« Une raillerie de l’amour/20 » : différence entre les versions

La bibliothèque libre.
Contenu supprimé Contenu ajouté
Page créée avec « {{TextQuality|25%}} <pages index="Desbordes-Valmore - Une raillerie de l’amour, 1833.pdf" header=1 from=293 to=308 /> »
 
 
Ligne 1 : Ligne 1 :
{{TextQuality|25%}}
{{TextQuality|100%}}
<pages index="Desbordes-Valmore - Une raillerie de l’amour, 1833.pdf" header=1 from=293 to=308 />
<pages index="Desbordes-Valmore - Une raillerie de l’amour, 1833.pdf" header=1 from=293 to=308 />

Dernière version du 5 juin 2022 à 05:46


RÉVÉLATION


Si je prends un livre, mon esprit ne perçoit rien. Je demeure dans un état qui tient de la vie négative, jusqu’à ce que les signes tracés s’enflamment ou s’agitent pour former à mes yeux des combinaisons bizarres et un sens inattendu ; et je n’ose avouer qu’il y a bien long-temps que je n’ai dormi.

Clément xiv.


Lorsqu’elle était enfant, je la tenais ainsi,
Elle dormait sur moi tout comme la voici.

Le Roi s’amuse.

XX.


Georgina souffrait alors sous l’obscurité de tous ses rideaux. Elle avait depuis plusieurs jours défendu qu’on les ouvrît. Sa tante, cachée comme elle dans cette demi nuit, s’y enfermait volontairement, bien qu’elle aimât le grand jour ; elle soignait sa chère malade, docile à prendre tout ce qu’une longue expérience rappelait à cette tendre garde de plus salutaire contre l’invincible abattement de son ange, que ne relevait ni le soleil, ni le chant des oiseaux, ni les parfums pénétrans du jardin, montant par les fenêtres entr’ouvertes sous les longues draperies de soie qui en éteignaient la lumière.

Quels secours, quels calmans valaient ces baumes pleins de vie, qui glissaient impuissans sur l’âme désenchantée de Georgina ! de Georgina docile comme un enfant, à toutes les inutiles inventions dont sa bonne tante accablait sa faiblesse rêveuse ; inflexible contre elle seule, allait-elle mourir sans se révéler, innocente ou coupable dans sa haine ou dans son amour ?

Madame Nilys, penchée sur le lit où languissait sa nièce, lui offrait une excellente infusion de lierre terrestre et d’oranger, dont l’effet devait être miraculeux. Georgina silencieuse buvait lentement pour n’être pas obligée de répondre de longtemps.

Un grand soupir de Sophie qui se tenait à distance, lui fit tourner les yeux de son côté. Elle l’entrevit dans le clair obscur, appuyée sur une console, tenant dans sa main son joli petit menton.

— Demandez donc à Sophie, ma tante, pourquoi elle soupire ainsi. Serait-elle malade ?

— Oh ! non, madame, répondit Sophie en approchant un peu. On n’est pas toujours malade quand on soupire ; mais c’est bien triste de voir souffrir madame, et loin de Paris encore. Nous avions espéré cela tout autrement, nous autres, et quand on a fait un beau rêve, en se réveillant on soupire.

— Qui donc ? vous autres ; et quel rêve ? Sophie.

— Nous autres, madame, c’est M. Charles ; et le rêve, … dame, je n’ose pas le dire à présent.

— Pourquoi donc, Sophie, dit madame Nilys ; je crois aux rêves, moi. Racontez-nous le vôtre.

— C’est que c’est un rêve tout éveillé, madame ; et ceux-là ne disent pas l’avenir à ce qu’il paraît.

— N’importe, Sophie, ajouta madame de Sévalle ; vous êtes triste, et je veux savoir pourquoi.

— Madame est bien bonne. C’est que M. Charles, qui sert fidèlement monsieur le colonel, qui est aussi un bien bon maître, avait arrangé dans sa tête, sur des mots par-ci par-là qu’on entend sans en avoir l’air, que tout le chagrin de M. Camille finirait peut-être par un mariage avec madame, et que cela en ferait un bien commode entre nous deux… à quoi j’avais donné mon consentement. Voilà le rêve, madame.

— Cette pauvre Sophie ! dit Georgina après avoir un peu rêvé. Vous êtes donc bien sûre, vous, que Charles vous aime ?

— Oh ! madame peut croire que c’est du solide ; car cela nous a pris en même temps, la première fois qu’il est venu apporter une lettre pour M. Ernest. Depuis ce jour-là il n’a pas manqué de venir s’informer si madame se portait bien, si madame sortait, si madame recevait ; même qu’il a apporté des fleurs pour la tante de madame. Et, sans dire du mal de ses maîtres, on pense et on parle… Tout ça honnêtement et sans malice : car M. Charles est bien jeune, c’est vrai ; mais c’est fidèle comme un vieux grognard !

— Je vous assure, Sophie, que cela me touche beaucoup, dit Georgina de sa plus douce voix. Mais si vous vous êtes trompée pour moi, nous pouvons faire qu’il n’en soit pas de même pour vous. Je veux que vous soyez heureuse : cela me fera du bien !

— Oh ! je ne le serai pas sans madame, et il faudrait bien du changement ! répondit Sophie en sortant pour cacher ses larmes.

Voyez, ma tante ! dit Georgina courageuse, en prenant les deux mains de cette candide femme qu’elle était toujours sûre de persuader par l’éloquence d’une caresse ; voyez cet homme frivole qu’Ernest a voulu nous montrer épris d’un amour si sincère ; eh bien ! il retourne chez Nérestine. Elle le fait danser, ma tante ; il s’enchante de cette enfant, et il l’épousera, parce qu’Ernest le veut maintenant.

— Il ne le veut pas, Georgina ! mais on n’ose plus même vous en parler depuis cette scène du bal, qui a redoublé votre éloignement contre lui. Ernest croit vous être agréable en ne vous montrant plus son amitié pour Camille ; et moi-même, je me garderais bien de vous le nommer, sachant combien il vous a déplu.

— Ah ma tante ! ma tante ! que je faisais bien de le craindre ! Et si je l’avais aimé, moi, pauvre femme, comme vous le désiriez tous ! Car, que n’a-t-on pas fait pour me le rendre aimable ! dit-elle avec un cœur tout gros de reproches, que serais-je devenue ? Il faudrait donc mourir ! murmura-t-elle en retombant sur son oreiller, peut-être en y cachant des larmes que sa tante n’espérait plus.

— Alors, dit celle-ci plus triste que jamais, qu’il se marie et se console. C’est juste.

— C’est juste ! répéta faiblement Georgina.

— L’éclat de cette scène qui vous a tant soulevée s’anéantira naturellement, puisque vous avez quitté Paris, et qu’on l’y verra toujours ; ce n’est pas très-heureux pour lui, sans doute, mais c’est très-heureux pour nous.

— Qui, ma tante, très-heureux ! répliqua Georgina qui étouffait. Ô Dieu ! dit-elle en se retournant dans un déluge de pleurs, comme on est compris dans ce monde ! comme les gens qui vous aiment savent vous retirer d’un abîme quand ils vous y ont poussé ! Mon Dieu ! me laisserez-vous long-temps dans un monde si plein de ténèbres que je n’ose plus y faire un pas, faible et abandonnée comme je suis ?

— Êtes-vous mieux ? mon enfant, dit sa bonne tante après un long silence.

Georgina la regarda vaguement sans lui répondre ; elle eut pourtant le courage de sourire.

— Que de choses je vous dirais, si vous vouliez souffrir qu’on justifiât l’ennemi que vous vous êtes créé, et si vous étiez moins faible.

— Je ne suis pas faible, ma tante, répondit Georgina, en relevant sa tête languissante, comme si elle eût dit : Parlez ! Mais vous me jugez assez malade, peut-être, pour me reconcilier avec tout le monde. Non, je ne suis pas faible… Le chagrin de Sophie m’occupe, en vérité ; l’espoir de faire du bien, cela ranime ! nous lui en ferons, n’est-ce pas ? ma tante. Si le maître de son Charles m’a fait du mal, ce n’est pas une raison de punir la pauvre Sophie en lui ôtant ses amours ; une fille si fidèle, ce serait un meurtre ! n’est-ce pas ma tante… Oh ! je ne suis pas faible, dit-elle en s’inclinant sur l’épaule de sa vieille amie, avec toutes les séductions d’une enfant malade et adorée.

Il y avait tant de questions dans le regard qu’elle levait sur elle, et il brûlait de tant d’éclat dans l’ombre, qu’il fallut lui raconter beaucoup de choses avant qu’elle parût lasse de les entendre.

Une de celles qui sembla colorer son imagination de tout le charme d’un conte de fée, ce fut d’apprendre sous le secret, ce qui était bien meilleur, qu’Ernest avait pris de l’amour pour Nérestine qui y répondait de tout son cœur, et qu’il y songeait sérieusement pour l’avenir.

— Que cela me fait de bien dit Georgina, comme si on écartait des nuages autour d’elle, de penser qu’Ernest sera heureux ! ce bon Ernest ! Mon Dieu, que le bonheur des autres est doux ! poursuivit-elle, comme si son cœur se détendait d’un long effroi sur son frère. Quand on ne devrait jamais être heureux soi-même, cela aiderait beaucoup à prendre patience ! Puis elle ajouta, par réflexion : Le cruel ! s’il me l’eût avoué à Paris !… moi qui l’aime tant ! j’y serais restée, ma tante, par tendresse pour lui !

— Peut-être voulait-il faire un entier sacrifice à votre repos.

— Lequel ? de céder à un autre quelqu’un qu’il aime beaucoup ! beaucoup ! ah ! ma tante, pensez-vous bien que cela soit possible ? Allons donc ! dit-elle en balançant la tête d’un air incrédule, il serait maintenant aussi malade que moi !

Et quel calme pudique se répandit dans son âme pure, quand elle sut que l’insolent magicien qui avait percé ses voiles jusqu’à signaler un signe ignoré du monde entier, n’était autre que le vieux commandant, l’inoffensif vieillard qui l’aimait en père, à qui sa tante elle-même avait fait cette innocente révélation pour l’en intriguer un peu la nuit d’une fête si peu d’accord avec son nom.

Madame Nilys ne parlait plus, et Georgina l’écoutait encore.

— Que de choses ! dit-elle enfin, oh ! que de choses ! Puis, elle baisa doucement les mains de sa tante, comme si elle venait d’arracher de son cœur une épine profonde.


Séparateur