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peu à peu, et grâce à la culture que désormais il était à même de se donner, il arrivait à la compréhension des talens les plus dissemblables, sans autre souci que de se procurer la plus grande somme possible de délectations.

Mais si, à vivre ainsi dans le commerce des chefs-d’œuvre, le goût des auditeurs ne pouvait manquer de se former, il faut reconnaître qu’un pareil régime est peu fait pour stimuler l’originalité de l’inspiration. Opprimés sous le poids de ces chefs-d’œuvre, écrasés par les comparaisons qu’ils suggèrent, les artistes modernes ont à lutter contre des souvenirs qui obsèdent leur mémoire, et les admirations auxquelles leurs études les ont préparés paralysent souvent leurs facultés créatrices. L’art est fatigué. Il a tenté toutes les voies, abordé tous les sujets, exprimé tous les sentimens et perdu cette naïve confiance en lui-même qui avait amené la fécondité des époques primitives. Il sent l’inanité de ses efforts pour produire du nouveau et répondre ainsi à l’attente du public. Le nombre des artistes a crû dans des proportions inouïes, et ce qui n’était que la vocation de quelques élus est devenu l’occupation de milliers de dilettanti. On s’improvise peintre, écrivain ou musicien. Sans avoir rien appris, chacun croit qu’il a quelque chose à dire, et, au milieu de cette mêlée, veut parler ou crier pour se faire entendre. Les intentions, les velléités suffisent pour noircir du papier, brosser une toile, bâcler une partition, et l’anarchie qui est partout, dans les croyances, dans la politique, dans les doctrines littéraires, s’étale aussi dans les arts. Les plus étranges contradictions s’y coudoient. Nous sommes devenus des sensitives et nous raffolons des grossièretés. On est brutal par désir d’être fort, inintelligible en voulant être raffiné, puéril sous prétexte de simplicité, et il n’est pas de billevesées qui n’aient chance de grouper, autour d’un farceur ou d’un prophète de rencontre, des gens qui croient comprendre ce qu’il dit, alors qu’il parle à rebours et ne se comprend pas lui-même. Les mots, s’ils n’ont plus de sens, ont des couleurs, et chaque couleur, en revanche, a sa notation musicale ou son parfum qui lui correspondent.

On peut penser qu’au milieu de cette incohérence des esprits, une forme d’art telle que la symphonie, qui exige à la fois une grande richesse d’imagination et une science accomplie, une âme ardente et une intelligence très pondérée, n’ait pas aujourd’hui beaucoup de chance d’attirer la vogue. Quiconque choisit la forme orchestrale entend par cela même s’enfermer dans le domaine de la musique pure, et à première vue, les ressources qu’elle offre au compositeur semblent assez restreintes. Il n’a pas comme soutien cette part d’imitation qui vient en aide à ses confrères plus