« Cinéma !… Cinéma !…/09 » : différence entre les versions

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Version du 7 février 2021 à 16:54

S. E. P. I. A. (p. 121-127).


CHAPITRE IX



Quand M. Nitol entendit la nouvelle que sa femme lui cria, aussitôt que la porte d’entrée fut refermée sur lui, il ne parut pas comprendre.

— Eh bien ! oui, M. Laroste veut se marier, c’est son droit.

— Mais avec Claudine, te dis-je !

— Claudine ?

Enfin, après quelques minutes de confusion, le père comprit. Il resta encore plus ahuri que lorsqu’il ne s’assimilait pas cette fameuse confidence. Il regardait sa fille, se demandant comment elle avait pu plaire à un si charmant jeune homme. À force de la voir, il ignorait son charme.

Enfin, il dut se convaincre qu’il ne rêvait pas quand sa femme lui dit :

— Seulement, il y a une paille : c’est qu’il faut aller au Gabon.

— Nous aussi ? demanda-t-il, repris par l’espèce d’hallucination qu’il ressentait depuis son arrivée.

— Ah ! non, pas nous ! s’écria Mme Nitol, dans un rire qui abattit un peu ses nerfs tendus.

Claudine rit aussi en disant :

— C’est déjà bien joli que je doive y aller, et cela ne me charme pas !

— Cependant M. Laroste te plaît ? questionna M. Nitol, inquiet.

— Oh ! oui, papa !

Quand le calme fut revenu dans les esprits, cette grande affaire fut examinée posément, M. Nitol se fit raconter dans quelles circonstances ces paroles inattendues avaient été dites. Puis il éleva un doute :

— Es-tu sûre d’avoir bien entendu ? Tu sais, au milieu du bruit des voitures, on peut prendre un mot pour un autre.

— Non, p’pa, je ne me suis pas trompée. D’ailleurs, ayons un peu de patience : M. Laroste m’a promis de venir au plus vite pour te demander ma main.

— Alors, attendons tranquillement.

Attendre tranquillement était plus facile à dire qu’à faire. M. Nitol ne pouvait s’empêcher de parler du Gabon et de regarder dans le dictionnaire, même en mangeant, pour savoir ce qui se passait dans ce pays. Puis, quand son excitation se fut atténuée, sa femme, à son tour, se demandait comment sa fille serait logée et si elle pourrait avoir au moins une femme de ménage pour l’aider.

Le repas se passa dans une sorte de tohu-bohu qui ne prit fin que quand le trio familial se sépara pour dormir.

Cependant dormir n’était qu’une illusion, parce que les deux époux, dans la chambre conjugale, continuèrent à discuter de cet événement sensationnel. Quand l’enthousiaste Mme Nitol fit miroiter à son mari la perspective d’une maison à la campagne, parmi les propriétés du futur gendre, M. Nitol ne se tenait plus d’agitation. Il se dressa dans son lit et parla de prendre tout de suite sa retraite.

— Tu es fou ! Ne perds pas un sou de ta pension ! Il faudra que nous vivions, dans notre maison !

Ces paroles sages calmèrent le bureaucrate, et il finit par s’endormir en pensant à des théories de poulets, de canards et d’oies.

Claudine, bien que la principale intéressée, eut un sommeil plus calme. Il lui semblait qu’un chemin éclairé s’étendait devant elle.

Dans son esprit s’abolissait cette hantise d’avoir à cacher certains actes de sa vie à son mari. Elle avait trop souffert de ce tourment, lors de ses fiançailles avec Elot. Aujourd’hui, elle était soulagée.

Elle regrettait seulement de n’avoir pas obéi à J. Laroste quand il lui avait déconseillé d’aller chez Mase. Là, elle s’était montrée stupidement entêtée, mais elle était folle. Elle ne voyait que les soleils du cinéma qui projetaient leurs faisceaux sur toutes choses, pour amplifier les mirages.

Quand elle se réveilla le lendemain, sa pensée, tout de suite, retrouva l’incroyable nouvelle.

Elle s’en alla en chantant, après avoir pris gaîment son déjeuner. Naturellement, Mme Nitol ne tarissait pas sur le beau sujet. Elle répétait :

— Quand les dames Hervé sauront cela !

— Elles me plaindront sans doute de partir pour le Gabon.

Pleinement revirée et déjà habituée au départ de sa fille, elle répliqua :

— Je ne crois pas, parce que Mme Hervé me confiait que son gendre voudrait bien essayer des pays lointains, mais n’a pas une situation qui veut !

Claudine partit sur ces mots. La rue était belle. Ensoleillées, les maisons grises prenaient un air de fête, et les acacias, dans un jardin, répandaient des effluves odorants. Le mois de mai était là, pimpant, et si par hasard il envoyait par moments une brise un peu aigre, ce n’était que par jeu, parce que le soleil perçait, rieur.

Ce fut le soir de ce jour, passé dans une attente délicieuse, que Jacques Laroste revint. Des sourires l’accueillirent, bien qu’un certain respect les accompagnât. Il devenait un personnage.

Il ne perdit pas de temps pour exposer l’objet de sa visite à M. Nitol qui, tout ému, lui répondit :

— Vous me voyez touché de votre démarche. Je sais que vous plaisez à ma fille et je ne doute pas de son consentement.

Jacques regarda Claudine qui répondit à ce regard par un sourire éloquent, alors qu’une rougeur la fardait.

— J’emmènerai votre fille au Gabon, et ce sera pour deux ans. Nous reviendrons en France pour six mois, puis nouveau séjour là-bas.

Mme Nitol eut un petit soupir, puis elle dit avec résignation :

— Mon Dieu, deux ans ne sont pas une éternité !

— Cela passera vite, dit M. Nitol, pour encourager sa femme. La correspondance nous aidera.

Malgré cette éventualité un peu mélancolique, les visages rayonnaient.

Jacques Laroste se montra d’une bonne grâce parfaite. Il dépeignit la vie du pays qu’ils habiteraient, et les parents ne purent que se sentir tranquillisés.

Quand les jeunes gens se revirent seuls, ce fut dans le joli salon bouton d’or. Claudine, tout émue, dit à son fiancé :

— Je ne comprends pas encore pourquoi vous m’avez choisie.

— C’est simple : parce que je vous aime…

Elle secoua la tête et répliqua :

— C’est venu soudainement, parce que le jour où je suis venue ici, à ma confusion, pour vous implorer, vous n’aviez pas du tout l’air de tenir à moi.

— Vous viviez de drôles d’heures ce jour-là, ma petite Claudine. Vous n’écoutiez pas les conseils, vous vouliez triompher, mais vous avez été déçue.

— Oh ! oui, j’ai été folle !

— Puis le bon sens vous est revenu, et c’est devant cette conversion inespérée que j’ai cru en vous ; je me demande souvent comment ce miracle est arrivé.

Claudine resta quelques minutes silencieuse, puis elle murmura, non sans émotion :

— C’est la mort de mon frère qui m’a corrigée. Je me sentais sur une pente affreuse, ne regardant que le mirage qui me fascinait, sans voir le gouffre qui était à mes pieds. J’étais trop naïve pour comprendre et je faisais fi de l’expérience des autres. Il a fallu que la faute de mon frère me réveillât. J’ai beaucoup souffert, mais la sagesse m’est venue. En quelques mois, j’ai expié par le désespoir et la peur continuelle. Dieu n’a pas voulu nous laisser plus longtemps sur cette voix terrible et Il a repris celui qui nous faisait mourir d’angoisse.

Claudine acheva ces mots dans un sanglot.

Jacques Laroste lui prit la main et la baisa.

— J’ai deviné, dit-il, quand elle fut plus calme, qu’un drame s’était passé dans votre vie, quand je vous ai revue quelquefois dans la rue, sans que vous vous en doutiez. Vous étiez toute vêtue de noir et vous étiez si sérieuse, vous sembliez tellement détachée de toutes choses, que j’avais pitié de vous. Sur ces entrefaites, j’appris vos fiançailles, et c’est M. Elot qui m’a aiguillé vers votre père. Il y a une suite que vous ignorez. Ayant rencontré M. Elot, je lui ai annoncé notre prochain mariage.

— Est-ce vrai ? s’écria la jeune fille, redevenue toute joyeuse.

— Oui, je lui ai dit que j’avais été frappé par vos qualités et par l’ambiance du foyer de vos parents si sérieux et si sympathiques. J’ai insisté sur votre beauté souriante qui dénonçait un caractère sans détours, ce qui m’avait décidé à vous demander votre main. Je n’ai pas caché que ce ne serait pas pour vous un mariage brillant, puisque je vous arrachais à vos parents et à votre patrie.

— Il a dû être abasourdi !

— Un peu, mais ses traits se sont éclairés à la pensée que vous quitteriez Paris. Pour lui, cela sonnait comme une déchéance, sa situation lui semblait préférable.

— Il en est très fier.

— Il a cherché à savoir si je vous connaissais depuis longtemps, sans cependant formuler une question précise. J’ai évité cet écueil en racontant qu’un jour, je vous avais remarquée tout endeuillée avec un air d’affliction. Mon cœur avait été pris de pitié. J’ai ajouté que vous ayant vue au foyer de vos parents, semblable à un rayon de soleil, j’ai eu l’intuition que vous seriez pour moi la compagne rêvée dans la solitude où je devais me précipiter.

— Cher Jacques !…

— Mais, ma pauvre chérie, là où je vais, vous n’aurez pas beaucoup de distractions. Je suis dans la brousse, très occupé avec un nombreux personnel.

— Oh ! Jacques, vous me tiendrez lieu de tout ! Je sais que vos pensées sont à l’unisson des miennes et que vous avez pardonné mes divagations. Je trouve mon sort plus beau que je ne le mérite, et je rends grâces à Dieu de me l’avoir réservé. Quand je songe au champagne que j’ai bu sans savoir qu’il grisait…

Jacques Laroste rit de bon cœur.

— Vous riez, mais si vous aviez entendu la scène que j’ai faite à maman, sous l’influence de cette boisson inaccoutumée ! Le rouge me monte au front. Et puis ma visite insensée chez Louis Mase et cette surprise de me voir en face de Coralie, dans un taudis extravagant !

— Quelle punition, candide Claudine ! Mais je dois m’accuser de cette erreur. Je n’aurais jamais dû vous inviter avec ces artistes ; mais, heureusement nous sommes seuls à connaître cet épisode.

— Avec Mase et Coralie, cependant !

— Oh ! ceux-là ne comptent pas, parce qu’ils ont tout oublié au milieu de leurs préoccupations.

En riant, Jacques Laroste demanda :

— Il vous sera dur de ne plus aller au cinéma ?

— Je n’y pense plus du tout !

— C’est une chance !

— Je lui garde tout de même un peu de reconnaissance, parce que je vous y ai rencontré.

— Ne soyez pas dupe, petite Claudine. Quand je me suis assis à côté de vous, je vous connaissais déjà un peu de vue. Des circonstances providentielles ont aidé à ce que ce voisinage tournât bien. Il a fallu votre candeur, votre regard si franc, votre ignorance du mal. D’autre part, si j’étais resté à Paris, aurais-je eu le courage de vous épouser, livrée à toutes les tentations ? C’est à savoir ; aussi je vous enlève à toutes ces invites pernicieuses.

— Soyez-en remercié ! murmura Claudine, confuse.

Son bonheur était cependant complet.

Il ne lui déplaisait pas que Jacques se montrât un peu sévère. Elle l’avait mérité et elle plaignit celles qui n’avaient pas un semblable mentor.

Elle plaignit davantage encore les jeunes garçons qui, plus libres que les fillettes, échappaient à leurs parents pour passer leurs jours de congé à s’intoxiquer avec les spectacles plus ou moins nocifs des cinémas. Ils y étudiaient les savantes manœuvres des gangsters.

Cependant Claudine refoula ces pensées. Une aurore de bonheur se levait devant elle. Il s’agissait de la maintenir et de se hausser au niveau de la tâche qui lui était dévolue : c’est-à-dire d’être une bonne épouse, en attendant de se montrer une mère de famille modèle.


FIN