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qu’il eût réussi à gouverner une assemblée. M. de Bismarck a prouvé qu’il était un merveilleux tacticien parlementaire, que personne ne s’entendait mieux que lui à négocier avec les partis. Il a toujours eu raison de ses Chambres, il a même su les employer à protéger ses intérêts particuliers contre tous les hasards. S’il s’est servi souvent de son roi pour réduire le parlement à l’obéissance, il a su aussi se servir du parlement pour imposer ses volontés à son maître.

Les puissances célestes, qui aiment à voir comment les hommes se comportent dans leurs fortunes diverses, avaient décidé que les deux chanceliers survivraient à leurs grandeurs, et que leur chute causerait à l’Europe un grand étonnement. On a dit longtemps que le prince de Metternich avait été renversé par une inévitable et fatale révolution, qu’il n’avait pas su prévoir. On en juge autrement aujourd’hui. Les historiens allemands les mieux renseignés tiennent que la révolution de mars 1848 ne fut d’abord qu’une échauffourée d’étudians, dont une douzaine de policiers résolus eût fait aisément justice, que si la situation s’aggrava, c’est qu’on le voulut bien. Sans qu’il s’en doutât, on était las du vieux chancelier, de sa main souple, mais lourde, et de son gant de velours. Depuis plusieurs mois déjà, à la cour et dans les salons, on s’agitait, on cabalait, on ourdissait de vagues conspirations, auxquelles l’archiduchesse Sophie se trouvait mêlée. L’échauffourée parut de bon augure ; on se dit : « Laissons faire ces étourdis, ils nous débarrasseront de lui. » Il ne s’agissait, pensait-on, que d’un feu de cheminée ; on laissa la cheminée brûler, et il en résulta un incendie, qu’on eut quelque peine à éteindre.

M. de Bismarck n’accuse pas les femmes de l’avoir renversé ; mais il est persuadé que reines, princesses ou dames de la cour, elles ont de longue main préparé sa chute. Son cas me semble plus simple. Il devrait se dire que sa dictature devenait de jour en jour plus pesante, que les vieillards ont des résignations que n’ont pas les jeunes gens, que l’empereur Guillaume Ier, qui lui avait tant d’obligations, s’était promis de le supporter jusqu’à son dernier jour comme on se promet de vieillir et de mourir avec une maladie organique, que Guillaume II n’avait contracté aucun engagement, qu’un jeune souverain très actif, très remuant, qui a beaucoup d’idées et qui même en a trop, n’éprouve aucun plaisir à régner sans gouverner. M. de Bismarck était pour le grand-père une habitude prise, pour le petit-fils une habitude à prendre ; le petit-fils s’est refusé à la prendre, d’autant plus qu’il croyait pouvoir se passer d’un protecteur, qu’il se sentait de force à se protéger lui-même.

C’est dans le malheur que les raffinés, qui eurent toujours le goût des distractions, reprennent leurs avantages. Leur curiosité, sans cesse en éveil, les aide à s’oublier eux-mêmes, et rien n’est plus bienfaisant que les longs oublis : jucunda oblivia vitæ. Le prince de Metternich