe, répéta {{M.}} Rousselain, mais quelle journée, mon cher ami ! Et combien j'ai raison de dire qu'il n'y a que la passion qui donne de l'intérêt à la vie et du relief à une instruction ! Lorsque la passion, comme dans le cas actuel, a suscité un drame, et qu'elle a exaspéré l'instinct jusqu'au crime, c'est elle qui expose en pleine lumière la solution de l'énigme. Mais jamais, mon cher ami, nous n'aurions rien compris à ce mystère, si d'Orsacq, n'avait pas accusé de vol son ami Bernard ! Certes, il ne savait pas alors que sa femme, Lucienne d'Orsacq, travaillait contre lui de concert avec Bernard, sans quoi il n'aurait pas eu l'imprudence de mettre le feu aux poudres. Mais, tout de même, pourquoi s'est-il risqué ? Uniquement par passion. Voilà un homme qui, dans un accès de folie, tue sa femme, un homme écrasé par le destin, et qui, au lieu de rester tranquille, se remet en chasse dans l'espoir absurde de démolir son rival et de lui enlever celle qu'il aime ! Faut-il être brûlé par un feu dévorant ! Et voilà, riposte inattendue, voilà Christiane qui entre en guerre, qui joue la comédie, invente un meurtrier, bref, engage une lutte à mort jusqu'à ce qu'elle finisse par nous livrer pieds et poings liés… qui ? celui qu'elle aime.
» Oui, je la classe, répéta {{M.}} Rousselain, mais quelle journée, mon cher ami ! Et combien j’ai raison de dire qu’il n’y a que la passion qui donne de l’intérêt à la vie et du relief à une instruction ! Lorsque la passion, comme dans le cas actuel, a suscité un drame, et qu’elle a exaspéré l’instinct jusqu’au crime, c’est elle qui expose en pleine lumière la solution de l’énigme. Mais jamais, mon cher ami, nous n’aurions rien compris à ce mystère, si d’Orsacq, n’avait pas accusé de vol son ami Bernard ! Certes, il ne savait pas alors que sa femme, Lucienne d’Orsacq, travaillait contre lui de concert avec Bernard, sans quoi il n’aurait pas eu l’imprudence de mettre le feu aux poudres. Mais, tout de même, pourquoi s’est-il risqué ? Uniquement par passion. Voilà un homme qui, dans un accès de folie, tue sa femme, un homme écrasé par le destin, et qui, au lieu de rester tranquille, se remet en chasse dans l’espoir absurde de démolir son rival et de lui enlever celle qu’il aime ! Faut-il être brûlé par un feu dévorant ! Et voilà, riposte inattendue, voilà Christiane qui entre en guerre, qui joue la comédie, invente un meurtrier, bref, engage une lutte à mort jusqu’à ce qu’elle finisse par nous livrer pieds et poings liés… qui ? celui qu’elle aime. »


Le substitut se révolta :
Le substitut se révolta :


Hein ! Que prétendez-vous ? {{Mme}} Debrioux aurait aimé ?…
Hein ! Que prétendez-vous ? {{Mme}} Debrioux aurait aimé ?…


Eh ! oui, affirma péremptoirement {{M.}} Rousselain, infaillible psychologue de l'âme féminine, eh ! oui, elle aimait d'Orsacq. Cette défaillance qu'elle a eue, une femme n'a cela que si elle aime, croyez-en un vieux routier ! Si d'Orsacq, au lieu de perdre son temps comme il l'a fait, avait voulu, à ce moment-là, il la cueillait comme une fleur, je vous en fiche mon billet !
Eh ! oui, affirma péremptoirement {{M.}} Rousselain, infaillible psychologue de l’âme féminine, eh ! oui, elle aimait d’Orsacq. Cette défaillance qu’elle a eue, une femme n’a cela que si elle aime, croyez-en un vieux routier ! Si d’Orsacq, au lieu de perdre son temps comme il l’a fait, avait voulu, à ce moment-là…


{{M.}} Rousselain pivota sur l'un de ses talons et saisit le bras du substitut :
{{M.}} Rousselain pivota sur l’un de ses talons et saisit le bras du substitut :


Il la cueillait comme une fleur, et tout demeurait dans l'ordre. Elle l'aimait ! vous dis-je. C'est de l'amour qu'il y avait dans la haine forcenée avec laquelle elle s'est retournée contre lui, la haine de la femme qui a la religion de la vertu et qui s'aperçoit qu'elle a flanché comme tant d'autres. Avez-vous vu tout à l'heure comme elle pleurait ? L'avez-vous entendue déclarer à son mari qu'elle veillerait cette nuit ? Amour passager, amour qu'elle reniera, qu'elle ignore peut-être, et que son mari lui pardonnera puisque rien ne fut consommé, mais amour tout de même ! Et c'est pourquoi le crime fut commis, et c'est pourquoi d'Orsacq et elle ont parlé devant la justice comme des possédés… des possédés qu'embrase le grand incendie de la passion !
» Elle l’aimait ! vous dis-je. C’est de l’amour qu’il y avait dans la haine forcenée avec laquelle elle s’est retournée contre lui. Avez-vous vu tout à l’heure comme elle pleurait ? L’avez-vous entendue déclarer à son mari qu’elle veillerait cette nuit ? Amour passager, amour qu’elle reniera, qu’elle ignore peut-être, et que son mari lui pardonnera puisque rien ne fut consommé, mais amour tout de même ! Et c’est pourquoi le crime fut commis, et c’est pourquoi d’Orsacq et elle ont parlé devant la justice comme des possédés… des possédés qu’embrase le grand incendie de la passion ! »


Le pantalon de coutil jaune se tirebouchonnait de plus en plus autour de ses jambes, et les bras du bonhomme gesticulaient, prenant à témoins les fleurs, les arbres et le ciel. Le substitut l'observa avec surprise. S'apaisant tout à coup, {{M.}} Rousselain dit :
Le pantalon de coutil jaune se tirebouchonnait de plus en plus autour de ses jambes, et les bras du bonhomme gesticulaient, prenant à témoins les fleurs, les arbres et le ciel. Le substitut l’observa avec surprise. S’apaisant tout à coup, {{M.}} Rousselain dit :


Ne bougez pas, cher ami… Avancez la tête derrière ce massif. Vous les voyez là-bas, tous les cinq, qui boivent ?
Ne bougez pas, cher ami… Avancez la tête derrière ce massif. Vous les voyez là-bas, tous les cinq, qui boivent ?


Où donc ?
Où donc ?


Sur la terrasse du jardinier.
Sur la terrasse du jardinier.


Autour d'une table, qui portait cinq verres et deux bouteilles de vin rouge, le jardinier Antoine offrait à boire au ménage Ravenot, à Gustave et au brigadier de gendarmerie.
Autour d’une table, qui portait cinq verres et deux bouteilles de vin rouge, le jardinier Antoine offrait à boire au ménage Ravenot, à Gustave et au brigadier de gendarmerie.

Tout va bien de ce côté, murmura {{M.}} Rousselain, tout est selon la normale et la logique. Les quatre hommes demeurent dans l’enchantement et dans l’espoir. Ah ! délicieuse Amélie, jamais tu n’enfanteras la passion et le crime, toi ! Pourquoi tuer ? Pourquoi donner tant d’importance à de si petites choses ? Ravenot ne s’y trompe pas, lui, et il reste dans la bonne tradition gauloise !


Tout va bien de ce côté, murmura {{M.}} Rousselain, tout est selon la normale et la logique. Les quatre hommes ont goûté à la voluptueuse Amélie et demeurent dans l'enchantement et dans l'espoir. Ah ! délicieuse Amélie, jamais tu n'enfanteras la passion et le crime, toi ! Ton cou blanc et tes lèvres souriantes sont à qui veut les prendre. Pourquoi tuer ? Pourquoi donner tant d'importance à de si petites choses ? Ravenot ne s'y trompe pas, lui, et il reste dans la bonne tradition gauloise !


{{c|FIN|fs=120%}}
{{c|FIN|fs=120%}}

Version du 2 avril 2020 à 21:43

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Vous ne vous trompez pas, cher ami.

— Vous avez donc pressenti l’intention de M.  d’Orsacq ?

— Oui… de même que M.  et Mme  Debrioux.

— Et vous avez estimé qu’il ne fallait pas mettre d’obstacle à cette intention ?

— En effet… Je n’ai jamais pu séparer, chez moi, l’homme du magistrat. Si j’ai commis une faute professionnelle, ma conscience m’absout. Cela me suffit. Il n’y avait pas, pour M.  d’Orsacq, d’autre issue que la mort. Il l’a compris. Tout est bien.

Ils remontaient le cours de la rivière, et M.  Rousselain soupira d’aise.

— Mais avouez, mon cher ami, que j’ai de la chance ! Ce drame commençait à prendre une envergure redoutable. Savez-vous combien le planton de gendarmerie a empoché de cartes de journalistes à la grille de la cour d’honneur ? Vingt-sept, dont aucune ne me fut communiquée. Consigne : le silence ! N’importe, j’allais être débordé. C’était la grosse affaire, la vedette pour moi, et, un jour prochain, ma nomination à Paris. La catastrophe, quoi ! Plus de tranquillité ! Plus de pêche à la ligne !… Et puis, v’lan ! un coup de théâtre qui arrange tout. Ah ! oui, je la classe, l’affaire, je la classe sans scrupule !…

Il reprit haleine. Il faisait un temps doux, calme et parfumé. Un clair soleil s’ouvrait mille chemins à travers les feuilles des grands arbres, et se reflétait mille fois sur l’eau nonchalante.

» Oui, je la classe, répéta M.  Rousselain, mais quelle journée, mon cher ami ! Et combien j’ai raison de dire qu’il n’y a que la passion qui donne de l’intérêt à la vie — et du relief à une instruction ! Lorsque la passion, comme dans le cas actuel, a suscité un drame, et qu’elle a exaspéré l’instinct jusqu’au crime, c’est elle qui expose en pleine lumière la solution de l’énigme. Mais jamais, mon cher ami, nous n’aurions rien compris à ce mystère, si d’Orsacq, n’avait pas accusé de vol son ami Bernard ! Certes, il ne savait pas alors que sa femme, Lucienne d’Orsacq, travaillait contre lui de concert avec Bernard, sans quoi il n’aurait pas eu l’imprudence de mettre le feu aux poudres. Mais, tout de même, pourquoi s’est-il risqué ? Uniquement par passion. Voilà un homme qui, dans un accès de folie, tue sa femme, un homme écrasé par le destin, et qui, au lieu de rester tranquille, se remet en chasse dans l’espoir absurde de démolir son rival et de lui enlever celle qu’il aime ! Faut-il être brûlé par un feu dévorant ! Et voilà, riposte inattendue, voilà Christiane qui entre en guerre, qui joue la comédie, invente un meurtrier, bref, engage une lutte à mort jusqu’à ce qu’elle finisse par nous livrer pieds et poings liés… qui ? celui qu’elle aime. »

Le substitut se révolta :

— Hein ! Que prétendez-vous ? Mme  Debrioux aurait aimé ?…

— Eh ! oui, affirma péremptoirement M.  Rousselain, infaillible psychologue de l’âme féminine, eh ! oui, elle aimait d’Orsacq. Cette défaillance qu’elle a eue, une femme n’a cela que si elle aime, croyez-en un vieux routier ! Si d’Orsacq, au lieu de perdre son temps comme il l’a fait, avait voulu, à ce moment-là…

M.  Rousselain pivota sur l’un de ses talons et saisit le bras du substitut :

» Elle l’aimait ! vous dis-je. C’est de l’amour qu’il y avait dans la haine forcenée avec laquelle elle s’est retournée contre lui. Avez-vous vu tout à l’heure comme elle pleurait ? L’avez-vous entendue déclarer à son mari qu’elle veillerait cette nuit ? Amour passager, amour qu’elle reniera, qu’elle ignore peut-être, et que son mari lui pardonnera puisque rien ne fut consommé, mais amour tout de même ! Et c’est pourquoi le crime fut commis, et c’est pourquoi d’Orsacq et elle ont parlé devant la justice comme des possédés… des possédés qu’embrase le grand incendie de la passion ! »

Le pantalon de coutil jaune se tirebouchonnait de plus en plus autour de ses jambes, et les bras du bonhomme gesticulaient, prenant à témoins les fleurs, les arbres et le ciel. Le substitut l’observa avec surprise. S’apaisant tout à coup, M.  Rousselain dit :

— Ne bougez pas, cher ami… Avancez la tête derrière ce massif. Vous les voyez là-bas, tous les cinq, qui boivent ?

— Où donc ?

— Sur la terrasse du jardinier.

Autour d’une table, qui portait cinq verres et deux bouteilles de vin rouge, le jardinier Antoine offrait à boire au ménage Ravenot, à Gustave et au brigadier de gendarmerie.

— Tout va bien de ce côté, murmura M.  Rousselain, tout est selon la normale et la logique. Les quatre hommes demeurent dans l’enchantement et dans l’espoir. Ah ! délicieuse Amélie, jamais tu n’enfanteras la passion et le crime, toi ! Pourquoi tuer ? Pourquoi donner tant d’importance à de si petites choses ? Ravenot ne s’y trompe pas, lui, et il reste dans la bonne tradition gauloise !


FIN