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volontairement exilé en Italie. Cette fois, il lui préféra l’Angleterre, où il chercha, non les consolations de l’art, mais l’oubli dans les sensations violentes, les seuls périls qu’on peut se faire en pleine paix. Il monta des chevaux indomptés, effrénés… Si habile qu’il fût à les manier, il fit une chute dangereuse, qu’aggrava le mauvais état de sa santé.

Le cœur était encore plus malade que le corps. Absent de la France, il éprouvait, comme à son premier voyage, qu’elle était indispensable à sa vie.

Il repassa donc le détroit. Mais de tomber en plein triomphe du faux, ce fut pour lui son propre naufrage.

En peinture, la vogue était aux improvisations agréables, de vulgarité rapide. Il n’y avait donc plus de place pour lui. Il le crut du moins.

Alors, il ne voulut plus vivre. Il demanda secours à la nature, puisque la patrie l’oubliait, s’oubliait elle-même.

Il se replongea d’abord au tourbillon des bals, au vertige des foules, aux plaisirs anonymes, obscurs, et fut plus triste encore.

Un ami, qui fut le mien, voulut le sauver de lui-même, l’arracher à ces plaisirs indignes de sa grande âme, où il semblait chercher l’accélération de la mort. Un soir, il le rencontra à la porte de l’Opéra, parmi cette foule joyeuse, femmes parées, les voitures, les lumières ; lui, en grande toilette, gants jaunes, mais bien changé… La douceur infinie de son puissant regard avait déjà fait place à l’expression âpre du terrible masque. C’était toujours le génie, mais non plus l’expression de la force ; celle plutôt d’une mortelle ardeur pour saisir ce monde fugitif, et dans l’orbite profondément creusée, l’œil de plus en plus sauvage du faucon.

Mon ami, qui voyait en lui la France et l’art dans leur plus haute expression, essaya de l’arrêter là, pria et supplia. En vain ! Triste, sombre, il échappa, s’engouffra au brillant tourbillon.

Il savait bien pourtant ceci, que les grands hommes qui ont exercé une toute-puissante influence sur leur siècle, n’ont duré contre la nature, et n’ont pu accomplir leur destinée tout entière que par deux moyens : les uns l’ont tenue à distance avec quelque mépris, les autres l’ont éludée aux diverses périodes de leur existence, tels : Titien, Michel-Ange, Rembrandt, Shakspeare, Gœthe, Voltaire, etc.

Mais, avec du feu dans les veines, du feu dans le sang, éluder est-il toujours facile ?

On a reproché à Géricault ses excès, leur attribuant sa fin prématurée. S’il en était ainsi, il faudrait plutôt le plaindre, car il fut le premier à souffrir des tyrannies de sa trop grande force.

Qu’on juge du péril, avec une nature qui sans cesse nous