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Dernière version du 26 juillet 2021 à 15:35

Michel Lévy Frères, Libraires-Éditeurs (p. 204-214).


XIII

prise de messine


Messine, 28 août,

Nous avons fait la traversée de Palerme à Messine en trente-deux heures. Quand nous arrivâmes devant Milazzo, il faisait nuit noire et le temps était affreux. Nous envoyâmes notre canot demander des nouvelles de Garibaldi. Il était parti depuis deux jours pour Messine.

Cet envoi de notre canot nous fit perdre deux heures, pendant lesquelles le calme se fit.

Vers deux heures du matin, nous gouvernions à peine quand nous vîmes apparaître, à la pointe du cap de Rasocolmo, les fanaux d’un bateau à vapeur.

Le timonier le signala au second, et, comme un abordage ne semblait pas devoir être à craindre dans l’immense golfe de Milazzo, on ne s’occupa plus du bateau à vapeur.

Nous marchions lentement, nos deux fanaux allumés.

Tout à coup, une masse sombre, enveloppée d’un nuage de fumée, nous apparaît à une cinquantaine de mètres, trace un demi-cercle autour de nous, en passant à notre avant, puis vire de bord et revient droit sur nous par le travers de tribord.

— Le bateau à vapeur ! le bateau à vapeur ! cria le matelot de quart.

— Lofez ! lofez ! cria le second à son tour.

La manœuvre s’exécuta ; mais, avant qu’elle fût accomplie, le bateau à vapeur était sur nous.

Ce qui se passa dans cet instant est indescriptible.

La goélette fut soulevée comme une plume ; un craquement se fit entendre. Je fus couvert d’eau ; j’étais couché sur le pont. Le timonier fut renversé : le second, jeté à cinq ou six pieds en l’air ; notre vergue de fortune, brisée ; notre guide baume, plié comme un roseau ; notre grande voile, déchirée. L’arrière de la goëlette plongea dans la mer et se releva ruisselant. Le bateau à vapeur crut nous avoir coulés, et continua son chemin.

C’était une petite plaisanterie napolitaine. Notre goëlette avait été reconnue pour avoir pris part à l’affaire de Milazzo ; on voulait tout simplement nous couler.

Nous fûmes jusqu’au jour à réparer nos avaries ; beaucoup de choses étaient brisées à bord, mais rien d’essentiel, rien de vital. Notre voile de cape remplaça notre grande voile. Nous avions des focs et des fortunes en double.

Le calme continuait ; ce ne fut que vers midi qu’une légère brise et le courant nous portèrent vers le détroit.

En arrivant au Phare, un beau spectacle frappa nos yeux : une batterie de trois pièces de canon s’élevait, et je comptai cent soixante-huit bateaux tout prêts, pouvant contenir chacun vingt hommes. Ce sont des bateaux de débarquement ; le nombre doit en être quadruple.

Au fur et à mesure que nous approchions de Messine, nous pouvions voir les sentinelles napolitaines se promener au haut des remparts du fort de la mer ; sur l’espèce de plaine qui, derrière la citadelle, s’étend à fleur d’eau, on voyait manœuvrer des troupes à pied et à cheval.

Les Napolitains, vous le savez, manœuvrent à merveille. Ils ont si bien manœuvré, qu’ils en sont arrivés à se renfermer dans la citadelle de Messine et dans celle de Syracuse.

Arrivés à Messine, notre première visite fut pour Garibaldi.

Les larmes lui coulèrent des yeux quand je lui rapportai la réponse du duc de la Verdura.

Puis, avec un soupir :

— Au bout du compte, dit-il, si je me fais tuer, ce ne sera pas pour eux, ce sera pour la liberté du monde.

Alors, se retournant vers moi :

— Partez et revenez-nous vite, me dit-il.

— Général, lui répondis-je, je puis être de retour ici dans quinze jours, mais pas plus tôt.

— Avec les armes ?

— Oui, dussé-je les payer un peu plus cher ; je vous donne ma parole que je serai ici avec le bateau de mardi en quinze.

— Bon ! S’il en est ainsi, je vous attends pour entrer dans les Calabres, et nous y entrerons avec vos fusils


Pendant mon voyage à Palerme avaient eu lieu la reddition du fort de Milazzo et la prise de Messine.

Voici les détails que je recueillis sur ce double événement :

Le lendemain de notre départ de Milazzo, le Protis, vapeur à hélice français, capitaine Salvi, mouillait sur rade. Il apportait des vivres à l’armée napolitaine. Son capitaine ignorait complétement et le combat de Milazzo et le blocus du fort.

À l’embarcation qui vint prendre langue à son bord, il répondit qu’il était à la disposition du commandant de Milazzo, ainsi que tout son chargement.

— Mais, lui répondit-on à son grand étonnement, c’est Garibaldi qui commande ici.

Comme on le voit, la situation se compliquait.

Le pavillon français sauvegardait cependant le vapeur ; de sorte qu’il demeura en rade en attendant les événements.

Dans la même soirée que le Protis, le Charles-Martel, grand clipper à hélice français, ainsi que la Stella, venaient, dans les mêmes intentions et conditions que le Protis, jeter l’ancre à Milazzo. Le matin du 23, au point du jour, la Mouette, aviso de l’État, commandant Boyer, venant de Naples, arrivait de son côté au mouillage.

Une entrevue eut lieu immédiatement entre le général Garibaldi et le commandant Boyer.

La position des transports français au service du roi de Naples étant parfaitement garantie, cet officier supérieur, qui avait des dépêches pour Messine, dut appareiller pour sa destination ; mais ce ne fut pas sans avoir, dans un but d’humanité, fortement engagé le capitaine du Protis à offrir son intervention pour tâcher d’amener, entre le général Garibaldi et le commandant de la citadelle, un commencement de négociation.

La position du général Bosco était très-critique. Sa garnison, composée de cinq mille cinq cents hommes, était entassée dans un fort, sans aucune espèce d’approvisionnements. Il devait donc à peine espérer une capitulation honorable.

Après avoir vu le général Garibaldi et obtenu son assentiment, le capitaine du Protis montait à la citadelle avec pavillon parlementaire, et était introduit, les yeux bandés, près du général Bosco.

De prime abord, le général Bosco se tint complétement sur la réserve ; mais, dès qu’il sut que le capitaine Salvi était Français, il devint plus communicatif, et ne dissimula pas qu’il était tout prêt à entrer en arrangement, pourvu que les conditions fussent honorables pour lui et sa troupe.

Voici, non pas le texte, mais l’ensemble de la lettre donnée pour le général Garibaldi au capitaine du Protis:

« Le général commandant la place de Milazzo, dans un but d’humanité qu’il apprécie comme le général Garibaldi, et désirant surtout éviter une inutile effusion de sang, ne serait pas éloigné de rendre la place à des conditions honorables, pourvu, toutefois, qu’elles fussent approuvées par son gouvernement. La position de la citadelle, sans être désespérée, est, il le reconnaît, critique ; mais elle offre encore des ressources à un général et à des troupes déterminées. »

Le général Bosco confia, en outre, au commandant du Protis, une lettre pour le roi de Naples.

Le capitaine Salvi se retira alors ; mais le général Bosco défendit qu’on lui bandât les yeux comme à son entrée dans la place.

Aussitôt après l’entrevue, le Charles-Martel et la Stella partirent pour Messine ; le Protis restait au mouillage, attendant l’issue de la négociation entamée.

Cependant, le commandant de la Mouette, inquiet, n’avait fait que toucher à Messine et avait repris aussitôt la route de Milazzo. Il se croisa en chemin avec le Charles-Martel et la Stella, mais sans communiquer avec eux.

Il était environ quatre heures lorsqu’il arriva en vue de Milazzo. L’étonnement du capitaine fut grand en apercevant devant Milazzo quatre frégates napolitaines sous vapeur, dont une battait pavillon d’amiral.

Le champ fut ouvert à bord à toutes les suppositions.

Les uns voyaient déjà un débarquement ; d’autres, un simple ravitaillement. Mais tout le monde s’attendait à une canonnade quelconque. Il était aisé, à l’aide de la longue-vue, de distinguer les dispositions faites par le général Garibaldi pour résister à toute tentative d’agression.

La générale avait été battue dans l’armée indépendante ; une batterie de six pièces, établie comme par enchantement, s’élevait sur le quai au pied de la citadelle ; une autre de deux pièces pouvait se distinguer au fond de la baie, à l’embouchure de la rivière.

Les feux de ces deux batteries devaient se contrebattre.

Les deux tours du sommet de la presqu’île, qui, dès le principe, étaient tombées au pouvoir du général Garibaldi, avaient aussi dirigé vers l’escadre napolitaine les quatre pièces dont elles étaient armées.

Toutes ces dispositions belliqueuses ne devaient aboutir à rien. La frégate amirale arbora pavillon parlementaire à son mât de misaine. La Mouette vint tranquillement mouiller à côté du Protis.

L’escadre napolitaine portait, à ce qu’il paraît, un plénipotentiaire. À sept heures, les négociations étaient terminées, et le capitaine du Protis recevait l’ordre de se rendre immédiatement à Messine pour faire rallier le Charles-Martel, la Stella, l’Impératrice-Eugénie, etc., en vue de l’évacuation immédiate de Milazzo.

À deux heures du matin, la Mouette appareillait elle-même pour rentrer à Messine.

Les conditions premières imposées par le général Garibaldi avaient été, dit-on, celles-ci :

« La garnison prisonnière de guerre ; les officiers libres de rentrer chez eux avec armes et bagages. »

Les conditions acceptées de part et d’autre ont été celles-ci :

« Les troupes se retireront avec armes et bagages, mais sans cartouches ; le matériel de la citadelle sera partagé en deux parts, moitié aux assiégeants, moitié aux assiégés. »

Maintenant, voici pour Messine :

Le 22, les bâtiments de guerre stationnés dans le port de Messine avaient été invités par le général Clary à changer de mouillage, pour ne pas gêner les opérations défensives ou agressives de la citadelle.

De l’évacuation des bâtiments de guerre résulta immédiatement un sauve-qui-peut général pour tout ce qui n’avait pas encore abandonné la ville.

Toute cette malheureuse population se trouvait agglomérée sur les plages est du détroit de Messine, partie sous des tentes en lambeaux, partie dans des bateaux de toute espèce, où les femmes et les enfants étaient entassés à ce point, que, dans une mahonne, j’ai compté vingt-huit enfants et dix-huit femmes. La partie de la population la plus aisée avait fui dans la campagne ; la ville était silencieuse comme un tombeau. Ce silence n’était troublé que par les cris d’alerte des factionnaires napolitains et par les coups de fusil qu’ils envoyaient sans raison sur tout ce qui paraissait dans les rues.

Le port était aussi désert que la ville, sauf quelques corvettes napolitaines prêtes à appareiller. Il ne restait dans le port que la Mouette, qui, forcée de faire son charbon, était amarrée à Terra-Nova.

Les journées du 24 et du 25 se passèrent de la même manière.

Cependant un combat paraissait imminent. D’après les intentions qu’avait manifestées le général Clary, on devait s’attendre à une lutte désespérée.

Effectivement, les troupes napolitaines occupaient toutes les crêtes des montagnes qui entourent Messine. Artillerie, cavalerie, génie, rien ne manquait au déploiement des forces mises en avant par le général de l’armée royale. Mais c’était la montagne qui accouche d’une souris. Le 25, vers les sept heures du soir, un faible engagement avait lieu entre les avant-postes napolitains et les guerrillas d’un chef de partisans nommé Interdonato, malgré l’ordre qui avait été donné de ne pas en venir aux mains.

Cet engagement faisait présumer pour le lendemain une action pleine d’intérêt ; mais, au lever du soleil, les Napolitains étaient rentrés en ville ; les picciotti, descendus dans les ravins où ils séjournaient en attendant des ordres ; enfin, dans le port, l’évacuation commençait.

Cette évacuation, dont les articles paraissent un problème, n’a été sans doute que la conséquence. pure et simple de la capitulation de Milazzo.

En abandonnant de justes prétentions, le général de l’armée indépendante s’était réservé les bénéfices de l’évacuation de Messine. En échange de ses prétentions premières, la garnison de Milazzo était la rançon de Messine.

Le 26, les bâtiments de guerre rentraient dans le port. La population, rassurée, commençait à rentrer en ville. Plusieurs décrets rendus par le général Garibaldi assuraient la tranquillité publique : tout attentat contre la sûreté personnelle était sévèrement puni ; la garde nationale s’organisait, prenait le service des postes abandonnés par l’armée napolitaine, et tout le monde, vainqueurs et vaincus, s’embrassait à qui mieux mieux dans les rues.

La signature définitive de la trêve n’a cependant eu lieu que le 28 : les troupes royales occupant citadelle et les troupes de Garibaldi occupant la ville s’engagent à s’abstenir de toute hostilité pendant un laps de temps quelconque, la reprise des hostilités devant être annoncée au moins quarante-huit heures à l’avance.


Le dimanche 29 août, je m’embarquai pour Marseille, sur le Pausilippe, bateau à vapeur des Messageries impériales.