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CURIOSITÉS DE LA MÉTÉOROLOGIE
LES MIROIRS D’AIR.

Les éléments essentiels de la théorie des miroirs d’air ont été découverts, par Monge, dans des circonstances qui méritent d’être rapportées.

Les soldats de l’expédition d’Egypte ne tardèrent point à s’apercevoir qu’ils étaient presque tous les jours victimes d’une illusion cruelle ; chaque fois qu’ils poursuivaient l’ennemi dans le désert, ils voyaient apparaître devant eux des nappes d’eau qui semblaient fuir comme pour leur faire subir le supplice de Tantale. Le crédit des savants qui accompagnaient le général Bonaparte eût été singulièrement ébranlé s’ils n’avaient donné une théorie complète d’un phénomène gênant et incessamment renouvelé.

Sommé de répondre, l’inventeur de la géométrie descriptive s’exécuta de bonne grâce. Son explication fut prête lors de l’apparition du premier numéro de la Décade égyptienne, journal scientifique de l’expédition qui dura jusqu’à la capitulation du général Menou. Un numéro était sous presse, et son apparition aurait eu lieu à l’époque ordinaire sans cette catastrophe, que les savants voyaient venir, mais à cette époque d’héroïsme la plus triste perspective n’arrêtait point les travaux.

Les Anglais étaient parfaitement au courant des faits et gestes de l’armée d’Egypte, qu’ils faisaient surveiller par leurs espions avec un soin jaloux. Nulle part les numéros de la Décade égyptienne n’étaient lus avec autant de soin qu’à Londres ; aussi, presque immédiatement après la publication du mémoire de Monge, le révérend Vince et le célèbre Wollaston publient de longs mémoires sur les mirages dans les Transactions philosophiques. Les Allemands ne tardèrent point à venir à la rescousse comme les traînards pesamment chargés, arrière-garde d’une armée qui envahit le pays ennemi et qui livre au pillage tout ce qui lui tombe sous la main. C’est donc à nos compatriotes que revient l’honneur d’avoir jeté les bases d’une des théories physiques les plus intéressantes, ainsi que nous espérons être à même de le montrer.

Fig. 1. — L’expérience de Wollaston.

Wollaston eut cependant une idée fort ingénieuse. Il imagina de mettre dans une fiole plate du sirop de sucre, sur lequel il jeta avec précaution de l’eau pure. Une fois cette eau reposée, il la surmonta d’une couche d’alcool. La bouteille contenait donc trois couches, diaphanes toutes trois, mais douées chacune d’un pouvoir réfringent spécial. La surface de séparation de l’eau et du sucre, ainsi que celle de l’eau et de l’alcool, produit alors des effets de réflexion et de réfraction tout à fait analogues à ceux qu’on observe sur les miroirs d’air. Quand on se place convenablement, on voit apparaître, dans le voisinage de cette surface invisible, deux images, l’une droite et l’autre renversée. On s’en assure à l’aide d’une étiquette que l’on colle sur le verre de l’éprouvette aplatie (Fig. 1).

Est-il besoin de faire remarquer que des phénomènes analogues se produisent forcément dans l’atmosphère, quand une couche d’air douée d’un pouvoir réfringent très-faible, vient à se placer au dessous d’une couche plus réfringente ? C’est le cas normal qui se produit dans le désert, lorsque le sable est surmonté par une couche d’air très-chaud. La bouteille plate de Wollaston donne donc un moyen très-simple de répéter les observations faites sur une plaque de tôle fortement échauffée.

Il est facile de voir que, dans l’expérience de Wollaston, les deux couches ne sont point nettement séparées ; car en vertu de la diffusion le sirop monte dans l’eau en même temps que l’alcool y descend. Mais la loi des variations de densités doit être régulière. Sans cela le phénomène ne se produirait point. On verrait des stries, des troubles de vision, des images imparfaites, plus ou moins analogues aux trépidations que produit une flamme ou de la vapeur invisible qu’on intercale, en plein jour, entre son œil et un objet éloigné.

Comme nous l’avons dit plus haut, les phénomènes sont quelquefois plus complexes, et la réverbération produite par le miroir d’air peut avoir lieu dans le ciel. C’est le phénomène qui se présente lorsqu’un courant d’air chaud se trouve intercalé entre deux couches d’air froid. Alors les images extraordinaires se montrent aussi bien à la surface supérieure qu’à la surface inférieure de la couche intermédiaire. C’est ainsi que l’on peut expliquer les diverses variétés du mirage qui ont été observées à différentes reprises dans la Manche, et dont les mémoires insérés, en 1799 et en 1800, dans les Transactions philosophiques, donnent de nombreux exemples. Ces miroirs célestes produisent des apparitions d’armée, de villes ou de troupeaux apparaissant dans les nuages. Les cas de suspension aérienne observés à Paris se rapportent au même phénomène. Cette explication a même été indiquée d’une manière grossière par Cardan à propos de l’apparition d’un ange planant au-dessus de la ville de Milan. Il a fait voir que cette figure n’était que l’image d’une statue surmontant un des clochers de la cité.

Dans Lycosthène, Julius Obsequens et autres chroniqueurs, on parle très-souvent de l’apparition d’armées venant se montrer dans les nuages, et qui pouvaient être simplement l’image de combats se livrant à quelque distance. Cependant, il peut également se faire que ces apparitions, simplement fabuleuses, n’aient jamais eu lieu, et que les dits chroniqueurs n’aient fait que duper leurs lecteurs, si eux-mêmes n’avaient point commencé à être, les premières dupes (Fig. 2).

Fig. 2. — Fac-simile d’une estampe de la Bibliothèque nationale[1] (1557).

Nous n’en finirions pas si nous voulions expliquer toutes les illusions auxquelles les miroirs d’air peuvent donner lien. Mais il est un genre de troubles de la vision dont nous ne pouvons nous empêcher de dire quelques mots. En effet, rien n’oblige, comme on a le tort de le croire, à supposer que ces miroirs soient nécessairement plans. Ils peuvent prendre une forme curviligne dans certaines circonstances particulière du refroidissement ou du réchauffement atmosphérique. Car ce phénomène se produit aussi bien dans un cas que dans l’autre. Ce qui le prouve surabondamment, ce sont les récits du capitaine baleinier Scoresby, dans son Tableau des régions arctiques.

Les mirages sont plus nombreux peut-être sous les pôles que dans l’équateur. La seule différence, c’est que le pouvoir réfringent de la couche perturbatrice, au lieu d’être produit par une augmentation de chaleur, est le résultat d’une contraction extraordinaire produite par le froid. Si on admet que le sable du Sahara produit une action positive, il faudra dire, que les glaces de la banquise produisent une action négative. Mais tous les raisonnements faits pour un cas conviendraient à l’autre en changeant les signes dans le sens qui convient. Si les miroirs d’air sont curvilignes, les images peuvent être déformées et amplifiées comme avec une lentille. On peut, avoir de véritables anamorphoses. Ces miroirs d’air doivent se produire souvent la nuit d’une façon irrégulière, quand il fait froid à terre et que le ciel est serein, ce qui arrive très-fréquemment. En effet, les ascensions aérostatiques prouvent qu’il fait généralement plus chaud à une certaine altitude. Ne serait-ce point par hasard ce mirage imparfait qui produirait le tremblotement ou la scintillation des étoiles et des planètes ? Si les étoiles scintillent presque toujours, même quand les planètes sont tranquilles, c’est sans doute, en admettant l’hypothèse que nous hasardons, que leur lumière traversant un nombre bien plus grand de matières diaphanes ne nous saurait arriver limpide, tranquille et pure. Il n’y aurait rien d’extraordinaire à admettre qu’elle éprouve une réfraction et un trouble particulier, en pénétrant dans notre monde solaire. Quoiqu’il en soit, on peut dire que la théorie physique des mirages est encore à faire, car on a oublié d’observer et l’on s’est borné à disserter à perte de vue sur les courbes qui peuvent le mieux représenter les trajectoires.

Avec un mélange d’eau froide et d’eau chaude, on pourra certainement produire des effets de mirage analogues à ceux qu’on obtient avec différents liquides diaphanes. Il suffirait, je pense, de chauffer l’eau par le haut, afin que les bulles n’en troublent pas la transparence.

Nous ne pouvons terminer cette revue sommaire sans protester contre deux erreurs des physiciens. La première, de beaucoup la moins grave, est de croire que les rayons lumineux suivent forcément une ligne régulière, mais, d’après ce qui précède, on peut voir qu’ils peuvent suivre une trajectoire quelconque comme le représente par exemple la figure 3, où le rayon lumineux est représenté par la ligne LMNR.
Fig. 3.
Cette trajectoire n’a rien pour la définir que les lois infiniment variables de la répartition dû la quantité d’humidité et de la quantité de chaleur. La seconde, beaucoup plus grave, c’est de s’imaginer qu’il y a dans les lois de la réfraction une sorte de compensation, telle qu’on n’est pas obligé de tenir compte de l’état hygrométrique de l’air, car, si la vapeur d’eau introduit un pouvoir réfringent plus grand, elle produit, d’autre part, une raréfaction de l’air ; cette chimérique compensation, imaginée par suite d’expériences incomplètes de Biot et d’Arago, est ruinée par les phénomènes de mirage. L’expérience suivante de Wollaston, qu’il est facile de répéter, ne laisse point de prise au plus léger doute. En faisant évaporer de l’eau sur une plaque de dix pieds de longueur, et en visant un objet éloigné lumineux, on voit un déplacement appréciable : l’image est relevée (Fig. 4).
Fig. 4. — Mirage artificiel de Wollaston.

Ces phénomènes se constatent mieux, en faisant évaporer de l’alcool et surtout de l’éther répandus sur une planche ou une plaque de verre de dimension moindre. En augmentant la rapidité de l’évaporation, on s’aperçoit facilement que la déviation augmente. Les images interverties, vues au-dessus de la mer à petite distance, n’ont point d’autre cause. C’est un phénomène analogue à celui qu’on produit artificiellement avec une petite quantité d’éther, et qui dans la nature demande un espace beaucoup plus grand, parce que la différence du pouvoir réfringent de la vapeur d’eau et de l’air est infiniment plus faible que celle de l’air et de l’éther vaporisé.

Nous terminerons en faisant remarquer que bien des fois, dans les opérations géodésiques, on a aperçu des changements dans le résultat des visées pour les points lointains. Nous avons même lu, quelque part, qu’on se proposait de tirer des conclusions météorologiques de ces déplacements des images. Nous serons heureux de voir qu’on donne suite à un projet si utile, non-seulement pour le progrès de la géodésie, mais encore pour celui de la physique elle-même, car les circonstances multiples dans lesquelles se produisent les mirages ne tarderont point à être élucidées.
W. de Fonvielle.


  1. Cette gravure est reproduite d’après un livre, très-rare et très-ancien, intitulé : Prodigiorum ac ostentorum chronicon, MDLVII dû à Lycosthène. Nous aurons l’occasion de parler très-prochainement de cet ancien ouvrage.