« Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 26.djvu/735 » : différence entre les versions

La bibliothèque libre.
ThomasBot (discussion | contributions)
m Phe: split
(Aucune différence)

Version du 30 décembre 2010 à 11:07

Cette page n’a pas encore été corrigée

et nous vous reconnaissons le droit de vous en faire autant de titres de gloire. Votre renommée est légitime, vous l’avez bien gagnée ! Vous avez connu toutes les ressources que contient en elle cette force puissante qui s’appelle la force du scandale, laquelle sait faire tourner à profit même les sifflets et les injures, lorsque celui qui l’emploie, ou même qu’elle atteint, n’a ni cœur, ni conscience, car les rires et les quolibets, les murmures d’indignation et les éclats de colère ne servent pas moins au succès que les louanges et les applaudissemens. Vous avez connu ces secrets profonds que révèlent à leurs adorateurs certaines idoles au front d’airain et à la bouche de fer, assez semblables aux fameux lions qui ornaient les places de Venise au bon temps du conseil des dix, et vous les avez exploités avec bonheur. Vous avez compté à bon droit sur l’attrait du mal et le penchant invincible à la malveillance qui distinguent la nature humaine à l’état de repos. Les âmes de nos contemporains sont en effet aujourd’hui abandonnées à une dangereuse quiétude. Cette grande fontaine du génie national, qui pendant plus de trois siècles n’a cessé de couler, est obstruée quelque part, et ne laisse plus échapper que de minces filets, d’eau, lesquels, impuissans à nettoyer les marécages qui se sont formés, ne servent plus en quelque sorte qu’à les entretenir. L’eau ne coule plus, les mares sont grasses ; vous pouvez y développer en liberté vos têtards, vos sangsues et vos salamandres.

Si ces paroles semblaient trop vives, qu’on réfléchisse qu’une certaine littérature romanesque menace d’opérer dans nos mœurs une véritable révolution qui ne serait ni douce, ni indulgente. La république des esprits aura aussi, si l’on n’y prend garde, son système de terreur, ses septembrisades. Les terroristes ne manqueront pas. Fouquier-Tinville est tout prêt ; il lui sera facile de récolter en divers lieux une riche moisson de tricoteuses et de pourvoyeurs pour la guillotine. Nous connaîtrons alors toutes les douceurs de cet état moral qu’un écrivain contemporain de la terreur a défini par ces mots : « Nos plaisirs étaient comme filtrés au travers de nos alarmes. » Chaque soir, en se couchant, on rendra grâces à Dieu d’avoir vécu encore un jour ; chaque matin, en se réveillant, on pourra se demander avec mélancolie : Est-ce pour aujourd’hui ? Les formules de la politesse se trouveront naturellement changées, au bout de peu de temps, sous l’empire de ces préoccupations d’un nouveau genre. Ainsi, quand on abordera un ami, au lieu de lui demander des nouvelles de sa santé, on lui demandera s’il a des craintes pour la journée ou la semaine. Lorsque vos affaires ou vos plaisirs vous appelleront au dehors, vous retournerez prudemment la tête pour savoir si vous n’êtes pas poursuivi par les agens de quelque redoutable membre