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''La conservation du Mouvement n'est vraie que dans certains cas. La conservation de la Force vive n'a lieu que pour certains corps.'' Ni l'une ni l'autre ne peut passer pour un principe universel, ni pour un résultat general des loix du Mouvement.
''La conservation du Mouvement n'est vraie que dans certains cas. La conservation de la Force vive n'a lieu que pour certains corps.'' Ni l'une ni l'autre ne peut passer pour un principe universel, ni pour un résultat general des loix du Mouvement.


Si l'on examine les principes, sur lesquels se sont fondés quelques Auteurs qui nous onr donné ces loix, & les routes qu'ils ont suivies, on s'étonnera de voir qu'ils y soient si heureusement parvenus.
Si l'on examine les principes, sur lesquels se sont fondés quelques Auteurs qui nous onr donné ces loix, & les routes qu'ils ont suivies, on s'étonnera de voir qu'ils y soient si heureusement parvenus. Et l'on ne pourra s'empêcher de croire qu'ils comptoient moins sur ces principes que sur l'experience. Ceux qui ont raisonné le plus juste, ont reconnu que le principe, dont ils se servoient pour expliquer la communication du Mouvement des Corps élastiques, ne pouvoit s'appliquer à la communication du Mouvement des Corps durs. Enfin aucun des principes qu'on a jusqu'ici emploiés, soit pour les loix du Mouvement des Corps élastiques, ne s'étend aux loix du Repos.

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Après tant de grands hommes qui ont travaillé sur cette matiere, je n'ose presque dire que j'ai découvert le principe universel, sur lequel toutes ces loix sont fondées; qui s'étend egalement aux Corps durs & aux Corps élastiques; d'où dépend le Mouvement & le Repos de toutes les substances corporelles.
Après tant de grands hommes qui ont travaillé sur cette matiere, je n'ose presque dire que j'ai découvert le principe universel, sur lequel toutes ces loix sont fondées; qui s'étend egalement aux Corps durs & aux Corps élastiques; d'où dépend le Mouvement & le Repos de toutes les substances corporelles.


C'est le pincipe de la ''moindre quantité d'action'': principe si sage, si digne de l'Etre suprême, & auquel la Nature paroît si constamment attachée; qu'elle l'observe non seulement dans tous ses changemens, mais que dans sa permanence, elle tend encore à l'observer. ''Dans le Choc des Corps, le Mouvement se distribue de manière que la quantité d'action, que suppose le changement arrivé, est la plus petite qu'il soit possible. Dans le Repos, les Corps qui se tiennent en équilibre, doivent être tellement situés, que s'il leur arrivoit quelque petit Mouvement, la quantité d'action seroit la moindre.''
C'est le pincipe de la ''moindre quantité d'action'': principe si sage, si digne de l'Etre suprême,


Les loix du Mouvement & du Repos déduites de ce principe, se trouvant precisement les mêmes qui sont observées dans la Nature: nous pouvons en admirer l'application dans tous les Phenomênes. Le mouvement des Animaux, la végétation des Plantes, la révolution des Astres, n'en sont que les suites: & le spectacle de l'Univers devient bien plus grand, bien plus beau, bien plus digne de son Auteur, lors-qu'on sait qu'un petit nombre de loix, le plus sagement établies, suffisent à tous ces mouvemens. C'est alors qu'on peut avoir une juste idée de la puissance & de la sagesse de l'Etre suprême; & non pas lors qu'on en juge par quelque petite partie, dont nous ne connoissons ni la construction, ni l'usage, ni la connexion qu'elle a avec les autres. Quelle satisfaction pour l'esprit humain, en contemplant ces loix, qui sont le principe du Mouvement & du Repos de tous les Corps de l'Univers, d'y trouver la preuve de l'existence de Celui qui le gouverne!
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Version du 28 juillet 2006 à 10:37


Les loix du mouvement et du repos déduites d'un principe metaphysique
1746

Je donnai le principe, sur lequel l'Ouvrage suivant est fondé, le 15. Avril 1744, dans l'Assemblée publique de l'Academie Roiale des Sciences de Paris, comme les Actes de cette Academie en feront foi.

M. le Professeur Euler donna à la fin de la même année son excellent Livre: Methodus inveniendi lineas curvas maximi minimive proprietate gaudentes. Dans le Supplement qui y avoit été ajouté, cet illustre Géomêtre démontre; Que dans les trajéctoires, que des corps décrivent par des forces centrales, la vitesse multipliée par l'elément de la courbe, fait toujours un minimum.

Cette remarque me fit d'autant plus de plaisir, qu'elle est une belle application de mon principe au mouvement des Planetes; dont ce principe en efect est la regle.

Je vais tenter de tirer de la même source des verités d'un genre superieur & plus important.


I. Examen des preuves de l'existence de Dieu, tirées des merveilles de la Nature

Soit que nous demeurions renfermés en nous-mêmes, soit que nous en sortions pour parcourir les merveilles de l'Univers, nous trouvons tant de preuves de l'existence d'un Etre tout puissant & tout sage, qu'il est en quelque sorte plus necessaire d'en diminuer le nombre que de chercher à l'augmenter; qu'il faut du moins faire un choix entre ces preuves, examiner leur force ou leur foiblesse, & ne donner à chacune que le poids qu'elle doit avoir: car on ne peut faire plus de tort à la verité, qu'en voulant l'appuïer sur de faux raisonnemens.

Je n'examine point ici l'argument qu'on trouve dans l'idée d'un Etre infini: dans cette idée trop grande pour que nous la puissions tirer de notre propre fond, ou d'aucun autre fond fini, & qui paroît prouver qu'un Etre infiniment parfait existe.

Je ne citerai point ce consentement de tous les hommes sur l'existence d'un Dieu, qui a paru une preuve si forte au Philosophe de l'ancienne Rome. (Cicer. Tuscul. I. 13.) Je ne discute point, s'il est vrai qu'il y ait quelque peuple qui s'écarte des autres sur cela; si une poignée d'hommes qui penseroient autrement que tous les autres habitans de la terre, pourroient faire une exception; ni si la diversité qui peut se trouver dans les idées qu'ont de Dieu tous ceux qui admettent son existence, empêcheroit de tirer grand avantage de ce consentement.

Enfin je n'insisterai pas sur ce qu'on peut conclure de l'intelligence que nous trouvons en nous-mêmes; de ces etincelles de sagesse & de puissance que nous voyon répanduës dans les Etres finis, & qui supposent une source immense & eternelle d'où elles tirent leur origine.

Tous ces argumens me paroissent très-forts; mais ce ne sont pas ceux de cette espece que j'examine.

De tout tems ceux qui se sont appliqués à la contemplation de l'Univers, y ont trouvé des marques de la sagesse & de la puissance de Celui qui le gouverne. Plus l'étude de la Physique a fait de progrès, plus ces preuves se sont multipliées. Les uns frappés confusement des caracteres de Divinité qu'on trouve à tous momens dans la Nature; les autres par un zele mal à propos religieux, ont donné à quelques preuves plus de force qu'elles n'en devoient avoir; & quelquefois ont pris pour des preuves, ce qui n'en étoit pas.

Peut-être seroit-il permis de se relâcher sur la rigueur des argumens, si l'on manquoit de raisons pour établir un principe douteux & utile: mais ici les argumens sont assez forts; & le nombre en est assez grand, pour qu'on puisse en faire l'examen le plus rigide & le choix le plus scrupuleux.

Je ne m'arrêterai point aux preuves de l'existence de l'Etre suprême, que les Anciens ont tirées de la beauté, de l'order & de l'arrangement de l'Univers. On peut voir celles que Ciceron rapporte (Tuscul. I. 28. & 29.), & celles qu'il cite d'après Aristotle (De Nat. Deor. II. 37. 38.): Ils connoissoient trop peu la Nature, pour être en droit de l'admirer. Je m'attache à un Philosophe, qui par ses grandes découvertes étoit bien plus qu'eux à portée de juger de ces merveilles, & dont les raisonnemens sont bien plus précis que tous les leurs.

Newton paroît avoir été plus touché des preuves qu'on trouve dans la contemplation de l'Univers, que de toutes les autres qu'il auroit pu tirer de la profondeur de son esprit.

Ce grand homme a cru (Newt. Opticks III. Book. Query 31.) que les mouvemens des corps celestes démontroient assez l'existence de Celui qui les gouverne. Six PLanetes, Mercure, Venus, la Terre, Mars, Jupiter & Saturne, tournent autour du Soleil. Toutes se meuvent dans le même sens, & décrivent des orbes à peu-près concentriques: pendant qu'une autre espece d'Astres, les Cometes, décrivant des orbes fort diferens, se meuvent dans toutes sortes de directions, & parcourent toutes les regions du Ciel. Newton a cru qu'une telle uniformité ne pouvoit être que l'efet de la volonté d'un Etre supreme.

Des objets moins élevés ne lui ont pas paru fournir des argumens moins forts. L'uniformité observée dans la construction des Animaux, leur organization merveilleuse & remplie d'utilités, étoient pour lui des preuves convainquantes de l'existence d'un Creatur tout puissant & tout sage. (Theol. Astron. de Derham., Theol. Phys. du même., Theol. des Insectes de Lesser. )

Une foule de Physiciens, après Newton, ont trouvé Dieu dans les Astres, dans les Insectes, dans les Plantes, dans l'Eau. (Theol. de l'Eau de Fabricius.)

Ne dissimulons point la foiblesse de quelques uns de leurs raisonnemens: & pour mieux faire connoître l'abus qu'on a fait des preuves de l'existence de Dieu, examinons celles même qui ont paru si fortes à Newton.

L'uniformité, dit-il, du mouvement des Planetes prouve nécessairement un choix. Il n'etoit pas possible qu'un Destin aveugle les fit toutes mouvoir dans le même sens, & dans des orbes à peu-près concentriques.

Newton pouvoit ajouter à cette uniformité du mouvement des Planetes, qu'elles se meuvent toutes presque dan le même plan. La Zone dans laquelle tous leurs orbes sont renfermés, ne fait qu'à peu-près la 17e partie de la surface de la Sphere. Si l'on prend donc l'orbe de la Terre pour le plan auquel on rapporte les autres, & qu'on regarde leur position comme l'effet du hazard, la probabilité, que les 5. autres orbes ne doivent pas être renfermés dans cette Zone, est de 175 - 1 à 1; c'est à dire, de 1419856 à 1.

Si l'on conçoit comme Newton, que tous les corps celestes attiré vers le Soleil, se meuvent dans le vuide; il est vrai qu'il n'étoit gueres probable que le hazard les eût fait mouvoir comme ils se meuvent. Il y restoit cependant quelque probabilité; & dès-lors on ne peut pas dire que cette uniformité soit l'effet necessaire d'un choix.

Mais il y a plus: l'alternative d'un choix ou d'un hazard extrême, n'est fondée que sur l'impuissance, où l'on est dans le systeme de Newton, de donner une cause physique de cette uniformité. Pour d'autres Philosophes qui admettent un fluide qui emporte les Planets, ou qui seulement modere leur mouvement, l'uniformité de leur corps ne paroît point inexplicable: elle ne suppose plus ce singulier coup de hazard, ou ce choix; & ne prouve pas plus l'existence de Dieu, que ne seroit tout autre mouvement imprimé à la Matiere. (Voyez la Piece de M. Dan. Bernoulli sur l'inclin. des plans des orbites des Planetes.)

Je ne sai si l'argument, que Newton tire de la construction des Animaux, est beaucoup plus fort. Si l'uniformité qu'on observe dans plusieurs, étoit une preuve; cette preuve ne seroit-elle pas démentie par la variété infinie qu'on observe dans plusieurs autres? San sortir des mêmes elémens, que l'on compare un Aigle avec une Mouche, un Cerf avec un Limaçon, une Baleine avec une Huitre; & qu'on juge de cette uniformité. En effet d'autres Philosophes veulent trouver une preuve de l'existence de Dieu dans la variété des formes, & je ne sai lesquels sont les mieux fondés.

L'Argument tiré de la convenance des differentes parties des Animaux avec leurs besoins, paroît plus solide. Leur pieds ne sont-ils pas faits pour marcher, leurs aîles pour voler, leur yeux pour voir, leur bouche pour manger, d'autres parties pour reproduire leurs semblables? Tout cela ne marque-t-il pas une intelligence & un dessein qui ont presidé à leur construction? Cet argument avoit frappé les Anciens comme il a frappé Newton: & c'est en vain que le plus grand ennemi de la Providence y répond, que l'usage n'a point été le but, qu'il a été la suite de la construction des parties des Animaux: que le hazard aiant formé les yeux, les oreilles, la langues, on s'en est servi pour voir, pour entendre, pour parler. (Lucret. lib. IV)

Mais ne pourroit-on pas dire, que dans la combinaison fortuite des productions de la Nature, comme il n'y avoit que celles où se trouvoient certains rapports de convenance, qui pûssent subsister, il n'est pas merveilleux que cette convenance se trouve dans toutes les especes qui actuellement existent? Le hazard, diroit-on, avoit produit une multitude innombrabled'Invidus: un petit nombre se trouvoit construit de maniere que les parties de l'Animal pouvoient satisfaire à ses besoins; dans un autre infiniment plus grand, il n'y avoit ni convenance, ni order: tous ces derniers ont peri: des Animaux sans bouche ne pouvoient pas vivre; d'autres qui manquoient d'organes pour la generation ne pouvoient pas se perpetuer; les seuls qui soient restés, sont ceux où se trouvoient l'ordre & la convenance; & ces especes que nous voions auhourdhui, ne sont que la plus petite partie de ce qu'un Destin aveugle avoit produit.

Presque tous les Auteurs modernes qui ont traité de la Physique ou de l'Histoire naturelle, n'ont fait qu'étendre les preuves qu'on tire de l'organisation des Animaux & des Plantes; & les pousser jusques dans les plus petits details de la Nature. Pour ne pas citer ici des Exemples trop indécents, qui ne seroient que trop communs, je ne parlerai que de celui (Philos. Transact. No. 470) qui trouve Dieu dans les plis de la peau d'un Rhinoceros: parce que cet animal étant couvert d'une peau très-dure, n'auroit pas pu se remuer sans ces plis. N'est-ce pas faire tort à la plus grande des verités, que de la vouloir prouver par de tels argumens? Que diroit-on de celui qui nieroit la Providence, parce que l'ecaille de la Tortue n'a mi plis ni jointures? Le raisonnement de celui qui la prouve par la peau du Rhinoceros, est de la même force: laissons ces bagatelles à ceux qui n'en sentent pas la frivolité.

Que sert-il d'admirer cette regularité des Planetes, à se mouvoir toutes dans le même sens, , presque dan le même plan, & dans des orbites à peu près semblables; si nous ne voions point qu'il fût mieux de les faire mouvoir ainsi qu'autrement. Tant de Plantes venimeuses & d'Animaux nuisibles, produits & conservés soigneusement dans la Nature , sont-ils propres à nous faire connoître la sagesse & la bonté de Celui qui les créa? Si l'on ne découvroit dans l'Univers que de pareilles choses, il pourroit n'être que l'ouvrage des Démons.

Il est vrai que notre vûë étant aussi bornée qu'elle l'est, on ne peut pas exiger, qu'elle poursuivre assez loin l'ordre & l'enchaînement des choses. Si elle le pouvoit, sans doute qu'elle seroit autant frappée de la sagesse des motifs, que de l'intelligence dans l'exécution. Mais dans cette impuissance où nous sommes, ne confondons pas ces differens attributs. Car, quoi qu'une intelligence infinie suppose necessairement la sagesse; une intelligence bornée pourroit en manquer: & il vaudroit autant que l'Univers dût son origine à un Destin aveugle, que s'il étoit l'ouvrage d'une telle intelligence.


II. Qu'il faut chercher les preuves de l'existence de Dieu, dans les Loix generales de la Nature. Que les Loix selon lesquelles le Mouvement se conserve, se distribue & se détruit, sont fondées sur les attributs d'une suprême Intelligence

Ce n'est donc point dans les petits détails, dans ces parties de l'Univers dont nous connoissons trop peu les rapports, qu'il faut chercher l'Etre suprême: c'est dans les Phenomênes dont l'universalité ne souffre aucune exception, & que leur simplicité expose entierement à notre vûë.

La conservation du Mouvement n'est vraie que dans certains cas. La conservation de la Force vive n'a lieu que pour certains corps. Ni l'une ni l'autre ne peut passer pour un principe universel, ni pour un résultat general des loix du Mouvement.

Si l'on examine les principes, sur lesquels se sont fondés quelques Auteurs qui nous onr donné ces loix, & les routes qu'ils ont suivies, on s'étonnera de voir qu'ils y soient si heureusement parvenus. Et l'on ne pourra s'empêcher de croire qu'ils comptoient moins sur ces principes que sur l'experience. Ceux qui ont raisonné le plus juste, ont reconnu que le principe, dont ils se servoient pour expliquer la communication du Mouvement des Corps élastiques, ne pouvoit s'appliquer à la communication du Mouvement des Corps durs. Enfin aucun des principes qu'on a jusqu'ici emploiés, soit pour les loix du Mouvement des Corps élastiques, ne s'étend aux loix du Repos.

Après tant de grands hommes qui ont travaillé sur cette matiere, je n'ose presque dire que j'ai découvert le principe universel, sur lequel toutes ces loix sont fondées; qui s'étend egalement aux Corps durs & aux Corps élastiques; d'où dépend le Mouvement & le Repos de toutes les substances corporelles.

C'est le pincipe de la moindre quantité d'action: principe si sage, si digne de l'Etre suprême, & auquel la Nature paroît si constamment attachée; qu'elle l'observe non seulement dans tous ses changemens, mais que dans sa permanence, elle tend encore à l'observer. Dans le Choc des Corps, le Mouvement se distribue de manière que la quantité d'action, que suppose le changement arrivé, est la plus petite qu'il soit possible. Dans le Repos, les Corps qui se tiennent en équilibre, doivent être tellement situés, que s'il leur arrivoit quelque petit Mouvement, la quantité d'action seroit la moindre.

Les loix du Mouvement & du Repos déduites de ce principe, se trouvant precisement les mêmes qui sont observées dans la Nature: nous pouvons en admirer l'application dans tous les Phenomênes. Le mouvement des Animaux, la végétation des Plantes, la révolution des Astres, n'en sont que les suites: & le spectacle de l'Univers devient bien plus grand, bien plus beau, bien plus digne de son Auteur, lors-qu'on sait qu'un petit nombre de loix, le plus sagement établies, suffisent à tous ces mouvemens. C'est alors qu'on peut avoir une juste idée de la puissance & de la sagesse de l'Etre suprême; & non pas lors qu'on en juge par quelque petite partie, dont nous ne connoissons ni la construction, ni l'usage, ni la connexion qu'elle a avec les autres. Quelle satisfaction pour l'esprit humain, en contemplant ces loix, qui sont le principe du Mouvement & du Repos de tous les Corps de l'Univers, d'y trouver la preuve de l'existence de Celui qui le gouverne!

III. Recherche des Loix du Mouvement & du Repos

Les Corps soit en repos, soit en mouvement, ont une certaine force pour persister dans l'état où ils sont: cette force appartenant à toutes les parties de la Matiere, est toujours proportionnelle à la quantité de Matiere que ces Corps contiennent, & s'appelle leur inertie.

L'impenetrabilité des Corps, & leur inertie, rendoient necessaire l'établissement de quelques loix, pour accorder ensemble ces deuc propriétés, qui sont à tout moment opposées l'une à l'autre dans la Nature. Lorsque deux Corps se rencontrent, ne pouvant se pénétrer, il faut que le Repos de l'un & le Mouvement de l'autre, ou le Mouvement de tous les deux soient altérés: mais cette altération dépendant de la force avec laquelle les deux Corps se choquent, examinons ce que c'est que le Choc; voyons de quoi il dépend; & si nous ne pouvons avoir une idée assez claire de sa force, voyons du moins les circonstances qui le rendent le même.

On suppose ici, comme l'ont supposé tous ceux qui ont cherché les loix du Mouvement; Que les Corps se rencontrent directement; c'est à dire, que leurs centres de gravité se meuvent dans la ligne droite qui est la direction de leur mouvement; & que dans le Choc cette ligne passe par le lieu de leur attouchement, & y est perpendiculaire. Cette derniere condition a toujours lieu, si les Corps sont des globes de matière homogêne, tels que nous les considérons ici.

Si un Corps se mouvant avec une certaine vîtesse, rencontre un autre Corps en repos; le Choc est le même que si le dernier Corps se mouvant avec la vîtesse du premier, le rencontroit en repos.

Si deux Corps se mouvant l'un vers l'autre, se rencontrent; le Choc est le même que si l'un des deux étant en repos, l'autre le rencontroit avec une vîtesse qui fût egale à la somme des vîtesses de l'un & de l'autre.

Si deux Corps se mouvant vers le même côté, se rencontrent; le Choc est le même que si l'un des deux étant en repos, l'autre le rencontroit avec une vîtesse qui fût egale à la différence des vîtesses de l'un & de l'autre.

En general donc, si deux Corps se rencontrent; soit que l'un des deux soit en repos; soit qu'ils se meuvent tous les deux l'un vers l'autre; soit qu'ils se meuvent tous deux du même côté: quelles que soient leurs vîtesses, si la somme ou la différence de ces vîtesses (ce qu'on appelle la vîtesse respective) est la même, le Choc est le même. La grandeur du Choc de deux Corps donnés dépend uniquement de leur vîtesse respective.

La verité de cette proposition est facile à voir, en concevant les deux Corps emportés sur un plan mobile, dont la vîtesse détruisant la vîtesse de l'un des deux, donneroit à l'autre la somme ou la différence des vîtesses qu'ils avoient. Le Choc des deux Corps sur le plan, seroit le même que sur un plan immobile.

Voions maintenant la différence que la Dureté, ou l'Elasticité des Corps, cause dans les effets du Choc.

Les Corps parfaitement Durs sont ceux, dont les parties sone inséparables & infléxibles; & dont, par conséquent, la figure est inaltérable.

Les Corps parfaitement Elastiques sont ceux, dont les parties, après avoir été pliées, se redressent, reprennent leur première situation, & rendent au corps sa première figure. Quant à la nature de cette Elasticité, nous entreprenons pas de l'expliquer; il suffit ici d'en connoître l'effet.

Je ne parle point des Corps Moûs, ni des Corps Fluides; ce ne sont que des amas de Corps Durs ou Elastiques.

Lorsque deux Corps Durs se rencontrent, leurs parties étant inséparables & infléxibles, le Choc ne sauroit altérer que leurs vîtesses. Les deux Corps se pressent & se poussent, jusqu'à ce que la vîtesse de l'un soit égale à la vitesse de l'autre. Les Corps Durs, après le Choc, vont donc ensemble d'une vîtesse commune.

Mais lorsque deux Corps Elastiques se rencontrent, pendant qu'ils se pressent & se poussent, le Choc est emploié aussi à plier leurs parties. Es les deux corps ne demeurent appliqués l'un contre l'autre, que jusqu'à ce que leur ressort, bandé par le Choc autant qu'il le peut être, les sépare en se débandant; & les fasse s'éloigner avec autant de vîtesse qu'ils s'approchoient: Car la vîtesse respective des deux Corps étant la seule cause qui avoit bandé leur ressort, il faut que le débandement reproduise un effet égal à celui, qui comme cause avoit produit le bandement: c'est à dire une vîtesse respective, en sens contraire, égale à la première. La vîtesse respective des Corps Elastiques est donc, après le Choc, la même qu'auparavant.

Cherchons maintenant les Loix, selon lesquelles le Mouvement se distribue entre deux Corps qui se choquent, soit que ces Corps soient Durs, soit qu'ils soient Elastiques.

Nous déduirons ces Loix d'un seul Principe, & de ce même Principe nous déduirons les Loix de leur Repos.

Principe General

Lors qu'il arrive quelque changement dans la Nature, la Quantité d'Action, nécessarire pour ce changement, est la plus petite qu'il soit possible.

La Quantité d'Action est le produit de la Masse des Corps, par leur vîtesse & par l'espace qu'ils parcourent. Lors qu'un Corps est transporté d'un lieu dans un autre, l'Action est d'autent plus grande, que la Masse est plus grosse; que la vîtesse est plus rapide; que l'espace, par lequel il est transporté, est plus long.

Probleme I. Trouver les Loix du Mouvement des Corps Durs?

Soient deux Corps Durs, dont les Mases sont A & B, qui se meuvent vers le même côté, avec les vîtesses a & b: mais A plus vîte que B, en sorte qu'il l'atteigne & le choque. Soit la vîtesse commune de ces deux corps après le choc & . Le changeent arrivé dans l'Univers, consiste en ce que le corps A, qui se mouvoit avec la vîtesse a, & qui dans un certain tems parcouroit un espace = a, ne se meut plus qu'avec la vîtesse x, & ne parcourt qu'un espace = x: le corps B, qui ne se mouvoit qu'avec la vîtesse b, & ne parcouroit qu'un espace = b, se meut avec la vîtesse x, & parcourt un espace = x.

Ce changement est donc le même qui seroit arrivé, si pendant que le corps A se mouvoit avec la vîtesse a, & parcouroit l'espace = a, il eût été emporté en arrière sur un plan immatériel, qui se fût mû avec une vîtesse a-x, par un espace = a-x: & que le corps B se mouvoit avec la vîtesse b, & parcouroit l'espace = b, il eût été emporté en avant sur un plan immatériel, qui se fût mû avec une vîtesse x-b, par un espace = x-b.

Or, que les corps A & B se meuvent avec des vîtesses propres sur les plans mobiles, ou qu'ils y soient en repos, le mouvement des ces plans chargés des corps, étant le même: les Quantités d'Action, produites dans la Nature, seront A (a - x)2, & B (x - b)2; dont la somme doit être la plus petite qu'il soit possible. On a donc

Ou

D'où l'on tire pour la vîtesse commune

Dans ce cas, où les deux corps se meuvent du même côté, la quantité de mouvement détruite & la quantité produite, sont égales: & la quantité totale de mouvement demeure, apres le choc, la même qu'elle étoit auparavant.

Il est facile d'appliquer le même raisonnement au cas, où les corps se meuvent l'un vers l'autre: ou bien il suffit de considérer b comme négatif par rapport à a: & la vîtesse commune sera

Si l'un des corps étoit en repos avant le choc, b=0; & la vîtesse commune est

Si un corps rencontre un obstacle inébranlable, on peut considérer cet obstacle comme un corps d'une Masse infinie en repos: Sie donc B est infini, la vîtesse x=0.

Voions maintenant ce qui doit arriver, lors que les Corps sont Elastiques. Les Corps dont je vais parler, sont ceux qui ont une parfaite Elasticité.

Probleme II. Trouver les Loix du Mouvement des Corps Elastiques?

Soient deux Corps Elastiques, dont les Masses sont A & B, qui se meuvent vers le même côté, avec les vîtesses a & b: mais A plus vîte que B, ensorte qu'il l'atteigne & le choque: & soient α & β les vîtesses des deux corps après le choc: la somme ou la différence de ces vîtesses après le choc, est la même qu'elle étoit auparavant.

Le changement arrivé dans l'Univers, consiste en ce que le corps A, qui se mouvoit avec la vîtesse a, & qui dans un certain tems parcouroit un espace = a, ne se meut plus qu'avec la vîtesse α, & ne parcourt qu'un espace = α: le corps B, qui ne se mouvoit qu'avec la vîtesse b, & ne parcouroit qu'un espace = b, se meut avec la vîtesse β, & parcourt un espace = β.

Ce changement est donc le même qui seroit arrivé, si pendant que le corps A se mouvoit avec la vîtesse a, & parcouroit l'espace = a, il eût été emporté en arrière sur un plan immatériel, qui se fût mû avec une vîtesse a-α, par un espace = a-α: & que le corps B se mouvoit avec la vîtesse b, & parcouroit l'espace = b, il eût été emporté en avant sur un plan immatériel, qui se fût mû avec une vîtesse β-b, par un espace = β-b.

Or, que les corps A & B se meuvent avec des vîtesses propres sur les plans mobiles, ou qu'ils y soient en repos, le mouvement des ces plans chargés des corps, étant le même: les Quantités d'Action, produites dans la Nature, seront A (a - α)2, & B (β - b)2; dont la somme doit être la plus petite qu'il soit possible. On a donc

Ou

Or, pour les Corps Elastiques, la vîtesse respective étant, après le choc, la même qu'elle étoit auparavant; on a β - α = a - b, ou β = α + a - b, & dβ = dα: qui étant substitués dans l'Equation precédente, donnent pour les vîtesses

&

Si les corps se meuvent l'un vers l'autre, il est facile d'appliquer le même raisonnement: ou bien il suffit de considérer b comme négatif par rapport à a, & les vîtesses seront

&

Si l'un des corps étoit en repos avant le choc, b=0; & les vîtesses sont

&

Si l'un des corps est un obstacle inébranlable, considérant cet obstacle comme un corps B d'une Masse infinie en repos; on aura la vîtesse α = -a: c'est à dire, que le corps A rejaillira avec la même vîtesse qu'il avoit en frappant l'obstacle.

Si l'on prend la somme des Forces vives, on verra qu'après le choc elle est la même qu'elle étoit auparavant: c'est à dire, que

Ici la somme des Forces vives se conserve après le choc; mais cette conservation n'a lieu que pour les Corps Elastiques, & non pour les Corps Durs. Le Principe genéral, qui s'étend aux uns & aux autres, est que la Quantité d'Action, nécessaire pour causer quelque changement dans la Nature, est la plus petite qu'il est possible.

Ce Principe est si universel & si fécond, qu'on en tire la Loi du Repos, ou de l'Equilibre. Il est évident qu'il n'y a plus ici de différence entre les Corps Durs & les Corps Elastiques.

Probleme III. Trouver la Loi du Repos des Corps?

Je considère ici les Corps attachés à un Levier: & pour trouver le point, autour duquel ils demeurent en équilibre; je cherche le point, autour duquel, si le Levier reçoit quelque petit mouvement, la Quantité d'Action soit la plus petite qu'il soit possible.

Soit c la longueur du Levier, que je suppose immatériel, aux extrémités duquel soient placés deux Corps, dont les Mases sont A & B. Soit z la distance du corps A au point cherché, & c-z la distance du corps B: il est évident que, si le Levier a quelque petit mouvement, les corps A & B décriront de petits Arcs semblables entr'eux, & proportionnels aux distances de ces corps au point qu'on cherche. Ces Arcs seront donc les espaces parcourus par les Corps, & representent en même tems leurs vîtesses. La Quantité d'Action sera donc proportionelle au produit de chaque corps par le quarré de son Arc; ou (puisque les Arcs sont semblables) au produit de chaque corps par le quarré de sa distance au point, autour duquel tourne le Levier: c'est à dire, à A z z & B (c - z)2; dont la somme doit être la plus petite qu'il soit possible. On a donc

ou

D'où l'on tire

Ce qui est la Proposition fondamentale de la Statique.

FINIS