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LE LIVRE DE MA VIE

orné de volets peints en vert, où il décrivit le Paradis, Gœthe à Weimar, mais on cherche en vain Napoléon à la Malmaison), je restais immobile et déçue, debout sur un palier de la demeure. Je regardais par les hautes fenêtres ce paysage gracile, découvert, où s’était diverti et reposé le général Bonaparte, où s’était dissous l’empereur des Français. Je me souvins d’anciennes lectures de ma jeunesse, narrations écrites par les contemporains du miracle, précises, colorées, et qui s’apparentent au roman plus qu’à l’histoire dont elles ne sont pourtant que l’exact et minutieux reflet.

Dans les soirs tièdes de l’été, de l’automne, le jeune vainqueur aimait à s’exercer au jeu de barres sur ces carrés de sable, avec ses lieutenants insouciants, entouré du rire et de l’audacieux habillage de leurs femmes braves et coquettes. Et je songeais : Est-ce vraiment ici que se sont posés les pieds du prodige ? Pieds qui nous sont révélés par le portrait d’Isabey, et si gracieux, si enfantins qu’ils semblent des mains délicates gantées de peau d’antilope. On les imagine, ces pieds du destin, sur les Alpes terrifiantes qui semblent se soumettre à eux, les guider, les transporter jusque dans les plaines radieuses. On les voit parmi les asphodèles et les violettes des jardins d’Italie ; on suit leur trace au bord du Nil, où le maigre chef empanaché paraît à l’abri des immenses soleils