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Mémoire sur les végétaux qui pourroient suppléer en temps de disette à ceux que l'on employe communément à la nourriture des hommes
Knapen & Delaguette, libraires-imprimeur (p. 1-87).

MÉMOIRE


QUI a remporté le prix des Arts, au Jugement de l’Académie des Sciences, Belles-Lettres & Arts de Beſançon, ſur cette queſtion :


Indiquer les Végétaux qui pourroient ſuppléer en tems de diſette à ceux que l’on employe communément à la nourriture des hommes, & quelle en devroit être la préparation ? Par M. Parmentier, Apothicaire-Major de l’Hôtel Royal des Invalides.


De la cruelle faim le beſoin conſumant
Semble étouffer en nous tout autre ſentiment.

Volt. Henriade, chant X.


Entre les objets dont la philoſophie s’occupe, l’étude la plus propre à l’homme eſt celle de la conſervation de ſon eſpece ; les ſuccès en ce genre méritent un tribut plus flatteur que l’admiration, je veux dire la reconnoiſſance du genre humain. L’art des ſubſiſtances ſemble étendre l’œuvre de la création, en ouvrant de nouvelles ſources de vie, & en arrachant à la nature le ſecret de nous nourrir lorſqu’elles nous refuſe nos alimens ordinaires. Si la matiere des productions nutritives & leur économie eût été approfondie de tous les tems, comme elle l’eſt depuis quelques années, par le zele ſçavant qu’animent les Sociétés Académiques, que de maux n’auroit-on pas prévenus, que de biens n’en ſeroit-il pas réſulté ? Faut-il que le malheur nous avertiſſe ſi ſouvent de pourvoir aux beſoins du malheur ! Tranſportons-nous à ces époques déſaſtreuſes où les fléaux réunis ne ceſſent de frapper que pour laiſſer combler nos maux par la faim dévorante, nous frémiſſons comme hommes ; comme philoſophes, nous admirerons peut-être l’énergie de l’induſtrie néceſſiteuſe. Que d’efforts pour ſortir de l’abîme ! Quelques préjugés vaincus, quelques eſſais ſouvent plus funeſtes qu’utiles, quelques phantômes de ſuperſtition diſſipés, tel fut alors tout le fruit de l’induſtrie aux priſes avec la néceſſité. C’eſt à la ſcience à découvrir, & le beſoin cherchoit ſeul. La ſomme des maux fut bien plutôt groſſie que diminuée. Si dèſlors le génie éclairé eût été, pour ainſi dire, plus ſimple, plus communicatif, plus familier avec les premiers éléments de notre bonheur, oſons le dire, il auroit été plus bienfaiſant, il auroit ſauvé bien des Peuples.

Sans toucher à la gloire des Ariſtotes, des Deſcartes, des Newtons, & de leurs pareils, qu’au lieu de ſe tenir preſque toujours en quelque ſorte élevés au-deſſus de l’eſpèce humaine, ils fuſſent quelquefois deſcendus à la conſidération de nos premiers beſoins, que de biens n’euſſent-ils pas faits, quels droits n’euſſent-ils pas acquis à la reconnoiſſance de l’humanité ! Il eſt beau ſans doute d’éclairer les aſtres dans leur route, il eſt utile de découvrir & de monter les grands reſſorts de la nature ; mais il eſt plus utile encore de multiplier les reſſources de nos ſemblables, & il n’eſt pas moins beau de mériter le titre de leur bienfaiteur & de leur ſauveur. Le peuple affamé ne ſent que le prix du pain, & dans le père qui le lui donne tous les jours, il reconnoit le Dieu qui l’a créé.

Les circonſtances des tems, les diſpoſitions du génie, & autres cauſes, déterminerent ces grands hommes à des ſpéculations qui, juſtement admirées, ne paroiſſent avoir qu’une utilité fort éloignée aux yeux de ceux qui diſtinguent dans l’homme les beſoins réels des beſoins fictifs, & qui apprécient le bonheur du genre humain par l’abondance perpétuée des fruits propres à ſatiſfaire les premiers. Il étoit réſervé à notre ſiècle de s’occuper ſpécialement de ces recherches, peut-être helas ! parce que la néceſſité nous a obligés ou plus ſouvent ou d’une manière plus urgente à nous y livrer. Les Corps Académiques plus appliqués aujourd’hui aux objets d’utilité commune, les excitent par des récompenſes.

L’Académie de Beſançon, placée au milieu de provinces qui, ſans le ſecours de la Franche-Comté, ſeroient réduites à une continuelle détreſſe, & témoin de la diſette des trois dernières années, qui avoit forcé des Laboureurs & des Vignerons à ſe nourrir d’herbes pendant quelque tems, a ſenti plus que toute autre combien il étoit important de multiplier les reſſources alimentaires ; & pour remédier aux maux que la ſenſibilité de ſes membres avoient partagés, cette bienfaiſante ſociété a réſolu de propoſer la queſtion que je traite dans ce Mémoire.

Jaloux de concourir par mes travaux à des vues ſi reſpectables, mes premieres réflexions m’ont perſuadé que ſi le tems d’abondance n’étoit pas le plus favorable pour engager & déterminer à entreprendre les cultures nouvelles que le beſoin exigeroit, il avoit néanmoins ſur celui de La diſette, l’avantage de faciliter à ceux qui s’en occupent, le loiſir & les moyens néceſſaires pour ces eſſais. Il m’a paru qu’il s’agiſſoit moins d’indiquer des végétaux reconnus juſqu’ici pour pouvoir être ſubſtitués au bled, vulgairement regardé comme un aliment d’une néceſſité indiſpensable, que de rechercher les plantes ou leurs parties qui ne paſſent pas pour être alimentaires, & en même tems celles qui, dans l’opinion publique, ont des qualités nuiſibles. Il eſt donc néceſſaire de fixer la propriété nutritive de quelque ſubſtance végétale que ce ſoit, avant d’indiquer ſoit les nouvelles plantes dans leſquelles je crois avoir reconnu cette propriété, ſoit les moyens de débarraſſer ces plantes de ce qu’elles peuvent avoir de dangereux, & de leur donner les préparations convenables pour en faire des alimens. Cette diſtinction établit la diſtribution de mon Mémoire. Je commencerai d’abord par expoſer les expériences chymiques qui ſervent à caractériſer la ſubſtance alimentaire, Quelque part qu’elle ſe trouve dans le regne végétal ; ce qui formera la premiere partie ; dans la ſeconde que je diviſerai en deux ſections, j’indiquerai 1°. Les plantes qui n’ont pas la réputation d’être alimentaires & que j’ai néanmoins reconnues pour telles. 2°. Les moyens de les dépouiller de tout ce qui pourroit occaſionner des accidens à ceux qui voudroient s’en nourrir ſous forme d’alimens.


Première Partie.


Si l’on conſidere ce que les anciens Auteurs ont écrit ſur la matiere nutritive, on voit que pour s’être trop occupés de la manière dont elle exerçoit ſon effet dans l’eſtomach, ils ont négligé d’examiner de quelle manière elle exiſtoit dans les plantes, & ſi elle étoit indiquée par des ſignes caractériſtiques. En effet quoique cette matiere ſe trouve contenue en plus ou moins grande abondance dans toutes les parties des individus du regne végétal, nous n’avons encore rien de certain ſur ſa nature & ſur ſa maniere d’être dans les plantes.

Les uns paroiſſent s’être uniquement attachés à diſcuter de quelle façon la digeſtion s’opéroit, ſi c’étoit ou par le mouvement de trituration, ou par un mouvement de fermentation. Les autres ont tâché de trouver l’identité entre les principes de la nutrition & les ſubſtances animales. Quelques-uns plus vagues encore, ſe ſont amuſés à rechercher juſqu’à quel point les végétaux pouvoient être comparés aux animaux ; & leurs recherches ſe ſont portées ſur des ſubſtances trop éloignées ou ſur des nourritures dont l’uſage n’eſt pas général ; enfin pluſieurs ont fait réſider cette vertu nutritive dans les ſels acides & alkalis.

Que réſulte-t-il d’utile de la lecture de tous les Auteurs qui ont écrit ſur cette matiere, dès que leurs vues principales ſe tournent ſur le méchaniſme de la digeſtion, au ſecours duquel quelques-uns ont appelé des idées empruntées de la chymie ? Les Phyſiciens, les Anatomiſtes ont établi leur phyſiologie ſur la ſtructure tant de l’organe principal que de ceux qui cooperent à la fonction. D’autres ont eu recours à des calculs curieux mais très-équivoques pour expliquer la force immenſe qu’ils ſuppoſent au ventricule par rapport à ſes effets, tandis que ſon action nous paroît ſi douce. On n’a pas négligé d’interroger par l’analyſe chymique les ſucs ou menſtrues digeſtifs eux-mêmes, pour appuyer ſur leurs réſultats, les ſyſtèmes de la trituration ou de la fermentation, & toutes ſortes d’idées trop marquées de l’empreinte du laboratoire.

On eſt bien d’accord ſur les difficultés à oppoſer aux uns & aux autres ; on a bien cru reconnoître la nature du chyle ; on a bien entrevu un compoſé aqueux, glutineux, fibreux & huileux. Un Naturaliſte de nos jours, l’un des plus grands qui ayent exiſté, M. de Buffon, a tiré un grand parti de ce compoſé dans lequel il diſtingue ce que je ne fais pas difficulté d’appeler avec lui, molécules organiques. On a été ſur-tout frappé de voir qu’en battant enſemble une huile & de l’eau, il en réſulte une liqueur blanche : cette liqueur a fait illuſion ; on a bientôt cru avoir découvert la fabrication chyleuſe dans l’eſtomach. Une ſeule queſtion ſuffit pour renverſer ce ſyſtème : pourquoi & comment les herbivores & les carnivores ont-ils le même chyle, le même ſuc nourriſſant, les mêmes réſultats d’alimens ſi différens ?

Que le carnivore ſoit ou ne ſoit pas contre nature, il eſt certain que les animaux qui ne ſe nourriſſent que de végétaux, ſont plus nombreux que ceux qui dévorent de la chair. C’étoit donc à ces premiers qu’il falloit s’attacher uniquement, ou plutôt à l’eſpece de nourriture dont ils ſe contentent & qui leur réuſſit, pour y chercher la partie nutritive ; j’oſe croire que le nombre & la contrariété des opinions ſur la digeſtion n’euſſent jamais été portés au point où ils l’ont été, ſi l’on eût bien fait attention à la nature & à la quantité de parties vraiement nutritives contenues dans un grand nombre de plantes dont beaucoup d’animaux font leur ſeule nourriture.

Il eſt maintenant bien démontré que le mucilage différemment modifié eſt véritablement la ſubſtance nutritive, puiſque dès la naiſſance d’une plante ce mucilage paroît & ne l’abandonne que longtems après ſa deſtruction, quelque changement qu’il ſoit arrivé pendant l’époque de ſa durée : c’eſt ce qui ſera développé de plus en plus dans la ſuite de ce Mémoire.

M. Beccari, de l’Académie de Bologne, paroît avoir voulu fixer le premier les opinions ſur cet objet important. Ce ſçavant Médecin a découvert dans la farine de froment deux ſubſtances bien diſtinctes, la premiere qu’il déſigne ſous le nom de matiere animale ou glutineuſe, la ſeconde qu’il appelle amilacée ou pâte végétale. Cette obſervation confirmée par les plus ſçavans Chymiſtes de l’Europe, ne laiſſe plus aucun doute ſur ſa réalité. Cependant je n’ai pu me défendre d’un ſoupçon à ce ſujet. Si la partie glutineuſe ou animale de M. Beccari, me ſuis-je dit, eſt vraiment, comme il le penſe, la matière nutritive du bled, pourquoi ne ſe retrouve-t’elle pas également dans les autres graines qui nourriſſent à peu près de la même manière ? Ce ſoupçon ſe fortifiant de plus en plus, j’ai pris la réſolution d’examiner auſſi de mon côté cette matière glutineuſe, & voici quels ont été les réſultats de mes expériences.

J’ai pris deux livres de farine de froment dont j’ai fait une pâte avec ſuffiſante quantité d’eau. Après avoir manié longtems cette pâte, je l’ai expoſée ſous le robinet d’une fontaine d’où l’eau ne ſortit que goutte à goutte, en moins d’une demie-heure, il m’eſt reſté entre les mains une maſſe glutineuſe & tenace, ayant une odeur approchant de celle du maſtic des Vitriers. Frottée dans l’eau, elle la troubloit & dépoſoit, à chaque fois, des parcelles de ſon qu’on diſtinguoit ſenſiblement à la ſurface. Au bout de quelque tems, elle ne parut plus empêcher la tranſparence de l’eau ; & dans cet état, elle étoit élaſtique, d’une conſiſtance plus ſolide, jaunâtre, & n’adhérant nullement aux corps mouillés : elle peſoit ſix onces.

L’eau qui avoit été employée à ſéparer le matière glutineuſe de la farine de froment, demeura, pendant quelque tems, laiteuſe ; mais elle s’éclaircit inſenſiblement en déposant d’abord à la partie inférieure un ſédiment blanc, ſemblable à un véritable amidon, & une autre ſubſtance amilacée, encore engagée dans un mucilage.

Comme je n’avois pas aſſez de matiere élaſtique pour la ſoumettre à quelques eſſais, le hasard fit qu’au lieu de me ſervir de la même farine, j’en pris une autre qui étoit moins blanche & avec laquelle on fait le pain de munitions pour les Soldats. Cette farine traitée de la même manière & en même quantité, me donna trois onces de ſubſtance glutineuſe de plus que la premiere ; & l’expérience répétée à différentes fois ſur l’une & ſur l’autre farines m’a toujours préſenté la même différence en poids. Je me ſuis rappelé à cette occaſion ce que dit M. Model, ſçavant chymiſte de Pétersbourg, dans une excellente Diſſertation ſur l’Ergot,[1] ſçavoir que la ſubſtance glutineuſe trouvée dans le bled par M. Beccari, eſt due au ſon ou à la partie corticale que la nature a pourvu d’une plus grande quantité de parties huileuſes afin qu’elle ſe conſerve plus long tems & réſiſte davantage aux impreſſions de l’atmoſphere. J’ai voulu voir en conſéquence ſi plus une farine contiendroit de ſon, plus elle fourniroit de matiere élaſtique.

J’ai pris une livre de chacune des quatre farines connues dans la boulangerie ſous les noms de farine blanche, bis-blanche, gruau blanc, gros gruau, ou gruau bis. Je les ai traitées ſéparément & ſuivant la méthode indiquée ci-deſſus. La quantité de matiere glutineuſe qur j’ai obtenue a toujours été relative à la couleur de la farine, en ſorte que la plus biſe m’en a donné près de dix onces par livre tandis que la plus blanche au contraire en avoit à peine trois onces.

Il réſulteroit d’après l’idée qu’on s’eſt formée de cette matiere glutineuſe que le pain le plus bis, c’eſt-à-dire celui qui contiendroit une plus grande quantité de ſon, devroit être le plus nourriſſant : or c’eſt tout le contraire, car on ſçait que le pain bis nourrit beaucoup moins que le blanc dont la couleur eſt due à l’amidon privé de plus de ſon qu’il eſt poſſible.

La confuſion des idées ſur l’eſpece de pain la plus nourriſſante, provient de ce qu’on ne diſtingue pas aſſez la véritable ſatiété qui réſulte de la quantité alimentaire de la fauſſe ſatiété dépendante du volume de nourriture. Le pain bis rassaſie ſans beaucoup nourrir, parce qu’il eſt plus compact & remplit ou ſemble remplir davantage l’eſtomach : le pain blanc au contraire nourrit ſans raſſaſier, parce qu’il contient une plus grande quantité de matiere nutritive. Mais continuons l’examen de notre matiere élaſtique.

J’ai mis une livre de ſubſtance glutineuſe ſur pluſieurs aſſiettes que j’ai expoſées à une chaleur très-modérée : elle s’eſt d’abord applatie, puis tuméfiée, enfin s’eſt deſſéchée dans l’eſpace de trois jours, au point d’être caſſante, ayant la figure à peu près d’une corne tranſparente. Dans cet état elle avoit perdu les deux tiers de ſon poids & plus. Je l’ai pulvériſée, & à l’aide d’un peu d’eau & de la trituration, elle a repris la forme glutineuſe & élaſtique, ſa couleur & ſon premier poids, ce qui doit faire préſumer que cette ſubſtance ne ſe trouve dans la farine que ſous la forme ſèche & pulvérulente plus ou moins fine ; puiſque la quantité en eſt plus conſidérable dans les dernières bluteries : ainſi une livre de la meilleure farine contient à peine une once de la matiere regardée comme la partie nutritive.

La propriété que la matiere glutineuſe a de ne ſe diſſoudre que dans les acides végétaux huileux, la forme ſpongieuſe qu’elle prend dans l’eau lorſqu’elle y a bouilli un moment, ſon analogie prétendue avec la lymphe animale, ſont vraiſemblablement les cauſes qui ont déterminé à regarder cette ſubſtance comme la partie nutritive du bled. Une autre raison plus ſpécieuſe encore, c’eſt la ſimilitude de ſes produits par l’analyſe à la cornue avec ceux des animaux. Mais le ſon offre cette ſingularité, comme je m’en ſuis aſſuré plus d’une fois, et outre cela tous les Chymiſtes ſçavent que beaucoup de ſubſtances végétales qui ont beſoin d’un grand feu pour opérer leur décompoſition, fourniſſent des produits ſemblables à ceux des animaux ſans qu’on puiſſe dire que ces végétaux ſoient nutritifs.

Il eſt encore aiſé de juger par ces rapports, ſi l’on eſt fondé à regarder la matiere élaſtique comme la partie nutritive du bled, en conſidérant qu’elle s’y trouve en petite quantité & excluſivement à toutes les autres ſemences farineuſes excepté l’épautre, & que ſon analyſe n’a rien qui lui ſoit particulier. Je ne diſcuterai pas ici de quelle utilité eſt réellement cette matiere élaſtique dans le froment, puiſqu’elle n’eſt pas nutritive, il me ſuffit maintenant d’examiner ſi l’autre partie de la farine, je veux dire l’amidon, ne ſeroit pas la ſubſtance douée de la propriété nourriſſante.

J’ai dit plus haut que l’eau avec laquelle on ſéparoit la matiere glutineuſe de la farine de froment demeuroit quelque tems laiteuſe, mais qu’elle laiſſoit d’abord précipiter une ſubſtance très-blanche ſemblable à un véritable amidon, enſuite une autre ſubſtance amilacée engagée encore dans un mucilage fermenteſcible. Cette eau chargée de ces deux ſubſtances, ne paroît pas éprouver d’altération pendant pluſieurs jours ; ce n’eſt qu’au bout d’une ſemaine qu’elle exhale une odeur aigre comme celle du levain.

J’ai eſſayé de faire différens pains avec de l’amidon, en y joignant la doſe de levain ordinaire ; ils étoient d’un blanc mat, très-peſants, & n’avoient point de ſaveur : mais un peu de mucilage fermenteſcible faiſoit lever les pains qui alors avoient bon goût : c’eſt ce mucilage que l’art de l’Amidonier travaille à détruire en faiſant ſubir au bled un mouvement de fermentation.

Comme la ſubſtance amilacée ſe trouve ailleurs que dans les graminés & les légumineux, j’ai voulu ſçavoir d’abord ſi elle exiſtoit dans les racines qui paſſent pour être très-alimentaires ; enſuite en quelle proportion elle s’y trouvoit ; & enfin ſi ſa nature étoit la même que celle de l’amidon de bled. En conſéquence j’ai pris pour eſſai les pommes de terre : j’en ai diviſé vingt livres à l’aide d’une rape de fer blanc, & j’en ai enfermé la pulpe dans un ſac de toile ſerré pour les ſoumettre à la preſſe. Le ſuc qui en eſt ſorti étoit trouble, brun, un peu mucilagineux. Le marc avoit perdu la moitié de ſon poids : je l’ai délayé dans l’eau en le frottant avec les mains ; l’eau ſt devenue bientôt laiteuſe. Je l’ai paſſée à travers un tamis dans une terrine remplie à moitié d‘eau, & j’ai obtenu par le repos & par la décantation, une fécule d’abord un peu griſe, mais qui étant deſſéchée à une très-douce chaleur, eſt devenue très-blanche ; elle peſoit près de trois livres.

Cette fécule & l’amidon ayant été ſoumis à la diſtillation à feu nud dans de petites cornues ſur un même fourneau, ne m’ont préſenté aucune différence dans les produits ; ils ont fourni l’un & l’autre peu de phlegme, beaucoup d’acide, & une huile tenace & très-noire : leur réſidu incinéré & leſſivé a donné des ſignes d’alkalinicité.

L’odeur de caramel, la conſiſtance de l’huile, la couleur noire & luiſante de l’intérieur des vaiſſeaux dans leſquels on diſtille l’amidon, paroiſſent être autant de caractères chymiques auxquels on reconnoîtra la préſence de la matiere nourriſſante que je cherche : or ces ſignes ſe ſont manifeſtés dans la diſtillation des deux ſubſtances dont je viens de parler. J’ai fait beaucoup d’autres expériences pour m’aſſurer de l’identité de la fécule de pomme de terre avec l’amidon, & j’ai toujours reconnu qu’elle lui reſſembloit entierement. Elle en a la blancheur, la fineſſe & le toucher ; elle ſe diſſout dans l’eau bouillante & prend en refroidiſſant une forme gélatineuſe appelée vulgairement empois. J’en ai fait des pains qui étoient même mieux levés que ceux d’amidon à cauſe d’une petite partie de mucilage ſurabondant qui n’avait pas été expoſé à la fermentation.

J’ai auſſi examiné les autres parties conſtituantes des pommes de terre, c’eſt à-dire le ſuc & la partie fibreuſe de ces racines, & je n’y ai rien reconnu qui eut l’apparence de la matiere de Beccari. Les phénomenes de la digeſtion font voir qu’il y a dans les alimens tirés du regne végétal ou du regne animal, deux ſubſtances, l’une mucilagineuſe qui eſt vraiment la partie nutritive, & l’autre un paranchyme fibreux qui ne nourrit pas ; dont le tiſſu n’eſt que groſſièrement diviſé par la maſtication & par la force méchanique des organes digeſtifs, & qui fournit la matiere principale des excrémens.

La ſubſtance amilacée déſignée par tous les Pharmacologiſtes ſous le nom de fécule, a été regardée longtems comme un médicament auquel on attribuait les vertus des plantes d’où on les tiroit. Zwelpher eſt le premier qui ait démontré qu’on étoit dans l’erreur. Ces matieres, ſelon lui, ſont épuiſées de ſuc, & par conſéquent trop inſipides pour être de quelqu’efficacité : mais parce qu’elles ne ſont pas médicinales, parce qu’on leur a enlevé la ſaveur âcre & vénéneuſe par des lotions réitérées, doivent-elles être de toute inutilité ? Il eſt certain qu’un des caractères eſſentiels à la ſubſtance alimentaire, c’eſt préciſément d’être dépouillée de toute qualité médicamenteuſe ; ces deux propriétés étant réellement contradictoires. Dans la crainte qu’on ne m’accuſe de confondre la fécule des végétaux avec leur feces déſignés quelquefois ſous cette dénomination, leſquels ſe ſéparent des ſucs exprimés des plantes lorſqu’on les clarifie, je dois avertir que ces dernieres étant la partie colorante verte, ont non-ſeulement de la couleur & de la ſaveur, au lieu que la fécule eſt inſipide, inodore & toujours d’un blanc mat.

L’amidon paroît être une gomme particulière que l’eſprit de vin, l’acide du vinaigre & l’eau ne diſſolvent point à froid : il contient moins d’eau que les gommes ordinaires, mais plus d’acide, lequel eſt aſſez combiné pour n’être pas ſenſible, ce qui fait que cette matiere n’a jamais beaucoup de ſaveur, qu’elle n’eſt ſoluble que dans l’eau bouillante, & n’attire pas l’humidité de l’air.

Cette gomme particulière ſe trouve plus ou moins abondamment dans les vegétaux farineux qui ont la réputation d’être nourriſſans. Dans les uns cette ſubſtance eſt libre en partie ou en totalité comme dans les graminés & dans les pommes de terre ; dans les autres elle tient fortement à un ſuc viſqueux comme dans les marrons d’Inde, le magnoc & la brione ; & l’on ne peut l’avoir qu’au préalable on n’ait épuiſé de leurs ſucs les parties qui les contiennent. Par la coction une partie de ce ſuc ſe volatiliſe & l’autre ſe combine avec l’amidon ou la matiere gommeuſe. Les racines ou les fruits deviennent par conſéquent plus doux, plus agréables, ſans prétendre que dans tous les cas ce ſuc ceſſe d’être nuiſible à la propriété alimentaire de l’amidon, & qu’il ne conſerve encore de l’acrimonie par rapport à ſon intenſité.

La nature nous offre la ſubſtance amilacée dans une foule innombrable de plantes, les tiges & les racines de certains arbriſſeaux, les écorces, les troncs & les rameaux de différens arbres, font une grande partie de la nourriture des hommes & des animaux. L’on ne peut diſconvenir que la ſubſtance vraiment alimentaire de ces végétaux ne ſoit dûe à l’amidon qui en fait la portion la plus conſidérable. Mais il exiſte des végétaux évidemment connus pour nutritifs, dans leſquels on ne voit ni partie élaſtique, ni partie amilacée. Cette qualité tient à un ſuc ſucré, fermenteſcible dont les fruits, & particulièrement ceux qu’on appelle bayes, ſe trouvent remplis ; & l’on ne peut pas nier qu’ils ne ſoient nourriſſans. On rencontre encore cette ſubſtance ſucrée & mucide dans les bulbes à écailles & dans certaines racines potageres qui ſont toujours humides, comme les bettes, &c.

Examinons ces deux ſubſtances & voyons enſuite ſi elles ſont différentes de la partie amilacée ou ſi l’amidon n’en ſoit pas le réſultat.

Les ſucs ſucrés des fruits & des bayes évaporés à une douce chaleur, ſe convertiſſent en une gelée plus ou moins ſavoureuſe & colorée, qui attire l’humidité de l’air & ſe diſſout aiſément dans l’eau, à peu près comme l’amidon lorſqu’il eſt dans l’état d’empois. Les ſucs des fruits perdent la propriété de ſe convertir en gelée, lorſqu’ils ſubiſſent un mouvement de fermentation : ils prennent alors une odeur vineuſe & une toute autre ſaveur.

La diſtillation de la gelée végétale à la cornue préſente les mêmes phénomènes que l’amidon avec cette différence néanmoins que le produit phlegmatique eſt infiniment plus grand ; lorſqu’on fait cuire les fruits, cette gelée ſe combine avec les pulpes, comme l’amidon avec le mucilage & la partie fibreuſe dans certaines racines, & il rend les fruits moins âpres & plus doux.

La ſeconde forme ſous laquelle on retrouve la ſubſtance nutritive, conſervant encore ſon état mucilagineux paroît être dans les oignons & dans les racines ſucrées : c’eſt dans ces parties des plantes que ce mucilage s’élabore & qu’il acquiert l’état mucide & ſucré que nous lui connoiſſons. Il tient dans ces racines à la ſubſtance pulpeuſe & ne s’extrait qu’à la faveur du pilon & d’un peu d’eau. Le ſuc qu’il fournit, évaporé juſqu’à ſiccité, attire promptement l’humidité de l’air, & s’y réſout. Son analyſe à la cornue donne moins de phlegme, il eſt vrai, que la gelée de fruits, mais plus que l’amidon : du reſte les produits ſont les mêmes.

Il paroît évident que les différens mucilages dont je viens de parler, ſont non-ſeulement nourriſſans, mais qu’ils peuvent encore donner des boiſſons d’autant plus analogues à notre conſtitution, que dans l’hiſtoire des conquêtes du nouveau monde, on voit avec ſurpriſe que le premier deſir des ſauvages nouvellement découverts, a toujours été pour des boiſſons vineuſes.

Exiſte-t’il donc pluſieurs matieres auxquelles on puiſſe attribuer la qualité nutritive dans les végétaux ? Les ſucs gélatineux des fruits, la ſubſtance ſucrée & mucide des racines, & l’amidon, ſeroient-ils trois matieres différentes ? Oui, ſans doute, dans l’état où on les employe ; mais ſi l’on n’a jamais goûté dans leurs différens états, depuis leur développement juſqu’à leur parfaite matûrité, les ſubſtances farineuſes ou légumineuſes, en un mot toutes les parties des plantes dont on peut retirer de l’amidon, on reconnoîtra bien que dans le tems où elles ſont le plus ſucculentes, où elles paroiſſent avoir pris toute leur extenſion, & n’avoir plus beſoin que de la derniere élaboration qui les rendra farineuſes ; dans cet inſtant-là, dis-je, toutes ces ſubſtances ſont ſucrées & muqueuſes : il faut donc en conclure que l’amidon qui en réſulte n’eſt compoſé que de parties ſapides que la matûrité a combinées au point de faire diſparoître, pour un certain tems, leur ſaveur. En effet, lorſque l’on développe l’amidon par le moyen connu pour en faire du pain, ou même dans certains cas par la coction, cette eſpece de ſaveur ſucrée ſe développe un peu.

Mais, dira t’on, pourquoi les ſucs ſucrés des fruits ne fourniſſent-ils point d’amidon, & pourquoi, par une marche oppoſée, commencent-ils par prendre un goût acerbe avant leur maturité ? C’eſt, ſi l’on me permet cette réponſe, que les fruits ne ſont pas deſtinés par la nature à acquérir la ſolidité des grains, ils doivent leur maturité à une certaine quantité d’eau qui gâteroit bientôt les ſemences, ſi elles en avoient la même abondance. Auſſi remarque-t’on que les fruits ne peuvent ſe garder long-tems ſans beaucoup de précautions. Comme cette abondante quantité d’eau leur manque dans le commencement de leur fructification, ces ſubſtances ſapides ſe trouvent & moins élaborées & plus auſteres. Cette marche inverſe entre les fruits & les ſubſtances à amidon, ſert-elle-même d’appui à ce que je diſois ſur le développement de l’amidon par la coction. Ce que ces Boulangers font en introduiſant une quantité donnée d’eau pour en faire fermenter la pâte, la nature l’exécute en fourniſſant aux fruits plus grande abondance d’eau, ce qui les atténue & les développe davantage, à l’aide du mouvement inteſtin que les fruits ne peuvent pas manquer d’éprouver, ne fut-ce qu’en prenant plus de volume.

Réſumons. La matiere nutritive ne paroît donc pas être la ſubſtance glutineuſes de Beccari puiſqu’elle ne jouit d’aucune des propriétés que nous avons remarquées dans l’amidon & dans les autres mucilages qui viennent de nous occuper. Ce ſont encore moins les ſels acides alkalis des anciens Phyſiologiſtes. C’eſt le corps mixte mucilagineux & ſapide reconnu dans tous les végétaux, que quelques chymiſtes modernes ont appelé le corps muqueux par excellence ; & il paroît parce que nous avons dit, que ce corps muqueux eſt nutritif en raiſon de ſa ſapidité : or il doit cette ſapidité à la préſence d’un ſel qu’on a coutume d’appeler ſel ſucré, lequel eſt néanmoins ſi peu la cauſe unique de cette nutrition, qu’il jouit d’autant moins de cette propriété qu’il eſt plus dégagé de tout autre ſel. Quant au mucilage inſipide, il ne fait qu’empâter, & rien n’en détermine la digeſtion ; mais la combinaiſon de l’une & de l’autre diverſement proportionnée, plus ou moins exacte, plus ou moins dégagée des autres matieres fibreuſes ou pulpeuſes des végétaux, cette combinaiſon, dis-je, détermine les variétés ſans nombre qu’on remarque dans les végétaux conſidérés comme alimens.

La nature ſemble avoir aſſigné l’uſage que nous devons faire de ſes bienfaits toujours infinis, en donnant aux plantes deſtinées à nos beſoins, des propriétés capables de les ſatiſfaire. Tous les fruits qui contiennent beaucoup d’humide paroiſſent être formés pour nous donner des boiſſons ; les ſemences farineuſes au contraire, qui ſont dans l’état ſec, pour être converties en pain, & les racines ſucrées dont l’état humide tient le milieu entre ces deux eſpeces, pour être mangées ſans autre préparation que la coction.

Les végétaux ſont, comme l’on ſçait, les ſeules ſubſtances dont on puiſſe faire du pain & des boiſſons : mais la portion propre à ces uſages, quoique de même origine, paroît réſider, ſuivant cette diverſité d’eſpeces, dans différentes parties & ſous des formes variées. Dans les fruits, la partie nutritive ſe trouve fluide & ſa ſaveur alors eſt exquiſe : dans les cannes à ſucre, elle eſt moins fluide ; elle conſerve l’état mucilagineux & ſucré dans les bulbes à écailles, & dans quelques racines ; enfin on la trouve ſous une forme demi-ſolide & même ſeche dans les graminés & les légumineux, dans les tiges de quelques arbres, comme des différens palmiers qui contiennent une moëlle avec laquelle on prépare le ſagou, & dans les magnocs dont ſe nourriſſent les Peuples de l’Amérique. Mais c’eſt toujours la même ſubſtance différemment modifiée ; nous la retrouvons encore dans les animaux ſous l’état gélatineux, ayant ſouffert, il eft vrai, beaucoup d’altération. Quant au regne minéral il en paroît dépourvu, quoique pluſieurs Voyageurs dignes de foi, rapportent qu’il y a des contrées où l’on mange avec de l’eau des terres argilleuſes & crétacées. Les Anciens même, dit-on, faiſoient entrer de la terre dans la compoſition de quelques alimens auxquels ils donnoient différens noms. Sans m’arrêter à diſcuter s’il y a en effet quelque terre capable de nourrir ou ſi elle ne fait que remplir l’eſtomach & ſervir, pour ainſi dire de leſt, ainſi qu’on l’a avancé, il ſuffira de ſe rappeler que dans les tems de diſette, des malheureux preſſés par la faim firent uſage d’une terre marneuſe connue ſous le nom de lac lunæ ſolare, & que ces tentatives inſpirées par le déſeſpoir, eurent des effets terribles dont le détail feroit frémir la nature.



SECONDE PARTIE.


Première Section.


Je m’éloignerois de la queſtion propoſée, ſi je m’arrêtois plus long-tems ſur la matiere nutritive des végétaux & des animaux. Il s’agiſſoit d’ajouter quelques végétaux à la maſſe des alimens connus ; je me ſerois borné à en faire la deſcription, ſi leur partie nutritive eût été, ſans conteſtation, reconnue par les Economiſtes. Mais comme ce point important n’étoit pas décidé & que je ne pouvois démontrer la vertu nutritive de ces végétaux particuliers qu’en prouvant qu’ils contiennent une ſubſtance analogue à celle des autres végétaux reconnus pour être alimentaires, il m’a paru eſſentiel de déterminer préalablement quelle étoit cette ſubſtance : ainſi loin que ma premiere partie ſoit un hors d’œuvre, je préſume que l’Académie voudra bien la regarder comme une diſcuſſion fondamentale & approuver cette extenſion de recherches qu’elle ne peut manquer ſans doute d’avoir ſuppoſée.

L’aliment principal de l’homme, celui qui fait la baſe de la nourriture de tous les peuples de la terre, eſt farineux ; & l’on ne peut diſconvenir que cet état farineux ne ſoit dû à l’amidon qui en fait preſque toujours la portion la plus conſidérable ; il eſt même certain que tout végétal privé de cette ſubſtance, ne paroît nullement propre à être converti en pain ou en bouillie, ſeules formes ſous leſquelles on ſoit dans l’habitude de s’en ſervir comme aliment, depuis les premiers âges du monde. Quant aux fruits des végétaux, il y a lieu de croire que leur premier uſage a plutôt eu pour objet d’étancher agréablement la ſoif & de ſe rafraîchir, que de ſervir à aſſouvir la faim : d’ailleurs ils n’ont qu’une ſaiſon, & l’on n’apperçoit pas qu’étant deſſéchés, ils forment une ſubſtance bien nourriſſante. C’eſt donc parmi les plantes contenant de l’amidon qu’il faut chercher des reſſources pour ſuppléer à la diſette des grains & des autres ſubſtances alimentaires dont l’uſage eſt le plus ordinaire & ſera toujours préférable.

Je propoſerai le Marron d’Inde, le Gland, les racines de Bryone, de Flambe ou Iris, de Glayeul, de Colchique, de Pied-de-veau, de Serpentaire, de petite Chélidoine, de Filipendule, la ſemence de la Nielle des bleds, les racines d’Ellébore à feuilles d’Aconit, de Fumeterre bulbeuſe, de Mandragore & de Chiendent.

Le Marronnier d’Inde, hippocastanum vulgare I. R. H., eſt un arbre à fleurs en roſe, qui n’a guère ſervi juſqu’à préſent qu’à faire l’ornement de nos allées & de nos jardins, à cauſe de l’épaiſſeur & de l’agrément de ſon ombrage. L’époque de ſa culture en France n’eſt pas encore bien ancienne ; nous le voyons par une eſpece d’épitaphe écrite dans le Cabinet du Jardin du Roi, ſur une coupe tranſversale du ſecond des marronniers d’Inde cultivés dans notre pays ; il fut planté en 1656 ; il eſt mort en 1767.

De bons Patriotes ſe ſont exercé ſur le marronnier d’Inde pour tâcher de le rendre, s’il étoit poſſible, auſſi utile qu’il eſt agréable. Ils ont vu ſon fruit ou ſa ſemence dont la récolte eſt aſſez conſtamment ſûre & abondante, relégué parmi les choſes inutiles à raiſon de ſon inſupportable amertume : que d’eſſais n’a-t’on pas tentés pour l’en dépouiller ? Chacun a publié ſon procédé. M. le Préſident Bon, entr’autres, propoſe dans les Mémoires de l’Académie Royale des Sciences de Paris, année 1720, de faire macérer, à pluſieurs repriſes, les marrons d’Inde, dans des leſſives alkalines, & de les faire bouillir enſuite pour en former une eſpece de pâte qu’on puiſſe donner à manger à la volaille. Il paroît que les marrons dans cet état, ne ſont pas une nourriture ſaine, puiſque juſqu’à aujourd’hui, la propoſition eſt demeurée ſans exécution. D’autres croyant impoſſible d’enlever l’amertume de ce fruit pour en faire un aliment, ſe ſont efforcés de l’appliquer à d’autres uſages économiques.

On a cherché à tirer du marron d’Inde une poudre à poudrer, en le faiſant ſécher & réduire en poudre : nous verrons bientôt qu’on n’a pas été loin de toucher à ce but. Un Cordonnier a préparé, avec cette poudre, une colle qu’il a exaltée comme très utile au Papetier, au Tablettier & au Relieur. Malgré le défaut de ſuccès mérité ou non, on doit toujours s’empreſſer d’accueillir les moyens d’épargner les grains dont l’emploi devroit être reſtreint à la ſeule nourriture de l’homme. On a encore fait avec les marrons d’Inde Des bougies que l’on a d’abord beaucoup vantées : ces bougies prétendues ſupérieures, n’étoient que le ſuif de mouton bien dépuré par la ſubſtance amilacée du marron qui les rendoit plus ſolides par la partie aſtringente & amere. Mais ce travail occaſionnoit, ſur le ſuif, un déchet de plus de moitié, ainſi le prix qu’elles coûtoient les a bientôt fait abandonner.

Dans un ouvrage Allemand qui a pour titre, l’Art de s’enrichir par l’Agriculture, l’Auteur propoſe de faire macérer les marrons rapés dans de l’eau, avec laquelle on lave enſuite & l’on blanchit, dit-il, les étoffes de laine.

Les marrons d’Inde ſont employés en fumigation & comme ſternutatoires. On prétend que, pris intérieurement ils arrêtent le flux de ſang : les maréchaux s’en ſervent pour leurs chevaux pouſſifs. J’ai vu un Soldat invalide épileptique, manger des marrons d’Inde dont l’uſage, à ce qu’il m’aſſura, avoit éloigné ſenſiblement les accès de ſon mal. Une Religieuſe de l’Hôtel-Dieu de Paris, a été auſſi témoin des bons effets du marron d’Inde dans l’affection épileptique ; elle convient, à la vérité, que ce remède n’a pas eu une réuſſite égale ſur tout ceux à qui elle l’a adminiſtré.

Malgré toutes ces tentatives, on n’a encore découvert, reconnu, apperçu, dans le marron d’Inde, aucune propriété capable de le faire adopter pour des uſages conſtans & familiers : cependant il eſt certain qu’on peut facilement retirer de ce fruit, une nourriture ſaine, ſans amertume, & analogue à certains pains, comme je le dirai plus bas.

Le Chêne, Quercus C B Pin ; eſt un arbre à chatons dont a tiré un meilleur parti pour pluſieurs uſages économiques. Ses fruits peuvent encore ſervir à la nourriture des hommes ; ils ont été celle de nos premiers Peres, ſuivant le rapport des Hiſtoriens de l’antiquité qui en ont vanté l’uſage & le goût. Mais il y a grande apparence que les glands dont ils parlent, n’étoient nullement ceux qui croiſſent dans nos forêts, leſquels ont une ſaveur amere & auſtere. Si ceux que l’on ſert ſur la table des habitans des Provinces méridionales, comme l’on ſert ici des châtaignes, leur reſſembloient, il ſeroit difficile de les manger ſans aucune préparation.

On fait avec les glands, du pain dont on ſe nourrit dans quelques contrées de l’Afrique & de l’Amérique. On y eut recours en France en 1709, & quoique d’un goût déſagréable, la conſommation ne laiſſa pas que d’en être conſidérable dans pluſieurs provinces.

On a encore préparé du pain de glands en Veſtphalie durant les dernières guerres, & voici comment on s’y prenoit. Après avoir fait bouillir les glands pour les éplucher, on les faiſoit ſécher & enſuite réduire en farine ; avec cette farine on préparoit le pain. Mais je doute que cette préparation fut ſuffiſante pour enlever aux glands toute leur âpreté. Un Citoyen de Vienne en Autriche a propoſé de nouveau ce procédé, mais en ajoutant à la farine de glands celle de froment & de ſeigle dans la proportion de trois parties de celles-ci contre une de la premiere. Cet Auteur aſſure que les pains qui en réſultent ſont ſavoureux & très nourriſſans.

Il y a autant de ſortes de glands qu’il y a de différentes ſortes de chênes ; quelques Botaniſtes en comptent plus de quarante inconnues aux cultivateurs ordinaires.

Le chêne eſt utile dans toutes ſes parties. Son écorce, ſon aubier ſes feuilles, ſon fruit, les galles qu’y font naître des inſectes, la champignon appelé agaric de chêne, certains inſectes colorés qu’on y rencontre, ſont autant de dons précieux que cet arbre prodigue. Il y en a peu par conſéquent d’auſſi utiles, j’oſe ajouter d’auſſi reſpectables. Faut-il s’étonner ſi nos anciens Gaulois avoient tant de vénération pour leurs Prêtres, auxquels le chêne doué de tant d’avantages ſervoit d’aſile, de temple & de ſymbole !

Les glands ſont employés en médecine comme aſtringens : on les faiſoit prendre autrefois aux femmes nouvellement accouchées pour apaiſer leurs coliques. Les bêtes fauves & les cochons les dévorent avec avidité.

La Bryone, coleuvrée ou vigne blanche, bryona aſpera ſive alba, baccis rubris. C. B. Pin. Eſt un genre de plante dont les fleurs ſont diſpoſées en baſſin. Elle pouſſe des tiges menues qui ſerpentent & ſe replient. Ses feuilles reſſemblent un peu à celles de la vigne, quant à la forme ſeulement, car elles ſont beaucoup plus petites, plus blanches & plus velues. Sa racine eſt grosse & charnue, jaune en dehors & blanche en dedans, ayant une odeur très-fétide, & contenant un ſuc très-âcre qui purge violemment & avec lequel Arnaud de Villeneuve & Mathiole aſſurent avoir guéri des épileptiques. Ray obſerve que la pulpe de cette racine appliquée en cataplaſme ſur les parties affligées de la goute, leur procure du ſoulagement. On dit encore que ce cataplaſme fond les loupes & les tumeurs ſcrophuleuſes : toutes les pharmacopées font auſſi mention d’une ſécale que l’on retire de la racine de bryone, & dont les vertus en médecine ſont regardées maintenant comme très-équivoques. M. Morand, le Médecin, compare avec quelque vraiſemblance, la bryone ou du moins ſa racine avec celle du magnoc dont les Sauvages des Antilles & tous les Habitans des Indes Occidentales, font leur nourriture ordinaire.

La bryone croît par-tout ſans culture ; elle ſe plait dans les hayes, dans les vignes, & ſouvent dans les bois. Quelque multipliées qu’en ſoient les eſpeces dont je ne décris ici que la plus commune, celles que j’ai pu examiner, avoient une reſſemblance trop frappante & trop relative à l’objet que je traite, pour ne pas éviter de plus longs détails.

La Flambe, iris vulgaris germanica, ſive ſylveſtris. C. B. Pin. Ce genre de plante eſt de la grande famille des Lyliacées. Ses feuilles ſont larges d’un pouce, longues de plus de deux pieds : ſes fleurs ſont de pluſieurs couleurs & reſſemblent à l’arc-en-ciel, ce qui leur a fait donner le nom d’Iris. On extrait de cette fleur une pâte verte qu’on appelle verd d’Iris & qui ſert pour peindre en miniature.

La racine de la flambe, dit M. Adanſon, eſt un tubercule rond, charnu, qui, quoiqu’enveloppé de feuilles formant autour d’elles autant de gaines diſpoſées par étages, doit être regardée comme une racine traçante mais fort raccourcie, puiſqu’elle ſe reproduit, ainſi que toutes les racines traçantes par ſa partie ſupérieure au moyen d’un tubercule qui ſe forme au-deſſus dès qu’il commence à ſe produire ; ce qui le diſtingue des bulbes qui ne ſe reproduiſent que par le côté, leſquelles d’ailleurs ne ſont pas de vraies racines, mais des tiges en raccourci, ou ſi l’on veut des yeux ou des bourgeons.

Cette racine était autrefois d’uſage en médecine : elle entre encore dans les compoſitions officinales, dans les ſternutatoires ; on en prépare auſſi une fécule dont on ne fait pas plus de cas aujourd’hui que de celle de la bryone.

La flambe croît abondamment dans les champs, dans les bleds ; on la cultive même à cauſe de ſa fleur qui contribue à l’ornement des parterres. On diſtingue pluſieurs eſpeces de flambe ou d’iris. Le xiphion & le ſisynchrium ſont deux genres de plantes de la claſſe des iris, dont les racines pourroient ſervir aux mêmes uſages.

Le Glayeul, Gladiolus major Bysantinus. C. B. Pin. Le caractere de cette plante ne differe pas beaucoup du genre des flambes, ou iris. Ses feuilles ſont longues & étroites, terminées en pointe, ce qui lui fait donner le nom de gladiolus ou petite épée. Sa tige eſt élevée de deux pieds environ ; ſa fleur eſt compoſée d’une ſeule feuille découpée. A chacune de ſes fleurs il ſuccède un fruit gros comme une aveline. Sa racine eſt tubéreuſe & charnue. Toutes les eſpèces de glayeul viennent aſſez aiſément par-tout ; on en voit dans les prés, dans les champs, &c. La vertu principale du glayeul réſide dans ſa racine qui chaſſe, expulse les eaux, & fond les humeurs viſqueuſes & tenaces de l’eſtomach.

Le Colchique ou tue chien, Colchicus commune, C. B. Pin. eſt une plante à fleurs en lys, dont les feuilles ne paroiſſent qu’après les fleuraiſons, & reſſemblent à celles du lys blanc. Sa racine eſt compoſée de deux tubercules blancs dont l’un eſt charnu & l’autre barbu, enveloppés de quelques tuniques noires ou rougeâtres. Le colchique a un avantage particulier, c’eſt que ſes oignons ou tubercules, enlevés au commencement de l’automne & expoſés à ſec ſur une cheminée, fleuriſſent ſans aucun autre ſecours. On portoit autrefois cette plante au col en forme d’amulette pour ſe préſerver de la peſte & des maladies contagieuſes. Sa réputation et maintenant plus brillante. M. Storck, célèbre Médecin de Vienne en Autriche, qui s’eſt uniquement occupé de recherches ſur les différentes plantes vénéneuſes n’a pas oublié le colchique : j’ignore ſi cette plante mérite les éloges qu’il lui donne.

Le colchique vient dans les prés & ſur les montagnes. Les hermodactes dont on ſe ſert en médecine, toutes deſſéchées, ſont les racines d’une plante qui, ſuivant le témoignage de Tournefort, eſt un véritable colchique qu’il a rencontré dans l’Aſie mineure.

Le Pied-de-Veau, arum vulagre maculatum & non maculatum. C. B. Pin. a des feuilles longues & triangulaires ſemblables à peu près à une fleche, d’une couleur verte aſſez luiſante. Cette plante porte auſſi des bayes remplies d’un ſuc âcre & piquant. Sa racine eſt grosse environ comme le pouce, blanche & charnue : on la donne rarement ſeule, mais elle ſert en pharmacie dans pluſieurs compoſitions ; on l’aſſocie avec d’autres ſubſtances capables d’en diminuer l’activité. M. Lémery aſſure bien qu’on on en a déjà fait du pain, ainſi qu’avec la racine d’aſphodele ; cependant il faut faire attention que cette dernière eſt beaucoup moins âcre, qu’elle perd preſque toute ſon âcreté en cuiſant, ce que ne fait pas la racine de pied-de-veau.

Toute cette plante, depuis la racine juſqu’à la ſemence, brûle la langue, tant elle eſt acrimonieuſe & cauſtique. Les Botaniſtes en comptent beaucoup d’eſpeces : celle qui m’a ſervi eſt, on ne peut pas plus commune ; on la rencontre en abondance dans les lieux humides, dans les bois & dans les prairies.

La Serpentaire, Dracunculus Polyphyllus. C. B. Pin, ne differe de la précédente qu’en ce que les feuilles ſont découpées profondément en pluſieurs pieces. Ses fleurs ſont comme celles du pied de-veau dont la figure repréſente une oreille de lièvre. Il leur ſuccede des bayes pleines également d’un ſuc très-âcre. Sa racine eſt bulbeuſe & charnue, jaune à l’extérieur & très-blanche dans l’intérieur, d’une ſaveur un peu âcre mais qui diſparoît preſqu’entièrement par la culture. Rien ne reſſemble davantage à l’odeur & à la ſaveur de la pomme de terre que l’odeur & la ſaveur de cette racine. Après en avoir fait cuire dans l’eau, j’en fis manger à quelques gourmets de pommes de terre qui s’y méprirent ; elle laiſſe, il eſt vrai, un léger goût piquant comme certaines pommes de terre. La ſerpentaire vient communément dans les lieux ombragés & dans les pays chauds. Les Chirurgiens s’en ſervent quelques fois pour déterger les cancers & ulceres : on l’a encore employée dans les maladies peſtilentielles.

Je ne finirai pas cet article ſans faire obſerver que de toutes les racines que j’ai examinées, les deux dernieres, je veux dire le pied-de-veau & la ſerpentaire de Virginie, contiennent le plus de ſubſtance amylacée. M. Royer m’a lu quelques morceaux d’un travail qu’il a fait ſur le pied-de veau ; & je ne doute pas que le Public ne le reçoive avec reconnoiſſance.

La petite Chelidoine ou petite Scrophulaire, Ranunculus vernus, rotundis foliis. C. B. Pin. Les feuilles & les tiges de cette plante ſont âcres & dangereuſes, comme toutes les eſpèces de renoncules. Ses fleurs ſont compoſées de pluſieurs feuilles, diſpoſées en roſe & ſoutenues par un calice qui eſt auſſi à pluſieurs feuilles. Ses racines ſont attachées à des tubercules oblongs, ſemblables à de petits pois ou des grans de froment.

Cette racine ayant été ramaſſée au Printems, après une grande pluie, a ſervi autrefois à faire du pain dans quelques endroits de l’Allemagne ; elle contient néanmoins un ſuc âcre qui fait éternuer & couler les ſéroſités du cerveau.

La Filipendule, Filipendula major, an molon Plinii, C. B. Pin. eſt fort commune dans toutes les provinces de France. Ses feuilles ſont très découpées, & portent au ſommet de la tige un bouquet de fleurs blanches diſpoſées en roſe. Ses racines ſont des tubercules attachés à des fibres aſſez déliées, & reſſemblant à des olives allongées, de couleur rougeâtre à l’extérieur & blanches dans l’intérieur, d’une ſaveur douce, aſtringence, mêlée d’amertume, ayant une odeur très-aromatique.

On ſe ſert quelquefois de la racine de la filipendule dans les diſſenteries & les dévoyemens : deſſéchée & réduite en poudre, on l’employe pour les hémorrhoïdes & les maladies ſcrophuleuſes ; parce qu’il fut un tems où l’on croyoit trouver une reſſemblance entre les glandes ſcrophuleuſes & hémorrhoïdales, & les tubercules de la filipendule, eſpece de préjugé qui s’eſt fort étendu.

La Nielle des bleds, Lychnis ſegetum major C. B. Pin. Cette plante qui croît en abondance dans les champs, dans les bleds, eſt trop connue pour que je m’arrête à la décrire : je paſſe à la ſemence dont il eſt poſſible de faire uſage. Cette ſemence eſt noire & amere à l’extérieur, inodore, rude au toucher ; mais intérieurement elle eſt douce & blanche : elle ſe trouve renfermée dans des capsules oblongues, ayant la figure d’un gland. On a déjà propoſé de faire de l’amidon avec la ſemence de la nielle des bleds : différents Peuples s’en ſont nourris en la mêlant avec le grain.

L’Ellebore noir à feuilles d’aconit ou de renoncule, Helleborus niger renunculi folio, flore globoſo. C. B. Pin. Les racines de cette plante qui croît aſſez abondamment aux environs de Paris, ſont petites, noires à l’extérieur, d’une ſaveur âcre & mordicante.

Toutes les racines des différens ellebores ſont des émétiques & des ſternutatoires puiſſans : il eſt fait mention de l’ellebore dans la plus haute antiquité ; mais il paroît que les Médecins modernes l’ont abandonné à la médecine vétérinaire. Cependant M. Bacher, Médecin de la Faculté de Paris, vient de le remettre en réputation contre l’hidropiſie ſous le nom de pillules toniques dont la préparation eſt rendue publique dans le ſecond volume du Recueil d’Obſervations de Médecine des Hôpitaux Militaires, par M. Richard.

La Fumeterre bulbeuſe, Fumaria bulbosa radice non cava. C. B. Pin. eſt un genre de plantes dont les fleurs ont quelqu’apparence des fleurs légumineuſes ; mais elles ne ſont compoſées que de deux feuilles qui forment une eſpece de gueule à deux machoires. Ses feuilles ſont extrêmement découpées, d’un verd clair ; ſes racines reſſemblent à de petits oignons blancs & charnus, d’une ſaveur un peu piquante. Cette plante eſt fort commune aux environs de Paris.

La Mandragore femelle, Mandragora flore ſubcæruleo purpuraſcente. C. B. Pin., eſt une plante ſans tiges, à fleurs en cloche : ſa racine eſt longue & charnue, diviſée en deux branches, brune en dehors & très-blanche en-dedans.

Cette plante qui croît naturellement dans les pays chauds & ſur les bords des rivières, a une odeur très-fétide & purge violemment.

Le Chiendent, Gramen caninum arvenſe, ſive gramen dioſcoridis. C. B. Pin. Appartient à la nombreuſe famille des Graminées. Ses tiges portent à leurs ſommités des épis dont Les ſemences approchent de celles du bled. Ses racines ſont blanches, rampantes, épaiſſes d’une ligne & plus, ayant une ſaveur douce & ſucrée : il n’eſt personne qui n’en connaiſſe l’uſage pour la tiſane ordinaire.

Les eſpeces de chiendent ſont aſſez multipliées ; mais toutes n’ont pas des racines propres à faire du pain. Quelques-unes ont leurs ſemences farineuſes ; il y en a même de ces ſemences que l’on préfère en Pologne au ris, & dont l’on fait un gruau délicat.

M. de Tournefort aſſure qu’on pourroit rapporter au froment toutes les eſpeces de chiendent qui ont des épis ſemblables à ce graminé, mais que l’uſage les en a ſéparés. Auſſi comme il n’y a point de bled ſauvage, pluſieurs célebres Naturaliſtes prétendent-ils que le bled eſt le chiendent que la culture ou des accidens dont l’hiſtoire trop reculée ne ſe trouve nulle part, ont aſſez éloigné de ſa premiere conſtitution, pour en faire l’eſpece de plante vigoureuſe & annuelle, appellée bled.

Je ne me ſuis pas attaché à la deſcription botanique bien exacte de tous ces végétaux, & à l’expoſition de leurs eſpeces plus ou moins nombreuſes, parce que la plûpart ſont connus de tout le monde, & qu’ils ſont preſque tous employés en médecine. J’aurois pu en rapporter une plus grande quantité qu’on cultive à cauſe de la beauté de leurs fleurs ou de leurs uſages médicinaux ; mais il me ſuffit d’avancer qu’une bonne partie des bulbes, beaucoup de racines charnues, pluſieurs ſemences, ſont ſuſceptibles de donner plus ou moins de cette ſubſtance amilacée que j’ai démontré former la partie vraiment nutritive des végétaux farineux dans ma premiere partie. Je n’ai d’ailleurs d’autre deſſein ici que d’indiquer les plantes qui viennent aſſez abondamment dans les lieux incultes, & dont on pourroit tirer parti dans un tems de famine.

On ne peut ſe diſſimuler que les autres Peuples ne ſoient, comme nous, expoſés à des diſettes qui les forcent d’avoir recours à des matieres dont les effets ſont directement oppoſés à leur eſpérance : il ſemble même que dans ces tems malheureux la néceſſité nous conduiſe, pour ainſi dire, la main ſur les ſubſtances les plus pernicieuſes : s’il falloit faire l’énumération de toutes les parties de végétaux eſſayées pour remplacer les alimens de premier beſoin, nous nous engagerions dans une immenſe nomenclature. Cependant je ne crois pas inutile de faire obſerver que, dans ce nombre, il y en a dont on pourroit uſer avec ſécurité, comme aliment, pourvû qu’on ne voulût pas en faire du pain, parce que ce n’eſt pas ſous cette forme que ces ſubſtances ſont digeſtibles & nourriſſantes. Les ſemences de Pavot blanc & noir, de chenopodium, de grand pied-de-lievre, d’amaranthe & de quelques autres plantes de la famille des ombelliferes, par exemple, ne portent pas au bled avec lequel on les aſſocie, une augmentation réelle de nourriture. Les marcs des différentes ſemences émulſives, après qu’on a exprimé l’huile, peuvent devenir aliment, en les mêlant avec des pulpes de racines ſavoureuſes qui en relevent la fadeur. Quant aux racines de pain-de-pourceau, de renoncule tubéreuſe, de bulbocaſtanum, de chicorée, de ſeau de ſalomon, de fougere, de grande conſoude de trefle d’eau, & c. & c. dont on a fait du pain dans diverſes contrées, je préviens que ces racines ne contenant pas de ſubſtance amilacée, elles ne ſont par conſéquent pas propres à cette forme d’aliment. On peut les manger ſeules, excepté néanmoins les deux premieres qui ne ſont pas ſucculentes. J’ai cru devoir faire cette remarque particulièrement pour les Suédois ſi intéreſſans dans les circonſtances actuelles où la famine les perſécute malgré les ſoins paternels de leur Monarque vigilent. La ſuede heureuſement possede un des plus grands Botaniſtes du monde : il pourra indiquer à ſes Compatriotes les plantes qui, étant abondamment remplies de matiere amilacée, peuvent leur ſervir à faire du pain, celle dont la ſubſtance ſucrée fermenteſcible, leur procurera une boiſſon ſpiritueuſe & ſalutaire, & celles enfin qui étant de nature douce n’ont beſoin que de la cuiſſon pour acquérir les qualités néceſſaires à la nourriture.

Tout ce que j’ai dit plus haut me diſpenſe encore de parler de la famille des cucurbitacés dont quelques uns ſont auſſi employés à faire du pain avec la farine de froment, ainſi que le chou rave & les tronçons des autres choux : toutes ces additions contiennent trop peu de ſubſtance amilacée & ne me paroiſſent pas propres par conſéquent à augmenter la ſomme alimentaire du pain ; & l’on pourroit très-bien les manger ſeules, comme cela ſe fait ordinairement : mais la manie du jour eſt de tout convertir en pain ; on croit même que ſans le pain, il n’y a pas d’aliment. Les queues des feuilles & les jeunes tiges de bardane, les têtes de différens chardons, les racines de pluſieurs campanules, de quel-ques chicorées, de perſil, de l’onagra ou herbe aux ânes, de ſalſifix des prés ; les ſommités de la prele ou queue-de-cheval, & c ; ſont bonnes à manger & portent leur aſſaiſonnement avec elles.

On ſert ſur nos tables quantité de mets qui ne ſont nourriſſant que par les acceſſoires qu’on y fait entrer : les épinars, les oſeilles ſans compter les ſalades ſont moins des alimens que des ſtimulans pour l’appétit. Si les terreins consacrés à la culture de ces végétaux, étoient employés à celle des ſemences farineuſes & légumineuſes, ſi dans ces ſemences farineuſes & légumineuſes on choiſiſſoit encore celles qui ſont les plus nourriſſantes, les plus ſaines & les plus fécondes, les moins aſſujetties aux caprices des ſaiſons, dont la récolte & les frais de culture ſont peu diſpendieux, ſi du moins on ne s’occupoit pas tant à récréer nos yeux, en multipliant à l’infini les allées & les jardins, les diſettes ſeroient peut-être moins ç craindre : mais le luxe y perdroit. Il me ſuffit donc d’avoir indiqué dans cette première ſection, de manière à être généralement entendu, les plantes âcres, vénéneuſes & purgatives dont j’ai retiré une ſubſtance nutritive. L’on va voir dans la ſection ſuivante comment j’y ſuis parvenu.


Seconde Section.


En perfectionnant tout ce qui concourt à la nourriture des hommes & en multipliant les eſpèces des ſubſtances alimentaires, d’un côté elles leur deviennent plus appropriées, plus flatteuſes au goût, & de l’autre ils ont le moyen de remplacer dans les tems de diſette celles qui leur manquent. On ne ſçauroit donc trop prendre de précautions dans les tems d’abondance & de bon marché pour prévenir les ſuites de la cherté & les malheurs de la famine : c’eſt le but eſſentiel de ce Mémoire.

Toutes les parties des plantes ont, chacune, une ſaiſon qu’il faut ſaiſir pour leur récolte. Celle des ſemences & des fruits n’a ſouvent point d’époque, il ſuffit d’attendre leur parfaite maturité. Quant aux racines, les ſentiments ſont partagés ſur le tems où l’on doit ſe les procurer : il eſt bien vrai qu’au Printems, lors du renouvellement de la végétation, les racines ſont ſucculentes ; mais on obſervera en même-tems que ce ſuc nouveau n’étant pas ſuffiſamment élaboré, eſt plus mucilagineux que muqueux, qu’une partie de ce ſuc doit acquérir les qualités néceſſaires à la vertu nutritive, & que ces avantages ne ſe trouvent que dans le tems voiſin de la chûte des feuilles. Quelques-unes mêmes, telles que les radix & les navets, n’acquierent leur parfaite maturité que lorſque les feuilles ſont fanées, ce qui doit ſuffire pour donner la préférence à l’opinion de ceux qui tiennent pour la récolte des racines en Automne. A la vérité l’on pourroit alors courir les riſques de ne plus reconnoître les racines, ſi l‘on donnoit le tems aux feuilles qui en ſont les indices, de s’altérer au point de ne plus conſerver leur caractere ; mais la plûpart peuvent ſe récolter avant leur entiere maturité, parce qu’elles prennent ce dernier degré de perfection quand on les laiſſe entaſſées pendant quelques jours, avant de les mettre en uſage. A ces conſidérations générales, je vais joindre le détail des manipulations que j’ai employées ſur les différentes ſubſtances indiquées ci-deſſus.

J’ai pris des marrons d’Inde bien dépouillés de leur écorce & de leur membrane intérieure : je les ai diviſés avec une rape de fer blanc, & j’ai ajouté ſur ſix livres de cette matiere une chopine d’eau, ce qui a formé une pâte d’une conſiſtance molle. J’ai enfermé cette pâte dans un ſac de toile que j’ai ſoumis à la preſſe ; il en eſt ſorti un ſuc viſqueux, épais, d’un blanc jaunâtre & d’une amertume inſupportable. Le marc reſtant dans la preſſe étoit blanc & très ſec ; je l’ai délayé dans une quantité d’eau en le frottant entre les mains : j’ai enſuite paſſé la liqueur laiteuſe par un tamis de crin très-ſerré, elle étoit reçue dans un vaſe où il y avoit de l’eau. J’ai obtenu enfin par le repos & par la décantation, une fécule douce au toucher, & qui deſſéchée à une chaleur médiocre, étoit blanche ſans odeur & ſans ſaveur, tandis que la partie fibreuſe demeurée ſur le tamis, conſervoit opiniâtrément ſon amertume.

Après avoir choiſi des glands nouveaux & bien mûrs, je les ai épluchés & réduits en une pâte avec ſuffiſante quantité d’eau : j’ai enfermé cette pâte dans un ſac de toile forte & très-ſerrée : je l’ai ſoumis à la preſſe, l’eau qui en eſt ſortie étoit colorée & chargée de toute l’âpreté & de l’amertume du gland. Le marc reſtant, ayant été deſſéché à une douce chaleur & pulvériſé enſuite, m’a préſenté une poudre douce qui n’avoit rien de déſagréable. La totalité du gland, à ſon ſuc près, peut donc être employé, tandis que dans le marron d’Inde, ce n’eſt que la partie amilacée.

J’ai pris la racine de bryone, récemment ſortie de terre, j’en ai ſéparé l’écorce extérieure, & je l’ai réduite en pulpe au moyen d’une rape. Cette pulpe ayant été preſſée dans un ſac de toile forte, elle a fourni un ſuc blanchâtre & très-amer. J’ai délayé le marc dans l’eau, & j’ai paſſé cette eau toute trouble à travers un tamis ; elle a dépoſé bientôt ſpontanément une poudre blanche qui, lavée, puis décantée & deſſéchée, offre tous les caractères de la fécule des marrons d’Inde n’ayant plus l’odeur déſagréable de la bryone ni ſa ſaveur amère.

Lorſqu’on a nettoyé exactement les racines de flambe & de glayeul, on en ſépare les fibres chevelues, on les pele & on les rape ; puis on les ſoumet à la preſſe dans de la toile ſerrée, & l’on en obtient par le lavage une fécule blanche que l’on fait ſécher.

C’eſt en ſuivant la même méthode que j’ai procédé à l’extraction des ſucs & des fécules de la petite chélidoine & de la fumeterre bulbeuſe : il faut ſeulement obſerver de choiſir ces racines très-succulentes & de les employer nouvelles.

Les racines de pied-de-veau, de ſerpentaire, étant miſes en pâte par un inſtrument quelconque & preſſées, il en ſort une liqueur blanche & laiteuſe, ſucrée d’abord mais enſuite très-âcre, (sur-tout celle de pied-de-veau). Les marcs délayés dans l’eau, dépoſent inſenſiblement une grande quantité de ſédiment qui, bien lavé & ſéché, eſt inſipide & très-blanc.

On ratiſſe les racines de mandragore comme les racines potagere, on les rape enſuite & elles prennent auſſitôt une couleur rougeâtre : on les enferme auſſi dans un ſac qu’on ſoumet à la preſſe, il en ſort un ſuc gris ; on étend le marc dans l’eau & l’on paſſe celle-ci à travers un tamis ; il ſe précipite bientôt une poudre blanche qui, lavée & deſſéchée, eſt une fécule ſemblable à celle dont il vient d’être queſtion.

Après avoir ſéparé exactement les tuniques noires & rougeâtres du colchique, les fibres de la filipendule, & bien lavé bien nettoyé l’hellebore, on obtient de leurs tubercules, une fécule par la même méthode. Cette méthode n’a rien de nouveau pour ceux qui ſçavent que les Inſulaires du nouveau Monde n’en ont pas d’autres pour enlever au magnoc & à l’yucca, des ſucs très-vénéneux, & obtenir enſuite une ſubſtance farineuſe dont ils ſe nourriſſent dans quelque tems que ce ſoit.

On choiſit le chiendent gros & bien nourri ; on le nettoye & on le hâche, puis on le fait ſécher & mettre en poudre fine. On a ſoin de n’employer que la premiere poudre.

Ce ſeroit peut-être ici le lieu de déterminer la nature des ſucs de chacune des plantes dont je viens de parler, d’indiquer la proportion des fécules qu’elles contiennent par comparaiſon avec celle de leur partie fibreuſe, d’examiner enſuite ſi l’on ne pourroit pas rendre ces dernieres propres à quelques uſages économiques, ou les convertir également en fécules par des manipulations particulieres : mais toutes ces recherches m’éloigneroient de l’objet mis en queſtion ; elles pourront faire la matiere d’un ſecond mémoire dont je dois l’hommage à l’Académie.

Il eſt aiſé de voir par ce qui précede que la fécule eſt réellement une ſubſtance diſtincte dans les végétaux dont on la ſépare ſans aucun effort extraordinaire, & qu’elle ne participe en rien aux ſuc âcres & vénéneux qu’ils contiennent quelquefois, puiſque par la voie ſimple de l’expreſſion & des lotions, elle ſe manifeſte avec tous les caracteres que nous lui connoiſſons. Elle eſt ſans odeur, ſans ſaveur & ſans couleur, douce & froide au toucher ; elle ſèche aiſément au ſoleil & prend l’état pulvérulent. L’eau froide & les liqueurs ſpiritueuſes ne l’attaquent point, elle ſe diſſout dans l’eau bouillante qu’elle obſcurcit & prend en ſe refroidiſſant une conſiſtance gélatineuſe, ayant la couleur d’opale. Diſtillée à feu nud, elle fournit, comme nous l’avons vu, de l’acide, de l’huile empyreumatique, & une odeur ſinguliere que tout le monde reconnoît dans le ſuc ou dans le miel lorſqu’on brûle ces ſubſtances. Après la diſtillation, elle laiſſe un réſidu ſpongieux qui, étant calciné à l’air libre, donne de l’alkali fixe. Toutes ces propriétés prouvent inconteſtablement que la fécule eſt un amidon ſemblable à celui du bled, & que cet amidon eſt la véritable ſubſtance nutritive des végétaux, puiſque ceux-ci ſont d’autant plus nourriſſans qu’ils en contiennent une plus grande quantité, & qu’ils le ſont d’autant moins que leur partie fibreuſe y abonde davantage. C’eſt cette derniere partie dont la texture eſt preſque ſolide, qui réſiſte aux agens de la digeſtion & fournit les matieres excrémentielles ; tandis que l’autre, c’eſt-à-dire la partie amylacée ou muqueuſe, ſoluble & très-attenuée, ſubit l’action des organes deſtinés à les faire paſſer dans le cours de la circulation, ſe mêle avec nos liqueurs, & prend bientôt le caractere animal dont elle paroît ſi éloignée dans l’état naturel. En effet, l’amidon converti en gelée & étendu dans une plus grande quantité d’eau, ſe conſerve long-tems à l’air ſans ſe corrompre : la premiere altération qu’on y remarque, c’eſt de paſſer à l’acide ; il reſte dans cet état quelques jours avant de pourrir.

On ſent donc que malgré les eſpeces de déguiſemens ſans nombre ſous leſquels la nature nous offre cette ſubſtance amylacée dans les différentes parties des plantes, elle paroît néanmoins toujours homogene & dans un même degré d’atténuation : la fécule des racines âcres & vénéneuſes, ne differe pas de celle des racines douces & ſavoureuſes, & ni l’une ni l’autre de celle des ſemences. Si les racines ont paſſé dans l’eſprit de quelques Phyſiologiſtes pour fournir une nourriture plus groſſiere, ce n’eſt pas que la fécule ne ſoit la même, c’eſt qu’elle s’y trouve en moindre quantité, tandis que le paranchyme fibreux eſt fort abondant. Ce paranchyme fibreux aſſaiſonne néanmoins quelquefois l’ amidon qui naturellement eſt ſans ſaveur & indigeſte.

Lors donc que les plantes ou leurs parties contiennent des ſucs & un paranchime âcre & vénéneux, il ne faut jamais eſpérer que la cuiſſon rende ces plantes comeſtibles ; cette préparation détruit bien en partie leur âcreté ſoit en la volatiliſant par la chaleur, ſoit en la combinant avec une ſubſtance douce amilacée ; mais il réſulte de cette combinaiſon un tout qui devient médicamenteux & annihile l’aliment qui ſuccombe, ſi j’oſe m’exprimer ainſi, ſous leur action violente. Il eſt donc néceſſaire par rapport à ces plantes âcres & vénéneuſes d’en ſéparer la fécule & de la convertir en pain : les racines au contraire dont les ſucs & le paranchyme ſont doux, n’ont beſoin que de la coction pour ſervir d’aliment, parce que l’amidon qui s’y trouve, eſt diviſé & étendu comme dans le pain, & diſpoſé par la combinaiſon qu’opère la coction à ſubir l’action ultérieure de la digeſtion, en même-tems qu’elles acquierent un aſſaiſonnement naturel & agréable. Il n’en eſt pas de même des ſemences farineuſes dans leſquelles l’amidon étant extrêmement rapproché & privé également de ſuc & paranchimes âcres, & de ceux qui pourroient l’aſſaiſonner, demande à être diſſéminé par la fermentation & par la coction. Plus le mucilage fermenteſcible qu’elles contiennent eſt abondant & uni intimément, moins le pain qui en réſulte eſt léger & digeſtible. Je penſe donc que tout mucilage eſt nourriſſant à un plus ou moins grand degré d’intenſité, mais qu’il lui faut une ſubſtance ſavoureuſe qui l’aſſaiſonne, autrement il eſt mat, peſant & ne ſe digere point. La gomme Arabique ne nourrira qu’autant qu’elle ſera mêlée avec du ſucre, comme dans la pâte de guimauve. Le mucide de certaines racines, des cannes à ſucre, des miels, &c. lequel eſt nourriſſant & digeſtible, ne possède ſans doute cette qualité qu’à cauſe de ſon état compoſé de ſubſtance ſapide & de mucilage inſipide.

Comme j’ai déjà dit que l’amidon ne pouvoit ſe convertir en pain qu’au préalable on n’y ajoutât une ſubſtance mucilagineuſe, appropriée, qui lui ſervît en même tems d’excipient & de moteur fermenteſcible, & que d’un autre côté je n’ai en vue, en proposant les nouvelles fécules dont je viens de parler, que de mettre tout à profit dans un tems de famine où je ſuppoſe qu’on manqueroit de toute eſpece de ſubſtances alimentaires connues j’ai cru ne pouvoir mieux faire que de choiſir à ces fécules, pour excipient, les pommes de terre qu’on trouve maintenant par-tout & dont la culture ne ſçauroit être trop multipliée. Cependant des expériences ultérieures m’ont appris que les tems même où la reſſource des pommes de terre manqueroit, le ſon, cette matiere ſi abjecte en apparence, contient ce mucilage fermenteſcible dont nos fécules ont beſoin. Ce nouvel objet de travail eſt développé dans un mémoire ſur les pommes de terre qui eſt actuellement ſous les yeux de M. le Contrôleur Général : on peut donc en cas d’événement, ſubſtituer à ce que je vais dire des préparations avec la pomme de terre, le ſon lui-même réduit en poudre fine. Voici comment j’ai précédé.

J’ai délayé dans un peu d’eau chaude la doſe ordinaire de levain de froment ; j’y ai ajouté peu à peu quatre onces de fécule, celle de marron d’Inde, par exemple, & pareille quantité de pommes de terre cuites & réduites en pulpe par une paſſoire : j’en ai fait une pâte que j’ai laiſſée dans un lieu chaud pendant une heure : je l’ai fait cuire enſuite au four, & j’ai eu un pain doré, levé, blanc & de bonne odeur. Pluſieurs personnes à qui j’en ai fait gouter l’ont trouvé bon & n’y ont remarqué d’autre défaut que d’être un peu fade., défaut que quelques grains de ſel corrigeroient bien vîte. Je ne cite ici que cette proportion comme étant celle qui m’a le mieux réuſſi. On devinera ſans doute que pour la trouver, j’ai dû en eſſayer beaucoup d’autres dont le plus grand nombre a été infructueux & quelques-unes on été ſupportables.

J’ai employé ſucceſſivement les différentes fécules retirées des plantes dont j’ai parlé, & les pains que j’ai obtenus étoient également bons. S’il y avoit quelques variétés dans leur ſaveur ou dans leur couleur, elles provenoient plutôt du plus ou moins de lavage que ces fécules avoient éprouvé, que de quelque différence eſſentielle dans la fécule : les poudres de gland & de chiendent ont été auſſi miſes à l’épreuve avec le levain & la quantité de pommes de terre preſcrite ; mais les pains qui en ont réſulté, quoique bons, ne valoient pas néanmoins les pains faits avec les fécules : le pain de chiendent ſur-tout ne pouvoit leur être comparé. A l’égard de la ſemence de la nielle des bleds dont la converſion en farine n’a pas encore été expoſée dans cette ſection, je l’ai miſe en poudre & j’en ai fait auſſi du pain, mais il étoit noir & amer. Afin d’éviter cet inconvénient, j’ai cherché à avoir de la farine de cette ſemence ſans le mélange de ſon écorce ; je l’ai donc fait macérer dans l’eau chaude & je l’ai pilée dans un mortier ; elle s’eſt miſe en pâte, cette pâte ſéchée, pulvériſée & tamiſée, m’a donné une farine plus blanche & du pain moins amer. Si l’on voulait avoir la fécule de la ſemence de la nielle des bleds, il faudroit lui faire ſubir le travail des Amidoniers, parce qu’elle ſe trouve liée dans cette ſemence ainſi que dans les autres graines par un mucilage qu’il faut détruire abſolument.

Comme les fécules repréſentent ici la farine & que l’on a déjà publié différentes méthodes pour préparer en grand le pain économique de pommes de terre, je crois qu’il n’eſt pas néceſſaire que je déſigne ici les inſtrumens convenables à ce travail, ainſi que les manipulations pour l’exécuter. Je renvoye, pour abréger, à l’excellent mémoire que M. le Chevalier Muſtel a publié ſur les pommes de terre.

Sans attendre la fatale circonſtance qui forceroit à mettre en uſage les reſſources que je propoſe, ne ſeroit-il donc pas poſſible de les faire ſervir en tout tems aux choſes de luxe pour leſquelles on ſacrifie ſi ſouvent les meilleurs grains ? Il eſt certain que la fécule paroiſſant être la même dans les plantes où on la rencontre, elle pourroit être employée dans tous les cas où l’amidon de bled eſt employé. Nous avons vu que les pommes de terre en fourniſſent près de trois onces par livre, & que l’opération pour l’en ſéparer tient à très-peu de choſes & n‘exige preſqu’aucun travail.

Je prie mes Lecteurs de faire attention que je n’imagine pas qu’il faille entreprendre la culture ou faire des ſemis des plantes que j’indique dans la premiere ſection de cette ſeconde partie. Si j’avois à propoſer de cultiver quelque plante, ce ſeroient des ſubſtances reconnues pour être les plus ſalutaires & les plus nourriſſantes. Dans le nombre des végétaux nouveaux que j’ai propoſé, il en eſt deux eſpeces que l’on aura toujours ſous la main, le marron d’Inde & le gland. Les arbres qui portent ces deux fruits, ſont l’un trop utile & l’autre trop agréable pour jamais manquer dans nos forêts & dans nos jardins. Quant aux autres, leur abondance ne pourroit-elle pas être comparée à celle des deux plantes que l’on mange au Printems en ſalade, la raiponce & le piſſenlit ? rien n’eſt plus commun, rien n’eſt moins cultivé.

Tout le monde ſçait combien la culture a multiplié & adouci les végétaux qui ſervent à notre nourriture ; l’on pourroit par conſéquent faire perdre inſenſiblement à la plûpart des plantes indiquées, l’âcreté de leurs ſucs, & les approprier par ce moyen à notre nourriture, ainſi que l’expérience l’a déjà démontré pour le fruit du pêcher, la carote, le céleri, les tiges ou cardons d’artichaud, qui tous doivent l’avantage d’être préſentés ſur nos tables à l’induſtrie des Cultivateurs. Mais ce ſeroit peut-être offrir plutôt l’abondance au luxe que la reſſource à l’indigence ; puiſqu’il eſt poſſible de débaraſſer ces ſubſtances de ce qu’elles ont de nuiſibles. Bornons-nous à y avoir recours dans des tems de diſette, & n’abusons pas par des plantations ſouvent ſuperflues & aſſez longtems infructueuſes, des terreins mieux employés à fournir annuellement les ſubſtances auxquelles nous ſommes accoutumés.

Dans la vue de mieux remplir les intentions de l’Académie & de ſeconder plus utilement ſes vues patriotiques, j’ai cherché s’il ſeroit poſſible de pourvoir à peu de frais à une proviſion économique aſſez durable pour être préparée & conſervée même longtems avant les époques fâcheuſes où ſe manifeſtent ordinairement les diſettes. C’eſt à peu près à la veille de la moiſſon ou du moins dans les trois mois qui la précedent, que le Peuple ſouffre le plus ; & je conviens que dans ces trois mois il n’y a que de l’herbe, c’eſt-à-dire un amas de feuilles & de tiges, qui ne peut point nourrir ſur-tout les Habitans de la campagne : c’eſt pourquoi les reſſources que je propoſe ſeroient inutiles, ſi l’on attendoit alors à ſe les procurer.

J’ai pris pour cet effet toutes les eſpeces de pain dont il a été mention plus haut ; je les ai coupés par tranches que j’ai miſes au four avec la précaution de ne pas les laiſſer brûler. Lorſqu’ils ont été bien ſéchés, je les ai concaſſés & réduits en poudre groſſiere ; j’ai expoſé de nouveau ces pains ainſi pulvériſés dans le four : les en ayant retirés au bout d’un petit quart d’heure, ils avoient perdu plus des deux tiers de leur poids. Dans cet état, leur couleur étoit agréable, & leur goût très bon. J’ai mis une once de cette poudre avec un peu de beurre dans un poëlon ; j’y ai ajouté un demi-ſeptier d’eau : l’eau au premier bouillon a été abſorbée & la totalité a pris la forme d’une panade à laquelle il ne manquoit que quelques grains de ſel pour être très-bonne. Cette poudre alimentaire pourroit ſe conſerver des ſiecles ſans altération, pourvû qu’elle fût renfermée dans des tonneaux placés dans un endroit frais, ſec & à l’abri des animaux deſtructeurs.

Il eſt aiſé d’apercevoir la différence qu’il y a entre cette poudre & nos biſcuits de mer. Ceux-ci ſe gâtent dans les traverſées, parce qu’étant en forme de gallettes, leur épaiſſeur, quelque mince qu’elle ſoit, ne permet pas que le centre ſoit auſſi exactement deſſéché que le reſte : or la moindre humidité devient bientôt, dans un endroit renfermé & ſouvent expoſé à être mouillé, la cauſe du léger mouvement de fermentation qui fait moiſir ces galettes. En les réduiſant en poudre on les ſécheroit plus uniformément, elles tiendroient moins de place & elles ſeroient à l’abri des inconvéniens dont je viens de parler.

J’ai profité de cette occaſion pour examiner une poudre alimentaire dont l’eſſai a été fait avec quelque ſuccès à Lille en Flandre, & répété à l’Hôtel Royal des Invalide, en préſence de l’Etat Major & des Officiers de ſanté ſur ſix Soldats qui furent reſtraints à cette nourriture pendant quinze jours de ſuite, à la doſe de ſix onces par jour : j’ai reconnu que cette poudre qu’on avoit déjà dit être de la farine de bled de Turquie deſſéchées & un peu torréfiée, étoit bien cette ſubſtance mais fermentée, puis convertie en pain & deſſéchée enfin comme la poudre décrite plus haut. Je m’en ſuis aſſuré en faiſant du même pain, le deſſéchant, & comparant enſuite les deux panades qui étoient parfaitement les mêmes. J’ai fait cet examen avec d’autant plus de ſoin, de zele & de confiance que le bled de Turquie eſt très-abondant en Franche-Comté ; qu’on peut le ſemer dans des terreins ingrats ou pendant le peu de tems qu’on laiſſe les champs en jachere, que ſon herbe eſt une excellente nourriture pour les beſtiaux, que les tiges deſſéchées ſont très-bonnes pour chauffer le four, & qu’enfin j’ai remarqué que ſa farine mêlée avec la pulpe de pommes de terre & même avec le ſon en poudre fine, fournit un pain bis & levé avec lequel on peut préparer une poudre alimentaire qui donnera une véritable nourriture, au lieu que les farines bouillies & non fermentées, ne font que remplir en ſurchargeant l’eſtomach, & cauſent ſouvent des obſtructions & autre maladies que l’on voit naître chez ceux qui en font uſage. Auſſi M. Rouelle dans ſes excellentes leçons de Chymie, s’eſt-il toujours ſoulevé contre ce genre d’aliment. Beaucoup de Médecins célebres ont vanté les panades que l’on donne déjà dans pluſieurs Provinces du Royaume, au lieu de bouillie.

Pour connoître le degré de force de ma poudre alimentaire & ſçavoir comment elle nourriſſoit, j’ai déterminé un Invalide de bon appétit à en manger deux jours de ſuite, ſous la condition que pendant ce tems-là, je ſerois ſeul ſon pourvoyeur & ſon cuiſinier. J’ai pris ſix onces de poudre que j’ai fait bouillir un moment dans ſuffiſante quantité d’eau. La panade faite, mon homme en a avalé la moitié à midi ſans répugnance, & le ſoir il a pris le reſte ; il a vécu le lendemain de la même manière, & m’a aſſuré que le ſurlendemain il n’avoit pas même eu faim à l’heure du dîner, comme à ſon ordinaire. J’aurois fait quelque fonds ſur cette expérience, ſi un Camarade que j’interrogeai ſur la ſobriété de mon Convive, ne m’eût dit l’avoir vu à Vaugirard le dernier jour que je le traitois : il eſt vrai que je n’avois pas ſongé à lui recommander une autre abſtinence, peut être plus difficile à remplir pour un vieux ſoldat, celle du vin & des autres boiſſons alimentaires. Je préférai donc d’être moi-même l’homme dont j’avois beſoin pour mon expérience. J’avois dîné la veille à mon ordinaire, & mon repas étoit fini à deux heures ; & j’avois eu la précaution de ne pas ſouper. En conſéquence je pris le lendemain à midi, trois onces de ma poudre en forme de panade, & je fis dans l’après-dîner, plus d’exercice que je n’ai coutume d’en faire. Le ſoir vers les huit heures, je pris mes trois onces de poudre ſans aucun apprêt, je bus par-deſſus deux à trois verres d’eau & je travaillai dans mon laboratoire juſqu’à minuit. Mon ſommeil fut auſſi profond que de coutume ; je m’éveillai ſans beſoin & j’attendis ſans impatience l’heure du dîner. J’ai donc vécu au moins vingt-quatre heures avec ſix onces de cette poudre. Je dois obſerver que les déjections ſe ſont trouvées en raiſon inverſe de la quantité de ſubſtance alimentaire que j’avois priſe : ma poudre eſt preſque toute aliment.

La plûpart des Voyageurs rapportent que beaucoup de Peuples, même les plus ſauvages, prennent des précautions pour les tems de diſette. Les uns font ſécher des poiſſons ; d’autres des viandes dont ils font des décoctions qu’ils réduiſent en tablettes ; il y en a enfin qui conſervent des végétaux dont la ſubſtance nourriſſante eſt rapprochée ſous un petit volume : pourquoi dans des pays civiliſés ſerions-nous privés d’un avantage ſi précieux ? Indépendamment des tems de diſette & de cherté, on pourroit employer notre poudre alimentaire dans les voyages maritimes de long cours, dans les hôpitaux & pour les pauvres. Elle deviendroit très utile, par exemple lorſqu’un corps de Troupes s’éloigne du gros de l’Armée, pour une expédition quelconque, & que forcé de doubler ſa marche & d’aller à la légere, il ne peut être ſuivi par les vivres. Au lieu de charger le ſoldat d’une proviſion pour pluſieurs jours, proviſion ſujette à ſe gâter, on lui diſtribueroit de cette poudre dont il fera en un moment une panade à laquelle il ajouteroit les ſubſtances alimentaires qu’il trouveroit ſur ſa route : tantôt ce ſeroit des graines légumineuſes, tantôt des racines ou des plantes potagères, quelquefois du lait. Enfin le Soldat ſoutiendroit la fatigue avec plus de courage, n’auroit pas continuellement ſoif parce que la panade eſt une nourriture humectante, & ne ſeroit point par conſéquent expoſé à ſe déſaltérer avec des fruits non-murs & des eaux boueuſes & mal ſaines qui, avec le pain gâté, produiſent des effets cruel dont j’ai ſouvent été témoin. Quelles circonſtances plus heureuſes pour préſenter ces nouvelles vues, qu’un tems où la durée de la paix donne à un Miniſtre bienfaiſant le loiſir de ſonger aux moyens de pourvoir avec plus de ſureté à la ſubſiſtance du ſoldat dont il ſe plaît à être l’ami & le père !

Si j’avois eu deſſein de faire entrer en concurrence les végétaux que j’ai indiqués dans ce Mémoire avec le bled, j’aurois détaillé ſans doute les dépenſes néceſſaires qu’exige chaque eſpece, afin de montrer juſqu’à quel point mes reſſources ſeroient avantageuſes, & mériteroient la préférence : mais je ſuis bien éloigné de penſer qu’il faille s’en ſervir lorſque les récoltes des productions deſtinées à notre nourriture ordinaire, ſeroient abondantes, & comme mes plantes ne doivent être employées que dans un tems de famine, on ſçait qu’alors le beſoin preſſant ne calcule plus.

Pour répondre donc à la queſtion propoſée par l’Académie, j’ai recherché quelle pourroit être la partie vraiment nutritive dans les végétaux. Après avoir découvert que c’était la ſubſtance amylacée, j’ai examiné les différentes plantes qui contiennent d’une manière plus ou moins enveloppée cette ſubſtance amylacée & par conſéquent nutritive. Ce premier pas fait, j’ai procédé à la ſéparation de cette matiere en la privant des ſucs & des paranchimes âcres & vénéneux auxquels elle paroiſſoit unie & qui ſembloient l’exclure pour jamais de la claſſe des végétaux nourriſſans ; je l’ai aſſociée enſuite avec une ſubſtance propre à être convertie en un aliment digeſtible : j’ai donc fait du pain de bonne qualité & très-nourriſſant avec la véritable ſubſtance alimentaire de plantes pour la plûpart rejettées de la claſſe des végétaux nutritifs. Je crois avoir indiqué par conſéquent les végétaux qui pourroient ſuppléer en tems de diſette à ceux que l’on employe communément à la nourriture des hommes & quelle en doit être la préparation ?


  1. Cette Diſſertation doit ſervir de ſupplément aux Récréations du même Auteur, ouvrage Allemand dont je publierai inceſſamment la traduction.