« Les Aventures du capitaine Hatteras/Première partie/12 » : différence entre les versions

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Le Forward avançait rapidement sous vapeur entre les ice-fields et les montagnes de glace. Johnson tenait lui-même la barre. Shandon examinait l’horizon avec son snow-spectacle ; mais sa joie fut de courte durée, car il reconnut bientôt que la passe aboutissait à un cirque de montagnes.

Cependant, aux difficultés de revenir sur ses pas il préféra les chances de poursuivre sa marche en avant.

Le chien suivait le brick en courant sur la plaine, mais il se tenait à une distance assez grande. Seulement, s’il restait en arrière, on entendait un sifflement singulier qui le rappelait aussitôt.

La première fois que ce sifflement se produisit, les matelots regardèrent autour d’eux ; ils étaient seuls sur le pont, réunis en conciliabule ; pas un étranger, pas un inconnu ; et cependant ce sifflement se fit encore entendre à plusieurs reprises.

Clifton s’en alarma le premier.

— Entendez-vous ? dit-il, et voyez-vous comme cet animal bondit quand il s’entend siffler ?

— C’est à ne pas y croire, répondit Gripper.
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— C’est fini ! s’écria Pen.

— je ne vais pas plus loin. Pen a raison, répliqua Brunton.

— C’est tenter Dieu, tenter le diable, répondit Clifton.

— J’aime mieux perdre toute ma part de bénéfice que de faire un pas de plus. Nous n’en reviendrons pas, fit Bollon avec abattement.

L’équipage en était arrivé au plus haut point de démoralisation.

— Pas un pas de plus ! s’écria Wolsten ; est-ce votre avis ?

— Oui, oui ! répondirent les matelots. Eh bien, dit Bolton, allons trouver le commandant ; je me charge de lui parler.

Les matelots, en groupe serré, se dirigèrent vers la dunette. Le Forward pénétrait alors dans un vaste cirque qui pouvait mesurer huit cents pieds de diamètre ; il était complètement fermé, à l’exception d’une seule issue, par laquelle arrivait le navire.

Shandon comprit qu’il venait s’emprisonner lui-même. Mais que faire ? Comment revenir sur ses pas ? II sentit toute sa responsabilité ; sa main se crispait sur sa lunette.

Le docteur regardait en se croisant les bras, et sans mot dire ; il contemplait les murailles de glace, dont l’altitude moyenne pouvait dépasser trois cents pieds. Un dôme de brouillard demeurait suspendu au-dessus de ce gouffre.

Ce fut en ce moment que Bolton adressa la parole au commandant :

— Commandant, lui dit-il d’une voix émue, nous ne pouvons pas aller plus loin.

— Vous dites ? répondit Shandon, à qui le sentiment de son autorité méconnue fit monter la colère au visage.
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— Nous disons, commandant, reprit Bolton, que nous avons assez fait pour ce capitaine invisible, et nous sommes décidés à ne pas aller plus avant.

— Vous êtes décidés ?… s’écria Shandon. Vous parlez ainsi, Bolton ! prenez garde !

— Vos menaces n’y feront rien, répondit brutalement Pen ; nous n’irons pas plus loin !

Shandon s’avançait vers ses matelots révoltés, lorsque le maître d’équipage vint lui dire à voix basse :

— Commandant, si nous voulons sortir d’ici, nous n’avons pas une minute à perdre. Voilà un ice-berg qui s’avance dans la passe ; il peut boucher toute issue, et nous retenir prisonniers.

Shandon revint examiner la situation.

— Vous me rendrez compte de votre conduite plus tard, vous autres, dit-il en s’adressant aux mutins. En attendant, virez de bord !

Les marins se précipitèrent à leur poste. Le Forward évolua rapidement ; les fourneaux furent chargés de charbon ; il fallait gagner de vitesse sur la montagne flottante. C’était une lutte entre le brick et l’ice-berg ; le premier courait vers le sud pour passer, le second dérivait vers le nord, prêt à fermer tout passage.

— Chauffez ! chauffez ! s’écria Shandon, à toute vapeur ! Brunton, m’entendez-vous ?

Le Forward glissait comme un oiseau au milieu des glaçons épars que sa proue tranchait vivement ; sous l’action de l’hélice, la coque du navire frémissait, et le manomètre indiquait une tension prodigieuse de la vapeur ; celle-ci sifflait avec un bruit assourdissant.

— Chargez les soupapes ! s’écria Shandon.

Et l’ingénieur obéit, au risque de faire sauter le bâtiment.

Mais ces efforts désespérés devaient être vains ; l’ice-berg, saisi par un courant sous-marin, marchait rapidement vers la passe ; le brick s’en trouvait encore éloigné de trois encablures, quand la montagne, entrant comme un coin dans l’intervalle libre, adhéra fortement à ses voisines et ferma toute issue.

— Nous sommes perdus ! s’écria Shandon, qui ne put retenir cette imprudente parole.

— Perdus ! répéta l’équipage.

— Sauve qui peut ! dirent les uns.

— À la mer les embarcations ! dirent les autres.

— À la cambuse ! s’écrièrent Pen et quelques-uns de sa bande, et s’il faut nous noyer, noyons-nous dans le gin !

Le désordre arriva à son comble parmi ces hommes qui rompaient tout frein.
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Shandon se sentit débordé ; il voulut commander ; il balbutia, il hésita ; sa pensée ne put se faire jour à travers ses paroles. Le docteur se promenait avec agitation. Johnson se croisait les bras stoïquement et se taisait.

Tout d’un coup une voix forte, énergique, impérieuse, se fit entendre et prononça ces paroles :

— Tout le monde à son poste ! paré à virer !

Johnson tressaillit, et, sans s’en rendre compte, il fit rapidement tourner la roue du gouvernail.

Il était temps ; le brick, lancé à toute vitesse, allait se briser sur les murs de sa prison.

Mais tandis que Johnson obéissait instinctivement, Shandon, Clawbonny, l’équipage, tous, jusqu’au chauffeur Waren qui abandonna ses foyers, jusqu’au noir Strong qui laissa ses fourneaux, tous se trouvèrent réunis sur le pont, et tous virent sortir de cette cabine, dont il avait seul la clef, un homme…

Cet homme, c’était le matelot Garry.

— Monsieur ! s’écria Shandon en pâlissant. Garry… vous… de quel droit commandez-vous ici ?…

— Duk, fit Garry en reproduisant ce sifflement qui avait tant surpris l’équipage.

Le chien, à l’appel de son vrai nom, sauta d’un bond sur la dunette, et vint se coucher tranquillement aux pieds de son maître.

L’équipage ne disait mot. Cette clef que devait posséder seul le capitaine du Forward, ce chien envoyé par lui et qui venait pour ainsi dire constater son identité, cet accent de commandement auquel il était impossible de se méprendre, tout cela agit fortement sur l’esprit des matelots, et suffit à établir l’autorité de Garry.
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D’ailleurs, Garry n’était plus reconnaissable ; il avait abattu les larges favoris qui encadraient son visage, et sa figure ressortait plus impassible encore, plus énergique, plus impérieuse ; revêtu des habits de son rang déposés dans sa cabine, il apparaissait avec les insignes du commandement.

Aussi, avec cette mobilité naturelle, l’équipage du Forward, emporté malgré lui-même, s’écria d’une seule voix :

— Hurrah ! hurrah ! hurrah pour le capitaine !

— Shandon, dit celui-ci à son second, faites ranger l’équipage ; je vais le passer en revue.

Shandon obéit, et donna ses ordres d’une voix altérée. Le capitaine s’avança au-devant de ses officiers et de ses matelots, disant à chacun ce qu’il convenait de lui dire, et le traitant selon sa conduite passée.

Quand il eut fini son inspection, il remonta sur la dunette, et d’une voix calme, il prononça les paroles suivantes :

— Officiers et matelots, je suis un Anglais, comme vous, et ma devise est celle de l’amiral Nelson : « L’Angleterre attend que chacun fasse son devoir35.

« Comme Anglais, je ne veux pas, nous ne voulons pas que de plus hardis aillent là où nous n’aurions pas été. Comme Anglais, je ne souffrirai pas, nous ne souffrirons pas que d’autres aient la gloire de s’élever plus au nord. Si jamais pied humain doit fouler la terre du pôle, il faut que ce soit le pied d’un Anglais ! Voici le pavillon de notre pays. J’ai armé ce navire, j’ai consacré ma fortune à cette entreprise, j’y consacrerai ma vie et la vôtre, mais ce pavillon flottera sur le pôle boréal du monde. Ayez confiance. Une somme de mille livres sterling36 vous sera acquise par chaque degré que nous gagnerons dans le nord à partir de ce jour. Or, nous sommes par le soixante-douzième, et il y en a quatre-vingt-dix. Comptez. Mon nom d’ailleurs vous répondra de moi. Il signifie énergie et patriotisme. Je suis le capitaine Hatteras !

— Le capitaine Hatteras ! s’écria Shandon.

Et ce nom, bien connu du marin anglais, courut sourdement parmi l’équipage.

— Maintenant, reprit Hatteras, que le brick soit ancré sur les glaçons ; que les fourneaux s’éteignent, et que chacun retourne à ses travaux habituels. Shandon, j’ai à vous entretenir des affaires du bord. Vous me rejoindrez dans ma cabine, avec le docteur, Wall et le maître d’équipage. Johnson, faites rompre les rangs.
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Hatteras, calme et froid, quitta tranquillement la dunette, pendant que Shandon faisait assurer le brick sur ses ancres.

Qu’était donc cet Hatteras, et pourquoi son nom faisait-il une si terrible impression sur l’équipage ?

John Hatteras, le fils unique d’un brasseur de Londres, mort six fois millionnaire en 1852, embrassa, jeune encore, la carrière maritime, malgré la brillante fortune qui l’attendait. Non qu’il fût poussé à cela par la vocation du commerce, mais l’instinct des découvertes géographiques le tenait au cœur ; il rêva toujours de poser le pied là où personne ne l’eût posé encore. À vingt ans déjà, il possédait la constitution vigoureuse des hommes maigres et sanguins : une figure énergique, à lignes géométriquement arrêtées, un front élevé et perpendiculaire au plan des yeux, ceux-ci beaux, mais froids, des lèvres minces dessinant une bouche avare de paroles, une taille moyenne, des membres solidement articulés et mus par des muscles de fer, formaient l’ensemble d’un homme doué d’un tempérament à toute épreuve. À le voir, on le sentait audacieux, à l’entendre, froidement passionné ; c’était un caractère à ne jamais reculer, et prêt à jouer la vie des autres avec autant de conviction que la sienne. Il fallait donc y regarder à deux fois avant de le suivre dans ses entreprises.

John Hatteras portait haut la fierté anglaise, et ce fut lui qui fit un jour à un Français cette orgueilleuse réponse :

Le Français disait devant lui, avec ce qu’il supposait être de la politesse, et même de l’amabilité :

— Si je n’étais Français, je voudrais être Anglais.

— Si je n’étais Anglais, moi, répondit Hatteras, je voudrais être Anglais !

On peut juger l’homme par la réponse.

Il eût voulu par-dessus tout réserver à ses compatriotes le monopole des découvertes géographiques ; mais, à son grand désespoir, ceux-ci avaient peu fait, pendant les siècles précédents, dans la voie des découvertes.

L’Amérique était due au Génois Christophe Colomb, les Indes au Portugais Vasco de Gama, la Chine au Portugais Fernand d’Andrada, la Terre de feu au Portugais Magellan, le Canada au Français Jacques Cartier, les îles de la Sonde, le Labrador, le Brésil, le cap de Bonne-Espérance, les Açores, Madère, Terre-Neuve, la Guinée, le Congo, le Mexique, le cap Blanc, le Groënland, l’Islande, la mer du Sud, la Californie, le Japon, le Cambodge, le Pérou, le Kamtchatka, les Philippines, le Spitzberg, le cap Horn, le détroit de Behring, la Tasmanie, la Nouvelle-Zélande, la Nouvelle-Bretagne, la Nouvelle-Hollande, la Louisiane, l’île de Jean-Mayen, à des Islandais, à des Scandinaves, à des Français, à des Russes, à des
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Portugais, à des Danois, à des Espagnols, à des Génois, à des Hollandais, mais pas un Anglais ne figurait parmi eux, et c’était un désespoir pour Hatteras de voir les siens exclus de cette glorieuse phalange des navigateurs qui firent les grandes découvertes des XVe et XVIe siècles.

Hatteras se consolait un peu en se reportant aux temps modernes ; les Anglais prenaient leur revanche avec Sturt, Donall Stuart, Burcke, Wills, King, Gray, en Australie, avec Palliser en Amérique, avec Haouran en Syrie, avec Cyril Graham, Wadington, Cummingham dans l’Inde, avec Barth, Burton, Speke, Grant, Livingston en Afrique.

Mais cela ne suffisait pas ; pour Hatteras, ces hardis voyageurs étaient plutôt des perfectionneurs que des inventeurs ; il fallait donc trouver mieux, et John eût inventé un pays pour avoir l’honneur de le découvrir.

Or, il avait remarqué que si les Anglais ne formaient pas majorité parmi les
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découvreurs anciens, que s’il fallait remonter à Cook pour obtenir la Nouvelle-Calédonie en 1774, et les îles Sandwich où il périt en 1778, il existait néanmoins un coin du globe sur lequel ils semblaient avoir réuni tous leurs efforts.

C’étaient précisément les terres et les mers boréales du nord de l’Amérique. En effet, le tableau des découvertes polaires se présente ainsi :

La Nouvelle-Zemble, découverte par Willoughby en 1553. L’île de Weigatz – Barrough – 1556. La côte ouest du Groënland – Davis – 1585. Le détroit de Davis – Davis – 1587. Le Spitzberg – Willoughby – 1596. La baie d’Hudson – Hudson – 1610. La baie de Baffin – Baffin – 1616.

Pendant ces dernières années, Hearne, Mackensie, John Ross, Parry, Franklin, Richardson, Beechey, James Ross, Back, Dease, Sompson, Rae, Inglefield, Belcher, Austin, Kellet, Moore, Mac Clure, Kennedy, MacClintock, fouillèrent sans interruption ces terres inconnues.

On avait bien délimité les côtes septentrionales de l’Amérique, à peu près découvert le passage du nord-ouest, mais ce n’était pas assez ; il y avait mieux à faire, et ce mieux, John Hatteras l’avait deux fois tenté en armant deux navires à ses frais ; il voulait arriver au pôle même, et couronner ainsi la série des découvertes anglaises par une tentative du plus grand éclat.

Parvenir au pôle, c’était le but de sa vie.

Après d’assez beaux voyages dans les mers du sud, Hatteras essaya pour la première fois en 1846 de s’élever au nord par la mer de Baffin ; mais il ne put dépasser le soixante-quatorzième degré de latitude ; il montait le sloop l’Halifax ; son équipage eut à souffrir des tourments atroces, et John Hatteras poussa si loin son aventureuse audace, que désormais les marins furent peu tentés de recommencer de semblables expéditions sous un pareil chef.

Cependant, en 1850, Hatteras parvint à enrôler sur la goélette le Farewel une vingtaine d’hommes déterminés, mais déterminés surtout par le haut prix offert à leur audace. Ce fut dans cette occasion que le docteur Clawbonny entra en correspondance avec John Hatteras, qu’il ne connaissait pas, et demanda à faire partie de l’expédition ; mais la place de médecin était prise, et ce fut heureux pour le docteur.

Le Farewel, en suivant la route prise par le Neptune, d’Aberdeen, en 1817, s’éleva au nord du Spitzberg jusqu’au soixante-seizième degré de latitude. Là, il fallut hiverner ; mais les souffrances furent telles et le froid si intense, que
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pas un homme de l’équipage ne revit l’Angleterre, à l’exception du seul Hatteras, rapatrié par un baleinier danois, après une marche de plus de deux cents milles à travers les glaces.

La sensation produite par ce retour d’un seul homme fut immense ; qui oserait désormais suivre Hatteras dans ses audacieuses tentatives ? Cependant il ne désespéra pas de recommencer. Son père, le brasseur, mourut, et il devint possesseur d’une fortune de nabab.

Sur ces entrefaites, un fait géographique se produisit, qui porta le coup le plus sensible à John Hatteras.

Un brick, l’Advance, monté par dix-sept hommes, armé par le négociant Grinnel, commandé par le docteur Kane, et envoyé à la recherche de sir John Franklin, s’éleva, en 1853, par la mer de Baffin et le détroit de Smith, jusqu’au-delà du 82e degré de latitude boréale, plus près du pôle qu’aucun de ses devanciers.

Or, ce navire était Américain, ce Grinnel était Américain, ce Kane était Américain !

On comprendra facilement que le dédain de l’Anglais pour le Yankee se changea en haine dans le cœur d’Hatteras ; il résolut de dépasser à tout prix son audacieux concurrent, et d’arriver au pôle même.

Depuis deux ans, il vivait incognito à Liverpool. Il passait pour un matelot, il reconnut dans Richard Shandon l’homme dont il avait besoin ; il lui fit ses propositions par lettre anonyme, ainsi qu’au docteur Clawbonny. Le Forward fut construit, armé, équipé. Hatteras se garda bien de faire connaître son nom ; il n’eût pas trouvé un seul homme pour l’accompagner. Il résolut de ne prendre le commandement du brick que dans des conjonctures impérieuses, et lorsque son équipage serait engagé assez avant pour ne pas recu-ler ; il avait en réserve, comme on l’a vu, des offres d’argent à faire à ses hommes, telles que pas un ne refuserait de le suivre jusqu’au bout du monde.

Et c’était bien au bout du monde, en effet, qu’il voulait aller.

Or, les circonstances étant devenues critiques, John Hatteras n’hésita plus à se déclarer.

Son chien, son fidèle Duk, le compagnon de ses traversées, fut le premier à le reconnaître, et heureusement pour les braves, malheureusement pour les timides, il fut bien et dûment établi que le capitaine du Forward était John Hatteras.

Version du 28 février 2011 à 11:53




Première partie
Chapitre XII. Le capitaine Hatteras



CHAPITRE XII. — LE CAPITAINE HATTERAS.

Le Forward avançait rapidement sous vapeur entre les ice-fields et les montagnes de glace. Johnson tenait lui-même la barre. Shandon examinait l’horizon avec son snow-spectacle ; mais sa joie fut de courte durée, car il reconnut bientôt que la passe aboutissait à un cirque de montagnes.

Cependant, aux difficultés de revenir sur ses pas, il préféra les chances de poursuivre sa marche en avant.

Le chien suivait le brick en courant sur la plaine, mais il se tenait à une distance assez grande. Seulement, s’il restait en arrière, on entendait un sifflement singulier qui le rappelait aussitôt.

La première fois que ce sifflement se produisit, les matelots regardèrent autour d’eux ; ils étaient seuls sur le pont, réunis en conciliabule ; pas un étranger, pas un inconnu, et cependant ce sifflement se fit encore entendre à plusieurs reprises.

Clifton s’en alarma le premier.

« Entendez-vous ? et voyez-vous comme cet animal bondit quand il s’entend siffler ?

— C’est à ne pas y croire, répondit Gripper.

— C’est fini ! s’écria Pen ; je ne vais pas plus loin.

— Pen a raison, répliqua Brunton ; c’est tenter Dieu.

— Tenter le diable, répondit Clifton. J’aime mieux perdre toute ma part de bénéfice que de faire un pas de plus.

— Nous n’en reviendrons pas, » fit Bolton avec abattement.

L’équipage en était arrivé au plus haut point de démoralisation.

« Pas un pas de plus, s’écria Wolsten ; est-ce votre avis ?

— Oui, oui ! répondirent les matelots.

— Eh bien, dit Bolton, allons trouver le commandant ; je me charge de lui parler. »

Les matelots, en groupe serré, se dirigèrent vers la dunette.

Le Forward pénétrait alors dans un vaste cirque qui pouvait mesurer huit cents pieds de diamètre ; il était complètement fermé, à l’exception d’une seule issue, par laquelle arrivait le navire.

Shandon comprit qu’il venait s’emprisonner lui-même. Mais que faire ? Comment revenir sur ses pas ? Il sentit toute sa responsabilité ; sa main se crispait sur sa lunette.

Le docteur regardait en se croisant les bras et sans mot dire ; il contemplait les murailles de glace, dont l’altitude moyenne pouvait dépasser trois cents pieds. Un dôme de brouillard demeurait suspendu au-dessus de ce gouffre.

Ce fut en ce moment que Bolton adressa la parole au commandant :

« Commandant, lui dit-il d’une voix émue, nous ne pouvons pas aller plus loin.

— Vous dites ? répondit Shandon, à qui le sentiment de son autorité méconnue fit monter la colère au visage.

— Nous disons, commandant, reprit Bolton, que nous avons assez fait pour ce capitaine invisible, et nous sommes décidés à ne pas aller plus avant.

— Vous êtes décidés ?… s’écria Shandon. Vous parlez ainsi, Bolton ! prenez garde !

— Vos menaces n’y feront rien, répondit brutalement Pen : nous n’irons pas plus loin ! »

Shandon s’avançait vers ses matelots révoltés, lorsque le maître d’équipage vint lui dire à voix basse :

« Commandant, si nous voulons sortir d’ici, nous n’avons pas une minute à perdre. Voilà un ice-berg qui s’avance dans la passe ; il peut boucher toute issue et nous retenir prisonniers. »

Shandon revint examiner la situation.

« Vous me rendrez compte de votre conduite plus tard, vous autres, dit-il en s’adressant aux mutins. En attendant, vire de bord ! »

Les marins se précipitèrent à leur poste. Le Forward évolua rapidement ; les fourneaux furent chargés de charbon ; il fallait gagner de vitesse sur la montagne flottante. C’était une lutte entre le brick et l’ice-berg ; le premier courait vers le sud pour passer ; le second dérivait vers le nord, prêt à fermer tout passage.

« Chauffez, chauffez ! s’écria Shandon, à toute vapeur ! Brunton, m’entendez-vous ? »

Le Forward glissait comme un oiseau au milieu des glaçons épars que sa proue tranchait vivement ; sous l’action de l’hélice, la coque du navire frémissait, et le manomètre indiquait une tension prodigieuse de la vapeur ; celle-ci sifflait avec un bruit assourdissant.

« Chargez les soupapes ! » s’écria Shandon.

Et l’ingénieur obéit, au risque de faire sauter le bâtiment.

Mais ses efforts désespérés devaient être vains ; l’ice-berg, saisi par un courant sous-marin, marchait rapidement vers la passe ; le brick s’en trouvait encore éloigné de trois encâblures, quand la montagne, entrant comme un coin dans l’intervalle libre, adhéra fortement à ses voisines et ferma toute issue.

« Nous sommes perdus ! s’écria Shandon, qui ne put retenir cette imprudente parole.

— Perdus ! s’écria l’équipage.

— Sauve qui peut ! dirent les uns.

À la mer les embarcations ! dirent les autres.

À la cambuse ! s’écrièrent Pen et quelques-uns de sa bande, et, s’il faut nous noyer, noyons-nous dans le gin ! »

Le désordre arriva à son comble parmi ces hommes, qui rompaient tout frein. Shandon se sentit débordé ; il voulut commander ; il balbutia ; il hésita ; sa pensée ne put se faire jour à travers ses paroles. Le docteur se promenait avec agitation. Johnson se croisait les bras stoïquement et se taisait.

Tout d’un coup, une voix forte, énergique, impérieuse, se fit entendre et prononça ces paroles :

« Tout le monde à son poste ! Pare à virer. »

Johnson tressaillit, et, sans s’en rendre compte, il fit rapidement tourner la roue du gouvernail.

Il était temps ; le brick, lancé à toute vitesse, allait se briser sur les murs de sa prison.

Mais, tandis que Johnson obéissait instinctivement, Shandon, Clawbonny, l’équipage, tous, jusqu’au chauffeur Waren qui abandonna ses foyers, jusqu’au noir Strong qui laissa ses fourneaux, tous se trouvèrent réunis sur le pont, et tous virent sortir de cette cabine, dont il avait seul la clef, un homme…

Cet homme, c’était le matelot Garry.

« Monsieur ! s’écria Shandon en pâlissant. Garry… vous… de quel droit commandez-vous ici ?…

— Duk ! » fit Garry en reproduisant ce sifflement qui avait tant surpris l’équipage.

Le chien, à l’appel de son vrai nom, sauta d’un bond sur la dunette et vint se coucher tranquillement au pied de son maître.

L’équipage ne disait mot. Cette clef que devait posséder seul le capitaine du Forward, ce chien envoyé par lui et qui venait pour ainsi dire constater son identité, cet accent de commandement auquel il était impossible de se méprendre, tout cela agit fortement sur l’esprit des matelots et suffit à établir l’autorité de Garry.

D’ailleurs, Garry n’était plus reconnaissable ; il avait abattu les larges favoris qui encadraient son visage, et sa figure ressortait plus impassible encore, plus énergique, plus impérieuse ; revêtu des habits de son rang déposés dans sa cabine, il apparaissait avec les insignes du commandement.

Aussi, avec cette mobilité naturelle, l’équipage du Forward, emporté malgré lui-même, s’écria d’une seule voix :

« Hurrah ! hurrah ! hurrah pour le capitaine !

— Shandon, dit celui-ci à son second, faites ranger l’équipage ; je vais le passer en revue. »

Shandon obéit, et donna ses ordres d’une voix altérée. Le capitaine s’avança au-devant de ses officiers et de ses matelots, disant à chacun ce qu’il convenait de lui dire et le traitant selon sa conduite passée.

Quand il eut fini son inspection, il remonta sur la dunette, et d’une voix calme, il prononça les paroles suivantes :

« Officiers et matelots, je suis un Anglais, comme vous, et ma devise est celle de l’amiral Nelson :

« L’Angleterre attend que chacun fasse son devoir[1].

« Comme Anglais, je ne veux pas, nous ne voulons pas que de plus hardis aillent là où nous n’aurions pas été. Comme Anglais, je ne souffrirai pas, nous ne souffrirons pas que d’autres aient la gloire de s’élever plus au nord. Si jamais pied humain doit fouler la terre du pôle, il faut que ce soit le pied d’un Anglais ! Voici le pavillon de notre pays. J’ai armé ce navire, j’ai consacré ma fortune à cette entreprise, j’y consacrerai ma vie et la vôtre, mais ce pavillon flottera sur le pôle boréal du monde. Ayez confiance. Une somme de mille livres sterling[2] vous sera acquise par chaque degré que nous gagnerons dans le nord à partir de ce jour. Or, nous sommes par le soixante-douzième, et il y en a quatre-vingt-dix. Comptez. Mon nom d’ailleurs vous répondra de moi. Il signifie énergie et patriotisme. Je suis le capitaine Hatteras !

— Le capitaine Hatteras ! » s’écria Shandon.

Et ce nom, bien connu du marin anglais, courut sourdement parmi l’équipage.

« Maintenant, reprit Hatteras, que le brick soit ancré sur les glaçons, que les fourneaux s’éteignent et que chacun retourne à ses travaux habituels. Shandon, j’ai à vous entretenir des affaires du bord. Vous me rejoindrez dans ma cabine, avec le docteur, Wall et le maître d’équipage. Johnson, faites rompre les rangs. »

Hatteras, calme et froid, quitta tranquillement la dunette, pendant que Shandon faisait assurer le brick sur ses ancres.

Qu’était donc cet Hatteras, et pourquoi son nom faisait-il une si terrible impression sur l’équipage ?

John Hatteras, le fils unique d’un brasseur de Londres, mort six fois millionnaire en 1852, embrassa, jeune encore, la carrière maritime, malgré la brillante fortune qui l’attendait. Non qu’il fût poussé à cela par la vocation du commerce, mais l’instinct des découvertes géographiques le tenait au cœur ; il rêva toujours de poser le pied là où personne ne l’avait posé encore.

À vingt ans déjà, il possédait la constitution vigoureuse des hommes maigres et sanguins : une figure énergique, à lignes géométriquement arrêtées, un front élevé et perpendiculaire au plan des yeux, ceux-ci beaux, mais froids, des lèvres minces dessinant une bouche avare de paroles, une taille moyenne, des membres solidement articulés et mus par des muscles de fer, formaient l’ensemble d’un homme doué d’un tempérament à toute épreuve. À le voir, on le sentait audacieux, à l’entendre, froidement passionné ; c’était un caractère à ne jamais reculer, et prêt à jouer la vie des autres avec autant de conviction que la sienne. Il fallait donc y regarder à deux fois avant de le suivre dans ses entreprises.

John Hatteras portait haut la fierté anglaise, et ce fut lui qui fit un jour à un Français cette orgueilleuse réponse.

Le Français disait devant lui avec ce qu’il supposait être de la politesse, et même de l’amabilité :

« Si je n’étais Français, je voudrais être Anglais.

— Si je n’étais Anglais, moi, répondit Hatteras, je voudrais être Anglais. »

On peut juger l’homme par la réponse.

Il eût voulu, par-dessus tout, réserver à ses compatriotes le monopole des découvertes géographiques ; mais, à son grand désespoir, ceux-ci avaient peu fait, pendant les siècles précédents, dans la voie des découvertes.

L’Amérique était due au Génois Christophe Colomb, les Indes au Portugais Vasco de Gama, la Chine au Portugais Fernand d’Andrada, la Terre de Feu au Portugais Magellan, le Canada au Français Jacques Cartier, les îles de la Sonde, le Labrador, le Brésil, le cap de Bonne-Espérance, les Açores, Madère, Terre-Neuve, la Guinée, le Congo, le Mexique, le cap Blanc, le Groënland, l’Islande, la mer du Sud, la Californie, le Japon, le Cambodge, le Pérou, le Kamtschatka, les Philippines, le Spitzberg, le cap Horn, le détroit de Behring, la Tasmanie, la Nouvelle-Zélande, la Nouvelle-Bretagne, la Nouvelle-Hollande, la Louisiane, l’île de Jean-Mayen, à des Islandais, à des Scandinaves, à des Russes, à des Portugais, à des Danois, à des Espagnols, à des Génois, à des Hollandais ; mais pas un Anglais ne figurait parmi eux, et c’était un désespoir pour Hatteras de voir les siens exclus de cette glorieuse phalange des navigateurs qui firent les grandes découvertes des XVe et XVIe siècles.

Hatteras se consolait un peu en se reportant aux temps modernes ; les Anglais prenaient leur revanche avec Sturt, Donnal Stuart, Burke, Wills, King, Gray, en Australie, avec Palliser en Amérique, avec Cyril Graham, Wadington, Cummingham dans l’Inde, avec Burton, Speke, Grant, Livingstone en Afrique.

Mais cela ne suffisait pas ; pour Hatteras, ces hardis voyageurs étaient plutôt des perfectionneurs que des inventeurs ; il fallait donc trouver mieux, et John eût inventé un pays pour avoir l’honneur de le découvrir.

Or, il avait remarqué que si les Anglais ne formaient pas majorité parmi les découvreurs anciens, et que s’il fallait remonter à Cook pour obtenir la Nouvelle-Calédonie en 1774 et les îles Sandwich où il périt en 1778, il existait néanmoins un coin du globe sur lequel ils semblaient avoir réuni tous leurs efforts.

C’étaient précisément les terres et les mers boréales du nord de l’Amérique.

En effet, le tableau des découvertes polaires se présente ainsi :

La côte ouest du Groënland 1 erte par
La Nouvelle-Zemble, découverte par  Willoughby  en  1553.
L’île de Weigatz Barrough 1556.
La côte ouest du Groënland Davis 1585.
Le détroit de Davis Davis 1587.
Le Spitzberg Willoughby 1596.
La baie d’Hudson Hudson 1610.
La baie de Baffin Baffin 1616.

Pendant ces dernières années, Hearne, Mackensie, John Ross, Parry, Franklin, Richardson, Beechey, James Ross, Back, Dease, Simpson, Rae, Inglefield, Belcher, Austin, Kellet, Moore, Mac Clure, Kennedy, Mac Clintock, fouillèrent sans interruption ces terres inconnues.

On avait bien délimité les côtes septentrionales de l’Amérique, à peu près découvert le passage du nord-ouest, mais ce n’était pas assez ; il y avait mieux à faire, et ce mieux, John Hatteras l’avait deux fois tenté en armant deux navires à ses frais ; il voulait arriver au pôle même, et couronner ainsi la série des découvertes anglaises par une tentative du plus grand éclat.

Parvenir au pôle, c’était le but de sa vie.

Après d’assez beaux voyages dans les mers du sud, Hatteras essaya pour la première fois, en 1846, de s’élever au nord par la mer de Baffin ; mais il ne put dépasser le soixante-quatorzième degré de latitude ; il montait le sloop Halifax ; son équipage eut à souffrir des tourments atroces, et John Hatteras poussa si loin son aventureuse témérité, que désormais les marins furent peu tentés de recommencer de semblables expéditions sous un pareil chef.

Cependant, en 1850, Hatteras parvint à enrôler sur la goëlette le Farewell une vingtaine d’hommes déterminés, mais déterminés surtout par le haut prix offert à leur audace. Ce fut dans cette occasion que le docteur Clawbonny entra en correspondance avec John Hatteras, qu’il ne connaissait pas, et demanda à faire partie de l’expédition ; mais la place de médecin était prise, et ce fut heureux pour le docteur.

Le Farewell, en suivant la route prise par le Neptune d’Aberdeen en 1817, s’éleva au nord du Spitzberg jusqu’au soixante-seizième degré de latitude. Là, il fallut hiverner ; mais les souffrances furent telles et le froid si intense, que pas un homme de l’équipage ne revit l’Angleterre, à l’exception du seul Hatteras, rapatrié par un baleinier danois, après une marche de plus de deux cents milles à travers les glaces.

La sensation produite par ce retour d’un seul homme fut immense. Qui oserait désormais suivre Hatteras dans ses folles tentatives ? Cependant il ne désespéra pas de recommencer. Son père, le brasseur, mourut, et il devint possesseur d’une fortune de nabab.

Sur ces entrefaites, un fait géographique se produisit, qui porta le coup le plus sensible à John Hatteras.

Un brick, l’Advance, monté par dix-sept hommes, armé par le négociant Grinnel, commandé par le docteur Kane, et envoyé à la recherche de sir John Franklin, s’éleva, en 1853, par la mer de Baffin et le détroit de Smith, jusqu’au-delà du quatre-vingt-deuxième degré de latitude boréale, plus près du pôle qu’aucun de ses devanciers.

Or, ce navire était Américain, ce Grinnel était Américain, ce Kane était Américain !

On comprendra facilement que le dédain de l’Anglais pour le Yankee se changea en haine dans le cœur d’Hatteras ; il résolut de dépasser à tout prix son audacieux concurrent et d’arriver au pôle même.

Depuis deux ans, il vivait incognito à Liverpool. Il passait pour un matelot. Il reconnut dans Richard Shandon l’homme dont il avait besoin ; il lui fit ses propositions par lettre anonyme, ainsi qu’au docteur Clawbonny. Le Forward fut construit, armé, équipé. Hatteras se garda bien de faire connaître son nom ; il n’eût pas trouvé un seul homme pour l’accompagner. Il résolut de ne prendre le commandement du brick que dans des conjonctures impérieuses, et lorsque son équipage serait engagé assez avant pour ne pas reculer ; il avait, en réserve, comme on l’a vu, de telles offres d’argent à faire à ses hommes, que pas un ne refuserait de le suivre jusqu’au bout du monde.

Et c’était bien au bout du monde, en effet, qu’il voulait aller.

Or, les circonstances étant devenues critiques, John Hatteras n’hésita plus à se déclarer.

Son chien, le fidèle Duk, le compagnon de ses traversées, fut le premier à le reconnaître, et, heureusement pour les braves, malheureusement pour les timides, il fut bien et dûment établi que le capitaine du Forward était John Hatteras.


  1. « England expects every man to do his duty. »
  2. 25,000 francs.