« Page:Leblanc - Voici des ailes, paru dans Gil Blas, 1897.djvu/33 » : différence entre les versions

La bibliothèque libre.
 
État de la page (Qualité des pages)État de la page (Qualité des pages)
-
Page corrigée
+
Page validée

Dernière version du 31 décembre 2020 à 19:57

Cette page a été validée par deux contributeurs.

dulgence, de la sérénité, et de l’amour, Madeleine, de l’amour surtout.

Ils marchaient sous les arceaux d’une vieille église en ruines. Il lui dit lentement, les mains sur ses épaules :

— Je vous promets que je ne souffre plus, je vous promets que je suis parfaitement heureux. Cela m’est égal que Régine soit la maîtresse de Guillaume. J’ai d’abord été pris au dépourvu et j’ai souffert dans ma vanité d’homme, dans mes préjugés, dans ce que j’ai de plus étroit et de plus mesquin. Et cependant il fallait que déjà je fusse bien meilleur et bien régénéré puisque ma souffrance ne m’a conduit à aucun acte. Je n’ai pas cessé de savoir que je traversais une crise d’où je sortirais maître de moi. J’en suis sorti… je n’ai plus de rancune… à peine un peu de tristesse à lui découvrir des instincts équivoques et des allures trop légères.

Mais il s’écria :

— Après tout, elle a raison ! Si son instinct d’amour est de se livrer complaisamment aux caresses de celui qui la désire, elle a raison de s’y livrer. Si son instinct de femme ne se contente pas des hommages d’un seul homme, elle a raison de se montrer à moitié nue aux vagabonds des chemins. Qu’elle soit ce qu’elle est, comme je suis, moi, ce que je suis. C’est notre droit à tous deux.

Ils eurent de ces heures où l’on aime la vie comme un bien inappréciable. La joie de leurs muscles invincibles les exaltait. La volupté de conquérir indéfiniment la nature leur dormait la sensation d’une royauté sans bornes. Elle s’abandonnait à eux comme une maîtresse. À l’ombre des forêts, à la lumière des plaines, à l’aurore, au crépuscule, à la nuit, c’étaient d’ardentes et continuelles noces. Ils l’absorbaient comme un breuvage délicieux. Ils se l’assimilaient comme une substance salutaire. Par leur ouïe, par leurs narines, par leurs yeux, par leur peau, par tous leurs sens exaspérés, ils jouissaient de la défaillante amoureuse. Les champs paisibles, les senteurs des herbes mouillées, les rouges couchers du soleil, les blancs clairs de lune, tout cela ne s’aspire-t-il pas en une gorgée d’air ? Oh ! l’incomparable jouissance !

Et le flot du désir aussi jaillit en eux, dans la délivrance de tous leurs instincts et dans l’invasion des forces naturelles. Ils désirèrent parce qu’ils étaient jeunes et vrais, et parce que la vie des choses, des bêtes et des plantes est un épanouissement perpétuel du désir. Pascal se souvenait de la splendeur de Madeleine, et ses yeux évoquaient la vision blanche et harmonieuse, et ses mains se courbaient avidement selon les formes adorables. Et il semblait à Madeleine que nul vêtement ne pouvait plus s’opposer aux mains et aux yeux de Pascal. Elle était nue, et il la regardait, et il la caressait.

Ils aimaient le péril des doigts enlacés, des bouches proches, des haleines qui se confondent, des corps qui se cherchent et qui s’aguichent sous la garde éperdue des volontés. Ils aimaient la douleur âcre de la jalousie. Pascal murmurait en tremblant :

— Non, je n’ai pas oublié les baisers de Guillaume sur les bras et les épaules de Régine ; non, je n’ai pas pardonné le jeu de ses mains sur son dos. Et j’en souffre, vous entendez, Madeleine, j’en souffre… parce que je me représente le passé, les heures d’intimité où il vous câlinait de la sorte, lui, avec les mêmes mains, avec les mêmes lèvres… et que vous vous abandonniez comme Régine, heureuse comme elle, j’en suis sûr, frissonnante comme elle !…