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Version du 23 février 2012 à 17:25

LES FEUILLES
SALUONS-LES


Saluons-les


L’Éclair pose à nos consciences de simples soldats réservistes cette effarante question :

« Un supérieur passe près de vous, et, en même temps, un malfaiteur se jette sur lui, devez-vous faire front, rectifier la position et faire le salut militaire, ou bien sauter sur le malfaiteur et dégager votre chef ? »

Sans nous arrêter à ce qu’il y a d’inconvenant dans l’hypothèse ci-dessus, il faut reconnaître que le cas est piquant et mériterait d’être éclairci.

On n’y est pas préparé, je l’avoue.

D’ordinaire, dans les villes de garnison, comme à Saumur dernièrement, ce sont plutôt les officiers qui, par passe-temps, rossent le bourgeois. Ils dégainent contre des parapluies. On s’embête tant en province.

Mais s’il faut admettre qu’une fois, le brillant militaire, tout arrive ! soit civilement rossé, nous ne saurions trop recommander au simple soldat, témoin du fait, la plus grande circonspection.

S’il intervient dans la bagarre, un bouton de sa capote ou de son dolman peut sauter à la face de son chef. Qu’il y songe ! en d’autres lieux c’est le conseil de guerre, une douzaine de balles dans la peau…

Peut-être ferait-il mieux de se borner à rectifier la position. C’est courtois. Cependant, puisque la question se pose et que nous ne sommes pas doctrinaires, nous entendons laisser à chacun le libre choix parmi les trois ou quatre solutions qui peuvent se présenter à l’esprit.

L’examen de ces solutions nous entraînerait même trop loin… ; j’ai hâte d’en venir au sens caché que je soupçonne l’Éclair d’avoir glissé dans sa question. Le journal étamajoriste fait de l’actualité symbolique : le supérieur assailli n’est autre que l’Armée elle-même.

Le malfaiteur, c’est le Magistrat.


Les Robes de la magistrature et les Culottes de l’armée s’entre-déchirent.

C’est indécent.

Mais c’est très drôle. Et instructif. Le faux ménage de la toque et du képi se lave la tête en public. Ah ! mes amis, quel schampoing. Tout à l’heure ils laveront leur linge, pas en famille : au lavoir. Et ce sera sur la grand’place qu’on lessivera le Drapeau.

Du carbonate et de la potasse. Haut ! les battoirs. Tapez ! frottez, rincez l’objet…

Aussi bien il restera des taches : sang et misère indélébiles. Frottez toujours, tapez quand même !

Car si les revisionistes, ceux qu’on appelle les « dreyfusards », nous paraissent pleins de bon sens lorsqu’ils expriment telle opinion à propos du militarisme ; nous n’en apprécions pas moins les nationalistes, ceux qu’on nomme les « anti-dreyfusards » quand ils parlent de la magistrature.

Il est bien évident que si l’on peut dire, patriotiquement, que les premiers magistrats du Pays sont les derniers des misérables, ce ne sera ni plus troublant, ni plus grave d’affirmer que les grands chefs militaires connaissent la tactique du faux mieux que le service en campagne.

Je voudrais qu’un bon phonographe enregistrât tout ce que les braves citoyens, suiveurs de M. Déroulède, clament sur la magistrature et déclament contre les gens de loi. Je voudrais que ce même phonographe recueillît, avec son impartialité mécanique, ce que dans le parti adverse on révèle sur l’état-major. L’appareil, mis en mouvement, serait d’excellente propagande.

Je suis sûr qu’on le dénoncerait comme phonographe anarchiste.

Que l’on ne vienne point nous chanter, avec des larmes dans le larynx, les tristesses de l’heure présente. Le temps est gai pour la saison. Le vent qui s’élève, cet hiver, a soufflé sur tant de préjugés que les respects séculaires s’envolent vers les vieilles lunes.

Quand on entend le cri : Vive l’armée ! on peut être certain que celui qui le pousse manifeste, de cette façon, tout son mépris pour la Loi.

De même le cri : Vive la justice ! signifie, nul ne l’ignore : À bas les conseils de guerre !

Les événements, en quelques mois, ont mis si bien en conflit les forces factices de la société qu’il ne reste plus grand’chose debout. Les magistrats sont suspects, les officiers perdent l’aplomb : toutes les quilles tombent par terre.

À ce jeu charmant de massacre, quels que soient les lanceurs de boules, nous applaudissons volontiers. Nous proposerions même avec joie une douzaine de macarons d’honneur.

Je les donnerais aux nationalistes.

Ces messieurs au rude langage ont été comme démolisseurs de très appréciables champions. En traitant d’ignobles drôles, de vils coquins et de vendus, les hommes qui, dans le pays, ont mission de rendre la justice, ils ont prouvé que ceux-là même qui se réclament du chauvinisme se moquent du bon renom de la France comme de leur première sottise.

Une nation, en effet, peut se passer d’une armée. Mais quelle figure lui fait-on faire quand on dit qu’elle ment en justice ?

N’y a-t-il des juges qu’à Berlin ?

L’idée de Patrie était malade, les patriotes l’auront tuée.


Il est vrai qu’on pourra me répondre qu’il y a magistrat et magistrat comme il y a cabot et cabot. Tous les anciens boulangistes me citeront avec émotion le noble exemple de M. Quesnay protestant contre ses collègues et quittant leur odieux repaire.

Mais ce Quesnay, à lui tout seul, symbolise-t-il la Justice ?

Si l’ancien procureur de la Haute-Cour, célèbre par les faux témoins que naguère il stylait lui-même, représente l’honneur de l’Ordre, autant vaut dire qu’Anastay ou bien le colonel Henry représentent l’honneur de l’Armée.

Je ne suis pas éloigné de le croire.

Anastay, le couteau dextre, pointe en ligne, guerrier en temps de paix, assassinait une vieille dame comme il aurait conquis des villes — ou seulement des villages nègres.

Henry au grattoir agile, incarne l’officier de fortune : de la vaillance et des lettres — la plume, la gomme et l’épée.

M. Quesnay de Beaurepaire a tellement l’amour de la Robe que dans certaines maisons closes le vieux rasé s’habille en femme. Il signe Lucie Herpin des petits papiers pornographiques contre lesquels, magistrat, il devrait ordonner des poursuites. Et c’est ce Quesnay des Cours, cette Herpin des salons, ce Beaurepaire à tout faire qui fait du jupon de Lucie le drapeau de la magistrature…

A-t-on jamais plus heureusement outragé tous les magistrats ?


Il était temps qu’une ligue se fondât pour réinculquer aux masses l’ensemble des respects nécessaires. La Ligue de la Patrie Française, par conférence et voie d’affiches, tentera l’œuvre désormais ingrate de prêcher l’union entre les anciens complices, officiers et magistrats qui s’oublient au point de débiner, devant le peuple, leurs réciproques malpropretés.

Bien au-dessous de la Ligue des Patriotes, qui elle au moins a des préférences, la ligue nouvelle a pour objet l’aplatissement impur et simple aux pieds de toutes les autorités. Avec le vieux François Coupé, Maurice Barrès — coupé aussi — est à la tête des comités. Le prince de la jeunesse s’agite comme sous la main. Sa rampante diplomatie lui vaut un poste d’honneur : il est la chenille ouvrière.

Nul doute qu’avec de tels éléments, la Ligue n’ait de hautes destinées. Barrès professeur d’énergie, c’était trop drôle pour cet homme triste qui s’évanouit sur tous terrains… Au contraire, comme ravaudeur, comme ressemeleur de préjugés, sous les ordres de quelque Brunetière, il peut encore secouer des phrases ; il peut, selon sa formule, travailler à maintenir les traditions « en les conciliant avec le progrès des idées et des mœurs ». C’est faire du neuf avec du vieux : le pilleur de Renan s’y connaît.

La Ligue de la Friperie Française époussetera des tuniques, brossera des toges, cirera des bottes ; les traditions trop éculées seront, par ses soins, mises en forme. Son programme de ch’and d’habits lui vaudra l’adhésion précieuse des marchandes à la toilette. Gens de maison et d’académie, tous les Plumeaux intellectuels sentiront que leur place est là.

Reste à savoir seulement si l’apaisement, qu’on dit souhaiter, résultera de ces nobles efforts. Un grand nombre de nos concitoyens ont pris l’horreur du militarisme, d’autres, et nombreux, se sont accoutumés à conspuer la magistrature. Pourra-t-on les mettre d’accord en leur donnant tort à chacun ? en leur disant :

— Vous faites erreur, l’armée, les conseils de guerre, Biribi, etc., c’est parfait ! La magistrature, la loi, le code et ses marges, et les filets de la justice — filets à mailles si diverses — parfait aussi… Inclinez-vous.

Serait-il pas mieux que les hommes essayassent de se redresser ? L’union debout ! Tout le monde y mettrait du sien :

— Je vous abandonne les magistrats, mais remisez-moi la soldatesque.


En attendant que l’entente s’établisse sur ce programme définitif, sur ce terrain de mépris large pour les institutions caduques et les déguisés encombrants qui circulent encore parmi nous — il faut faire front, comme dit l’Éclair, et rectifier les positions.

Castes de Robe et d’Épée se tendent des pièges, se guettent au carrefour, s’arrachent les masques — il faut saluer.

Le peuple, qui déjà ne croit plus au ciel, se lassera de l’enfer qu’il connaît. S’il supportait l’autorité, c’était peut-être moins par habitude du servage que par respect pour le gendarme. Or, toutes les gendarmeries se sont entre elles disqualifiées.

Les duperies patriotiques apparaissent dans la clarté dure, tels des costumes de bal masqué à la lumière du soleil.

Les Majestés théâtrales se sont attardées au bastringue. Elles se sont colletées dans la rue. Maintenant elles réclament leur carrosse…

La voiture des boueux s’avance.