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L’homme s’en va, laissant sa semence dans la matrice ; puis une autre cause<ref>[La première des « causes » qui feront l’homme est donc dans la semence. C’est la « raison séminale » (''supra'' IV, 14, note 2). La seconde n’est pas seulement l’apport de la mère, c’est le mélange de cet élément avec la raison séminale ; c’est l’âme même de l’embryon ; c’est une « nature » (''supra'' VI, 14, note 2) semblable à celle des plantes. Nous devons, en effet, considérer qu’ici, comme à l’ordinaire, Marc-Aurèle a désigné par les diverses {{lang|grc|αἰτίαι}} qu’il énumère une série de « principes efficients » ou de causes ''internes'' (''supra'' IX, 31, 2{{e}} note) ; l’évolution de l’une à l’autre n’est pas seulement un accroissement par addition de matière, mais aussi une métamorphose.]</ref> s’en empare, agit à son tour et achève de former l’enfant. Quel point de départ et quel résultat ! Mais de la nourriture a été introduite dans le gosier du nouveau-né ; alors une autre cause<ref>[Cette autre cause, c’est l’âme vivante (''supra'' VI, 14, même note), laquelle, rapporte Stobée (''Ecl.'', I, 874), préexiste à ses facultés. Marc-Aurèle arrête à celle-ci, c’est-à-dire au premier jour, l’histoire de l’homme, et ne nomme ici ni ne désigne la raison. On remarquera le nom dont il a appelé la vie : {{lang|grc|ζωή}}, et non {{lang|grc|βίος}} (''supra'' VI, 15, 3{{e}} note). On remarquera aussi qu’il ne cite qu’un des deux facteurs de la vie, la nutrition, et oublie l’autre, pourtant le plus important, celui par lequel se « trempe » l’âme (''supra'' VI, 14, 2{{e}} note), la respiration. Mais il nous suffit de considérer comment l’homme se renouvelle chaque jour par la nutrition pour nous aviser de l’instabilité de la dernière des « causes » que Marc-Aurèle énumère ici. Si notre auteur avait voulu achever l’histoire de l’homme, et désigner le principe d’unité qui nous conduit, identiques à nous-mêmes, à travers tous les changements de notre matière, depuis la naissance jusqu’à la mort ({{lang|grc|ἀπὸ ψυχώσεως μέχρι τοῦ τήν ψυχὴν ἀποδοῦναι}} : ''infra'' XII, 24), il eût nommé ici la {{lang|grc|ποιότης}} (''supra'' IX, 25, 1{{re}} note). C’est une unité plus ancienne et plus merveilleuse qui l’intéresse pour le moment : non plus l’unité limitée qui nous donne l’illusion de noire indépendance, mais celle qui nous rattache à la nature commune ; l’unité de la « force » ({{lang|grc|δύναμις}}), qui du germe fait naître l’homme, et, après l’avoir fait naître, le fait durer (''supra'' VI, 40, 3{{e}} note).]</ref>, s’en emparant à son tour, lui donne la sensation et la tendance, en un mot, la vie, des forces et toutes les facultés si nombreuses et si merveilleuses du vivant. Contemplons ces phénomènes derrière le voile si épais qui les recouvre, et nous reconnaîtrons aussi clairement<ref>[« Ce n’est pas avec les yeux, mais avec une autre vue que l’on s’en rend compte » (''supra'' IV, 15). — Cf. encore VIII, 40, et la note. — Cf. encore le mot de Platon à Antisthène dans Simplicius (Brandis, ''{{lang|la|Scholia in Arislotelem}}'', p.&nbsp;66–67) : {{lang|grc|ἔχεις μὲν ᾧ ἵππος ὁπᾶται τόδε τὸ ὄμμα, ᾧ δὲ ἱππότης θεωρεῖται οὐδέπω κέκτησαι}}.]</ref> que si nous la voyions de nos yeux la force<ref name=p224>[Simplicius (''l.&nbsp;l.'', p.&nbsp;69&nbsp;b, ligne 2) rapporte cette définition stoïcienne de la « force » : {{lang|grc|δύναμίς ἐστιν ἡ πλειόνων έποιστικὴ συμπτωμάτων, ὡς ἡ φρόνησις τοῦ τε φρονίμως περιπατεῖν καὶ τοῦ φρονίμως διαλέγεσθαι}}. — « C’est ce qui amène plusieurs événements ; ainsi, la sagesse amène une sage promenade et une sage conversation. » — Zénon avait dit (''supra'' IX, 31, 2{{e}} note) : « La sagesse est ''cause'' ({{lang|grc|αἴτιον}}) de l’action d’être sage. » L’identité des exemples invoqués de part et d’autre témoigne suffisamment de l’affinité des deux notions de l’{{lang|grc|αἰτία}} et de la {{lang|grc|δύναμις}}. C’est peut-être pour les distinguer que les Stoïciens avaient ajouté un complément à la définition de celle-ci. La {{lang|grc|δύναμις}} est encore, rapporte Simplicius (''ibid.'', ligne 7), « ce qui commande</ref> qui les produit, comme nous voyons celle qui fait tomber les corps et celle qui les élève.<section end="texte"/>
L’homme s’en va, laissant sa semence dans la matrice ; puis une autre cause<ref>[La première des « causes » qui feront l’homme est donc dans la semence. C’est la « raison séminale » (''supra'' IV, 14, note 2). La seconde n’est pas seulement l’apport de la mère, c’est le mélange de cet élément avec la raison séminale ; c’est l’âme même de l’embryon ; c’est une « nature » (''supra'' VI, 14, note 2) semblable à celle des plantes. Nous devons, en effet, considérer qu’ici, comme à l’ordinaire, Marc-Aurèle a désigné par les diverses {{lang|grc|αἰτίαι}} qu’il énumère une série de « principes efficients » ou de causes ''internes'' (''supra'' IX, 31, 2{{e}} note) ; l’évolution de l’une à l’autre n’est pas seulement un accroissement par addition de matière, mais aussi une métamorphose.]</ref> s’en empare, agit à son tour et achève de former l’enfant. Quel point de départ et quel résultat ! Mais de la nourriture a été introduite dans le gosier du nouveau-né ; alors une autre cause<ref>[Cette autre cause, c’est l’âme vivante (''supra'' VI, 14, même note), laquelle, rapporte Stobée (''Ecl.'', I, 874), préexiste à ses facultés. Marc-Aurèle arrête à celle-ci, c’est-à-dire au premier jour, l’histoire de l’homme, et ne nomme ici ni ne désigne la raison. On remarquera le nom dont il a appelé la vie : {{lang|grc|ζωή}}, et non {{lang|grc|βίος}} (''supra'' VI, 15, 3{{e}} note). On remarquera aussi qu’il ne cite qu’un des deux facteurs de la vie, la nutrition, et oublie l’autre, pourtant le plus important, celui par lequel se « trempe » l’âme (''supra'' VI, 14, 2{{e}} note), la respiration. Mais il nous suffit de considérer comment l’homme se renouvelle chaque jour par la nutrition pour nous aviser de l’instabilité de la dernière des « causes » que Marc-Aurèle énumère ici. Si notre auteur avait voulu achever l’histoire de l’homme, et désigner le principe d’unité qui nous conduit, identiques à nous-mêmes, à travers tous les changements de notre matière, depuis la naissance jusqu’à la mort ({{lang|grc|ἀπὸ ψυχώσεως μέχρι τοῦ τήν ψυχὴν ἀποδοῦναι}} : ''infra'' XII, 24), il eût nommé ici la {{lang|grc|ποιότης}} (''supra'' IX, 25, 1{{re}} note). C’est une unité plus ancienne et plus merveilleuse qui l’intéresse pour le moment : non plus l’unité limitée qui nous donne l’illusion de notre indépendance, mais celle qui nous rattache à la nature commune ; l’unité de la « force » ({{lang|grc|δύναμις}}), qui du germe fait naître l’homme, et, après l’avoir fait naître, le fait durer (''supra'' VI, 40, 3{{e}} note).]</ref>, s’en emparant à son tour, lui donne la sensation et la tendance, en un mot, la vie, des forces et toutes les facultés si nombreuses et si merveilleuses du vivant. Contemplons ces phénomènes derrière le voile si épais qui les recouvre, et nous reconnaîtrons aussi clairement<ref>[« Ce n’est pas avec les yeux, mais avec une autre vue que l’on s’en rend compte » (''supra'' IV, 15). — Cf. encore VIII, 40, et la note. — Cf. encore le mot de Platon à Antisthène dans Simplicius (Brandis, ''{{lang|la|Scholia in Arislotelem}}'', p.&nbsp;66–67) : {{lang|grc|ἔχεις μὲν ᾧ ἵππος ὁπᾶται τόδε τὸ ὄμμα, ᾧ δὲ ἱππότης θεωρεῖται οὐδέπω κέκτησαι}}.]</ref> que si nous la voyions de nos yeux la force<ref name=p224>[Simplicius (''l.&nbsp;l.'', p.&nbsp;69&nbsp;b, ligne 2) rapporte cette définition stoïcienne de la « force » : {{lang|grc|δύναμίς ἐστιν ἡ πλειόνων έποιστικὴ συμπτωμάτων, ὡς ἡ φρόνησις τοῦ τε φρονίμως περιπατεῖν καὶ τοῦ φρονίμως διαλέγεσθαι}}. — « C’est ce qui amène plusieurs événements ; ainsi, la sagesse amène une sage promenade et une sage conversation. » — Zénon avait dit (''supra'' IX, 31, 2{{e}} note) : « La sagesse est ''cause'' ({{lang|grc|αἴτιον}}) de l’action d’être sage. » L’identité des exemples invoqués de part et d’autre témoigne suffisamment de l’affinité des deux notions de l’{{lang|grc|αἰτία}} et de la {{lang|grc|δύναμις}}. C’est peut-être pour les distinguer que les Stoïciens avaient ajouté un complément à la définition de celle-ci. La {{lang|grc|δύναμις}} est encore, rapporte Simplicius (''ibid.'', ligne 7), « ce qui commande</ref> qui les produit, comme nous voyons celle qui fait tomber les corps et celle qui les élève.<section end="texte"/>

Version du 21 mars 2021 à 09:04

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L’homme s’en va, laissant sa semence dans la matrice ; puis une autre cause[1] s’en empare, agit à son tour et achève de former l’enfant. Quel point de départ et quel résultat ! Mais de la nourriture a été introduite dans le gosier du nouveau-né ; alors une autre cause[2], s’en emparant à son tour, lui donne la sensation et la tendance, en un mot, la vie, des forces et toutes les facultés si nombreuses et si merveilleuses du vivant. Contemplons ces phénomènes derrière le voile si épais qui les recouvre, et nous reconnaîtrons aussi clairement[3] que si nous la voyions de nos yeux la force[4] qui les produit, comme nous voyons celle qui fait tomber les corps et celle qui les élève.

  1. [La première des « causes » qui feront l’homme est donc dans la semence. C’est la « raison séminale » (supra IV, 14, note 2). La seconde n’est pas seulement l’apport de la mère, c’est le mélange de cet élément avec la raison séminale ; c’est l’âme même de l’embryon ; c’est une « nature » (supra VI, 14, note 2) semblable à celle des plantes. Nous devons, en effet, considérer qu’ici, comme à l’ordinaire, Marc-Aurèle a désigné par les diverses αἰτίαι qu’il énumère une série de « principes efficients » ou de causes internes (supra IX, 31, 2e note) ; l’évolution de l’une à l’autre n’est pas seulement un accroissement par addition de matière, mais aussi une métamorphose.]
  2. [Cette autre cause, c’est l’âme vivante (supra VI, 14, même note), laquelle, rapporte Stobée (Ecl., I, 874), préexiste à ses facultés. Marc-Aurèle arrête à celle-ci, c’est-à-dire au premier jour, l’histoire de l’homme, et ne nomme ici ni ne désigne la raison. On remarquera le nom dont il a appelé la vie : ζωή, et non βίος (supra VI, 15, 3e note). On remarquera aussi qu’il ne cite qu’un des deux facteurs de la vie, la nutrition, et oublie l’autre, pourtant le plus important, celui par lequel se « trempe » l’âme (supra VI, 14, 2e note), la respiration. Mais il nous suffit de considérer comment l’homme se renouvelle chaque jour par la nutrition pour nous aviser de l’instabilité de la dernière des « causes » que Marc-Aurèle énumère ici. Si notre auteur avait voulu achever l’histoire de l’homme, et désigner le principe d’unité qui nous conduit, identiques à nous-mêmes, à travers tous les changements de notre matière, depuis la naissance jusqu’à la mort (ἀπὸ ψυχώσεως μέχρι τοῦ τήν ψυχὴν ἀποδοῦναι : infra XII, 24), il eût nommé ici la ποιότης (supra IX, 25, 1re note). C’est une unité plus ancienne et plus merveilleuse qui l’intéresse pour le moment : non plus l’unité limitée qui nous donne l’illusion de notre indépendance, mais celle qui nous rattache à la nature commune ; l’unité de la « force » (δύναμις), qui du germe fait naître l’homme, et, après l’avoir fait naître, le fait durer (supra VI, 40, 3e note).]
  3. [« Ce n’est pas avec les yeux, mais avec une autre vue que l’on s’en rend compte » (supra IV, 15). — Cf. encore VIII, 40, et la note. — Cf. encore le mot de Platon à Antisthène dans Simplicius (Brandis, Scholia in Arislotelem, p. 66–67) : ἔχεις μὲν ᾧ ἵππος ὁπᾶται τόδε τὸ ὄμμα, ᾧ δὲ ἱππότης θεωρεῖται οὐδέπω κέκτησαι.]
  4. [Simplicius (l. l., p. 69 b, ligne 2) rapporte cette définition stoïcienne de la « force » : δύναμίς ἐστιν ἡ πλειόνων έποιστικὴ συμπτωμάτων, ὡς ἡ φρόνησις τοῦ τε φρονίμως περιπατεῖν καὶ τοῦ φρονίμως διαλέγεσθαι. — « C’est ce qui amène plusieurs événements ; ainsi, la sagesse amène une sage promenade et une sage conversation. » — Zénon avait dit (supra IX, 31, 2e note) : « La sagesse est cause (αἴτιον) de l’action d’être sage. » L’identité des exemples invoqués de part et d’autre témoigne suffisamment de l’affinité des deux notions de l’αἰτία et de la δύναμις. C’est peut-être pour les distinguer que les Stoïciens avaient ajouté un complément à la définition de celle-ci. La δύναμις est encore, rapporte Simplicius (ibid., ligne 7), « ce qui commande