« Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 138.djvu/220 » : différence entre les versions

La bibliothèque libre.
AkBot (discussion | contributions)
Pywikibot touch edit
Zoé (discussion | contributions)
 
État de la page (Qualité des pages)État de la page (Qualité des pages)
-
Page non corrigée
+
Page corrigée

Dernière version du 25 octobre 2020 à 12:49

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ses hésitations étaient fort naturelles. Il avait désapprouvé la guerre de 1809 ; quand Napoléon se disposait à rompre avec la Russie et préparait la désastreuse campagne qui devait le perdre, M. de Metternich crut fermement à sa victoire, et, persuadé qu’elle aurait pour inévitable conséquence le démembrement de la Prusse, il jugeait bon que l’Autriche entrât en arrangement avec l’homme invincible et profitât de l’occasion pour recouvrer au moins une portion de la Silésie.

Mais l’homme invincible ayant été vaincu, M. de Metternich, qui était aussi avisé que circonspect, jugea bien vite qu’il ne se relèverait pas de sa défaite, que son cas était désespéré. Comme M. de Bismarck, il savait combien les monarchies d’aventure les plus glorieuses sont fragiles, que les souverains légitimes ont seuls le droit de se tromper, que les parvenus sont tenus de réussir toujours, qu’ils n’ont d’autre point d’appui que l’opinion publique, qui ne leur pardonne pas leurs malheurs. Napoléon III ne l’ignorait point. Le 23 septembre 1855, à Saint-Cloud, il disait au comte Prokesch : « Vous me croyez plus fort que je ne le suis. Ma situation n’est pas celle de l’empereur d’Autriche. Qu’il fasse vingt bévues dans sa journée, il se mettra tranquillement au lit, et le lendemain matin il sera ce qu’il était la veille au soir. Je dois compter sans cesse avec l’opinion publique, et si je ne fais pas ce qu’elle attend de moi, je suis un homme perdu. »

Quand les deux bûcherons eurent vu tomber les grands arbres qu’ils avaient juré d’abattre, ils respirèrent plus à l’aise et vaquèrent à d’autres occupations. M. de Metternich employa son autorité, son adresse, son génie délié et artificieux à mettre un peu d’ordre dans les affaires de l’Europe, à retenir l’Allemagne sous sa domination, à la préserver du régime constitutionnel, à combattre partout les idées libérales, à défendre sa chère Autriche contre toutes les propagandes dangereuses. « Travaillez et amusez-vous, disait-il ; mais ne pensez pas. » Cet homme très spirituel, qui pensait beaucoup, estimait que ce genre d’exercice est funeste aux nations, que les sociétés bien ordonnées et vraiment heureuses sont celles qui vivent dans le demi-sommeil de l’esprit, et à qui leur somnolence paraît douce. Il avait peine à persuader l’Allemagne, qui depuis plus d’un demi-siècle était devenue une pépinière de grands penseurs.

M. de Bismarck avait une tâche plus compliquée. Il avait dû faire la part du feu. Mais il s’était convaincu de bonne heure qu’on peut octroyer impunément aux libéraux certaines satisfactions, pourvu que la monarchie légitime soit couverte contre toutes les attaques par la dictature d’un ministre omnipotent, et il tenait pour démontré qu’il n’y avait en Allemagne qu’un seul homme qui eût la taille et l’étoffe d’un dictateur. Concilier la dictature avec le régime des assemblées est un problème délicat qu’il a su résoudre. Le prince de Metternich, diplomate consommé, n’a jamais traité qu’avec des cabinets, et je doute