« Page:Nietzsche - Aurore.djvu/397 » : différence entre les versions

La bibliothèque libre.
ThomasBot (discussion | contributions)
m Marc: split
 
Aucun résumé des modifications
Contenu (par transclusion) :Contenu (par transclusion) :
Ligne 1 : Ligne 1 :
Je remarque que nos jeunes gens, nos artistes et nos femmes qui veulent philosopher demandent maintenant à la philosophie de leur donner précisément le contraire de ce qu’en recevaient les Grecs ! Celui qui n’entend pas la jubilation continuelle qui traverse chaque propos et chaque réplique d’un dialogue de Platon, la jubilation que provoque l’invention nouvelle de la pensée rationnelle, que comprendra-t-il de Platon, de la philosophie antique ? En ce temps-là les âmes s’emplissaient d’allégresse, lorsqu’on se livrait au jeu sévère et sobre des idées, des généralisations, des réfutations — avec cette allégresse qu’ont peut-être connue aussi les grands maîtres anciens du sévère et sobre contrepoint. En ce temps-là en Grèce on avait encore sur la langue cet autre goût plus ancien et autrefois tout-puissant : et à côté de ce goût, le goût nouveau apparaissait avec tant de charme que l’on se mettait à chanter et à balbutier la dialectique, « l’art divin », comme si l’on était en ivresse d’amour. Le goût ancien, c’était la pensée esclave de la moralité pour laquelle n’existaient que des jugements fixes, des faits déterminés et point d’autres raisons que celles de l’autorité : en sorte que penser ce n’était que répéter, et que toute jouissance du discours et du dialogue ne pouvait reposer que dans la forme. (Partout où le fond est considéré comme éternel et vrai, dans sa généralité, il n’y a qu’une seule grande magie : celle de la forme qui change, c’est-à-dire de la mode. Chez les poètes eux aussi, depuis l’époque d’Homère et plus tard chez les sculpteurs, les Grecs
Je remarque que nos jeunes gens, nos artistes et nos femmes qui veulent philosopher demandent maintenant à la philosophie de leur donner précisément le contraire de ce qu’en recevaient les Grecs ! Celui qui n’entend pas la jubilation continuelle qui traverse chaque propos et chaque réplique d’un dialogue de Platon, la jubilation que provoque l’invention nouvelle de la pensée rationnelle, que comprendra-t-il de Platon, de la philosophie antique ? En ce temps-là les âmes s’emplissaient d’allégresse, lorsqu’on se livrait au jeu sévère et sobre des idées, des généralisations, des réfutations — avec cette allégresse qu’ont peut-être connue aussi les grands maîtres anciens du sévère et sobre contrepoint. En ce temps-là en Grèce on avait encore sur la langue cet autre goût plus ancien et autrefois tout-puissant : et à côté de ce goût, le goût nouveau apparaissait avec tant de charme que l’on se mettait à chanter et à balbutier la dialectique, « l’art divin », comme si l’on était en ivresse d’amour. Le goût ancien, c’était la pensée esclave de la moralité pour laquelle n’existaient que des jugements fixes, des faits déterminés et point d’autres raisons que celles de l’autorité : en sorte que penser ce n’était que répéter, et que toute jouissance du discours et du dialogue ne pouvait reposer que dans la forme. (Partout où le fond est considéré comme éternel et vrai, dans sa généralité, il n’y a qu’une seule grande magie : celle de la forme qui change, c’est-à-dire de la mode. Chez les poètes eux aussi, depuis l’époque d’Homère et plus tard chez les sculpteurs, les Grecs

Version du 3 janvier 2012 à 14:46

Cette page n’a pas encore été corrigée

— Je remarque que nos jeunes gens, nos artistes et nos femmes qui veulent philosopher demandent maintenant à la philosophie de leur donner précisément le contraire de ce qu’en recevaient les Grecs ! Celui qui n’entend pas la jubilation continuelle qui traverse chaque propos et chaque réplique d’un dialogue de Platon, la jubilation que provoque l’invention nouvelle de la pensée rationnelle, que comprendra-t-il de Platon, de la philosophie antique ? En ce temps-là les âmes s’emplissaient d’allégresse, lorsqu’on se livrait au jeu sévère et sobre des idées, des généralisations, des réfutations — avec cette allégresse qu’ont peut-être connue aussi les grands maîtres anciens du sévère et sobre contrepoint. En ce temps-là en Grèce on avait encore sur la langue cet autre goût plus ancien et autrefois tout-puissant : et à côté de ce goût, le goût nouveau apparaissait avec tant de charme que l’on se mettait à chanter et à balbutier la dialectique, « l’art divin », comme si l’on était en ivresse d’amour. Le goût ancien, c’était la pensée esclave de la moralité pour laquelle n’existaient que des jugements fixes, des faits déterminés et point d’autres raisons que celles de l’autorité : en sorte que penser ce n’était que répéter, et que toute jouissance du discours et du dialogue ne pouvait reposer que dans la forme. (Partout où le fond est considéré comme éternel et vrai, dans sa généralité, il n’y a qu’une seule grande magie : celle de la forme qui change, c’est-à-dire de la mode. Chez les poètes eux aussi, depuis l’époque d’Homère et plus tard chez les sculpteurs, les Grecs