« Enquête sur l’évolution littéraire/Les Psychologues/M. Camille de Sainte-Croix » : différence entre les versions

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Version du 13 février 2011 à 15:07



journaux ; le Temps, les Débats refusèrent, d’abord, toute transaction ; seuls des journaux à l’affût de l’opinion, tels l’Écho de Paris et le Figaro, laissèrent certains de leurs rédacteurs entrer dans le courant nouveau. Je ne vous rappellerai pas les manifestes nombreux que les symbolistes lancèrent au pays ; nous y déployâmes une activité de propagande qui, hélas ! irrita un grand nombre de littérateurs en place, mais rallia tous les mécontents… Il ne vous échappera pas que nous avons choisi les environs du 27 janvier pour porter le grand coup sur la population parisienne : le banquet Moréas…

M. Barrès avait débité tout ce discours très sérieusement. Mais, à la fin, n’y tenant plus, il partit à rire, de ce franc rire bon enfant qui éclaire et pour ainsi dire humanise l’apparente sécheresse de cette nature compliquée.

M. CAMILLE DE SAINTE-CROIX


M. Camille de Sainte-Croix, dont plusieurs m’ont parlé, au cours de mon enquête, avec beaucoup d’estime et d’affection, appartient à la génération littéraire qui a bifurqué moitié vers le symbolisme, moitié vers le roman psychologique. Ses débuts dans le roman, avec la Mauvaise aventure, ont été fort remarqués par la critique.

Il est actuellement à la tête de la Bataille littéraire, qu’il publie chaque lundi.

En ce moment en province, il m’a écrit, à ma demande, la consultation que voici.

Il m’a paru qu’au lendemain de la réclame de rajeunissement tentée ces temps derniers autour d’une formule déjà vieille, cette consultation ne manquait pas de piquant. Qu’on en juge :


— En 1884, j’ai publié mon premier roman, la Mauvaise Aventure, qui fit quelque bruit, et portait pour sous-titre : Histoire romanesque.

En 1887, j’émis dans la préface de mon second roman, Contempler, une fois pour toutes, le principe de mes idées sur le roman que je ne conçois qu’essentiellement romanesque.

Je ne prévoyais pas alors que le mot dût servir en 1891 au commerce d’un M. Marcel Prévost, jeune homme industrieux qui économise son propre tabac en refumant les vieux bouts de cigarettes qu’a laissé traîner George Sand. À mon sens, le romanesque était une tournure particulière du tempérament et j’estimais que seuls les esprits romanesques étaient aptes à créer des romans curieux. M. Marcel Prévost est un bon bourgeois qui, trouvant que l’étiquette naturaliste n’est plus utilisable chez les éditeurs, que l’étiquette symboliste est d’un placement trop rare, a pris cette étiquette romanesque que je n’eusse pas à songé à faire breveter, et tout simplement en marque ses produits absolument quelconques.

C’est dommage, car voilà une fois de plus un beau mot d’artiste gâté par l’usurpation d’un indélicat philistin. Je n’en crois pas ma destinée brisée, ni la gloire de M. Marcel Prévost mieux assurée. Je renonce simplement à ma décoration puisqu’un balourd me l’a fanée, mais je continuerai à faire des romans romanesques (sans les qualifier) parce que… c’est dans ma nature.

Dans cette préface de Contempler à laquelle il me faut revenir, je raillais surtout la mode grave adoptée par les farceurs contemporains de traiter scientifiquement toute affaire littéraire.

« Pourtant ils ne peuvent faire qu’un roman soit autre chose qu’une histoire feinte, écrite en prose, où l’auteur cherche à exciter l’intérêt, soit par le développement des passions, soit par la peinture de spéciales mœurs, soit par la singularité des aventures. À quelque jargon qu’ils aient recours pour avantager l’importance de leurs productions, quel que soit leur besoin de laisser croire qu’ils continuent Darwin ou Spinosa, il sera toujours facile de ramener là tous nos conteurs. Les qualités de profondeur ou de distinction que nos modernes prétendent qu’on leur reconnaisse, sont des qualités inhérentes au caractère même de l’individu ; quiconque n’en est originalement doué ne les devra jamais à la couverture de ses livres, ni à la coupe de ses formules.

« Il est accessible à tout scribe de maniérer des sentences, et ce n’est là qu’une sorte de calligraphie ; mais il lui sera toujours interdit d’écrire avec sens.

« Les pauvres gens, comme ils discutent ! Ils n’ont donc autour d’eux rien qui passionne leur existence ? ni chaleur d’amour ? ni haine, qui leur donne la colère, la transe ou le plaisir ?… puisqu’ils sont réduits à se repaître de tels soucis… C’est un pauvre mets en carton qu’une théorie ; c’est un plat qu’on laisse aux figurants de la vie en leur donnant à boire du vent dans des verres peints ; tandis que les vrais écrivains sont de vrais hommes dont le génie est né d’une ardeur et vit de s’épancher.

« Écrire, ce n’est pas un métier ; ce n’est pas un art ; ce n’est pas une science ; c’est… la Vie elle-même.

« Ce peut être douloureux, ce peut être sinistre ; ce n’est jamais… grave. La gravité n’est que le masque laid que s’impose l’homme d’étude ou de diplomatie qui veut éloigner tout contact et s’isoler dans sa recherche ou sa combinaison. Or, qu’y a-t-il à rechercher ou combiner pour écrire ?

« Du jour où le poil vous pousse, ne se sent-on pas un homme prêt à s’ébattre avec toute la force de ses instincts parmi les hommes ?

« Alors, qu’est-ce que cette attitude extraordinaire qu’on voit à certains ? Qu’est-ce que ces dangers de la fin de siècle ? ces conditions fatales de l’art actuel ? cette intelligence douloureuse du mauvais moment où l’on vient ?

« Pour l’homme organisé, pour celui qui agit, pense et s’exprime, cette vie n’a d’autre effet que de le passionner. C’est l’amour de la vie qui forme les écrivains. Ni pédants, ni farceurs ne trouveront leur voie dans les traverses.

« Un romancier ne compte comme écrivain qu’autant qu’il vaut comme homme, grand écrivain s’il a de grands sentiments — petit écrivain, s’il a de petits sentiments, — nul, s’il n’en a pas. S’il possède les dons qui constituent tout grand caractère, il n’a nul besoin de se livrer à tant d’acrobaties pour que ce qu’il signe soit distingué. Qu’il prenne sa plume : à quelque suggestion personnelle qu’il obéisse en écrivant spontanément des imaginations, toujours elles porteront, puisqu’elles émanent de la vie même, le beau signe de Vérité. Et c’est là tout ce qui peut intéresser quiconque les lira sans parti-pris. De ceux que nous apprenons amoureusement, nous n’avons jamais songé à recevoir de doctrine pédagogique. Il a fallu M. Taine pour qualifier Stendhal psychologue : et si Gérard de Nerval a fait du symbolisme, c’est bien sans s’y forcer.

« Leurs œuvres sont hautes montagnes ou claires vallées ; non point des édifices. L’écrivain est un terrain où la pensée pousse en fleurs de style, larges, hautes et sauvages. Ceux-là qui font œuvre de serre demeurent des bourgeois de banlieue, horticulteurs ou rocailleurs. »

Voilà, mon cher confrère, quelles sont mes déjà vieilles idées sur le roman — romanesque, puisque roman. Je regarde aujourd’hui l’intelligent M. Prévost essayer de s’en faire des rentes et le renvoie pour complément d’instruction à mon volume de Mœurs littéraires (Les Lundis de la Bataille), qui paraît demain chez Savine…

M. PAUL HERVIEU


Ç’a été d’abord un analyste de cas singuliers de morbidesse intellectuelle dans lesquels excelle Dostoievvski, et que vient d’aborder si brillamment Auguste Germain dans son roman l’Agité. Il s’est, dans ses plus récentes productions et tout en conservant ses qualités de pénétration et de finesse, adonné à la peinture des élégances et des distinctions de la société parisienne. Son dernier livre, Flirt, dont la critique s’est beaucoup occupée, correspond un peu aux élégances délicates jusqu’à la gracilité de l’américanisme anémique du peintre Jacques Blanche.