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religieuses se sont formées en haine de l’individualisme et par besoin d’abnégation personnelle et de dévouement. Mais si elles ont persisté, c’est parce que très vite s’est introduit chez elles et très fortement s’y est développé l’esprit de corps, c’est-à-dire orgueil collectif, esprit collectif de domination, esprit collectif d’ambition, etc. ; en un mot, un patriotisme de corporation. Dans ce cas, l’association subsiste comme la patrie subsiste, nullement par l’effet de l’amour, mais par l’effet d’un certain nombre de sentimens qui ne sont, comme le patriotisme, qu’un égoïsme élargi, épuré et ennobli.

L’histoire morale de l’humanité présente toujours, périodiquement, ce spectacle. Un homme se lève, profondément, passionnément pénétré de l’amour des hommes ; car je n’ai pas dit que ce sentiment n’existât jamais ; il convie les hommes à s’aimer ; s’il est un grand remueur d’âmes. s’il est persécuté et si les circonstances le favorisent, car il faut tout cela, il est écouté ; il fonde une religion ; cette religion enseigne l’amour et le sacrifice ; la plupart des hommes ne s’aiment et ne se sacrifient ni plus ni moins ; quelques-uns, plus émus de la parole du maître, fondent des institutions où l’amour et l’abnégation sont la règle et sont pratiqués ; mais ces institutions ne vivent qu’à la condition qu’à cet esprit d’amour s’ajoutent les mobiles, élevés encore, mais ordinaires, de l’activité humaine, et ces mobiles se ramènent tous en leur principe à l’instinct de lutte qui n’est pas précisément esprit d’amour. Si un jour, par miracle, l’humanité tout entière était une de ces institutions (ce qui est précisément ce que veulent nos rêveurs), l’esprit de lutte n’ayant plus de matière, l’institution n’aurait plus son principe vital, et périrait en quelques jours, et l’humanité redeviendrait ce qu’elle était auparavant. Le patriotisme, l’esprit de corporation, l’esprit de caste sont probablement les formes les plus pures où l’égoïsme, soutenu du reste par un certain contingent d’esprit d’amour, puisse s’élever. Passé cette limite, il retombe tout simplement sur lui-même.

La collectivité universelle est donc une pure chimère, comme le collectivisme national, qui n’est pas une chimère, est un leurre, parce qu’il produirait moins de travail utile que la concurrence. Surtout la collectivité universelle de Fourier est précisément chimérique parce que ce n’est pas même sur l’amour qu’il la fonde, mais sur un peu d’amour et beaucoup d’intérêt bien entendu, et que jamais l’homme ne met son intérêt dans un bonheur partagé, dans un bonheur sien, égal à celui des autres.

Telle est la nature humaine, et, comme je l’ai dit plus haut, il faudrait la changer ; et précisément il faut la changer. C’est