« Les Femmes savantes » : différence entre les versions

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{{sc|Armande}}, {{sc|Henriette}}.
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{{Personnage|Armande}} {{NumVers|5}}Quoi, le beau nom de fille est un titre, ma sœur,<br>Dont vous voulez quitter la charmante douceur ?<br>Et de vous marier vous osez faire fête ?<br>Ce vulgaire dessein vous peut monter en tête ?
{{Personnage|Armande}} {{NumVers|5}} Quoi, le beau nom de fille est un titre, ma sœur,<br>Dont vous voulez quitter la charmante douceur ?<br>Et de vous marier vous osez faire fête ?<br>Ce vulgaire dessein vous peut monter en tête ?
{{Personnage|Henriette}} Oui, ma sœur.
{{Personnage|Henriette}} Oui, ma sœur.
{{Personnage|Armande}} Ah ce « oui » se peut-il supporter ?<br>Et sans un mal de cœur saurait-on l’écouter ?
{{Personnage|Armande}} Ah ce « oui » se peut-il supporter ?<br>Et sans un mal de cœur saurait-on l’écouter ?
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{{Personnage|Aramande}} Ah mon Dieu, fi.
{{Personnage|Aramande}} Ah mon Dieu, fi.
{{Personnage|Henriette}} Comment ?
{{Personnage|Henriette}} Comment ?
{{Personnage|Armande}} Ah fi, vous dis-je.<br>{{NumVers|10}}Ne concevez-vous point ce que, dès qu’on l’entend,<br>Un tel mot à l’esprit offre de dégoûtant ?<br>De quelle étrange image on est par lui blessée ?<br>Sur quelle sale vue il traîne la pensée ?<br>N’en frissonnez-vous point ? et pouvez-vous, ma sœur,<br>Aux suites de ce mot résoudre votre cœur ?
{{Personnage|Armande}} Ah fi, vous dis-je.<br>{{NumVers|10}} Ne concevez-vous point ce que, dès qu’on l’entend,<br>Un tel mot à l’esprit offre de dégoûtant ?<br>De quelle étrange image on est par lui blessée ?<br>Sur quelle sale vue il traîne la pensée ?<br>N’en frissonnez-vous point ? et pouvez-vous, ma sœur,<br>Aux suites de ce mot résoudre votre cœur ?
{{Personnage|Henriette}} {{NumVers|15}}Les suites de ce mot, quand je les envisage,<br>Me font voir un mari, des enfants, un ménage ;<br>Et je ne vois rien là, si j’en puis raisonner,<br>Qui blesse la pensée, et fasse frissonner.
{{Personnage|Henriette}} {{NumVers|15}} Les suites de ce mot, quand je les envisage,<br>Me font voir un mari, des enfants, un ménage ;<br>Et je ne vois rien là, si j’en puis raisonner,<br>Qui blesse la pensée, et fasse frissonner.
{{Personnage|Armande}} De tels attachements, ô Ciel ! sont pour vous plaire ?
{{Personnage|Armande}} De tels attachements, ô Ciel ! sont pour vous plaire ?
{{Personnage|Henriette}}<br>{{NumVers|20}}Et qu’est-ce qu’à mon âge on a de mieux à faire,<br>Que d’attacher à soi, par le titre d’époux,<br>Un homme qui vous aime, et soit aimé de vous ;<br>Et de cette union de tendresse suivie,<br>Se faire les douceurs d’une innocente vie ?<br>{{NumVers|25}} Ce nœud bien assorti n’a-t-il pas des appas ?
{{Personnage|Henriette}}<br>{{NumVers|20}} Et qu’est-ce qu’à mon âge on a de mieux à faire,<br>Que d’attacher à soi, par le titre d’époux,<br>Un homme qui vous aime, et soit aimé de vous ;<br>Et de cette union de tendresse suivie,<br>Se faire les douceurs d’une innocente vie ?<br>{{NumVers|25}} Ce nœud bien assorti n’a-t-il pas des appas ?
{{Personnage|Armande}} Mon Dieu, que votre esprit est d’un étage bas !<br>Que vous jouez au monde un petit personnage,<br>De vous claquemurer aux choses du ménage,<br>Et de n’entrevoir point de plaisirs plus touchants,<br>{{NumVers|30}}Qu’un idole d’époux, et des marmots d’enfants !<br>Laissez aux gens grossiers, aux personnes vulgaires,<br>Les bas amusements de ces sortes d’affaires.<br>À de plus hauts objets élevez vos désirs,<br>Songez à prendre un goût des plus nobles plaisirs,<br>{{NumVers|35}}Et traitant de mépris les sens et la matière,<br>À l’esprit comme nous donnez-vous toute entière :<br>Vous avez notre mère en exemple à vos yeux,<br>Que du nom de savante on honore en tous lieux,<br>Tâchez ainsi que moi de vous montrer sa fille,<br>{{NumVers|40}}Aspirez aux clartés qui sont dans la famille,<br>Et vous rendez sensible aux charmantes douceurs<br>Que l’amour de l’étude épanche dans les cœurs :<br>Loin d’être aux lois d’un homme en esclave asservie ;<br>Mariez-vous, ma sœur, à la philosophie,<br>{{NumVers|45}} Qui nous monte au-dessus de tout le genre humain,<br>Et donne à la raison l’empire souverain,<br>Soumettant à ses lois la partie animale<br>Dont l’appétit grossier aux bêtes nous ravale.<br>Ce sont là les beaux feux, les doux attachements,<br>{{NumVers|50}}Qui doivent de la vie occuper les moments ;<br>Et les soins où je vois tant de femmes sensibles,<br>Me paraissent aux yeux des pauvretés horribles.
{{Personnage|Armande}} Mon Dieu, que votre esprit est d’un étage bas !<br>Que vous jouez au monde un petit personnage,<br>De vous claquemurer aux choses du ménage,<br>Et de n’entrevoir point de plaisirs plus touchants,<br>{{NumVers|30}} Qu’un idole d’époux, et des marmots d’enfants !<br>Laissez aux gens grossiers, aux personnes vulgaires,<br>Les bas amusements de ces sortes d’affaires.<br>À de plus hauts objets élevez vos désirs,<br>Songez à prendre un goût des plus nobles plaisirs,<br>{{NumVers|35}} Et traitant de mépris les sens et la matière,<br>À l’esprit comme nous donnez-vous toute entière :<br>Vous avez notre mère en exemple à vos yeux,<br>Que du nom de savante on honore en tous lieux,<br>Tâchez ainsi que moi de vous montrer sa fille,<br>{{NumVers|40}} Aspirez aux clartés qui sont dans la famille,<br>Et vous rendez sensible aux charmantes douceurs<br>Que l’amour de l’étude épanche dans les cœurs :<br>Loin d’être aux lois d’un homme en esclave asservie ;<br>Mariez-vous, ma sœur, à la philosophie,<br>{{NumVers|45}} Qui nous monte au-dessus de tout le genre humain,<br>Et donne à la raison l’empire souverain,<br>Soumettant à ses lois la partie animale<br>Dont l’appétit grossier aux bêtes nous ravale.<br>Ce sont là les beaux feux, les doux attachements,<br>{{NumVers|50}} Qui doivent de la vie occuper les moments ;<br>Et les soins où je vois tant de femmes sensibles,<br>Me paraissent aux yeux des pauvretés horribles.
{{Personnage|Henriette}} Le Ciel, dont nous voyons que l’ordre est tout-puissant,<br>Pour différents emplois nous fabrique en naissant ;<br>Et tout esprit n’est pas composé d’une étoffe<br>{{NumVers|55}}Qui se trouve taillée à faire un philosophe.<br>Si le vôtre est né propre aux élévations<br>Où montent des savants les spéculations,<br>Le mien est fait, ma sœur, pour aller terre à terre,<br>{{NumVers|60}} Et dans les petits soins son faible se resserre.<br>Ne troublons point du Ciel les justes règlements,<br>Et de nos deux instincts suivons les mouvements ;<br>Habitez par l’essor d’un grand et beau génie,<br>Les hautes régions de la philosophie,<br>{{NumVers|65}}Tandis que mon esprit se tenant ici-bas,<br>Goûtera de l’hymen les terrestres appas.<br>Ainsi dans nos desseins l’une à l’autre contraire,<br>Nous saurons toutes deux imiter notre mère ;<br>Vous, du côté de l’âme et des nobles désirs,<br>{{NumVers|70}}Moi, du côté des sens et des grossiers plaisirs ;<br>Vous, aux productions d’esprit et de lumière,<br>Moi, dans celles, ma sœur, qui sont de la matière.
{{Personnage|Henriette}} Le Ciel, dont nous voyons que l’ordre est tout-puissant,<br>Pour différents emplois nous fabrique en naissant ;<br>Et tout esprit n’est pas composé d’une étoffe<br>{{NumVers|55}} Qui se trouve taillée à faire un philosophe.<br>Si le vôtre est né propre aux élévations<br>Où montent des savants les spéculations,<br>Le mien est fait, ma sœur, pour aller terre à terre,<br>{{NumVers|60}} Et dans les petits soins son faible se resserre.<br>Ne troublons point du Ciel les justes règlements,<br>Et de nos deux instincts suivons les mouvements ;<br>Habitez par l’essor d’un grand et beau génie,<br>Les hautes régions de la philosophie,<br>{{NumVers|65}} Tandis que mon esprit se tenant ici-bas,<br>Goûtera de l’hymen les terrestres appas.<br>Ainsi dans nos desseins l’une à l’autre contraire,<br>Nous saurons toutes deux imiter notre mère ;<br>Vous, du côté de l’âme et des nobles désirs,<br>{{NumVers|70}} Moi, du côté des sens et des grossiers plaisirs ;<br>Vous, aux productions d’esprit et de lumière,<br>Moi, dans celles, ma sœur, qui sont de la matière.
{{Personnage|Armande}} Quand sur une personne on prétend se régler,<br>C’est par les beaux côtés qu’il lui faut ressembler ;<br>{{NumVers|75}}Et ce n’est point du tout la prendre pour modèle,<br>Ma sœur, que de tousser et de cracher comme elle.
{{Personnage|Armande}} Quand sur une personne on prétend se régler,<br>C’est par les beaux côtés qu’il lui faut ressembler ;<br>{{NumVers|75}} Et ce n’est point du tout la prendre pour modèle,<br>Ma sœur, que de tousser et de cracher comme elle.
{{Personnage|Henriette}} Mais vous ne seriez pas ce dont vous vous vantez,<br>Si ma mère n’eût eu que de ces beaux côtés ;<br> Et bien vous prend, ma sœur, que son noble génie<br>{{NumVers|80}}N’ait pas vaqué toujours à la philosophie.<br>De grâce souffrez-moi par un peu de bonté<br>Des bassesses à qui vous devez la clarté ;<br>Et ne supprimez point, voulant qu’on vous seconde,<br>Quelque petit savant qui veut venir au monde.
{{Personnage|Henriette}} Mais vous ne seriez pas ce dont vous vous vantez,<br>Si ma mère n’eût eu que de ces beaux côtés ;<br> Et bien vous prend, ma sœur, que son noble génie<br>{{NumVers|80}} N’ait pas vaqué toujours à la philosophie.<br>De grâce souffrez-moi par un peu de bonté<br>Des bassesses à qui vous devez la clarté ;<br>Et ne supprimez point, voulant qu’on vous seconde,<br>Quelque petit savant qui veut venir au monde.
{{Personnage|Armande}} {{NumVers|85}}Je vois que votre esprit ne peut être guéri<br>Du fol entêtement de vous faire un mari :<br>Mais sachons, s’il vous plaît, qui vous songez à prendre ?<br>Votre visée au moins n’est pas mise à Clitandre.
{{Personnage|Armande}} {{NumVers|85}} Je vois que votre esprit ne peut être guéri<br>Du fol entêtement de vous faire un mari :<br>Mais sachons, s’il vous plaît, qui vous songez à prendre ?<br>Votre visée au moins n’est pas mise à Clitandre.
{{Personnage|Henriette}} Et par quelle raison n’y serait-elle pas ?<br>{{NumVers|90}}Manque-t-il de mérite ? est-ce un choix qui soit bas ?
{{Personnage|Henriette}} Et par quelle raison n’y serait-elle pas ?<br>{{NumVers|90}} Manque-t-il de mérite ? est-ce un choix qui soit bas ?
{{Personnage|Armande}} Non, mais c’est un dessein qui serait malhonnête,<br>Que de vouloir d’un autre enlever la conquête ;<br>Et ce n’est pas un fait dans le monde ignoré,<br>Que Clitandre ait pour moi hautement soupiré.
{{Personnage|Armande}} Non, mais c’est un dessein qui serait malhonnête,<br>Que de vouloir d’un autre enlever la conquête ;<br>Et ce n’est pas un fait dans le monde ignoré,<br>Que Clitandre ait pour moi hautement soupiré.
{{Personnage|Henriette}} {{NumVers|95}}Oui, mais tous ces soupirs chez vous sont choses vaines,<br>Et vous ne tombez point aux bassesses humaines ; <br>Votre esprit à l’hymen renonce pour toujours,<br>Et la philosophie a toutes vos amours :<br>Ainsi n’ayant au cœur nul dessein pour Clitandre,<br>{{NumVers|100}}Que vous importe-t-il qu’on y puisse prétendre ?
{{Personnage|Henriette}} {{NumVers|95}} Oui, mais tous ces soupirs chez vous sont choses vaines,<br>Et vous ne tombez point aux bassesses humaines ;<br>Votre esprit à l’hymen renonce pour toujours,<br>Et la philosophie a toutes vos amours :<br>Ainsi n’ayant au cœur nul dessein pour Clitandre,<br>{{NumVers|100}} Que vous importe-t-il qu’on y puisse prétendre ?
{{Personnage|Armande}} Cet empire que tient la raison sur les sens,<br>Ne fait pas renoncer aux douceurs des encens ;<br>Et l’on peut pour époux refuser un mérite<br>Que pour adorateur on veut bien à sa suite.
{{Personnage|Armande}} Cet empire que tient la raison sur les sens,<br>Ne fait pas renoncer aux douceurs des encens ;<br>Et l’on peut pour époux refuser un mérite<br>Que pour adorateur on veut bien à sa suite.
{{Personnage|Henriette}} {{NumVers|105}}Je n’ai pas empêché qu’à vos perfections<br>Il n’ait continué ses adorations ;<br>Et je n’ai fait que prendre, au refus de votre âme,<br>Ce qu’est venu m’offrir l’hommage de sa flamme.
{{Personnage|Henriette}} {{NumVers|105}} Je n’ai pas empêché qu’à vos perfections<br>Il n’ait continué ses adorations ;<br>Et je n’ai fait que prendre, au refus de votre âme,<br>Ce qu’est venu m’offrir l’hommage de sa flamme.
{{Personnage|Armande}} Mais à l’offre des vœux d’un amant dépité,<br>{{NumVers|110}} Trouvez-vous, je vous prie, entière sûreté ?<br>Croyez-vous pour vos yeux sa passion bien forte,<br>Et qu’en son cœur pour moi toute flamme soit morte ?
{{Personnage|Armande}} Mais à l’offre des vœux d’un amant dépité,<br>{{NumVers|110}} Trouvez-vous, je vous prie, entière sûreté ?<br>Croyez-vous pour vos yeux sa passion bien forte,<br>Et qu’en son cœur pour moi toute flamme soit morte ?
{{Personnage|Henriette}} Il me le dit, ma sœur, et pour moi je le croi.
{{Personnage|Henriette}} Il me le dit, ma sœur, et pour moi je le croi.
{{Personnage|Armande}} Ne soyez pas, ma sœur, d’une si bonne foi,<br>{{NumVers|115}} Et croyez, quand il dit qu’il me quitte et vous aime, <br>Qu’il n’y songe pas bien, et se trompe lui-même.
{{Personnage|Armande}} Ne soyez pas, ma sœur, d’une si bonne foi,<br>{{NumVers|115}} Et croyez, quand il dit qu’il me quitte et vous aime, <br>Qu’il n’y songe pas bien, et se trompe lui-même.
{{Personnage|Henriette}} Je ne sais ; mais enfin, si c’est votre plaisir,<br>Il nous est bien aisé de nous en éclaircir.<br>Je l’aperçois qui vient, et sur cette matière<br>{{NumVers|120}}Il pourra nous donner une pleine lumière.
{{Personnage|Henriette}} Je ne sais ; mais enfin, si c’est votre plaisir,<br>Il nous est bien aisé de nous en éclaircir.<br>Je l’aperçois qui vient, et sur cette matière<br>{{NumVers|120}} Il pourra nous donner une pleine lumière.


{{scène|II}}
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{{Personnage|Henriette}} Pour me tirer d’un doute où me jette ma sœur,<br>Entre elle et moi, Clitandre, expliquez votre cœur,<br>Découvrez-en le fond, et nous daignez apprendre<br>Qui de nous à vos vœux est en droit de prétendre.
{{Personnage|Henriette}} Pour me tirer d’un doute où me jette ma sœur,<br>Entre elle et moi, Clitandre, expliquez votre cœur,<br>Découvrez-en le fond, et nous daignez apprendre<br>Qui de nous à vos vœux est en droit de prétendre.
{{Personnage|Armande}} {{NumVers|125}}Non, non, je ne veux point à votre passion<br>Imposer la rigueur d’une explication ;<br>Je ménage les gens, et sais comme embarrasse<br>Le contraignant effort de ces aveux en face.
{{Personnage|Armande}} {{NumVers|125}} Non, non, je ne veux point à votre passion<br>Imposer la rigueur d’une explication ;<br>Je ménage les gens, et sais comme embarrasse<br>Le contraignant effort de ces aveux en face.
{{Personnage|Clitandre}} Non, Madame, mon cœur qui dissimule peu,<br>{{NumVers|130}}Ne sent nulle contrainte à faire un libre aveu ;<br>Dans aucun embarras un tel pas ne me jette,<br>Et j’avouerai tout haut d’une âme franche et nette,<br>Que les tendres liens où je suis arrêté,<br>Mon amour et mes vœux, sont tout de ce côté.<br>{{NumVers|135}}Qu’à nulle émotion cet aveu ne vous porte ;<br>Vous avez bien voulu les choses de la sorte,<br>Vos attraits m’avaient pris, et mes tendres soupirs<br>Vous ont assez prouvé l’ardeur de mes désirs :<br>Mon cœur vous consacrait une flamme immortelle,<br>{{NumVers|140}}Mais vos yeux n’ont pas cru leur conquête assez belle ;<br>J’ai souffert sous leur joug cent mépris différents,<br>Ils régnaient sur mon âme en superbes tyrans,<br>Et je me suis cherché, lassé de tant de peines,<br>Des vainqueurs plus humains, et de moins rudes chaînes :<br>{{NumVers|145}}Je les ai rencontrés, Madame, dans ces yeux,<br>Et leurs traits à jamais me seront précieux ;<br>D’un regard pitoyable ils ont séché mes larmes, <br>Et n’ont pas dédaigné le rebut de vos charmes ;<br>De si rares bontés m’ont si bien su toucher,<br>{{NumVers|150}}Qu’il n’est rien qui me puisse à mes fers arracher ;<br>Et j’ose maintenant vous conjurer, Madame,<br>De ne vouloir tenter nul effort sur ma flamme,<br>De ne point essayer à rappeler un cœur<br>Résolu de mourir dans cette douce ardeur.
{{Personnage|Clitandre}} Non, Madame, mon cœur qui dissimule peu,<br>{{NumVers|130}} Ne sent nulle contrainte à faire un libre aveu ;<br>Dans aucun embarras un tel pas ne me jette,<br>Et j’avouerai tout haut d’une âme franche et nette,<br>Que les tendres liens où je suis arrêté,<br>Mon amour et mes vœux, sont tout de ce côté.<br>{{NumVers|135}} Qu’à nulle émotion cet aveu ne vous porte ;<br>Vous avez bien voulu les choses de la sorte,<br>Vos attraits m’avaient pris, et mes tendres soupirs<br>Vous ont assez prouvé l’ardeur de mes désirs :<br>Mon cœur vous consacrait une flamme immortelle,<br>{{NumVers|140}} Mais vos yeux n’ont pas cru leur conquête assez belle ;<br>J’ai souffert sous leur joug cent mépris différents,<br>Ils régnaient sur mon âme en superbes tyrans,<br>Et je me suis cherché, lassé de tant de peines,<br>Des vainqueurs plus humains, et de moins rudes chaînes :<br>{{NumVers|145}} Je les ai rencontrés, Madame, dans ces yeux,<br>Et leurs traits à jamais me seront précieux ;<br>D’un regard pitoyable ils ont séché mes larmes,<br>Et n’ont pas dédaigné le rebut de vos charmes ;<br>De si rares bontés m’ont si bien su toucher,<br>{{NumVers|150}} Qu’il n’est rien qui me puisse à mes fers arracher ;<br>Et j’ose maintenant vous conjurer, Madame,<br>De ne vouloir tenter nul effort sur ma flamme,<br>De ne point essayer à rappeler un cœur<br>Résolu de mourir dans cette douce ardeur.
{{Personnage|Armande}} {{NumVers|155}}Eh qui vous dit, Monsieur, que l’on ait cette envie,<br>Et que de vous enfin si fort on se soucie ? <br>Je vous trouve plaisant, de vous le figurer ;<br>Et bien impertinent, de me le déclarer.
{{Personnage|Armande}} {{NumVers|155}} Eh qui vous dit, Monsieur, que l’on ait cette envie,<br>Et que de vous enfin si fort on se soucie ? <br>Je vous trouve plaisant, de vous le figurer ;<br>Et bien impertinent, de me le déclarer.
{{Personnage|Henriette}} Eh doucement, ma sœur. Où donc est la morale<br>{{NumVers|160}}Qui sait si bien régir la partie animale,<br>Et retenir la bride aux efforts du courroux ?
{{Personnage|Henriette}} Eh doucement, ma sœur. Où donc est la morale<br>{{NumVers|160}} Qui sait si bien régir la partie animale,<br>Et retenir la bride aux efforts du courroux ?
{{Personnage|Armande}} Mais vous qui m’en parlez, où la pratiquez-vous,<br>De répondre à l’amour que l’on vous fait paraître,<br>Sans le congé de ceux qui vous ont donné l’être ?<br>{{NumVers|165}}Sachez que le devoir vous soumet à leurs lois,<br>Qu’il ne vous est permis d’aimer que par leur choix,<br>Qu’ils ont sur votre cœur l’autorité suprême,<br>Et qu’il est criminel d’en disposer vous-même.
{{Personnage|Armande}} Mais vous qui m’en parlez, où la pratiquez-vous,<br>De répondre à l’amour que l’on vous fait paraître,<br>Sans le congé de ceux qui vous ont donné l’être ?<br>{{NumVers|165}} Sachez que le devoir vous soumet à leurs lois,<br>Qu’il ne vous est permis d’aimer que par leur choix,<br>Qu’ils ont sur votre cœur l’autorité suprême,<br>Et qu’il est criminel d’en disposer vous-même.
{{Personnage|Henriette}} Je rends grâce aux bontés que vous me faites voir,<br>{{NumVers|170}}De m’enseigner si bien les choses du devoir ;<br>Mon cœur sur vos leçons veut régler sa conduite,<br>Et pour vous faire voir, ma sœur, que j’en profite,<br>Clitandre, prenez soin d’appuyer votre amour<br>De l’agrément de ceux dont j’ai reçu le jour,<br>{{NumVers|175}}Faites-vous sur mes vœux un pouvoir légitime,<br>
{{Personnage|Henriette}} Je rends grâce aux bontés que vous me faites voir,<br>{{NumVers|170}} De m’enseigner si bien les choses du devoir ;<br>Mon cœur sur vos leçons veut régler sa conduite,<br>Et pour vous faire voir, ma sœur, que j’en profite,<br>Clitandre, prenez soin d’appuyer votre amour<br>De l’agrément de ceux dont j’ai reçu le jour,<br>{{NumVers|175}} Faites-vous sur mes vœux un pouvoir légitime,<br>Et me donnez moyen de vous aimer sans crime.
Et me donnez moyen de vous aimer sans crime.
{{Personnage|Clitandre}} J’y vais de tous mes soins travailler hautement,<br>Et j’attendais de vous ce doux consentement.
{{Personnage|Clitandre}} J’y vais de tous mes soins travailler hautement,<br>Et j’attendais de vous ce doux consentement.
{{Personnage|Armande}} Vous triomphez, ma sœur, et faites une mine<br>{{NumVers|180}} À vous imaginer que cela me chagrine.
{{Personnage|Armande}} Vous triomphez, ma sœur, et faites une mine<br>{{NumVers|180}} À vous imaginer que cela me chagrine.
{{Personnage|Henriette}} Moi, ma sœur, point du tout ; je sais que sur vos sens<br>Les droits de la raison sont toujours tout-puissants, <br>Et que par les leçons qu’on prend dans la sagesse,<br>Vous êtes au-dessus d’une telle faiblesse.
{{Personnage|Henriette}} Moi, ma sœur, point du tout ; je sais que sur vos sens<br>Les droits de la raison sont toujours tout-puissants, <br>Et que par les leçons qu’on prend dans la sagesse,<br>Vous êtes au-dessus d’une telle faiblesse.
<br>{{NumVers|185}}Loin de vous soupçonner d’aucun chagrin, je croi<br>Qu’ici vous daignerez vous employer pour moi,<br>Appuyer sa demande, et de votre suffrage<br>Presser l’heureux moment de notre mariage.<br>Je vous en sollicite, et pour y travailler…
<br>{{NumVers|185}} Loin de vous soupçonner d’aucun chagrin, je croi<br>Qu’ici vous daignerez vous employer pour moi,<br>Appuyer sa demande, et de votre suffrage<br>Presser l’heureux moment de notre mariage.<br>Je vous en sollicite, et pour y travailler…
{{Personnage|Armande}} {{NumVers|190}}Votre petit esprit se mêle de railler,<br>Et d’un cœur qu’on vous jette on vous voit toute fière.
{{Personnage|Armande}} {{NumVers|190}} Votre petit esprit se mêle de railler,<br>Et d’un cœur qu’on vous jette on vous voit toute fière.
{{Personnage|Henriette}} Tout jeté qu’est ce cœur, il ne vous déplaît guère ;<br>Et si vos yeux sur moi le pouvaient ramasser,<br>Ils prendraient aisément le soin de se baisser.
{{Personnage|Henriette}} Tout jeté qu’est ce cœur, il ne vous déplaît guère ;<br>Et si vos yeux sur moi le pouvaient ramasser,<br>Ils prendraient aisément le soin de se baisser.
{{Personnage|Armande}} {{NumVers|195}}À répondre à cela je ne daigne descendre,<br>Et ce sont sots discours qu’il ne faut pas entendre.
{{Personnage|Armande}} {{NumVers|195}} À répondre à cela je ne daigne descendre,<br>Et ce sont sots discours qu’il ne faut pas entendre.
{{Personnage|Henriette}} C’est fort bien fait à vous, et vous nous faites voir<br>Des modérations qu’on ne peut concevoir.
{{Personnage|Henriette}} C’est fort bien fait à vous, et vous nous faites voir<br>Des modérations qu’on ne peut concevoir.


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{{Personnage|Henriette}} Votre sincère aveu ne l’a pas peu surprise.
{{Personnage|Henriette}} Votre sincère aveu ne l’a pas peu surprise.
{{Personnage|Clitandre}} {{NumVers|200}}Elle mérite assez une telle franchise,<br>Et toutes les hauteurs de sa folle fierté<br>Sont dignes tout au moins de ma sincérité :<br>Mais puisqu’il m’est permis, je vais à votre père, Madame…
{{Personnage|Clitandre}} {{NumVers|200}} Elle mérite assez une telle franchise,<br>Et toutes les hauteurs de sa folle fierté<br>Sont dignes tout au moins de ma sincérité :<br>Mais puisqu’il m’est permis, je vais à votre père, Madame…
{{Personnage|Henriette}} Le plus sûr est de gagner ma mère :<br>Mon père est d’une humeur à consentir à tout,<br>Mais il met peu de poids aux choses qu’il résout ;<br>Il a reçu du Ciel certaine bonté d’âme,<br>Qui le soumet d’abord à ce que veut sa femme ;<br>C’est elle qui gouverne, et d’un ton absolu<br>{{NumVers|210}}Elle dicte pour loi ce qu’elle a résolu.<br>Je voudrais bien vous voir pour elle, et pour ma tante,<br>Une âme, je l’avoue, un peu plus complaisante,<br>Un esprit qui flattant les visions du leur,<br>Vous pût de leur estime attirer la chaleur.
{{Personnage|Henriette}} Le plus sûr est de gagner ma mère :<br>Mon père est d’une humeur à consentir à tout,<br>Mais il met peu de poids aux choses qu’il résout ;<br>Il a reçu du Ciel certaine bonté d’âme,<br>Qui le soumet d’abord à ce que veut sa femme ;<br>C’est elle qui gouverne, et d’un ton absolu<br>{{NumVers|210}} Elle dicte pour loi ce qu’elle a résolu.<br>Je voudrais bien vous voir pour elle, et pour ma tante,<br>Une âme, je l’avoue, un peu plus complaisante,<br>Un esprit qui flattant les visions du leur,<br>Vous pût de leur estime attirer la chaleur.
{{Personnage|Clitandre}} {{NumVers|215}}Mon cœur n’a jamais pu, tant il est né sincère,<br>Même dans votre sœur flatter leur caractère, <br>Et les femmes docteurs ne sont point de mon goût.<br>Je consens qu’une femme ait des clartés de tout,<br>Mais je ne lui veux point la passion choquante<br>{{NumVers|220}}De se rendre savante afin d’être savante ;<br>Et j’aime que souvent aux questions qu’on fait,<br>Elle sache ignorer les choses qu’elle sait ;<br>De son étude enfin je veux qu’elle se cache,<br>Et qu’elle ait du savoir sans vouloir qu’on le sache,<br>{{NumVers|225}}Sans citer les auteurs, sans dire de grands mots,<br>Et clouer de l’esprit à ses moindres propos.<br>Je respecte beaucoup Madame votre mère,<br>Mais je ne puis du tout approuver sa chimère,<br>Et me rendre l’écho des choses qu’elle dit<br> {{NumVers|230}}Aux encens qu’elle donne à son héros d’esprit.<br>Son Monsieur Trissotin me chagrine, m’assomme,<br>Et j’enrage de voir qu’elle estime un tel homme,<br>Qu’elle nous mette au rang des grands et beaux esprits<br>Un benêt dont partout on siffle les écrits,<br>{{NumVers|235}}Un pédant dont on voit la plume libérale<br>D’officieux papiers fournir toute la halle.
{{Personnage|Clitandre}} {{NumVers|215}} Mon cœur n’a jamais pu, tant il est né sincère,<br>Même dans votre sœur flatter leur caractère, <br>Et les femmes docteurs ne sont point de mon goût.<br>Je consens qu’une femme ait des clartés de tout,<br>Mais je ne lui veux point la passion choquante<br>{{NumVers|220}} De se rendre savante afin d’être savante ;<br>Et j’aime que souvent aux questions qu’on fait,<br>Elle sache ignorer les choses qu’elle sait ;<br>De son étude enfin je veux qu’elle se cache,<br>Et qu’elle ait du savoir sans vouloir qu’on le sache,<br>{{NumVers|225}} Sans citer les auteurs, sans dire de grands mots,<br>Et clouer de l’esprit à ses moindres propos.<br>Je respecte beaucoup Madame votre mère,<br>Mais je ne puis du tout approuver sa chimère,<br>Et me rendre l’écho des choses qu’elle dit<br> {{NumVers|230}} Aux encens qu’elle donne à son héros d’esprit.<br>Son Monsieur Trissotin me chagrine, m’assomme,<br>Et j’enrage de voir qu’elle estime un tel homme,<br>Qu’elle nous mette au rang des grands et beaux esprits<br>Un benêt dont partout on siffle les écrits,<br>{{NumVers|235}} Un pédant dont on voit la plume libérale<br>D’officieux papiers fournir toute la halle.
{{Personnage|Henriette}} Ses écrits, ses discours, tout m’en semble ennuyeux,<br>Et je me trouve assez votre goût et vos yeux<br>Mais comme sur ma mère il a grande puissance,<br>{{NumVers|240}}Vous devez vous forcer à quelque complaisance.<br>Un amant fait sa cour où s’attache son cœur,<br>Il veut de tout le monde y gagner la faveur ;<br>Et pour n’avoir personne à sa flamme contraire,<br>Jusqu’au chien du logis il s’efforce de plaire.
{{Personnage|Henriette}} Ses écrits, ses discours, tout m’en semble ennuyeux,<br>Et je me trouve assez votre goût et vos yeux<br>Mais comme sur ma mère il a grande puissance,<br>{{NumVers|240}} Vous devez vous forcer à quelque complaisance.<br>Un amant fait sa cour où s’attache son cœur,<br>Il veut de tout le monde y gagner la faveur ;<br>Et pour n’avoir personne à sa flamme contraire,<br>Jusqu’au chien du logis il s’efforce de plaire.
{{Personnage|Clitandre}} {{NumVers|245}}<br>Oui, vous avez raison ; mais Monsieur Trissotin<br>M’inspire au fond de l’âme un dominant chagrin.<br>Je ne puis consentir, pour gagner ses suffrages,<br>À me déshonorer, en prisant ses ouvrages ;<br>C’est par eux qu’à mes yeux il a d’abord paru,<br>{{NumVers|250}}Et je le connaissais avant que l’avoir vu.<br>Je vis dans le fatras des écrits qu’il nous donne<br>Ce qu’étale en tous lieux sa pédante personne,<br>La constante hauteur de sa présomption ;<br>Cette intrépidité de bonne opinion ;<br>{{NumVers|255}} Cet indolent état de confiance extrême,<br>Qui le rend en tout temps si content de soi-même,<br>Qui fait qu’à son mérite incessamment il rit ;<br>Qu’il se sait si bon gré de tout ce qu’il écrit ;<br>Et qu’il ne voudrait pas changer sa renommée<br>{{NumVers|260}}Contre tous les honneurs d’un général d’armée.
{{Personnage|Clitandre}} {{NumVers|245}}<br>Oui, vous avez raison ; mais Monsieur Trissotin<br>M’inspire au fond de l’âme un dominant chagrin.<br>Je ne puis consentir, pour gagner ses suffrages,<br>À me déshonorer, en prisant ses ouvrages ;<br>C’est par eux qu’à mes yeux il a d’abord paru,<br>{{NumVers|250}} Et je le connaissais avant que l’avoir vu.<br>Je vis dans le fatras des écrits qu’il nous donne<br>Ce qu’étale en tous lieux sa pédante personne,<br>La constante hauteur de sa présomption ;<br>Cette intrépidité de bonne opinion ;<br>{{NumVers|255}} Cet indolent état de confiance extrême,<br>Qui le rend en tout temps si content de soi-même,<br>Qui fait qu’à son mérite incessamment il rit ;<br>Qu’il se sait si bon gré de tout ce qu’il écrit ;<br>Et qu’il ne voudrait pas changer sa renommée<br>{{NumVers|260}} Contre tous les honneurs d’un général d’armée.
{{Personnage|Henriette}} C’est avoir de bons yeux que de voir tout cela.
{{Personnage|Henriette}} C’est avoir de bons yeux que de voir tout cela.
{{Personnage|Clitandre}} Jusques à sa figure encor la chose alla [[Les Femmes savantes - Notes#note16|*]],<br>Et je vis par les vers qu’à la tête il nous jette,<br>De quel air il fallait que fût fait le poète ;<br>{{NumVers|265}}Et j’en avais si bien deviné tous les traits, <br>Que rencontrant un homme un jour dans le Palais,<br>Je gageai que c’était Trissotin en personne,<br>Et je vis qu’en effet la gageure était bonne.
{{Personnage|Clitandre}} Jusques à sa figure encor la chose alla,<br>Et je vis par les vers qu’à la tête il nous jette,<br>De quel air il fallait que fût fait le poète ;<br>{{NumVers|265}} Et j’en avais si bien deviné tous les traits, <br>Que rencontrant un homme un jour dans le Palais,<br>Je gageai que c’était Trissotin en personne,<br>Et je vis qu’en effet la gageure était bonne.
{{Personnage|Henriette}} Quel conte !
{{Personnage|Henriette}} Quel conte !
{{Personnage|Clitandre}} Non, je dis la chose comme elle est :<br>{{NumVers|270}}Mais je vois votre tante. Agréez, s’il vous plaît,<br>Que mon cœur lui déclare ici notre mystère,<br>Et gagne sa faveur auprès de votre mère.
{{Personnage|Clitandre}} Non, je dis la chose comme elle est :<br>{{NumVers|270}} Mais je vois votre tante. Agréez, s’il vous plaît,<br>Que mon cœur lui déclare ici notre mystère,<br>Et gagne sa faveur auprès de votre mère.


{{scène|IV}}
{{scène|IV}}
{{sc|Clitandre}}, {{sc|Bélise}}.
{{sc|Clitandre}}, {{sc|Bélise}}.


{{Personnage|Clitandre}} Souffrez, pour vous parler, Madame, qu’un amant<br>Prenne l’occasion de cet heureux moment,<br>{{NumVers|275}}Et se découvre à vous de la sincère flamme…
{{Personnage|Clitandre}} Souffrez, pour vous parler, Madame, qu’un amant<br>Prenne l’occasion de cet heureux moment,<br>{{NumVers|275}} Et se découvre à vous de la sincère flamme…
{{Personnage|Bélise}} Ah tout beau, gardez-vous de m’ouvrir trop votre âme :<br>Si je vous ai su mettre au rang de mes amants,<br>Contentez-vous des yeux pour vos seuls truchements,<br>Et ne m’expliquez point par un autre langage<br>{{NumVers|280}}Des désirs qui chez moi passent pour un outrage ;<br>Aimez-moi, soupirez, brûlez pour mes appas,<br>Mais qu’il me soit permis de ne le savoir pas :<br>Je puis fermer les yeux sur vos flammes secrètes,<br>Tant que vous vous tiendrez aux muets interprètes ;<br>{{NumVers|285}}Mais si la bouche vient à s’en vouloir mêler,<br>Pour jamais de ma vue il vous faut exiler.
{{Personnage|Bélise}} Ah tout beau, gardez-vous de m’ouvrir trop votre âme :<br>Si je vous ai su mettre au rang de mes amants,<br>Contentez-vous des yeux pour vos seuls truchements,<br>Et ne m’expliquez point par un autre langage<br>{{NumVers|280}} Des désirs qui chez moi passent pour un outrage ;<br>Aimez-moi, soupirez, brûlez pour mes appas,<br>Mais qu’il me soit permis de ne le savoir pas :<br>Je puis fermer les yeux sur vos flammes secrètes,<br>Tant que vous vous tiendrez aux muets interprètes ;<br>{{NumVers|285}} Mais si la bouche vient à s’en vouloir mêler,<br>Pour jamais de ma vue il vous faut exiler.
{{Personnage|Clitandre}} Des projets de mon cœur ne prenez point d’alarme ;<br>Henriette, Madame, est l’objet qui me charme,<br>Et je viens ardemment conjurer vos bontés<br>{{NumVers|290}}De seconder l’amour que j’ai pour ses beautés.
{{Personnage|Clitandre}} Des projets de mon cœur ne prenez point d’alarme ;<br>Henriette, Madame, est l’objet qui me charme,<br>Et je viens ardemment conjurer vos bontés<br>{{NumVers|290}} De seconder l’amour que j’ai pour ses beautés.
{{Personnage|Bélise}} Ah certes le détour est d’esprit, je l’avoue,<br>Ce subtil faux-fuyant mérite qu’on le loue ;<br>Et dans tous les romans où j’ai jeté les yeux,<br>Je n’ai rien rencontré de plus ingénieux.
{{Personnage|Bélise}} Ah certes le détour est d’esprit, je l’avoue,<br>Ce subtil faux-fuyant mérite qu’on le loue ;<br>Et dans tous les romans où j’ai jeté les yeux,<br>Je n’ai rien rencontré de plus ingénieux.
{{Personnage|Clitandre}} {{NumVers|295}}Ceci n’est point du tout un trait d’esprit, Madame,<br>Et c’est un pur aveu de ce que j’ai dans l’âme.<br>Les cieux, par les liens d’une immuable ardeur,<br>Aux beautés d’Henriette ont attaché mon cœur ;<br>Henriette me tient sous son aimable empire,<br>{{NumVers|300}}Et l’hymen d’Henriette est le bien où j’aspire ;<br>Vous y pouvez beaucoup, et tout ce que je veux, <br>C’est que vous y daigniez favoriser mes vœux.
{{Personnage|Clitandre}} {{NumVers|295}}Ceci n’est point du tout un trait d’esprit, Madame,<br>Et c’est un pur aveu de ce que j’ai dans l’âme.<br>Les cieux, par les liens d’une immuable ardeur,<br>Aux beautés d’Henriette ont attaché mon cœur ;<br>Henriette me tient sous son aimable empire,<br>{{NumVers|300}} Et l’hymen d’Henriette est le bien où j’aspire ;<br>Vous y pouvez beaucoup, et tout ce que je veux, <br>C’est que vous y daigniez favoriser mes vœux.
{{Personnage|Bélise}} Je vois où doucement veut aller la demande,<br>Et je sais sous ce nom ce qu’il faut que j’entende ;<br>
{{Personnage|Bélise}} Je vois où doucement veut aller la demande,<br>Et je sais sous ce nom ce qu’il faut que j’entende ;<br>
{{NumVers|305}}La figure [[Les Femmes savantes - Notes#note18|*]] est adroite, et pour n’en point sortir,<br>Aux choses que mon cœur m’offre à vous repartir,<br>Je dirai qu’Henriette à l’hymen est rebelle,<br>Et que sans rien prétendre, il faut brûler pour elle.
{{NumVers|305}} La figure est adroite, et pour n’en point sortir,<br>Aux choses que mon cœur m’offre à vous repartir,<br>Je dirai qu’Henriette à l’hymen est rebelle,<br>Et que sans rien prétendre, il faut brûler pour elle.
{{Personnage|Clitandre}} Eh, Madame, à quoi bon un pareil embarras,<br>{{NumVers|310}}Et pourquoi voulez-vous penser ce qui n’est pas ? {{Personnage|Bélise}} Mon Dieu, point de façons ; cessez de vous défendre<br>De ce que vos regards m’ont souvent fait entendre ;<br>Il suffit que l’on est contente du détour<br>Dont s’est adroitement avisé votre amour,<br>{{NumVers|315}}Et que sous la figure où le respect l’engage,<br>On veut bien se résoudre à souffrir son hommage,<br>Pourvu que ses transports par l’honneur éclairés<br>N’offrent à mes autels que des vœux épurés.
{{Personnage|Clitandre}} Eh, Madame, à quoi bon un pareil embarras,<br>{{NumVers|310}} Et pourquoi voulez-vous penser ce qui n’est pas ? {{Personnage|Bélise}} Mon Dieu, point de façons ; cessez de vous défendre<br>De ce que vos regards m’ont souvent fait entendre ;<br>Il suffit que l’on est contente du détour<br>Dont s’est adroitement avisé votre amour,<br>{{NumVers|315}} Et que sous la figure où le respect l’engage,<br>On veut bien se résoudre à souffrir son hommage,<br>Pourvu que ses transports par l’honneur éclairés<br>N’offrent à mes autels que des vœux épurés.
{{Personnage|Clitandre}} Mais…
{{Personnage|Clitandre}} Mais…
{{Personnage|Bélise}} Adieu, pour ce coup ceci doit vous suffire,<br>{{NumVers|320}}Et je vous ai plus dit que je ne voulais dire.
{{Personnage|Bélise}} Adieu, pour ce coup ceci doit vous suffire,<br>{{NumVers|320}} Et je vous ai plus dit que je ne voulais dire.
{{Personnage|Clitandre}} Mais votre erreur…
{{Personnage|Clitandre}} Mais votre erreur…
{{Personnage|Bélise}} Laissez, je rougis maintenant,<br>Et ma pudeur s’est fait un effort surprenant.
{{Personnage|Bélise}} Laissez, je rougis maintenant,<br>Et ma pudeur s’est fait un effort surprenant.
{{Personnage|Clitandre}} Je veux être pendu, si je vous aime, et sage…
{{Personnage|Clitandre}} Je veux être pendu, si je vous aime, et sage…
{{Personnage|Bélise}} Non, non, je ne veux rien entendre davantage.
{{Personnage|Bélise}} Non, non, je ne veux rien entendre davantage.
{{Personnage|Clitandre}} {{NumVers|325}}Diantre soit de la folle avec ses visions.<br>A-t-on rien vu d’égal à ces préventions ?<br>Allons commettre un autre au soin que l’on me donne,<br>Et prenons le secours d’une sage personne.
{{Personnage|Clitandre}} {{NumVers|325}} Diantre soit de la folle avec ses visions.<br>A-t-on rien vu d’égal à ces préventions ?<br>Allons commettre un autre au soin que l’on me donne,<br>Et prenons le secours d’une sage personne.


{{acte|II}}
{{acte|II}}


{{scène|I}}
{{scène|I}}
{{sc|Ariste}}.<br>Oui, je vous porterai la réponse au plus tôt ;<br>{{NumVers|330}}J’appuierai, presserai, ferai tout ce qu’il faut.<br>Qu’un amant, pour un mot, a de choses à dire !<br>Et qu’impatiemment il veut ce qu’il désire !<br>Jamais…
{{sc|Ariste}}.<br>Oui, je vous porterai la réponse au plus tôt ;<br>{{NumVers|330}} J’appuierai, presserai, ferai tout ce qu’il faut.<br>Qu’un amant, pour un mot, a de choses à dire !<br>Et qu’impatiemment il veut ce qu’il désire !<br>Jamais…


{{scène|II}}
{{scène|II}}
Ligne 123 : Ligne 122 :
{{Personnage|Chrysale}} Et vous aussi,<br>Mon frère.
{{Personnage|Chrysale}} Et vous aussi,<br>Mon frère.
{{Personnage|Ariste}} Savez-vous ce qui m’amène ici ?
{{Personnage|Ariste}} Savez-vous ce qui m’amène ici ?
{{Personnage|Chrysale}} {{NumVers|335}}Non ; mais, si vous voulez, je suis prêt à l’apprendre.
{{Personnage|Chrysale}} {{NumVers|335}} Non ; mais, si vous voulez, je suis prêt à l’apprendre.
{{Personnage|Ariste}} Depuis assez longtemps vous connaissez Clitandre ?
{{Personnage|Ariste}} Depuis assez longtemps vous connaissez Clitandre ?
{{Personnage|Chrysale}} Sans doute, et je le vois qui fréquente chez nous.
{{Personnage|Chrysale}} Sans doute, et je le vois qui fréquente chez nous.
{{Personnage|Ariste}} En quelle estime est-il, mon frère, auprès de vous ?
{{Personnage|Ariste}} En quelle estime est-il, mon frère, auprès de vous ?
{{Personnage|Chrysale}} D’homme d’honneur, d’esprit, de cœur, et de conduite,<br>{{NumVers|340}}Et je vois peu de gens qui soient de son mérite.
{{Personnage|Chrysale}} D’homme d’honneur, d’esprit, de cœur, et de conduite,<br>{{NumVers|340}} Et je vois peu de gens qui soient de son mérite.
{{Personnage|Ariste}} Certain désir qu’il a, conduit ici mes pas,<br>Et je me réjouis que vous en fassiez cas.
{{Personnage|Ariste}} Certain désir qu’il a, conduit ici mes pas,<br>Et je me réjouis que vous en fassiez cas.
{{Personnage|Chrysale}} Je connus feu son père en mon voyage à Rome.
{{Personnage|Chrysale}} Je connus feu son père en mon voyage à Rome.
Ligne 133 : Ligne 132 :
{{Personnage|Chrysale}} C’était, mon frère, un fort bon gentilhomme.
{{Personnage|Chrysale}} C’était, mon frère, un fort bon gentilhomme.
{{Personnage|Ariste}} On le dit.
{{Personnage|Ariste}} On le dit.
{{Personnage|Chrysale}} {{NumVers|345}}Nous n’avions alors que vingt-huit ans,<br>Et nous étions, ma foi, tous deux de verts galants.
{{Personnage|Chrysale}} {{NumVers|345}} Nous n’avions alors que vingt-huit ans,<br>Et nous étions, ma foi, tous deux de verts galants.
{{Personnage|Ariste}} Je le crois.
{{Personnage|Ariste}} Je le crois.
{{Personnage|Chrysale}} Nous donnions [[Les Femmes savantes - Notes#note22|*]] chez les dames romaines,<br>Et tout le monde là parlait de nos fredaines ;<br>Nous faisions des jaloux.
{{Personnage|Chrysale}} Nous donnions chez les dames romaines,<br>Et tout le monde là parlait de nos fredaines ;<br>Nous faisions des jaloux.
{{Personnage|Ariste}} Voilà qui va des mieux :<br>{{NumVers|350}}Mais venons au sujet qui m’amène en ces lieux.
{{Personnage|Ariste}} Voilà qui va des mieux :<br>{{NumVers|350}} Mais venons au sujet qui m’amène en ces lieux.


{{scène|III}}
{{scène|III}}
Ligne 144 : Ligne 143 :
{{Personnage|Chrysale}} Quoi, de ma fille ?
{{Personnage|Chrysale}} Quoi, de ma fille ?
{{Personnage|Ariste}} Oui, Clitandre en est charmé,<br>Et je ne vis jamais amant plus enflammé.
{{Personnage|Ariste}} Oui, Clitandre en est charmé,<br>Et je ne vis jamais amant plus enflammé.
{{Personnage|AristBélise}} {{NumVers|355}}Non, non, je vous entends, vous ignorez l’histoire,<br>Et l’affaire n’est pas ce que vous pouvez croire.
{{Personnage|Bélise}} {{NumVers|355}} Non, non, je vous entends, vous ignorez l’histoire,<br>Et l’affaire n’est pas ce que vous pouvez croire.
{{Personnage|Ariste}} Comment, ma sœur ?
{{Personnage|Ariste}} Comment, ma sœur ?
{{Personnage|Bélise}} Clitandre abuse vos esprits,<br>Et c’est d’un autre objet que son cœur est épris.
{{Personnage|Bélise}} Clitandre abuse vos esprits,<br>Et c’est d’un autre objet que son cœur est épris.
{{Personnage|Ariste}} Vous raillez. Ce n’est pas Henriette qu’il aime ?
{{Personnage|Ariste}} Vous raillez. Ce n’est pas Henriette qu’il aime ?
{{Personnage|Bélise}} Non, j’en suis assurée.
{{Personnage|Bélise}} Non, j’en suis assurée.
{{Personnage|Ariste}} {{NumVers|360}}Il me l’a dit lui-même.
{{Personnage|Ariste}} {{NumVers|360}} Il me l’a dit lui-même.
{{Personnage|Bélise}} Eh oui.
{{Personnage|Bélise}} Eh oui.
{{Personnage|Ariste}} Vous me voyez, ma sœur, chargé par lui<br>D’en faire la demande à son père aujourd’hui.
{{Personnage|Ariste}} Vous me voyez, ma sœur, chargé par lui<br>D’en faire la demande à son père aujourd’hui.
Ligne 155 : Ligne 154 :
{{Personnage|Ariste}} Et son amour même m’a fait instance<br>De presser les moments d’une telle alliance.
{{Personnage|Ariste}} Et son amour même m’a fait instance<br>De presser les moments d’une telle alliance.
{{Personnage|Bélise}} {{NumVers|365}} Encor mieux. On ne peut tromper plus galamment.<br>Henriette, entre nous, est un amusement,<br>Un voile ingénieux, un prétexte, mon frère,<br>À couvrir d’autres feux dont je sais le mystère,<br>Et je veux bien tous deux vous mettre hors d’erreur.
{{Personnage|Bélise}} {{NumVers|365}} Encor mieux. On ne peut tromper plus galamment.<br>Henriette, entre nous, est un amusement,<br>Un voile ingénieux, un prétexte, mon frère,<br>À couvrir d’autres feux dont je sais le mystère,<br>Et je veux bien tous deux vous mettre hors d’erreur.
{{Personnage|Ariste}} {{NumVers|370}}Mais puisque vous savez tant de choses, ma sœur,<br>Dites-nous, s’il vous plaît, cet autre objet qu’il aime.
{{Personnage|Ariste}} {{NumVers|370}} Mais puisque vous savez tant de choses, ma sœur,<br>Dites-nous, s’il vous plaît, cet autre objet qu’il aime.
{{Personnage|Bélise}} Vous le voulez savoir ?
{{Personnage|Bélise}} Vous le voulez savoir ?
{{Personnage|Ariste}} Oui. Quoi ?
{{Personnage|Ariste}} Oui. Quoi ?
Ligne 165 : Ligne 164 :
{{Personnage|Ariste}} Ces gens vous aiment ?
{{Personnage|Ariste}} Ces gens vous aiment ?
{{Personnage|Bélise}} Oui, de toute leur puissance.
{{Personnage|Bélise}} Oui, de toute leur puissance.
{{Personnage|Ariste}} Ils vous l’ont dit ? </TD></TR>
{{Personnage|Ariste}} Ils vous l’ont dit ?
{{Personnage|Bélise}} {{NumVers|380}}Aucun n’a pris cette licence ;<br>Ils m’ont su révérer si fort jusqu’à ce jour,<br>Qu’ils ne m’ont jamais dit un mot de leur amour :<br>Mais pour m’offrir leur cœur, et vouer leur service,<br>Les muets truchements ont tous fait leur office.
{{Personnage|Bélise}} {{NumVers|380}} Aucun n’a pris cette licence ;<br>Ils m’ont su révérer si fort jusqu’à ce jour,<br>Qu’ils ne m’ont jamais dit un mot de leur amour :<br>Mais pour m’offrir leur cœur, et vouer leur service,<br>Les muets truchements ont tous fait leur office.
{{Personnage|Ariste}} {{NumVers|385}}On ne voit presque point céans venir Damis.
{{Personnage|Ariste}} {{NumVers|385}} On ne voit presque point céans venir Damis.
{{Personnage|Bélise}} C’est pour me faire voir un respect plus soumis.
{{Personnage|Bélise}} C’est pour me faire voir un respect plus soumis.
{{Personnage|Ariste}} De mots piquants partout Dorante vous outrage.
{{Personnage|Ariste}} De mots piquants partout Dorante vous outrage.
{{Personnage|Bélise}} Ce sont emportements d’une jalouse rage.
{{Personnage|Bélise}} Ce sont emportements d’une jalouse rage.
{{Personnage|Ariste}} Cléonte et Lycidas ont pris femme tous deux.
{{Personnage|Ariste}} Cléonte et Lycidas ont pris femme tous deux.
{{Personnage|Bélise}} {{NumVers|390}}C’est par un désespoir où j’ai réduit leurs feux.
{{Personnage|Bélise}} {{NumVers|390}} C’est par un désespoir où j’ai réduit leurs feux.
{{Personnage|Ariste}} Ma foi ! ma chère sœur, vision toute claire.
{{Personnage|Ariste}} Ma foi ! ma chère sœur, vision toute claire.
{{Personnage|Chrysale}} De ces chimères-là vous devez vous défaire.
{{Personnage|Chrysale}} De ces chimères-là vous devez vous défaire.
Ligne 184 : Ligne 183 :
{{Personnage|Chrysale}} Faut-il le demander ? J’y consens de bon cœur,<br>Et tiens son alliance à singulier honneur.
{{Personnage|Chrysale}} Faut-il le demander ? J’y consens de bon cœur,<br>Et tiens son alliance à singulier honneur.
{{Personnage|Ariste}} Vous savez que de bien il n’a pas l’abondance,<br>Que…
{{Personnage|Ariste}} Vous savez que de bien il n’a pas l’abondance,<br>Que…
{{Personnage|Chrysale}} C’est un intérêt qui n’est pas d’importance ;<br>{{NumVers|405}}Il est riche en vertu, cela vaut des trésors,<br>
{{Personnage|Chrysale}} C’est un intérêt qui n’est pas d’importance ;<br>{{NumVers|405}} Il est riche en vertu, cela vaut des trésors,<br>
Et puis son père et moi n’étions qu’un en deux corps.
Et puis son père et moi n’étions qu’un en deux corps.
{{Personnage|Ariste}} Parlons à votre femme, et voyons à la rendre<br>Favorable…
{{Personnage|Ariste}} Parlons à votre femme, et voyons à la rendre<br>Favorable…
{{Personnage|Chrysale}} Il suffit, je l’accepte pour gendre.
{{Personnage|Chrysale}} Il suffit, je l’accepte pour gendre.
{{Personnage|Ariste}} Oui ; mais pour appuyer votre consentement,<br>{{NumVers|410}}Mon frère, il n’est pas mal d’avoir son agrément, <br>Allons…
{{Personnage|Ariste}} Oui ; mais pour appuyer votre consentement,<br>{{NumVers|410}} Mon frère, il n’est pas mal d’avoir son agrément, <br>Allons…
{{Personnage|Chrysale}} Vous moquez-vous ? Il n’est pas nécessaire,<br>Je réponds de ma femme, et prends sur moi l’affaire.
{{Personnage|Chrysale}} Vous moquez-vous ? Il n’est pas nécessaire,<br>Je réponds de ma femme, et prends sur moi l’affaire.
{{Personnage|Ariste}} Mais…
{{Personnage|Ariste}} Mais…
{{Personnage|Chrysale}} Laissez faire, dis-je, et n’appréhendez pas.<br>Je la vais disposer aux choses de ce pas.
{{Personnage|Chrysale}} Laissez faire, dis-je, et n’appréhendez pas.<br>Je la vais disposer aux choses de ce pas.
{{Personnage|Ariste}} {{NumVers|415}}Soit. Je vais là-dessus sonder votre Henriette,<br>Et reviendrai savoir…
{{Personnage|Ariste}} {{NumVers|415}} Soit. Je vais là-dessus sonder votre Henriette,<br>Et reviendrai savoir…
{{Personnage|Chrysale}} C’est une affaire faite.<br>Et je vais à ma femme en parler sans délai.
{{Personnage|Chrysale}} C’est une affaire faite.<br>Et je vais à ma femme en parler sans délai.


Ligne 198 : Ligne 197 :
{{sc|Martine}}, {{sc|Chrysale}}.
{{sc|Martine}}, {{sc|Chrysale}}.


{{Personnage|Martine}} Me voilà bien chanceuse ! Hélas l’an dit bien vrai : Qui veut noyer son chien, l’accuse de la rage,<br>{{NumVers|420}}Et service d’autrui n’est pas un héritage.
{{Personnage|Martine}} Me voilà bien chanceuse ! Hélas l’an dit bien vrai : Qui veut noyer son chien, l’accuse de la rage,<br>{{NumVers|420}} Et service d’autrui n’est pas un héritage.
{{Personnage|Chrysale}} Qu’est-ce donc ? Qu’avez-vous, Martine ?
{{Personnage|Chrysale}} Qu’est-ce donc ? Qu’avez-vous, Martine ?
{{Personnage|Martine}} Ce que j’ai ?
{{Personnage|Martine}} Ce que j’ai ?
{{Personnage|Chrysale}} Oui ?
{{Personnage|Chrysale}} Oui ?
{{Personnage|Martine}} J’ai que l’an me donne aujourd’hui mon congé,<br>Monsieur.
{{Personnage|Martine}} J’ai que l’an me donne aujourd’hui mon congé,<br>Monsieur.
Votre congé !
{{Personnage|Chrysale}} Votre congé !
{{Personnage|Martine}} Oui, Madame me chasse.
{{Personnage|Martine}} Oui, Madame me chasse.
{{Personnage|Chrysale}} Je n’entends pas cela. Comment ?
{{Personnage|Chrysale}} Je n’entends pas cela. Comment ?
{{Personnage|Martine}} On me menace,<br>{{NumVers|425}}Si je ne sors d’ici, de me bailler cent coups.
{{Personnage|Martine}} On me menace,<br>{{NumVers|425}} Si je ne sors d’ici, de me bailler cent coups.
{{Personnage|Chrysale}} Non, vous demeurerez, je suis content de vous ;<br>Ma femme bien souvent a la tête un peu chaude,<br>Et je ne veux pas moi…
{{Personnage|Chrysale}} Non, vous demeurerez, je suis content de vous ;<br>Ma femme bien souvent a la tête un peu chaude,<br>Et je ne veux pas moi…


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{{sc|Philaminte}}, {{sc|Bélise}}, {{sc|Chrysale}} {{sc|Martine}}.
{{sc|Philaminte}}, {{sc|Bélise}}, {{sc|Chrysale}} {{sc|Martine}}.


{{Personnage|Philaminte}} Quoi, je vous vois, maraude ?<br>Vite, sortez, friponne ; allons, quittez ces lieux,<br>{{NumVers|430}}Et ne vous présentez jamais devant mes yeux.
{{Personnage|Philaminte}} Quoi, je vous vois, maraude ?<br>Vite, sortez, friponne ; allons, quittez ces lieux,<br>{{NumVers|430}} Et ne vous présentez jamais devant mes yeux.
{{Personnage|Chrysale}} Tout doux.
{{Personnage|Chrysale}} Tout doux.
{{Personnage|Philaminte}} Non, c’en est fait.
{{Personnage|Philaminte}} Non, c’en est fait.
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{{Personnage|Chrysale}} En aucune façon.
{{Personnage|Chrysale}} En aucune façon.
{{Personnage|Philaminte}} Prenez-vous son parti contre moi ?
{{Personnage|Philaminte}} Prenez-vous son parti contre moi ?
{{Personnage|Chrysale}} Mon Dieu non ;<br>{{NumVers|435}}Je ne fais seulement que demander son crime.
{{Personnage|Chrysale}} Mon Dieu non ;<br>{{NumVers|435}} Je ne fais seulement que demander son crime.
{{Personnage|Philaminte}} Suis-je pour la chasser sans cause légitime ?
{{Personnage|Philaminte}} Suis-je pour la chasser sans cause légitime ?
{{Personnage|Chrysale}} Je ne dis pas cela, mais il faut de nos gens…
{{Personnage|Chrysale}} Je ne dis pas cela, mais il faut de nos gens…
{{Personnage|Philaminte}} Non, elle sortira, vous dis-je, de céans.
{{Personnage|Philaminte}} Non, elle sortira, vous dis-je, de céans.
{{Personnage|Chrysale}} Hé bien oui. Vous dit-on quelque chose là contre ?
{{Personnage|Chrysale}} Hé bien oui. Vous dit-on quelque chose là contre ?
{{Personnage|Philaminte}} {{NumVers|440}}Je ne veux point d’obstacle aux désirs que je montre.
{{Personnage|Philaminte}} {{NumVers|440}} Je ne veux point d’obstacle aux désirs que je montre.
{{Personnage|Chrysale}} D’accord.
{{Personnage|Chrysale}} D’accord.
{{Personnage|Philaminte}} Et vous devez en raisonnable époux,<br>Être pour moi contre elle et prendre mon courroux.
{{Personnage|Philaminte}} Et vous devez en raisonnable époux,<br>Être pour moi contre elle et prendre mon courroux.
{{Personnage|Chrysale}} Aussi fais-je. Oui, ma femme avec raison vous chasse,<br>Coquine, et votre crime est indigne de grâce.
{{Personnage|Chrysale}} Aussi fais-je. Oui, ma femme avec raison vous chasse,<br>Coquine, et votre crime est indigne de grâce.
{{Personnage|Martine}} Qu’est-ce donc que j’ai fait ?
{{Personnage|Martine}} Qu’est-ce donc que j’ai fait ?
{{Personnage|Chrysale}} {{NumVers|445}}Ma foi ! Je ne sais pas.
{{Personnage|Chrysale}} {{NumVers|445}} Ma foi ! Je ne sais pas.
{{Personnage|Philaminte}} Elle est d’humeur encore à n’en faire aucun cas.
{{Personnage|Philaminte}} Elle est d’humeur encore à n’en faire aucun cas.
{{Personnage|Chrysale}} A-t-elle, pour donner matière à votre haine,<br>Cassé quelque miroir, ou quelque porcelaine ?
{{Personnage|Chrysale}} A-t-elle, pour donner matière à votre haine,<br>Cassé quelque miroir, ou quelque porcelaine ?
{{Personnage|Philaminte}} Voudrais-je la chasser, et vous figurez-vous<br>{{NumVers|450}}Que pour si peu de chose on se mette en courroux ?
{{Personnage|Philaminte}} Voudrais-je la chasser, et vous figurez-vous<br>{{NumVers|450}} Que pour si peu de chose on se mette en courroux ?
{{Personnage|Chrysale}} Qu’est-ce à dire ? L’affaire est donc considérable ?
{{Personnage|Chrysale}} Qu’est-ce à dire ? L’affaire est donc considérable ?
{{Personnage|Philaminte}} Sans doute. Me voit-on femme déraisonnable ?
{{Personnage|Philaminte}} Sans doute. Me voit-on femme déraisonnable ?
{{Personnage|Chrysale}} Est-ce qu’elle a laissé, d’un esprit négligent,<br>Dérober quelque aiguière, ou quelque plat d’argent ?
{{Personnage|Chrysale}} Est-ce qu’elle a laissé, d’un esprit négligent,<br>Dérober quelque aiguière, ou quelque plat d’argent ?
{{Personnage|Philaminte}} Cela ne serait rien.</TD></TR>
{{Personnage|Philaminte}} Cela ne serait rien.
{{Personnage|Chrysale}} {{NumVers|455}}Oh, oh ! peste, la belle !<br>Quoi ? l’avez-vous surprise à n’être pas fidèle [[Les Femmes savantes - Notes#note29|*]] ?
{{Personnage|Chrysale}} {{NumVers|455}} Oh, oh ! peste, la belle !<br>Quoi ? l’avez-vous surprise à n’être pas fidèle ?
{{Personnage|Philaminte}} C’est pis que tout cela.
{{Personnage|Philaminte}} C’est pis que tout cela.
{{Personnage|Chrysale}} Pis que tout cela ?
{{Personnage|Chrysale}} Pis que tout cela ?
{{Personnage|Philaminte}} Pis.
{{Personnage|Philaminte}} Pis.
{{Personnage|Chrysale}} Comment diantre, friponne ! Euh ? a-t-elle commis…
{{Personnage|Chrysale}} Comment diantre, friponne ! Euh ? a-t-elle commis…
{{Personnage|Philaminte}} Elle a, d’une insolence à nulle autre pareille,<br>{{NumVers|460}}Après trente leçons, insulté mon oreille, <br>Par l’impropriété d’un mot sauvage et bas,<br>Qu’en termes décisifs condamne Vaugelas [[Les Femmes savantes - Notes#note30|*]].
{{Personnage|Philaminte}} Elle a, d’une insolence à nulle autre pareille,<br>{{NumVers|460}} Après trente leçons, insulté mon oreille, <br>Par l’impropriété d’un mot sauvage et bas,<br>Qu’en termes décisifs condamne Vaugelas.
{{Personnage|Chrysale}} Est-ce là…
{{Personnage|Chrysale}} Est-ce là…
{{Personnage|Philaminte}} Quoi, toujours malgré nos remontrances,<br>Heurter le fondement de toutes les sciences ;<br>{{NumVers|465}}La grammaire qui sait régenter jusqu’aux rois,<br>Et les fait la main haute [[Les Femmes savantes - Notes#note31|*]] obéir à ses lois ?
{{Personnage|Philaminte}} Quoi, toujours malgré nos remontrances,<br>Heurter le fondement de toutes les sciences ;<br>{{NumVers|465}} La grammaire qui sait régenter jusqu’aux rois,<br>Et les fait la main haute obéir à ses lois ?
{{Personnage|Chrysale}} Du plus grand des forfaits je la croyais coupable.
{{Personnage|Chrysale}} Du plus grand des forfaits je la croyais coupable.
{{Personnage|Philaminte}} Quoi, vous ne trouvez pas ce crime impardonnable ?
{{Personnage|Philaminte}} Quoi, vous ne trouvez pas ce crime impardonnable ?
{{Personnage|Chrysale}} Si fait.
{{Personnage|Chrysale}} Si fait.
{{Personnage|Philaminte}} Je voudrais bien que vous l’excusassiez.</TD></TR>
{{Personnage|Philaminte}} Je voudrais bien que vous l’excusassiez.
{{Personnage|Chrysale}} Je n’ai garde.
{{Personnage|Chrysale}} Je n’ai garde.
{{Personnage|Bélise}} {{NumVers|470}}Il est vrai que ce sont des pitiés,<br>Toute construction est par elle détruite,<br>Et des lois du langage on l’a cent fois instruite.
{{Personnage|Bélise}} {{NumVers|470}} Il est vrai que ce sont des pitiés,<br>Toute construction est par elle détruite,<br>Et des lois du langage on l’a cent fois instruite.
{{Personnage|Martine}} Tout ce que vous prêchez est je crois bel et bon ;<br>Mais je ne saurais, moi, parler votre jargon.
{{Personnage|Martine}} Tout ce que vous prêchez est je crois bel et bon ;<br>Mais je ne saurais, moi, parler votre jargon.
{{Personnage|Philaminte}} {{NumVers|475}}L’impudente ! appeler un jargon le langage<br>Fondé sur la raison et sur le bel usage !
{{Personnage|Philaminte}} {{NumVers|475}} L’impudente ! appeler un jargon le langage<br>Fondé sur la raison et sur le bel usage !
Quand on se fait entendre, on parle toujours bien,<br>Et tous vos biaux dictons [[Les Femmes savantes - Notes#note32|*]] ne servent pas de rien.
{{Personnage|Martine}} Quand on se fait entendre, on parle toujours bien,<br>Et tous vos biaux dictons ne servent pas de rien.
{{Personnage|Philaminte}} Hé bien, ne voilà pas encore de son style,<br>Ne servent-pas de rien !
{{Personnage|Philaminte}} Hé bien, ne voilà pas encore de son style,<br>Ne servent-pas de rien !
{{Personnage|Bélise}} {{NumVers|480}}Ô cervelle indocile !<br>Faut-il qu’avec les soins qu’on prend incessamment,<br>On ne te puisse apprendre à parler congrûment ?<br>De ''pas'', mis avec ''rien'', tu fais la récidive [[Les Femmes savantes - Notes#note33|*]],<br>Et c’est, comme on t’a dit, trop d’une négative.
{{Personnage|Bélise}} {{NumVers|480}}Ô cervelle indocile !<br>Faut-il qu’avec les soins qu’on prend incessamment,<br>On ne te puisse apprendre à parler congrûment ?<br>De ''pas'', mis avec ''rien'', tu fais la récidive,<br>Et c’est, comme on t’a dit, trop d’une négative.
{{Personnage|Martine}} {{numVers|485}}Mon Dieu, je n’avons pas étugué comme vous,<br>Et je parlons tout droit comme on parle cheux nous.
{{Personnage|Martine}} {{numVers|485}} Mon Dieu, je n’avons pas étugué comme vous,<br>Et je parlons tout droit comme on parle cheux nous.
{{Personnage|Philaminte}} Ah peut-on y tenir !
{{Personnage|Philaminte}} Ah peut-on y tenir !
{{Personnage|Bélise}} Quel solécisme horrible !
{{Personnage|Bélise}} Quel solécisme horrible !
{{Personnage|Philaminte}} En voilà pour tuer une oreille sensible.
{{Personnage|Philaminte}} En voilà pour tuer une oreille sensible.
{{Personnage|Bélise}} Ton esprit, je l’avoue, est bien matériel.<br>{{numVers|490}}''Je'', n’est qu’un singulier ; ''avons'', est pluriel.<br>Veux-tu toute ta vie offenser la grammaire ?
{{Personnage|Bélise}} Ton esprit, je l’avoue, est bien matériel.<br>{{numVers|490}} ''Je'', n’est qu’un singulier ; ''avons'', est pluriel.<br>Veux-tu toute ta vie offenser la grammaire ?
{{Personnage|Martine}} Qui parle d’offenser grand’mère ni grand-père ?
{{Personnage|Martine}} Qui parle d’offenser grand’mère ni grand-père ?
{{Personnage|Philaminte}} Ô Ciel !
{{Personnage|Philaminte}} Ô Ciel !
{{Personnage|Bélise}} ''Grammaire'' est prise à contre-sens par toi,<br>Et je t’ai dit déjà d’où vient ce mot.
{{Personnage|Bélise}} ''Grammaire'' est prise à contre-sens par toi,<br>Et je t’ai dit déjà d’où vient ce mot.
{{Personnage|Martine}} Ma foi,<br>{{numVers|495}}Qu’il vienne de Chaillot, d’Auteuil, ou de Pontoise,
{{Personnage|Martine}} Ma foi,<br>{{numVers|495}} Qu’il vienne de Chaillot, d’Auteuil, ou de Pontoise,
<br>Cela ne me fait rien.
<br>Cela ne me fait rien.
{{Personnage|Bélise}} Quelle âme villageoise !<br>La grammaire, du verbe et du nominatif,<br>Comme de l’adjectif avec le substantif,<br>Nous enseigne les lois.
{{Personnage|Bélise}} Quelle âme villageoise !<br>La grammaire, du verbe et du nominatif,<br>Comme de l’adjectif avec le substantif,<br>Nous enseigne les lois.
{{Personnage|Martine}} J’ai, Madame, à vous dire<br>Que je ne connais point ces gens-là.
{{Personnage|Martine}} J’ai, Madame, à vous dire<br>Que je ne connais point ces gens-là.
{{Personnage|Philaminte}} {{numVers|500}}Quel martyre !
{{Personnage|Philaminte}} {{numVers|500}} Quel martyre !
{{Personnage|Bélise}} Ce sont les noms des mots, et l’on doit regarder<br>En quoi c’est qu’il les faut faire ensemble accorder.
{{Personnage|Bélise}} Ce sont les noms des mots, et l’on doit regarder<br>En quoi c’est qu’il les faut faire ensemble accorder.
{{Personnage|Martine}} Qu’ils s’accordent entr’eux, ou se gourment, qu’importe ?
{{Personnage|Martine}} Qu’ils s’accordent entr’eux, ou se gourment, qu’importe ?
{{PersonnageD|Philaminte||à sa sœur.}} Eh, mon Dieu, finissez un discours de la sorte. {{didascalie|À son mari.|c}}<br>{{numVers|505}}Vous ne voulez pas, vous, me la faire sortir ?
{{PersonnageD|Philaminte||à sa sœur.}} Eh, mon Dieu, finissez un discours de la sorte. {{didascalie|À son mari.|c}}<br>{{numVers|505}} Vous ne voulez pas, vous, me la faire sortir ?
{{Personnage|Chrysale}} Si fait. À son caprice il me faut consentir.<br>Va, ne l’irrite point ; retire-toi, Martine.
{{Personnage|Chrysale}} Si fait. À son caprice il me faut consentir.<br>Va, ne l’irrite point ; retire-toi, Martine.
{{Personnage|Philaminte}} Comment ? vous avez peur d’offenser la coquine ?<br>Vous lui parlez d’un ton tout à fait obligeant ?
{{Personnage|Philaminte}} Comment ? vous avez peur d’offenser la coquine ?<br>Vous lui parlez d’un ton tout à fait obligeant ?
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{{Personnage|Chrysale}} Vous êtes satisfaite, et la voilà partie.<br>Mais je n’approuve point une telle sortie ;<br>C’est une fille propre aux choses qu’elle fait,<br>Et vous me la chassez pour un maigre sujet.
{{Personnage|Chrysale}} Vous êtes satisfaite, et la voilà partie.<br>Mais je n’approuve point une telle sortie ;<br>C’est une fille propre aux choses qu’elle fait,<br>Et vous me la chassez pour un maigre sujet.
{{Personnage|Philaminte}} {{numVers|515}}Vous voulez que toujours je l’aie à mon service,<br>Pour mettre incessamment mon oreille au supplice ?<br>Pour rompre toute loi d’usage et de raison,<br>Par un barbare amas de vices d’oraison,<br>De mots estropiés, cousus par intervalles,<br>{{numVers|520}}De proverbes traînés dans les ruisseaux des Halles [[Les Femmes savantes - Notes#note38|*]] ?
{{Personnage|Philaminte}} {{numVers|515}} Vous voulez que toujours je l’aie à mon service,<br>Pour mettre incessamment mon oreille au supplice ?<br>Pour rompre toute loi d’usage et de raison,<br>Par un barbare amas de vices d’oraison,<br>De mots estropiés, cousus par intervalles,<br>{{numVers|520}} De proverbes traînés dans les ruisseaux des Halles ?
{{Personnage|Bélise}} Il est vrai que l’on sue à souffrir ses discours.<br>Elle y met Vaugelas en pièces tous les jours ;<br>Et les moindres défauts de ce grossier génie,<br>Sont ou le pléonasme, ou la cacophonie.
{{Personnage|Bélise}} Il est vrai que l’on sue à souffrir ses discours.<br>Elle y met Vaugelas en pièces tous les jours ;<br>Et les moindres défauts de ce grossier génie,<br>Sont ou le pléonasme, ou la cacophonie.
{{Personnage|Chrysale}} {{numVers|525}}Qu’importe qu’elle manque aux lois de Vaugelas,<br>Pourvu qu’à la cuisine elle ne manque pas ? <br>J’aime bien mieux, pour moi, qu’en épluchant ses herbes,<br>Elle accommode mal les noms avec les verbes,<br>Et redise cent fois un bas ou méchant mot,<br>{{numVers|530}}Que de brûler ma viande, ou saler trop mon pot.<br>Je vis de bonne soupe, et non de beau langage.<br>Vaugelas n’apprend point à bien faire un potage,<br>Et Malherbe et Balzac, si savants en beaux mots,<br>En cuisine peut-être auraient été des sots.
{{Personnage|Chrysale}} {{numVers|525}} Qu’importe qu’elle manque aux lois de Vaugelas,<br>Pourvu qu’à la cuisine elle ne manque pas ? <br>J’aime bien mieux, pour moi, qu’en épluchant ses herbes,<br>Elle accommode mal les noms avec les verbes,<br>Et redise cent fois un bas ou méchant mot,<br>{{numVers|530}} Que de brûler ma viande, ou saler trop mon pot.<br>Je vis de bonne soupe, et non de beau langage.<br>Vaugelas n’apprend point à bien faire un potage,<br>Et Malherbe et Balzac, si savants en beaux mots,<br>En cuisine peut-être auraient été des sots.
{{Personnage|Philaminte}} {{numVers|535}}Que ce discours grossier terriblement assomme !<br>Et quelle indignité pour ce qui s’appelle ''homme'',<br>D’être baissé sans cesse aux soins matériels,<br>Au lieu de se hausser vers les spirituels !<br>Le corps, cette guenille, est-il d’une importance,<br>{{numVers|540}}D’un prix à mériter seulement qu’on y pense,<br>Et ne devons-nous pas laisser cela bien loin ? {{Personnage|Chrysale}} Oui, mon corps est moi-même, et j’en veux prendre soin,<br>Guenille si l’on veut, ma guenille m’est chère.<br>
{{Personnage|Philaminte}} {{numVers|535}} Que ce discours grossier terriblement assomme !<br>Et quelle indignité pour ce qui s’appelle ''homme'',<br>D’être baissé sans cesse aux soins matériels,<br>Au lieu de se hausser vers les spirituels !<br>Le corps, cette guenille, est-il d’une importance,<br>{{numVers|540}} D’un prix à mériter seulement qu’on y pense,<br>Et ne devons-nous pas laisser cela bien loin ? {{Personnage|Chrysale}} Oui, mon corps est moi-même, et j’en veux prendre soin,<br>Guenille si l’on veut, ma guenille m’est chère.
{{Personnage|Bélise}} Le corps avec l’esprit, fait figure, mon frère ;<br>{{numVers|545}}Mais si vous en croyez tout le monde savant,<br>L’esprit doit sur le corps prendre le pas devant ;<br>Et notre plus grand soin, notre première instance,<br>Doit être à le nourrir du suc de la science.
{{Personnage|Bélise}} Le corps avec l’esprit, fait figure, mon frère ;<br>{{numVers|545}} Mais si vous en croyez tout le monde savant,<br>L’esprit doit sur le corps prendre le pas devant ;<br>Et notre plus grand soin, notre première instance,<br>Doit être à le nourrir du suc de la science.
{{Personnage|Chrysale}} Ma foi si vous songez à nourrir votre esprit,<br>{{numVers|550}}C’est de viande bien creuse, à ce que chacun dit, <br>Et vous n’avez nul soin, nulle sollicitude<br>Pour…
{{Personnage|Chrysale}} Ma foi si vous songez à nourrir votre esprit,<br>{{numVers|550}} C’est de viande bien creuse, à ce que chacun dit, <br>Et vous n’avez nul soin, nulle sollicitude<br>Pour…
{{Personnage|Philaminte}} Ah ''sollicitude'' à mon oreille est rude,<br>Il put [[Les Femmes savantes - Notes#note40|*]] étrangement son ancienneté.
{{Personnage|Philaminte}} Ah ''sollicitude'' à mon oreille est rude,<br>Il put [[Les Femmes savantes - Notes#note40|*]] étrangement son ancienneté.
{{Personnage|Bélise}} Il est vrai que le mot est bien collet monté.
{{Personnage|Bélise}} Il est vrai que le mot est bien collet monté.
{{Personnage|Chrysale}} {{numVers|555}}Voulez-vous que je dise ? Il faut qu’enfin j’éclate,<br>Que je lève le masque, et décharge ma rate.<br>De folles on vous traite, et j’ai fort sur le cœur…
{{Personnage|Chrysale}} {{numVers|555}} Voulez-vous que je dise ? Il faut qu’enfin j’éclate,<br>Que je lève le masque, et décharge ma rate.<br>De folles on vous traite, et j’ai fort sur le cœur…
{{Personnage|Philaminte}} Comment donc ?
{{Personnage|Philaminte}} Comment donc ?
{{Personnage|Chrysale}} C’est à vous que je parle, ma sœur.<br>Le moindre solécisme en parlant vous irrite :<br>{{numVers|560}}Mais vous en faites, vous, d’étranges en conduite.<br>Vos livres éternels ne me contentent pas,<br>Et hors un gros Plutarque à mettre mes rabats,<br>Vous devriez brûler tout ce meuble inutile,<br>Et laisser la science aux docteurs de la ville ;<br>{{numVers|565}}<TD>M’ôter, pour faire bien, du grenier de céans,<br>Cette longue lunette à faire peur aux gens,<br>Et cent brimborions dont l’aspect importune :<br>Ne point aller chercher ce qu’on fait dans la lune,<br>Et vous mêler un peu de ce qu’on fait chez vous,<br>{{numVers|570}}Où nous voyons aller tout sens dessus dessous.<br>Il n’est pas bien honnête, et pour beaucoup de causes,<br>Qu’une femme étudie, et sache tant de choses.<br>Former aux bonnes mœurs l’esprit de ses enfants,<br>Faire aller son ménage, avoir l’œil sur ses gens,<br>{{numVers|575}}Et régler la dépense avec économie,<br>Doit être son étude et sa philosophie.<br>Nos pères sur ce point étaient gens bien sensés,<br>Qui disaient qu’une femme en sait toujours assez,<br>Quand la capacité de son esprit se hausse<br>{{numVers|580}}À connaître un pourpoint d’avec un haut de chausse.<br>Les leurs ne lisaient point, mais elles vivaient bien ;<br>Leurs ménages étaient tout leur docte entretien,<br>Et leurs livres un dé, du fil, et des aiguilles,<br>Dont elles travaillaient au trousseau de leurs filles.<br>{{numVers|585}}Les femmes d’à présent sont bien loin de ces mœurs,<br>Elles veulent écrire, et devenir auteurs.<br>Nulle science n’est pour elles trop profonde,<br>Et céans beaucoup plus qu’en aucun lieu du monde.<br>Les secrets les plus hauts s’y laissent concevoir,<br>{{numVers|590}}Et l’on sait tout chez moi, hors ce qu’il faut savoir.<br>On y sait comme vont lune, étoile polaire,<br>Vénus, Saturne, et Mars, dont je n’ai point affaire ;<br>Et dans ce vain savoir, qu’on va chercher si loin,<br>On ne sait comme va mon pot dont j’ai besoin.<br>{{numVers|595}}Mes gens à la science aspirent pour vous plaire,<br>Et tous ne font rien moins que ce qu’ils ont à faire ;<br>Raisonner est l’emploi de toute ma maison,<br>Et le raisonnement en bannit la raison ;<br>L’un me brûle mon rôt en lisant quelque histoire,<br>{{numVers|600}}L’autre rêve à des vers quand je demande à boire ;<br>Enfin je vois par eux votre exemple suivi,<br>Et j’ai des serviteurs, et ne suis point servi.<br>Une pauvre servante au moins m’était restée,<br>Qui de ce mauvais air n’était point infectée,<br>{{numVers|605}}Et voilà qu’on la chasse avec un grand fracas,<br>À cause qu’elle manque à parler Vaugelas.<br>Je vous le dis, ma sœur, tout ce train-là me blesse,<br>{{didascalie|(Car c’est, comme j’ai dit, à vous que je m’adresse)|c}} ;<br>Je n’aime point céans tous vos gens à latin,<br>{{numVers|610}}Et principalement ce Monsieur Trissotin.<br>C’est lui qui dans des vers vous a tympanisées,<br>Tous les propos qu’il tient sont des billevesées,<br>On cherche ce qu’il dit après qu’il a parlé,<br>Et je lui crois, pour moi, le timbre un peu fêlé.
{{Personnage|Chrysale}} C’est à vous que je parle, ma sœur.<br>Le moindre solécisme en parlant vous irrite :<br>{{numVers|560}} Mais vous en faites, vous, d’étranges en conduite.<br>Vos livres éternels ne me contentent pas,<br>Et hors un gros Plutarque à mettre mes rabats,<br>Vous devriez brûler tout ce meuble inutile,<br>Et laisser la science aux docteurs de la ville ;<br>{{numVers|565}} M’ôter, pour faire bien, du grenier de céans,<br>Cette longue lunette à faire peur aux gens,<br>Et cent brimborions dont l’aspect importune :<br>Ne point aller chercher ce qu’on fait dans la lune,<br>Et vous mêler un peu de ce qu’on fait chez vous,<br>{{numVers|570}} Où nous voyons aller tout sens dessus dessous.<br>Il n’est pas bien honnête, et pour beaucoup de causes,<br>Qu’une femme étudie, et sache tant de choses.<br>Former aux bonnes mœurs l’esprit de ses enfants,<br>Faire aller son ménage, avoir l’œil sur ses gens,<br>{{numVers|575}} Et régler la dépense avec économie,<br>Doit être son étude et sa philosophie.<br>Nos pères sur ce point étaient gens bien sensés,<br>Qui disaient qu’une femme en sait toujours assez,<br>Quand la capacité de son esprit se hausse<br>{{numVers|580}} À connaître un pourpoint d’avec un haut de chausse.<br>Les leurs ne lisaient point, mais elles vivaient bien ;<br>Leurs ménages étaient tout leur docte entretien,<br>Et leurs livres un dé, du fil, et des aiguilles,<br>Dont elles travaillaient au trousseau de leurs filles.<br>{{numVers|585}} Les femmes d’à présent sont bien loin de ces mœurs,<br>Elles veulent écrire, et devenir auteurs.<br>Nulle science n’est pour elles trop profonde,<br>Et céans beaucoup plus qu’en aucun lieu du monde.<br>Les secrets les plus hauts s’y laissent concevoir,<br>{{numVers|590}} Et l’on sait tout chez moi, hors ce qu’il faut savoir.<br>On y sait comme vont lune, étoile polaire,<br>Vénus, Saturne, et Mars, dont je n’ai point affaire ;<br>Et dans ce vain savoir, qu’on va chercher si loin,<br>On ne sait comme va mon pot dont j’ai besoin.<br>{{numVers|595}} Mes gens à la science aspirent pour vous plaire,<br>Et tous ne font rien moins que ce qu’ils ont à faire ;<br>Raisonner est l’emploi de toute ma maison,<br>Et le raisonnement en bannit la raison ;<br>L’un me brûle mon rôt en lisant quelque histoire,<br>{{numVers|600}} L’autre rêve à des vers quand je demande à boire ;<br>Enfin je vois par eux votre exemple suivi,<br>Et j’ai des serviteurs, et ne suis point servi.<br>Une pauvre servante au moins m’était restée,<br>Qui de ce mauvais air n’était point infectée,<br>{{numVers|605}} Et voilà qu’on la chasse avec un grand fracas,<br>À cause qu’elle manque à parler Vaugelas.<br>Je vous le dis, ma sœur, tout ce train-là me blesse,<br>{{didascalie|(Car c’est, comme j’ai dit, à vous que je m’adresse)|c}} ;<br>Je n’aime point céans tous vos gens à latin,<br>{{numVers|610}} Et principalement ce Monsieur Trissotin.<br>C’est lui qui dans des vers vous a tympanisées,<br>Tous les propos qu’il tient sont des billevesées,<br>On cherche ce qu’il dit après qu’il a parlé,<br>Et je lui crois, pour moi, le timbre un peu fêlé.
{{Personnage|Philaminte}} {{numVers|615}}Quelle bassesse, ô Ciel, et d’âme, et de langage !
{{Personnage|Philaminte}} {{numVers|615}} Quelle bassesse, ô Ciel, et d’âme, et de langage !
{{Personnage|Bélise}} Est-il de petits corps un plus lourd assemblage !<br>Un esprit composé d’atomes plus bourgeois !<br>Et de ce même sang se peut-il que je sois !<br>Je me veux mal de mort d’être de votre race,<br>{{numVers|620}}Et de confusion j’abandonne la place.
{{Personnage|Bélise}} Est-il de petits corps un plus lourd assemblage !<br>Un esprit composé d’atomes plus bourgeois !<br>Et de ce même sang se peut-il que je sois !<br>Je me veux mal de mort d’être de votre race,<br>{{numVers|620}} Et de confusion j’abandonne la place.


{{scène|VII}}
===SCÈNE VIII===
{{sc|Philaminte}}, {{sc|Bélise}}, {{sc|Chrysale}}.
PHILAMINTE, CHRYSALE.


{{Personnage|Philaminte}} Avez-vous à lâcher encore quelque trait ?
<TABLE CELLSPACING=0 CELLPADDING=0 border=0>
{{Personnage|Chrysale}} Moi ? Non. Ne parlons plus de querelle, c’est fait ;<br>Discourons d’autre affaire. À votre fille aînée<br>On voit quelque dégoût pour les nœuds d’hyménée ; {{numVers|625}} C’est une philosophe enfin, je n’en dis rien,<br>Elle est bien gouvernée, et vous faites fort bien.<br>Mais de toute autre humeur se trouve sa cadette, <br>Et je crois qu’il est bon de pourvoir Henriette,<br>De choisir un mari…
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''PHILAMINTE'''</TD></TR>
{{Personnage|Philaminte}} C’est à quoi j’ai songé,<br>{{numVers|630}} Et je veux vous ouvrir l’intention que j’ai.<br>Ce Monsieur Trissotin dont on nous fait un crime,<br>Et qui n’a pas l’honneur d’être dans votre estime,<br>Est celui que je prends pour l’époux qu’il lui faut,<br>Et je sais mieux que vous juger de ce qu’il vaut ;<br>{numVers|635}} La contestation est ici superflue,<br>Et de tout point chez moi l’affaire est résolue.<br>Au moins ne dites mot du choix de cet époux,<br>Je veux à votre fille en parler avant vous.<br>J’ai des raisons à faire approuver ma conduite,<br>{{numVers|640}} Et je connaîtrai bien si vous l’aurez instruite.
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Avez-vous à lâcher encore quelque trait ? </TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''CHRYSALE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Moi ? Non. Ne parlons plus de querelle, c’est fait ; </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Discourons d’autre affaire. À votre fille aînée</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>On voit quelque dégoût pour les nœuds d’hyménée ; </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >625&nbsp; &nbsp; </TD><TD>C’est une philosophe enfin, je n’en dis rien, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Elle est bien gouvernée, et vous faites fort bien.</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Mais de toute autre humeur se trouve sa cadette, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Et je crois qu’il est bon de pourvoir Henriette, </TD></TR>
</TABLE><TABLE CELLSPACING=0 CELLPADDING=0 border=0>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>De choisir un mari…</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''PHILAMINTE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD></TD><TD>C’est à quoi j’ai songé, </TD></TR>
</TABLE><TABLE CELLSPACING=0 CELLPADDING=0 border=0>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >630&nbsp; &nbsp; </TD><TD>Et je veux vous ouvrir l’intention que j’ai.</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Ce Monsieur Trissotin dont on nous fait un crime, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Et qui n’a pas l’honneur d’être dans votre estime, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Est celui que je prends pour l’époux qu’il lui faut, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Et je sais mieux que vous juger de ce qu’il vaut ; </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >635&nbsp; &nbsp; </TD><TD>La contestation est ici superflue, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Et de tout point chez moi l’affaire est résolue.</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Au moins ne dites mot du choix de cet époux, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Je veux à votre fille en parler avant vous.</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>J’ai des raisons à faire approuver ma conduite, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >640&nbsp; &nbsp; </TD><TD>Et je connaîtrai bien si vous l’aurez instruite.</TD></TR>
</TABLE>


{{scène|IX}}
===SCÈNE IX===
{{sc|Ariste}}, {{sc|Chrysale}}.
ARISTE, CHRYSALE.


{{Personnage|Ariste}} Hé bien ? la femme sort, mon frère, et je vois bien<br>Que vous venez d’avoir ensemble un entretien.
<TABLE CELLSPACING=0 CELLPADDING=0 border=0>
{{Personnage|Chrysale}} Oui.
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''ARISTE'''</TD></TR>
{{Personnage|Ariste}} Quel est le succès ? Aurons-nous Henriette ?<br>A-t-elle consenti ? l’affaire est-elle faite ?
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Hé bien ? la femme sort, mon frère, et je vois bien</TD></TR>
{{Personnage|Chrysale}} Pas tout à fait encor.
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Que vous venez d’avoir ensemble un entretien.</TD></TR>
{{Personnage|Ariste}} Refuse-t-elle ?
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''CHRYSALE'''</TD></TR>
{{Personnage|Chrysale}} {{numVers|645}} Non.
</TABLE><TABLE CELLSPACING=0 CELLPADDING=0 border=0>
{{Personnage|Ariste}} Est-ce qu’elle balance ?
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Oui.</TD></TR>
{{Personnage|Chrysale}} En aucune façon.
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''ARISTE'''</TD></TR>
{{Personnage|Ariste}} Quoi donc ?
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD></TD><TD>Quel est le succès[[Les Femmes savantes - Notes#note47|*]] ? Aurons-nous Henriette ? </TD></TR>
{{Personnage|Chrysale}} C’est que pour gendre elle m’offre un autre homme.
</TABLE><TABLE CELLSPACING=0 CELLPADDING=0 border=0>
{{Personnage|Ariste}} Un autre homme pour gendre !
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>A-t-elle consenti ? l’affaire est-elle faite ? </TD></TR>
{{Personnage|Chrysale}} Un autre.
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''CHRYSALE'''</TD></TR>
{{Personnage|Ariste}} Qui se nomme ?
</TABLE><TABLE CELLSPACING=0 CELLPADDING=0 border=0>
{{Personnage|Chrysale}} Monsieur Trissotin.
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Pas tout à fait encor.</TD></TR>
{{Personnage|Ariste}} Quoi ? ce Monsieur Trissotin…
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''ARISTE'''</TD></TR>
{{Personnage|Chrysale}} {{numVers|650}} Oui, qui parle toujours de vers et de latin.
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD></TD><TD>Refuse-t-elle ? </TD></TR>
{{Personnage|Ariste}} Vous l’avez accepté ?
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''CHRYSALE'''</TD></TR>
{{Personnage|Chrysale}} Moi, point, à Dieu ne plaise.
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >645&nbsp; &nbsp; </TD><TD></TD><TD></TD><TD>Non.</TD></TR>
{{Personnage|Ariste}} Qu’avez-vous répondu ?
</TABLE><TABLE CELLSPACING=0 CELLPADDING=0 border=0>
{{Personnage|Chrysale}} Rien ; et je suis bien aise<br>De n’avoir point parlé, pour ne m’engager pas !
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''ARISTE'''</TD></TR>
{{Personnage|Ariste}} La raison est fort belle, et c’est faire un grand pas.<br>{{numVers|55}} Avez-vous su du moins lui proposer Clitandre ?
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Est-ce qu’elle balance ? </TD></TR>
{{Personnage|Chrysale}} Non : car comme j’ai vu qu’on parlait d’autre gendre,<br>J’ai cru qu’il était mieux de ne m’avancer point.
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''CHRYSALE'''</TD></TR>
{{Personnage|Ariste}} Certes votre prudence est rare au dernier point !<br>N’avez-vous point de honte avec votre mollesse ?<br>{{numVers|660}} Et se peut-il qu’un homme ait assez de faiblesse<br>Pour laisser à sa femme un pouvoir absolu,<br>Et n’oser attaquer ce qu’elle a résolu ?
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD></TD><TD>En aucune façon.</TD></TR>
{{Personnage|Ariste}} Mon Dieu, vous en parlez, mon frère, bien à l’aise,<br>Et vous ne savez pas comme le bruit me pèse.<br>{{numVers|665}} J’aime fort le repos, la paix, et la douceur,<br>Et ma femme est terrible avecque son humeur.<br>Du nom de philosophe elle fait grand mystère,<br>Mais elle n’en est pas pour cela moins colère ;<br>Et sa morale faite à mépriser le bien,<br>{{numVers|670}} Sur l’aigreur de sa bile opère comme rien.<br>Pour peu que l’on s’oppose à ce que veut sa tête,<br>On en a pour huit jours d’effroyable tempête.<br>Elle me fait trembler dès qu’elle prend son ton.<br>Je ne sais où me mettre, et c’est un vrai dragon ;<br>{{numVers|675}} Et cependant avec toute sa diablerie,<br>Il faut que je l’appelle, et « mon cœur », et « ma mie ».
</TABLE><TABLE CELLSPACING=0 CELLPADDING=0 border=0>
{{Personnage|Ariste}} Allez, c’est se moquer. Votre femme, entre nous,<br>Est par vos lâchetés souveraine sur vous.<br>Son pouvoir n’est fondé que sur votre faiblesse.<br>{{numVers|680}} C’est de vous qu’elle prend le titre de maîtresse.<br>Vous-même à ses hauteurs vous vous abandonnez, <br>Et vous faites mener en bête par le nez.<br>Quoi, vous ne pouvez pas, voyant comme on vous nomme,<br>Vous résoudre une fois à vouloir être un homme ?<br>{{numVers|685}}À faire condescendre une femme à vos vœux,<br>Et prendre assez de cœur pour dire un : « Je le veux » ?<br>Vous laisserez sans honte immoler votre fille<br>Aux folles visions qui tiennent la famille,<br>Et de tout votre bien revêtir un nigaud,<br>{{numVers|690}} Pour six mots de latin qu’il leur fait sonner haut ?<br>Un pédant qu’à tous coups votre femme apostrophe<br>Du nom de bel esprit, et de grand philosophe,<br>D’homme qu’en vers galants jamais on n’égala, <br>Et qui n’est, comme on sait, rien moins que tout cela ?<br>{{numVers|695}} Allez, encore un coup, c’est une moquerie,<br>Et votre lâcheté mérite qu’on en rie.
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''ARISTE'''</TD></TR>
{{Personnage|Chrysale}} Oui, vous avez raison, et je vois que j’ai tort.<br>Allons, il faut enfin montrer un cœur plus fort,<br>Mon frère.
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Quoi donc ? </TD></TR>
{{Personnage|Ariste}} C’est bien dit.
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''CHRYSALE'''</TD></TR>
{{Personnage|Chrysale}} C’est une chose infâme,<br>{{numVers|700}} Que d’être si soumis au pouvoir d’une femme.
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD></TD><TD>C’est que pour gendre elle m’offre un autre homme.</TD></TR>
{{Personnage|Ariste}} Fort bien.
</TABLE><TABLE CELLSPACING=0 CELLPADDING=0 border=0>
{{Personnage|Chrysale}} De ma douceur elle a trop profité.
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''ARISTE'''</TD></TR>
{{Personnage|Ariste}} Il est vrai.
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Un autre homme pour gendre ! </TD></TR>
{{Personnage|Chrysale}} Trop joui de ma facilité.
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''CHRYSALE'''</TD></TR>
{{Personnage|Ariste}} Sans doute.
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD></TD><TD>Un autre.</TD></TR>
{{Personnage|Chrysale}} Et je lui veux faire aujourd’hui connaître<br>Que ma fille est ma fille, et que j’en suis le maître,<br>{{numVers|705}} Pour lui prendre un mari qui soit selon mes vœux.
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''ARISTE'''</TD></TR>
{{Personnage|Ariste}} Vous voilà raisonnable, et comme je vous veux.
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD></TD><TD></TD><TD>Qui se nomme ? </TD></TR>
{{Personnage|Chrysale}} Vous êtes pour Clitandre, et savez sa demeure ;<br>Faites-le-moi venir, mon frère, tout à l’heure
</TABLE><TABLE CELLSPACING=0 CELLPADDING=0 border=0>
{{Personnage|Ariste}} J’y cours tout de ce pas.
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''CHRYSALE'''</TD></TR>
{{Personnage|Chrysale}} C’est souffrir trop longtemps,<br>Et je m’en vais être homme à la barbe des gens.
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Monsieur Trissotin.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''ARISTE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD></TD><TD>Quoi ? ce Monsieur Trissotin…</TD></TR>
</TABLE><TABLE CELLSPACING=0 CELLPADDING=0 border=0>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''CHRYSALE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >650&nbsp; &nbsp; </TD><TD>Oui, qui parle toujours de vers et de latin.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''ARISTE'''</TD></TR>
</TABLE><TABLE CELLSPACING=0 CELLPADDING=0 border=0>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Vous l’avez accepté ? </TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''CHRYSALE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD></TD><TD>Moi, point, à Dieu ne plaise.</TD></TR>
</TABLE><TABLE CELLSPACING=0 CELLPADDING=0 border=0>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''ARISTE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Qu’avez-vous répondu ? </TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''CHRYSALE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD></TD><TD>Rien ; et je suis bien aise</TD></TR>
</TABLE><TABLE CELLSPACING=0 CELLPADDING=0 border=0>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>De n’avoir point parlé, pour ne m’engager pas ! </TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''ARISTE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>La raison est fort belle, et c’est faire un grand pas.</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >655&nbsp; &nbsp; </TD><TD>Avez-vous su du moins lui proposer Clitandre ? </TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''CHRYSALE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Non : car comme j’ai vu qu’on parlait d’autre gendre, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>J’ai cru qu’il était mieux de ne m’avancer point.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''ARISTE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Certes votre prudence est rare au dernier point ! </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>N’avez-vous point de honte avec votre mollesse ? </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >660&nbsp; &nbsp; </TD><TD>Et se peut-il qu’un homme ait assez de faiblesse</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Pour laisser à sa femme un pouvoir absolu, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Et n’oser attaquer ce qu’elle a résolu ? </TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''CHRYSALE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Mon Dieu, vous en parlez, mon frère, bien à l’aise, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Et vous ne savez pas comme le bruit me pèse.</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >665&nbsp; &nbsp; </TD><TD>J’aime fort le repos, la paix, et la douceur, </TD></TR>
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<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Mais elle n’en est pas pour cela moins colère ; </TD></TR>
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<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >670&nbsp; &nbsp; </TD><TD>Sur l’aigreur de sa bile opère comme rien[[Les Femmes savantes - Notes#note49|*]].</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Pour peu que l’on s’oppose à ce que veut sa tête, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>On en a pour huit jours d’effroyable tempête.</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Elle me fait trembler dès qu’elle prend son ton.</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Je ne sais où me mettre, et c’est un vrai dragon ; </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >675&nbsp; &nbsp; </TD><TD>Et cependant avec toute sa diablerie, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Il faut que je l’appelle, et « mon cœur », et « ma mie ».</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''ARISTE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Allez, c’est se moquer. Votre femme, entre nous, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Est par vos lâchetés souveraine sur vous.</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Son pouvoir n’est fondé que sur votre faiblesse.</TD></TR>
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<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Et vous faites mener en bête par le nez.</TD></TR>
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<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Vous résoudre une fois à vouloir être un homme ? </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >685&nbsp; &nbsp; </TD><TD>À faire condescendre une femme à vos vœux, </TD></TR>
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<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Vous laisserez sans honte immoler votre fille</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Aux folles visions qui tiennent la famille, </TD></TR>
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<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >690&nbsp; &nbsp; </TD><TD>Pour six mots de latin qu’il leur fait sonner haut ? </TD></TR>
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<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Du nom de bel esprit, et de grand philosophe, </TD></TR>
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<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Et qui n’est, comme on sait, rien moins que tout cela ? </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >695&nbsp; &nbsp; </TD><TD>Allez, encore un coup, c’est une moquerie, </TD></TR>
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<TR><TD COLSPAN=10><br />'''ARISTE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Il est vrai.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''CHRYSALE'''</TD></TR>
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<TR><TD COLSPAN=10><br />'''ARISTE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Sans doute.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''CHRYSALE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD></TD><TD>Et je lui veux faire aujourd’hui connaître</TD></TR>
</TABLE><TABLE CELLSPACING=0 CELLPADDING=0 border=0>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Que ma fille est ma fille, et que j’en suis le maître, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >705&nbsp; &nbsp; </TD><TD>Pour lui prendre un mari qui soit selon mes vœux.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''ARISTE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Vous voilà raisonnable, et comme je vous veux.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''CHRYSALE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Vous êtes pour Clitandre, et savez sa demeure ; </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Faites-le-moi venir, mon frère, tout à l’heure.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''ARISTE'''</TD></TR>
</TABLE><TABLE CELLSPACING=0 CELLPADDING=0 border=0>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>J’y cours tout de ce pas.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''CHRYSALE'''</TD></TR>
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</TABLE>


==ACTE III==
{{acte|III}}


{{scène|I}}
===SCÈNE PREMIÈRE===
{{sc|Philaminte}}, {{sc|Armande}}, {{sc|Bélise}}, {{sc|Trissotin}}, {{sc|L’Épine}}.
PHILAMINTE, ARMANDE, BÉLISE, TRISSOTIN, L’ÉPINE.
{{Personnage|Philaminte}} Ah mettons-nous ici pour écouter à l’aise<br>Ces vers que mot à mot il est besoin qu’on pèse.
{{Personnage|Armande}} Je brûle de les voir.
{{Personnage|Bélise}} Et l’on s’en meurt chez nous.
{{Personnage|Philaminte}} Ce sont charmes pour moi, que ce qui part de vous.
{{Personnage|Armande}} {{numVers|715}} Ce m’est une douceur à nulle autre pareille.
{{Personnage|Bélise}} Ce sont repas friands qu’on donne à mon oreille.
{{Personnage|Philaminte}} Ne faites point languir de si pressants désirs.
{{Personnage|Armande}} Dépêchez.
{{Personnage|Bélise}} Faites tôt, et hâtez nos plaisirs.
{{Personnage|Philaminte}} À notre impatience offrez votre épigramme.
{{Personnage|Trissotin}} {{numVers|720}} Hélas, c’est un enfant tout nouveau né, Madame.<br>Son sort assurément a lieu de vous toucher, <br>Et c’est dans votre cour que j’en viens d’accoucher.
{{Personnage|Philaminte}} Pour me le rendre cher, il suffit de son père.
{{Personnage|Trissotin}} Votre approbation lui peut servir de mère.
{{Personnage|Bélise}} Qu’il a d’esprit !


{{scène|II}}
<TABLE CELLSPACING=0 CELLPADDING=0 border=0>
{{sc|Henriette}}, {{sc|Philaminte}}, {{sc|Armande}}, {{sc|Bélise}}, {{sc|Trissotin}}, {{sc|L’Épine}}.
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''PHILAMINTE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Ah mettons-nous ici pour écouter à l’aise</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>
Ces vers que mot à mot il est besoin qu’on pèse.</TD></TR>
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<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Je brûle de les voir.</TD></TR>
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<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD></TD><TD>Et l’on s’en meurt chez nous.</TD></TR>
</TABLE><TABLE CELLSPACING=0 CELLPADDING=0 border=0>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''PHILAMINTE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Ce sont charmes pour moi, que ce qui part de vous.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''ARMANDE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >715&nbsp; &nbsp; </TD><TD>Ce m’est une douceur à nulle autre pareille.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''BÉLISE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Ce sont repas friands qu’on donne à mon oreille.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''PHILAMINTE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Ne faites point languir de si pressants désirs.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''ARMANDE'''</TD></TR>
</TABLE><TABLE CELLSPACING=0 CELLPADDING=0 border=0>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Dépêchez.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''BÉLISE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD></TD><TD>Faites tôt, et hâtez nos plaisirs.</TD></TR>
</TABLE><TABLE CELLSPACING=0 CELLPADDING=0 border=0>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''PHILAMINTE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>À notre impatience offrez votre épigramme.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''TRISSOTIN'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >720&nbsp; &nbsp; </TD><TD>Hélas, c’est un enfant tout nouveau né, Madame.</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Son sort assurément a lieu de vous toucher, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Et c’est dans votre cour que j’en viens d’accoucher.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''PHILAMINTE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Pour me le rendre cher, il suffit de son père.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''TRISSOTIN'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Votre approbation lui peut servir de mère.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''BÉLISE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Qu’il a d’esprit ! </TD></TR>
</TABLE>


{{Personnage|Philaminte}} {{numVers|725}} Holà, pourquoi donc fuyez-vous ?
===SCÈNE II===
{{Personnage|Henriette}} C’est de peur de troubler un entretien si doux.
HENRIETTE, PHILAMINTE, ARMANDE, BÉLISE, TRISSOTIN, L’ÉPINE.
{{Personnage|Philaminte}} Approchez, et venez de toutes vos oreilles<br>Prendre part au plaisir d’entendre des merveilles.
{{Personnage|Henriette}} Je sais peu les beautés de tout ce qu’on écrit,<br>{{numVers|730}} Et ce n’est pas mon fait que les choses d’esprit.
{{Personnage|Philaminte}} Il n’importe ; aussi bien ai-je à vous dire ensuite<br>Un secret dont il faut que vous soyez instruite.
{{Personnage|Trissotin}} Les sciences n’ont rien qui vous puisse enflammer,<br>Et vous ne vous piquez que de savoir charmer.
{{Personnage|Henriette}} {{numVers|735}} Aussi peu l’un que l’autre, et je n’ai nulle envie…
{{Personnage|Bélise}} Ah songeons à l’enfant nouveau né, je vous prie.
{{Personnage|Philaminte}} Allons, petit garçon, vite, de quoi s’asseoir.
{{didascalie|Le laquais tombe avec la chaise.|c}} Voyez l’impertinent ! Est-ce que l’on doit choir,<br>Après avoir appris l’équilibre des choses ?
{{Personnage|Bélise}} {{numVers|740}} De ta chute, ignorant, ne vois-tu pas les causes,<br>Et qu’elle vient d’avoir du point fixe écarté, <br>Ce que nous appelons centre de gravité ?
{{Personnage|L’Épine}} Je m’en suis aperçu, Madame, étant par terre.
{{Personnage|Philaminte}} Le lourdaud !
{{Personnage|Trissotin}} Bien lui prend de n’être pas de verre.
{{Personnage|Armande}} Ah de l’esprit partout !
{{Personnage|Bélise}} {{numVers|745}} Cela ne tarit pas.
{{Personnage|Philaminte}} Servez-nous promptement votre aimable repas.
{{Personnage|Trissotin}} Pour cette grande faim qu’à mes yeux on expose,<br>Un plat seul de huit vers me semble peu de chose,<br>Et je pense qu’ici je ne ferai pas mal,<br> {{numVers|750}} De joindre à l’épigramme, ou bien au madrigal,<br>Le ragoût d’un sonnet, qui chez une princesse<br>A passé pour avoir quelque délicatesse.<br>Il est de sel attique assaisonné partout,<br>Et vous le trouverez, je crois, d’assez bon goût.
{{Personnage|Armande}} Ah Je n’en doute point.
{{Personnage|Philaminte}} {{numVers|755}} Donnons vite audience.
{{Personnage|Bélise}} {{didascalie|À chaque fois qu’il veut lire, elle l’interrompt.|c}} Je sens d’aise mon cœur tressaillir par avance.
<br>J’aime la poésie avec entêtement.<br>Et surtout quand les vers sont tournés galamment.
{{Personnage|Philaminte}} Si nous parlons toujours, il ne pourra rien dire.
{{Personnage|Trissotin}} SO…
{{Personnage|Bélise}} {{numVers|760}} Silence, ma nièce.
{{Personnage|Trissotin}}
<poem>SONNET,<br>À LA PRINCESSE URANIE<br>''sur sa fièvre.''<br>Votre prudence est endormie,<br>De traiter magnifiquement,<br>Et de loger superbement<br>Votre plus cruelle ennemie.</poem>
{{Personnage|Bélise}} Ah le joli début !
{{Personnage|Philaminte}} {{numVers|765}} Qu’il a le tour galant !
{{Personnage|Philaminte}} Lui seul des vers aisés possède le talent !
{{Personnage|Armande}} À « prudence endormie » il faut rendre les armes.
{{Personnage|Bélise}} « Loger son ennemie » est pour moi plein de charmes.
{{Personnage|Philaminte}} J’aime « superbement » et « magnifiquement » ;<br>{{numVers|770}} Ces deux adverbes joints font « admirablement ».
{{Personnage|Bélise}} Prêtons l’oreille au reste.
{{Personnage|Trissotin}}
<poem>
Votre prudence est endormie,
De traiter magnifiquement,
Et de loger superbement
Votre plus cruelle ennemie.
</poem>


{{Personnage|Armande}} Prudence endormie !
<TABLE CELLSPACING=0 CELLPADDING=0 border=0>
{{Personnage|Bélise}} Loger son ennemie !
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''PHILAMINTE'''</TD></TR>
{{Personnage|Philaminte}} Superbement, et magnifiquement !
</TABLE><TABLE CELLSPACING=0 CELLPADDING=0 border=0>
{{Personnage|Trissotin}}
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >725&nbsp; &nbsp; </TD WIDTH="130" ><TD></TD><TD>Holà, pourquoi donc fuyez-vous ? </TD></TR>
<poem>
</TABLE><TABLE CELLSPACING=0 CELLPADDING=0 border=0>
Faites-la sortir, quoi qu’on die,
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''HENRIETTE'''</TD></TR>
De votre riche appartement,
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>C’est de peur de troubler un entretien si doux.</TD></TR>
Où cette ingrate insolemment
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''PHILAMINTE'''</TD></TR>
{{numVers|775}} Attaque votre belle vie.
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Approchez, et venez de toutes vos oreilles</TD></TR>
</poem>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Prendre part au plaisir d’entendre des merveilles.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''HENRIETTE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Je sais peu les beautés de tout ce qu’on écrit, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >730&nbsp; &nbsp; </TD><TD>Et ce n’est pas mon fait que les choses d’esprit.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''PHILAMINTE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Il n’importe ; aussi bien ai-je à vous dire ensuite</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Un secret dont il faut que vous soyez instruite.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''TRISSOTIN'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Les sciences n’ont rien qui vous puisse enflammer, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Et vous ne vous piquez que de savoir charmer.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''HENRIETTE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >735&nbsp; &nbsp; </TD><TD>Aussi peu l’un que l’autre, et je n’ai nulle envie…</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''BÉLISE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Ah songeons à l’enfant nouveau né, je vous prie.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''PHILAMINTE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Allons, petit garçon, vite, de quoi s’asseoir.</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>''Le laquais tombe avec la chaise.''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Voyez l’impertinent ! Est-ce que l’on doit choir, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Après avoir appris l’équilibre des choses ? </TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''BÉLISE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >740&nbsp; &nbsp; </TD><TD>De ta chute, ignorant, ne vois-tu pas les causes, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Et qu’elle vient d’avoir du point fixe écarté, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Ce que nous appelons centre de gravité ? </TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''L’ÉPINE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Je m’en suis aperçu, Madame, étant par terre.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''PHILAMINTE'''</TD></TR>
</TABLE><TABLE CELLSPACING=0 CELLPADDING=0 border=0>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Le lourdaud ! </TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''TRISSOTIN'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD></TD><TD>Bien lui prend de n’être pas de verre.</TD></TR>
</TABLE><TABLE CELLSPACING=0 CELLPADDING=0 border=0>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''ARMANDE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Ah de l’esprit partout ! </TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''BÉLISE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >745&nbsp; &nbsp; </TD><TD></TD><TD>Cela ne tarit pas.</TD></TR>
</TABLE><TABLE CELLSPACING=0 CELLPADDING=0 border=0>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''PHILAMINTE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Servez-nous promptement votre aimable repas.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''TRISSOTIN'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Pour cette grande faim qu’à mes yeux on expose, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Un plat seul de huit vers me semble peu de chose, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Et je pense qu’ici je ne ferai pas mal, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >750&nbsp; &nbsp; </TD><TD>De joindre à l’épigramme, ou bien au madrigal, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Le ragoût d’un sonnet, qui chez une princesse</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>A passé pour avoir quelque délicatesse.</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Il est de sel attique assaisonné partout, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Et vous le trouverez, je crois, d’assez bon goût.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''ARMANDE'''</TD></TR>
</TABLE><TABLE CELLSPACING=0 CELLPADDING=0 border=0>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Ah Je n’en doute point.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''PHILAMINTE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >755&nbsp; &nbsp; </TD><TD></TD><TD>Donnons vite audience.</TD></TR>
</TABLE><TABLE CELLSPACING=0 CELLPADDING=0 border=0>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''BÉLISE''' ''À chaque fois qu’il veut lire, elle l’interrompt.''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Je sens d’aise mon cœur tressaillir par avance.</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>J’aime la poésie avec entêtement[[Les Femmes savantes - Notes#note50|*]].</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Et surtout quand les vers sont tournés galamment.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''PHILAMINTE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Si nous parlons toujours, il ne pourra rien dire.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''TRISSOTIN'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>SO…</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''BÉLISE'''[[Les Femmes savantes - Notes#note51|*]]</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >760&nbsp; &nbsp; </TD><TD>Silence, ma nièce.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''TRISSOTIN'''<br /><br /></TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>SONNET, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>À LA PRINCESSE URANIE</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>''sur sa fièvre.''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Votre prudence est endormie, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>De traiter magnifiquement, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Et de loger superbement</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Votre plus cruelle ennemie.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''BÉLISE'''</TD></TR>
</TABLE><TABLE CELLSPACING=0 CELLPADDING=0 border=0>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Ah le joli début ! </TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''ARMANDE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >765&nbsp; &nbsp; </TD><TD></TD><TD>Qu’il a le tour galant ! </TD></TR>
</TABLE><TABLE CELLSPACING=0 CELLPADDING=0 border=0>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''PHILAMINTE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Lui seul des vers aisés possède le talent ! </TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''ARMANDE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>À prudence endormie il faut rendre les armes.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''BÉLISE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Loger son ennemie est pour moi plein de charmes.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''PHILAMINTE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>J’aime superbement et magnifiquement ; </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >770&nbsp; &nbsp; </TD><TD>Ces deux adverbes joints font admirablement.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''BÉLISE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Prêtons l’oreille au reste.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''TRISSOTIN'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Votre prudence est endormie, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>De traiter magnifiquement, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Et de loger superbement</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Votre plus cruelle ennemie.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''ARMANDE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Prudence endormie ! </TD></TR>
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<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Loger son ennemie ! </TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''PHILAMINTE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Superbement, et magnifiquement ! </TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''TRISSOTIN'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Faites-la sortir, quoi qu’on die[[Les Femmes savantes - Notes#note52|*]], </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>De votre riche appartement, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Où cette ingrate insolemment</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >775&nbsp; &nbsp; </TD><TD>Attaque votre belle vie.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''BÉLISE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Ah tout doux, laissez-moi, de grâce, respirer.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''ARMANDE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Donnez-nous, s’il vous plaît, le loisir d’admirer.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''PHILAMINTE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>On se sent à ces vers, jusques au fond de l’âme, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Couler je ne sais quoi qui fait que l’on se pâme.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''ARMANDE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Faites-la sortir, quoi qu’on die, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>De votre riche appartement.</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >780&nbsp; &nbsp; </TD><TD>Que riche appartement est là joliment dit ! </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Et que la métaphore est mise avec esprit ! </TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''PHILAMINTE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Faites-la sortir, quoi qu’on die.</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Ah ! que ce quoi qu’on die est d’un goût admirable ! </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>C’est, à mon sentiment, un endroit impayable.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''ARMANDE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>De quoi qu’on die aussi mon cœur est amoureux.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''BÉLISE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >785&nbsp; &nbsp; </TD><TD>Je suis de votre avis, quoi qu’on die est heureux.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''ARMANDE'''</TD></TR>
</TABLE><TABLE CELLSPACING=0 CELLPADDING=0 border=0>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Je voudrais l’avoir fait.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''BÉLISE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD></TD><TD>Il vaut toute une pièce.</TD></TR>
</TABLE><TABLE CELLSPACING=0 CELLPADDING=0 border=0>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''PHILAMINTE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Mais en comprend-on bien comme moi la finesse ? </TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''ARMANDE''' ''et'' '''BÉLISE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Oh, oh.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''PHILAMINTE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Faites-la sortir, quoi qu’on die.</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Que de la fièvre on prenne ici les intérêts, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>N’ayez aucun égard, moquez-vous des caquets.</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Faites-la sortir, quoi qu’on die.</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Quoi qu’on die, quoi qu’on die.</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >790&nbsp; &nbsp; </TD><TD>Ce quoi qu’on die en dit beaucoup plus qu’il ne semble.</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Je ne sais pas, pour moi, si chacun me ressemble ; </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Mais j’entends là-dessous un million de mots.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''BÉLISE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Il est vrai qu’il dit plus de choses qu’il n’est gros.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''PHILAMINTE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Mais quand vous avez fait ce charmant quoi qu’on die, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >795&nbsp; &nbsp; </TD><TD>Avez-vous compris, vous, toute son énergie ? </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Songiez-vous bien vous-même à tout ce qu’il nous dit, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Et pensiez-vous alors y mettre tant d’esprit ? </TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''TRISSOTIN'''</TD></TR>
</TABLE><TABLE CELLSPACING=0 CELLPADDING=0 border=0>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Hay, hay.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''ARMANDE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD></TD><TD>J’ai fort aussi l’ingrate dans la tête, </TD></TR>
</TABLE><TABLE CELLSPACING=0 CELLPADDING=0 border=0>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Cette ingrate de fièvre, injuste, malhonnête, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >800&nbsp; &nbsp; </TD><TD>Qui traite mal les gens, qui la logent chez eux.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''PHILAMINTE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Enfin les quatrains sont admirables tous deux.</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Venons-en promptement aux tiercets, je vous prie.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''ARMANDE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Ah, s’il vous plaît, encore une fois quoi qu’on die.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''TRISSOTIN'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Faites-la sortir, quoi qu’on die, </TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''PHILAMINTE''', '''ARMANDE''' ''et'' '''BÉLISE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Quoi qu’on die ! </TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''TRISSOTIN'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>De votre riche appartement, </TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''PHILAMINTE''', '''ARMANDE''' ''et'' '''BÉLISE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Riche appartement ! </TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''TRISSOTIN'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Où cette ingrate insolemment</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''PHILAMINTE''', '''ARMANDE''' ''et'' '''BÉLISE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Cette ingrate de fièvre ? </TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''TRISSOTIN'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Attaque votre belle vie.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''PHILAMINTE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Votre belle vie ! </TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''ARMANDE''' ''et'' '''BÉLISE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Ah ! </TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''TRISSOTIN'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Quoi, sans respecter votre rang, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >805&nbsp; &nbsp; </TD><TD>Elle se prend à votre sang, </TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''PHILAMINTE''', '''ARMANDE''' ''et'' '''BÉLISE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Ah ! </TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''TRISSOTIN'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Et nuit et jour vous fait outrage ? </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Si vous la conduisez aux bains, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Sans la marchander davantage[[Les Femmes savantes - Notes#note53|*]], </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Noyez-la de vos propres mains.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''PHILAMINTE'''</TD></TR>
</TABLE><TABLE CELLSPACING=0 CELLPADDING=0 border=0>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>On n’en peut plus ? </TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''BÉLISE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD></TD><TD>On pâme.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''ARMANDE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >810&nbsp; &nbsp; </TD><TD></TD><TD></TD><TD>On se meurt de plaisir.</TD></TR>
</TABLE><TABLE CELLSPACING=0 CELLPADDING=0 border=0>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''PHILAMINTE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>De mille doux frissons vous vous sentez saisir.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''ARMANDE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Si vous la conduisez aux bains, </TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''BÉLISE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Sans la marchander davantage, </TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''PHILAMINTE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Noyez-la de vos propres mains.</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>De vos propres mains, là, noyez-la dans les bains.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''ARMANDE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Chaque pas dans vos vers rencontre un trait charmant.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''BÉLISE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Partout on s’y promène avec ravissement.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''PHILAMINTE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >815&nbsp; &nbsp; </TD><TD>On n’y saurait marcher que sur de belles choses.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''ARMANDE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Ce sont petits chemins tout parsemés de roses.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''TRISSOTIN'''</TD></TR>
</TABLE><TABLE CELLSPACING=0 CELLPADDING=0 border=0>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Le sonnet donc vous semble…</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''PHILAMINTE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD></TD><TD>Admirable, nouveau, </TD></TR>
</TABLE><TABLE CELLSPACING=0 CELLPADDING=0 border=0>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Et personne jamais n’a rien fait de si beau.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''BÉLISE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Quoi, sans émotion pendant cette lecture ? </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >820&nbsp; &nbsp; </TD><TD>Vous faites là, ma nièce, une étrange figure ! </TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''HENRIETTE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Chacun fait ici-bas la figure qu’il peut, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Ma tante ; et bel esprit, il ne l’est pas qui veut.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''TRISSOTIN'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Peut-être que mes vers importunent Madame.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''HENRIETTE'''</TD></TR>
</TABLE><TABLE CELLSPACING=0 CELLPADDING=0 border=0>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Point, je n’écoute pas.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''PHILAMINTE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD></TD><TD>Ah ? voyons l’épigramme.</TD></TR>
</TABLE><TABLE CELLSPACING=0 CELLPADDING=0 border=0>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''TRISSOTIN'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>SUR UN CARROSSE</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>DE COULEUR AMARANTE, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>DONNÉ À UNE DAME DE SES AMIES.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''PHILAMINTE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >825&nbsp; &nbsp; </TD><TD>Ces titres ont toujours quelque chose de rare.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''ARMANDE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>À cent beaux traits d’esprit leur nouveauté prépare.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''TRISSOTIN'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>L’amour si chèrement m’a vendu son lien, </TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''BÉLISE''', '''ARMANDE''' ''et'' '''PHILAMINTE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Ah ! </TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''TRISSOTIN'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Qu’il m’en coûte déjà la moitié de mon bien.</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Et quand tu vois ce beau carrosse</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >830&nbsp; &nbsp; </TD><TD>Où tant d’or se relève en bosse[[Les Femmes savantes - Notes#note54|*]], </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Qu’il étonne tout le pays, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Et fait pompeusement triompher ma Laïs[[Les Femmes savantes - Notes#note55|*]], </TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''PHILAMINTE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Ah ma Laïs ! voilà de l’érudition.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''BÉLISE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>L’enveloppe[[Les Femmes savantes - Notes#note56|*]] est jolie, et vaut un million.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''TRISSOTIN'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Et quand tu vois ce beau carrosse, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Où tant d’or se relève en bosse, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Qu’il étonne tout le pays, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Et fait pompeusement triompher ma Laïs, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >835&nbsp; &nbsp; </TD><TD>Ne dis plus qu’il est amarante[[Les Femmes savantes - Notes#note57|*]]: </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Dis plutôt qu’il est de ma rente.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''ARMANDE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Oh, oh, oh ! celui-là[[Les Femmes savantes - Notes#note58|*]] ne s’attend point du tout.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''PHILAMINTE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>On n’a que lui qui puisse écrire de ce goût.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''BÉLISE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Ne dis plus qu’il est amarante : </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Dis plutôt qu’il est de ma rente.</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Voilà qui se décline : ma rente, de ma rente, à ma rente.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''PHILAMINTE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Je ne sais du moment que je vous ai connu, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >840&nbsp; &nbsp; </TD><TD>Si sur votre sujet j’ai l’esprit prévenu[[Les Femmes savantes - Notes#note59|*]], </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Mais j’admire partout vos vers et votre prose.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''TRISSOTIN'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Si vous vouliez de vous nous montrer quelque chose, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>À notre tour aussi nous pourrions admirer.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''PHILAMINTE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Je n’ai rien fait en vers, mais j’ai lieu d’espérer</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >845&nbsp; &nbsp; </TD><TD>Que je pourrai bientôt vous montrer en amie, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Huit chapitres du plan de notre Académie.</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Platon s’est au projet simplement arrêté, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Quand de sa République il a fait le traité ; </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Mais à l’effet entier je veux pousser l’idée</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >850&nbsp; &nbsp; </TD><TD>Que j’ai sur le papier en prose accommodée, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Car enfin je me sens un étrange dépit</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Du tort que l’on nous fait du côté de l’esprit, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Et je veux nous venger toutes tant que nous sommes</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>De cette indigne classe où nous rangent les hommes ; </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >855&nbsp; &nbsp; </TD><TD>De borner nos talents à des futilités, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Et nous fermer la porte aux sublimes clartés.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''ARMANDE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>C’est faire à notre sexe une trop grande offense, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>De n’étendre l’effort de notre intelligence, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Qu’à juger d’une jupe, et de l’air d’un manteau, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >860&nbsp; &nbsp; </TD><TD>Ou des beautés d’un point, ou d’un brocart nouveau.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''BÉLISE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Il faut se relever de ce honteux partage, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Et mettre hautement notre esprit hors de page[[Les Femmes savantes - Notes#note60|*]].</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''TRISSOTIN'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Pour les dames on sait mon respect en tous lieux, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Et si je rends hommage aux brillants de leurs yeux, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >865&nbsp; &nbsp; </TD><TD>De leur esprit aussi j’honore les lumières.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''PHILAMINTE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Le sexe aussi vous rend justice en ces matières ; </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Mais nous voulons montrer à de certains esprits, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Dont l’orgueilleux savoir nous traite avec mépris, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Que de science aussi les femmes sont meublées, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >870&nbsp; &nbsp; </TD><TD>Qu’on peut faire comme eux de doctes assemblées, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Conduites en cela par des ordres meilleurs, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Qu’on y veut réunir ce qu’on sépare ailleurs ; </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Mêler le beau langage, et les hautes sciences ; </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Découvrir la nature en mille expériences ; </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >875&nbsp; &nbsp; </TD><TD>Et sur les questions qu’on pourra proposer</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Faire entrer chaque secte, et n’en point épouser.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''TRISSOTIN'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Je m’attache pour l’ordre au péripatétisme[[Les Femmes savantes - Notes#note61|*]].</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''PHILAMINTE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Pour les abstractions j’aime le platonisme.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''ARMANDE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Épicure me plaît, et ses dogmes sont forts.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''BÉLISE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >880&nbsp; &nbsp; </TD><TD>Je m’accommode assez pour moi des petits corps ; </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Mais le vide à souffrir me semble difficile, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Et je goûte bien mieux la matière subtile[[Les Femmes savantes - Notes#note62|*]].</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''TRISSOTIN'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Descartes pour l’aimant donne fort dans mon sens[[Les Femmes savantes - Notes#note63|*]].</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''ARMANDE'''</TD></TR>
</TABLE><TABLE CELLSPACING=0 CELLPADDING=0 border=0>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>J’aime ses tourbillons[[Les Femmes savantes - Notes#note64|*]].</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''PHILAMINTE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD></TD><TD>Moi ses mondes tombants[[Les Femmes savantes - Notes#note65|*]].</TD></TR>
</TABLE><TABLE CELLSPACING=0 CELLPADDING=0 border=0>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''ARMANDE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >885&nbsp; &nbsp; </TD><TD>Il me tarde de voir notre assemblée ouverte, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Et de nous signaler par quelque découverte.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''TRISSOTIN'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>On en attend beaucoup de vos vives clartés, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Et pour vous la nature a peu d’obscurités.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''PHILAMINTE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Pour moi, sans me flatter, j’en ai déjà fait une, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >890&nbsp; &nbsp; </TD><TD>Et j’ai vu clairement des hommes dans la lune.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''BÉLISE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Je n’ai point encor vu d’hommes, comme je croi, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Mais j’ai vu des clochers tout comme je vous voi.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''ARMANDE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Nous approfondirons, ainsi que la physique, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Grammaire, histoire, vers, morale, et politique.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''PHILAMINTE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >895&nbsp; &nbsp; </TD><TD>La morale a des traits dont mon cœur est épris, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Et c’était autrefois l’amour des grands esprits ; </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Mais aux stoïciens je donne l’avantage, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Et je ne trouve rien de si beau que leur sage.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''ARMANDE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Pour la langue, on verra dans peu nos règlements, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >900&nbsp; &nbsp; </TD><TD>Et nous y prétendons faire des remuements.</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Par une antipathie ou juste, ou naturelle[[Les Femmes savantes - Notes#note66|*]], </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Nous avons pris chacune une haine mortelle</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Pour un nombre de mots, soit ou verbes, ou noms, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Que mutuellement nous nous abandonnons ; </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >905&nbsp; &nbsp; </TD><TD>Contre eux nous préparons de mortelles sentences, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Et nous devons ouvrir nos doctes conférences</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Par les proscriptions de tous ces mots divers, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Dont nous voulons purger et la prose et les vers.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''PHILAMINTE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Mais le plus beau projet de notre académie, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >910&nbsp; &nbsp; </TD><TD>Une entreprise noble et dont je suis ravie ; </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Un dessein plein de gloire, et qui sera vanté</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Chez tous les beaux esprits de la postérité, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>C’est le retranchement de ces syllabes sales, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Qui dans les plus beaux mots produisent des scandales ; </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >915&nbsp; &nbsp; </TD><TD>Ces jouets éternels des sots de tous les temps ; </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Ces fades lieux communs de nos méchants plaisants ; </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Ces sources d’un amas d’équivoques infâmes, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Dont on vient faire insulte à la pudeur des femmes.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''TRISSOTIN'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Voilà certainement d’admirables projets ! </TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''BÉLISE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >920&nbsp; &nbsp; </TD><TD>Vous verrez nos statuts quand ils seront tous faits.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''TRISSOTIN'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Ils ne sauraient manquer d’être tous beaux et sages.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''ARMANDE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Nous serons par nos lois les juges des ouvrages.</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Par nos lois, prose et vers, tout nous sera soumis.</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Nul n’aura de l’esprit, hors nous et nos amis.</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >925&nbsp; &nbsp; </TD><TD>Nous chercherons partout à trouver à redire, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Et ne verrons que nous qui sache bien écrire.</TD></TR>
</TABLE>


{{Personnage|Bélise}} Ah tout doux, laissez-moi, de grâce, respirer.
===SCÈNE III===
{{Personnage|Armande}} Donnez-nous, s’il vous plaît, le loisir d’admirer.
L’ÉPINE, TRISSOTIN, PHILAMINTE, BÉLISE, ARMANDE, HENRIETTE, VADIUS.
{{Personnage|Philaminte}} On se sent à ces vers, jusques au fond de l’âme,<br>Couler je ne sais quoi qui fait que l’on se pâme.</TD></TR>
{{Personnage|Armande}}
<poem>
Faites-la sortir, quoi qu’on die,
De votre riche appartement.
</poem>


{{numVers|780}} Que « riche appartement » est là joliment dit !<br>Et que la métaphore est mise avec esprit !
<TABLE CELLSPACING=0 CELLPADDING=0 border=0>
{{Personnage|Philaminte}} « Faites-la sortir, quoi qu’on die. » Ah ! que ce quoi qu’on die est d’un goût admirable !<br>C’est, à mon sentiment, un endroit impayable.
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''L’ÉPINE'''</TD></TR>
{{Personnage|Armande}} De « quoi qu’on die » aussi mon cœur est amoureux.
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Monsieur, un homme est là qui veut parler à vous, </TD></TR>
{{Personnage|Bélise}} {{numVers|785}} Je suis de votre avis, « quoi qu’on die » est heureux .
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Il est vêtu de noir, et parle d’un ton doux.</TD></TR>
{{Personnage|Armande}} Je voudrais l’avoir fait.
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''TRISSOTIN'''</TD></TR>
{{Personnage|Bélise}} Il vaut toute une pièce.
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>C’est cet ami savant qui m’a fait tant d’instance</TD></TR>
{{Personnage|Philaminte}} Mais en comprend-on bien comme moi la finesse ?
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >930&nbsp; &nbsp; </TD><TD>De lui donner l’honneur de votre connaissance.</TD></TR>
{{Personnage|Armande}} ''et'' {{Personnage|Bélise}}
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''PHILAMINTE'''</TD></TR>
Oh, oh.
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Pour le faire venir, vous avez tout crédit.</TD></TR>
{{Personnage|Philaminte}} « Faites-la sortir, quoi qu’on die. »
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Faisons bien les honneurs au moins de notre esprit.</TD></TR>
Que de la fièvre on prenne ici les intérêts,<br>N’ayez aucun égard, moquez-vous des caquets.<br>Faites-la sortir, quoi qu’on die.<br>Quoi qu’on die, quoi qu’on die.<br>{{numVers|790}} Ce « quoi qu’on die » en dit beaucoup plus qu’il ne semble.<br>Je ne sais pas, pour moi, si chacun me ressemble ;<br>Mais j’entends là-dessous un million de mots.
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Holà. Je vous ai dit en paroles bien claires, </TD></TR>
{{Personnage|Bélise}} Il est vrai qu’il dit plus de choses qu’il n’est gros.
</TABLE><TABLE CELLSPACING=0 CELLPADDING=0 border=0>
{{Personnage|Philaminte}} Mais quand vous avez fait ce charmant « quoi qu’on die »,<br>{{numVers|795}} Avez-vous compris, vous, toute son énergie ?<br>Songiez-vous bien vous-même à tout ce qu’il nous dit,<br>Et pensiez-vous alors y mettre tant d’esprit ?
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Que j’ai besoin de vous.</TD></TR>
{{Personnage|Trissotin}} Hay, hay.
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''HENRIETTE'''</TD></TR>
{{Personnage|Armande}} J’ai fort aussi l’ingrate dans la tête,<br>Cette ingrate de fièvre, injuste, malhonnête,<br>{{numVers|800}} Qui traite mal les gens, qui la logent chez eux.
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD></TD><TD>Mais pour quelles affaires ? </TD></TR>
{{Personnage|Philaminte}} Enfin les quatrains sont admirables tous deux.<br>Venons-en promptement aux tiercets, je vous prie.
</TABLE><TABLE CELLSPACING=0 CELLPADDING=0 border=0>
{{Personnage|Armande}} Ah, s’il vous plaît, encore une fois « quoi qu’on die ».
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''PHILAMINTE'''</TD></TR>
{{Personnage|Trissotin}} Faites-la sortir, quoi qu’on die,
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >935&nbsp; &nbsp; </TD><TD>Venez, on va dans peu vous les faire savoir.</TD></TR>
{{Personnage|Philaminte}}, {{Personnage|Armande}} ''et'' {{Personnage|Bélise}} Quoi qu’on die !
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''TRISSOTIN'''</TD></TR>
{{Personnage|Trissotin}} De votre riche appartement,
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Voici l’homme qui meurt du désir de vour voir.</TD></TR>
{{Personnage|Philaminte}}, {{Personnage|Armande}} ''et'' {{Personnage|Bélise}} Riche appartement !
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>En vous le produisant, je ne crains point le blâme</TD></TR>
{{Personnage|Trissotin}} Où cette ingrate insolemment,
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>D’avoir admis chez vous un profane, Madame, </TD></TR>
{{Personnage|Philaminte}}, {{Personnage|Armande}} ''et'' {{Personnage|Bélise}} Cette ingrate de fièvre ?
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Il peut tenir son coin[[Les Femmes savantes - Notes#note67|*]] parmi de beaux esprits.</TD></TR>
{{Personnage|Trissotin}} Attaque votre belle vie.
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''PHILAMINTE'''</TD></TR>
{{Personnage|Philaminte}} Votre belle vie !
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >940&nbsp; &nbsp; </TD><TD>La main qui le présente, en dit assez le prix.</TD></TR>
{{Personnage|Armande}} ''et'' {{Personnage|Bélise}} Ah !
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''TRISSOTIN'''</TD></TR>
{{Personnage|Trissotin}}
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Il a des vieux auteurs la pleine intelligence, </TD></TR>
<poem>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Et sait du grec, Madame, autant qu’homme de France.</TD></TR>
Quoi, sans respecter votre rang,
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''PHILAMINTE'''</TD></TR>
{{numVers|805}} Elle se prend à votre sang,
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Du grec, ô Ciel ! du grec ! Il sait du grec, ma sœur ! </TD></TR>
</poem>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''BÉLISE'''</TD></TR>
</TABLE><TABLE CELLSPACING=0 CELLPADDING=0 border=0>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Ah, ma nièce, du grec ! </TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''ARMANDE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD></TD><TD>Du grec ! quelle douceur ! </TD></TR>
</TABLE><TABLE CELLSPACING=0 CELLPADDING=0 border=0>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''PHILAMINTE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >945&nbsp; &nbsp; </TD><TD>Quoi, Monsieur sait du grec ? Ah permettez, de grâce</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Que pour l’amour du grec, Monsieur, on vous embrasse.</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>(Il les baise toutes, jusques à Henriette qui le refuse.)</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''HENRIETTE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Excusez-moi, Monsieur, je n’entends pas le grec.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''PHILAMINTE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>J’ai pour les livres grecs un merveilleux respect.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''VADIUS'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Je crains d’être fâcheux, par l’ardeur qui m’engage</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >950&nbsp; &nbsp; </TD><TD>À vous rendre aujourd’hui, Madame, mon hommage, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Et j’aurais pu troubler quelque docte entretien.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''PHILAMINTE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Monsieur, avec du grec on ne peut gâter rien.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''TRISSOTIN'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Au reste il fait merveille en vers ainsi qu’en prose, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Et pourrait, s’il voulait, vous montrer quelque chose.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''VADIUS'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >955&nbsp; &nbsp; </TD><TD>Le défaut des auteurs, dans leurs productions, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>C’est d’en tyranniser les conversations ; </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>D’être au Palais, au Cours[[Les Femmes savantes - Notes#note68|*]], aux ruelles, aux tables, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>De leurs vers fatigants lecteurs infatigables.</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Pour moi je ne vois rien de plus sot à mon sens, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >960&nbsp; &nbsp; </TD><TD>Qu’un auteur qui partout va gueuser des encens[[Les Femmes savantes - Notes#note69|*]], </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Qui des premiers venus saisissant les oreilles, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>En fait le plus souvent les martyrs de ses veilles.</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>On ne m’a jamais vu ce fol entêtement, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Et d’un Grec là-dessus je suis le sentiment, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >965&nbsp; &nbsp; </TD><TD>Qui par un dogme exprès défend à tous ses sages</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>L’indigne empressement de lire leurs ouvrages.</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Voici de petits vers pour de jeunes amants, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Sur quoi je voudrais bien avoir vos sentiments.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''TRISSOTIN'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Vos vers ont des beautés que n’ont point tous les autres.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''VADIUS'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >970&nbsp; &nbsp; </TD><TD>Les grâces et Vénus règnent dans tous les vôtres.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''TRISSOTIN'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Vous avez le tour libre, et le beau choix des mots.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''VADIUS'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>On voit partout chez vous l’ithos et le pathos[[Les Femmes savantes - Notes#note70|*]].</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''TRISSOTIN'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Nous avons vu de vous des églogues d’un style, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Qui passe en doux attraits Théocrite et Virgile.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''VADIUS'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >975&nbsp; &nbsp; </TD><TD>Vos odes ont un air noble, galant et doux, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Qui laisse de bien loin votre Horace après vous.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''TRISSOTIN'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Est-il rien d’amoureux comme vos chansonnettes ? </TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''VADIUS'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Peut-on voir rien d’égal aux sonnets que vous faites ? </TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''TRISSOTIN'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Rien qui soit plus charmant que vos petits rondeaux ? </TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''VADIUS'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >980&nbsp; &nbsp; </TD><TD>Rien de si plein d’esprit que tous vos madrigaux ? </TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''TRISSOTIN'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Aux ballades surtout vous êtes admirable.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''VADIUS'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Et dans les bouts-rimés je vous trouve adorable.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''TRISSOTIN'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Si la France pouvait connaître votre prix, </TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''VADIUS'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Si le siècle rendait justice aux beaux esprits, </TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''TRISSOTIN'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >985&nbsp; &nbsp; </TD><TD>En carrosse doré vous iriez par les rues.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''VADIUS'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>On verrait le public vous dresser des statues.</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Hom. C’est une ballade, et je veux que tout net</TD></TR>
</TABLE><TABLE CELLSPACING=0 CELLPADDING=0 border=0>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Vous m’en…</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''TRISSOTIN'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD></TD><TD>Avez-vous vu certain petit sonnet</TD></TR>
</TABLE><TABLE CELLSPACING=0 CELLPADDING=0 border=0>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Sur la fièvre qui tient la princesse Uranie ? </TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''VADIUS'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >990&nbsp; &nbsp; </TD><TD>Oui, hier il me fut lu dans une compagnie.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''TRISSOTIN'''</TD></TR>
</TABLE><TABLE CELLSPACING=0 CELLPADDING=0 border=0>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Vous en savez l’auteur ? </TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''VADIUS'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD></TD><TD>Non ; mais je sais fort bien, </TD></TR>
</TABLE><TABLE CELLSPACING=0 CELLPADDING=0 border=0>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Qu’à ne le point flatter, son sonnet ne vaut rien.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''TRISSOTIN'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Beaucoup de gens pourtant le trouvent admirable.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''VADIUS'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Cela n’empêche pas qu’il ne soit misérable ; </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >995&nbsp; &nbsp; </TD><TD>Et si vous l’avez vu, vous serez de mon goût.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''TRISSOTIN'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Je sais que là-dessus je n’en suis point du tout, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Et que d’un tel sonnet peu de gens sont capables.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''VADIUS'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Me préserve le Ciel d’en faire de semblables ! </TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''TRISSOTIN'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Je soutiens qu’on ne peut en faire de meilleur ; </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >1000&nbsp; &nbsp; </TD><TD>Et ma grande raison, c’est que j’en suis l’auteur.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''VADIUS'''</TD></TR>
</TABLE><TABLE CELLSPACING=0 CELLPADDING=0 border=0>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Vous ? </TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''TRISSOTIN'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD></TD><TD>Moi.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''VADIUS'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD></TD><TD></TD><TD>Je ne sais donc comment se fit l’affaire.</TD></TR>
</TABLE><TABLE CELLSPACING=0 CELLPADDING=0 border=0>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''TRISSOTIN'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>C’est qu’on fut malheureux, de ne pouvoir vous plaire.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''VADIUS'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Il faut qu’en écoutant j’aie eu l’esprit distrait, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Ou bien que le lecteur m’ait gâté le sonnet.</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >1005&nbsp; &nbsp; </TD><TD>Mais laissons ce discours, et voyons ma ballade.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''TRISSOTIN'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>La ballade, à mon goût, est une chose fade.</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Ce n’en est plus la mode ; elle sent son vieux temps.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''VADIUS'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>La ballade pourtant charme beaucoup de gens.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''TRISSOTIN'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Cela n’empêche pas qu’elle ne me déplaise.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''VADIUS'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >1010&nbsp; &nbsp; </TD><TD>Elle n’en reste pas pour cela plus mauvaise.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''TRISSOTIN'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Elle a pour les pédants de merveilleux appas.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''VADIUS'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Cependant nous voyons qu’elle ne vous plaît pas.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''TRISSOTIN'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Vous donnez sottement vos qualités aux autres.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''VADIUS'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Fort impertinemment vous me jetez les vôtres.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''TRISSOTIN'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >1015&nbsp; &nbsp; </TD><TD>Allez, petit grimaud[[Les Femmes savantes - Notes#note71|*]], barbouilleur de papier.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''VADIUS'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Allez, rimeur de balle[[Les Femmes savantes - Notes#note72|*]], opprobre du métier.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''TRISSOTIN'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Allez, fripier d’écrits, impudent plagiaire.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''VADIUS'''</TD></TR>
</TABLE><TABLE CELLSPACING=0 CELLPADDING=0 border=0>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Allez, cuistre…</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''PHILAMINTE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD></TD><TD>Eh, Messieurs, que prétendez-vous faire ? </TD></TR>
</TABLE><TABLE CELLSPACING=0 CELLPADDING=0 border=0>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''TRISSOTIN'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Va, va restituer tous les honteux larcins</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >1020&nbsp; &nbsp; </TD><TD>Que réclament sur toi les Grecs et les Latins.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''VADIUS'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Va, va-t’en faire amende honorable au Parnasse, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>D’avoir fait à tes vers estropier Horace.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''TRISSOTIN'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Souviens-toi de ton livre, et de son peu de bruit.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''VADIUS'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Et toi, de ton libraire à l’hôpital réduit.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''TRISSOTIN'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >1025&nbsp; &nbsp; </TD><TD>Ma gloire est établie, en vain tu la déchires.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''VADIUS'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Oui, oui, je te renvoie à l’auteur des Satires.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''TRISSOTIN'''</TD></TR>
</TABLE><TABLE CELLSPACING=0 CELLPADDING=0 border=0>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Je t’y renvoie aussi.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''VADIUS'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD></TD><TD>J’ai le contentement, </TD></TR>
</TABLE><TABLE CELLSPACING=0 CELLPADDING=0 border=0>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Qu’on voit qu’il m’a traité plus honorablement.</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Il me donne en passant une atteinte légère</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >1030&nbsp; &nbsp; </TD><TD>Parmi plusieurs auteurs qu’au Palais[[Les Femmes savantes - Notes#note73|*]] on révère ; </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Mais jamais dans ses vers il ne te laisse en paix, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Et l’on t’y voit partout être en butte à ses traits.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''TRISSOTIN'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>C’est par là que j’y tiens un rang plus honorable.</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Il te met dans la foule ainsi qu’un misérable, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >1035&nbsp; &nbsp; </TD><TD>Il croit que c’est assez d’un coup pour t’accabler, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Et ne t’a jamais fait l’honneur de redoubler : </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Mais il m’attaque à part comme un noble adversaire</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Sur qui tout son effort lui semble nécessaire ; </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Et ses coups contre moi redoublés en tous lieux, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >1040&nbsp; &nbsp; </TD><TD>Montrent qu’il ne se croit jamais victorieux.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''VADIUS'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Ma plume t’apprendra quel homme je puis être.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''TRISSOTIN'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Et la mienne saura te faire voir ton maître.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''VADIUS'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Je te défie en vers, prose, grec, et latin.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''TRISSOTIN'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Hé bien, nous nous verrons seul à seul chez Barbin[[Les Femmes savantes - Notes#note74|*]].</TD></TR>
</TABLE>


{{Personnage|Philaminte}}, {{Personnage|Armande}} ''et'' {{Personnage|Bélise}} Ah !
===SCÈNE IV===
{{Personnage|Trissotin}}
TISSOTIN, PHILAMINTE, ARMANDE, BÉLISE, HENRIETTE.
<poem>
Et nuit et jour vous fait outrage ?
Si vous la conduisez aux bains,
Sans la marchander davantage,
Noyez-la de vos propres mains.
</poem>


{{Personnage|Philaminte}} On n’en peut plus ?
<TABLE CELLSPACING=0 CELLPADDING=0 border=0>
{{Personnage|Bélise}} On pâme.
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''TRISSOTIN'''</TD></TR>
{{Personnage|Armande}} {{numVers|810}} On se meurt de plaisir.
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >1045&nbsp; &nbsp; </TD><TD>À mon emportement ne donnez aucun blâme ; </TD></TR>
{{Personnage|Philaminte}} De mille doux frissons vous vous sentez saisir.
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>C’est votre jugement que je défends, Madame, </TD></TR>
{{Personnage|Armande}} Si vous la conduisez aux bains,
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Dans le sonnet qu’il a l’audace d’attaquer.</TD></TR>
{{Personnage|Bélise}} Sans la marchander davantage,
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''PHILAMINTE'''</TD></TR>
{{Personnage|Philaminte}} Noyez-la de vos propres mains.<br>De vos propres mains, là, noyez-la dans les bains.
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>À vous remettre bien, je me veux appliquer.</TD></TR>
{{Personnage|Armande}} Chaque pas dans vos vers rencontre un trait charmant.
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Mais parlons d’autre affaire. Approchez, Henriette.</TD></TR>
{{Personnage|Bélise}} Partout on s’y promène avec ravissement
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >1050&nbsp; &nbsp; </TD><TD>Depuis assez longtemps mon âme s’inquiète, </TD></TR>
{{Personnage|Philaminte}} {{numVers|815}} On n’y saurait marcher que sur de belles choses.
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>De ce qu’aucun esprit en vous ne se fait voir, </TD></TR>
{{Personnage|Armande}} Ce sont petits chemins tout parsemés de roses.
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Mais je trouve un moyen de vous en faire avoir.</TD></TR>
{{Personnage|Trissotin}} Le sonnet donc vous semble…
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''HENRIETTE'''</TD></TR>
{{Personnage|Philaminte}} Admirable, nouveau,<br>Et personne jamais n’a rien fait de si beau.
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>C’est prendre un soin pour moi qui n’est pas nécessaire, </TD></TR>
{{Personnage|Bélise}} Quoi, sans émotion pendant cette lecture ?<br>{{numVers|820}}Vous faites là, ma nièce, une étrange figure !
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Les doctes entretiens ne sont point mon affaire.</TD></TR>
{{Personnage|Henriette}} Chacun fait ici-bas la figure qu’il peut,<br>Ma tante ; et bel esprit, il ne l’est pas qui veut.
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >1055&nbsp; &nbsp; </TD><TD>J’aime à vivre aisément, et dans tout ce qu’on dit</TD></TR>
{{Personnage|Trissotin}} Peut-être que mes vers importunent Madame.
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Il faut se trop peiner, pour avoir de l’esprit.</TD></TR>
{{Personnage|Henriette}} Point, je n’écoute pas.
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>C’est une ambition que je n’ai point en tête, </TD></TR>
{{Personnage|Philaminte}} Ah ? voyons l’épigramme.
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Je me trouve fort bien, ma mère, d’être bête, </TD></TR>
{{Personnage|Trissotin}}
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Et j’aime mieux n’avoir que de communs propos, </TD></TR>
<poem>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >1060&nbsp; &nbsp; </TD><TD>Que de me tourmenter pour dire de beaux mots.</TD></TR>
SUR UN CARROSSE<br>DE COULEUR AMARANTE,</br>DONNÉ À UNE DAME DE SES AMIES.
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''PHILAMINTE'''</TD></TR>
</poem>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Oui, mais j’y suis blessée, et ce n’est pas mon compte</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>De souffrir dans mon sang une pareille honte.</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>La beauté du visage est un frêle ornement, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Une fleur passagère, un éclat d’un moment, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >1065&nbsp; &nbsp; </TD><TD>Et qui n’est attaché qu’à la simple épiderme ; </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Mais celle de l’esprit est inhérente et ferme.</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>J’ai donc cherché longtemps un biais de vous donner</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>La beauté que les ans ne peuvent moissonner, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>De faire entrer chez vous le désir des sciences, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >1070&nbsp; &nbsp; </TD><TD>De vous insinuer les belles connaissances ; </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Et la pensée enfin où mes vœux ont souscrit, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>C’est d’attacher à vous un homme plein d’esprit, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Et cet homme est Monsieur que je vous détermine[[Les Femmes savantes - Notes#note75|*]]</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>À voir comme l’époux que mon choix vous destine.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''HENRIETTE'''</TD></TR>
</TABLE><TABLE CELLSPACING=0 CELLPADDING=0 border=0>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Moi, ma mère ? </TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''PHILAMINTE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >1075&nbsp; &nbsp; </TD><TD></TD><TD>Oui, vous. Faites la sotte un peu.</TD></TR>
</TABLE><TABLE CELLSPACING=0 CELLPADDING=0 border=0>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''BÉLISE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Je vous entends. Vos yeux demandent mon aveu, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Pour engager ailleurs un cœur que je possède.</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Allez, je le veux bien. À ce nœud je vous cède, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>C’est un hymen qui fait votre établissement.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''TRISSOTIN'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >1080&nbsp; &nbsp; </TD><TD>Je ne sais que vous dire, en mon ravissement, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Madame, et cet hymen dont je vois qu’on m’honore</TD></TR>
</TABLE><TABLE CELLSPACING=0 CELLPADDING=0 border=0>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Me met…</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''HENRIETTE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD></TD><TD>Tout beau, Monsieur, il n’est pas fait encore</TD></TR>
</TABLE><TABLE CELLSPACING=0 CELLPADDING=0 border=0>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Ne vous pressez pas tant.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''PHILAMINTE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD></TD><TD>Comme vous répondez ! </TD></TR>
</TABLE><TABLE CELLSPACING=0 CELLPADDING=0 border=0>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Savez-vous bien que si… Suffit, vous m’entendez.</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >1085&nbsp; &nbsp; </TD><TD>Elle se rendra sage ; allons, laissons-la faire.</TD></TR>
</TABLE>


{{Personnage|Philaminte}} {{numVers|825}} Ces titres ont toujours quelque chose de rare.
===SCÈNE V===
{{Personnage|Armande}} À cent beaux traits d’esprit leur nouveauté prépare.</TD></TR>
HENRIETTE, ARMANDE.
{{Personnage|Trissotin}}
<poem>
L’amour si chèrement m’a vendu son lien,
</poem>


{{Personnage|Bélise}}, {{Personnage|Armande}} ''et'' {{Personnage|Philaminte}} Ah !
<TABLE CELLSPACING=0 CELLPADDING=0 border=0>
{{Personnage|Trissotin}}
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''ARMANDE'''</TD></TR>
<poem>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>On voit briller pour vous les soins de notre mère ; </TD></TR>
Qu’il m’en coûte déjà la moitié de mon bien.
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Et son choix ne pouvait d’un plus illustre époux…</TD></TR>
Et quand tu vois ce beau carrosse<br>{{numVers|830}} Où tant d’or se relève en bosse,
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''HENRIETTE'''</TD></TR>
Qu’il étonne tout le pays,
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Si le choix est si beau, que ne le prenez-vous ? </TD></TR>
Et fait pompeusement triompher ma Laïs,
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''ARMANDE'''</TD></TR>
</poem>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>C’est à vous, non à moi, que sa main est donnée.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''HENRIETTE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >1090&nbsp; &nbsp; </TD><TD>Je vous le cède tout, comme à ma sœur aînée.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''ARMANDE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Si l’hymen comme à vous me paraissait charmant, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>J’accepterais votre offre avec ravissement.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''HENRIETTE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Si j’avais comme vous les pédants dans la tête, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Je pourrais le trouver un parti fort honnête.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''ARMANDE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >1095&nbsp; &nbsp; </TD><TD>Cependant bien qu’ici nos goûts soient différents, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Nous devons obéir, ma sœur, à nos parents ; </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Une mère a sur nous une entière puissance, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Et vous croyez en vain par votre résistance…</TD></TR>
</TABLE>


{{Personnage|Philaminte}} Ah ma Laïs ! voilà de l’érudition.
===SCÈNE VI===
{{Personnage|Bélise}} L’enveloppe est jolie, et vaut un million.
CHRYSALE, ARISTE, CLITANDRE, HENRIETTE, ARMANDE.


{{Personnage|Trissotin}}
<TABLE CELLSPACING=0 CELLPADDING=0 border=0>
<poem>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''CHRYSALE'''</TD></TR>
Et quand tu vois ce beau carrosse,
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Allons, ma fille, il faut approuver mon dessein, </TD></TR>
Où tant d’or se relève en bosse,
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >1100&nbsp; &nbsp; </TD><TD>Ôtez ce gant. Touchez à Monsieur dans la main, </TD></TR>
Qu’il étonne tout le pays,
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Et le considérez désormais dans votre âme</TD></TR>
Et fait pompeusement triompher ma Laïs,<br>{{numVers|835}}Ne dis plus qu’il est amarante :<br>Dis plutôt qu’il est de ma rente.
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>En homme dont je veux que vous soyez la femme.</TD></TR>
</poem>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''ARMANDE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>De ce côté, ma sœur, vos penchants sont fort grands.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''HENRIETTE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Il nous faut obéir, ma sœur, à nos parents ; </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >1105&nbsp; &nbsp; </TD><TD>Un père a sur nos vœux une entière puissance.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''ARMANDE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Une mère a sa part à notre obéissance.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''CHRYSALE'''</TD></TR>
</TABLE><TABLE CELLSPACING=0 CELLPADDING=0 border=0>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Qu’est-ce à dire ? </TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''ARMANDE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD></TD><TD>Je dis que j’appréhende fort</TD></TR>
</TABLE><TABLE CELLSPACING=0 CELLPADDING=0 border=0>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Qu’ici ma mère et vous ne soyez pas d’accord, </TD></TR>
</TABLE><TABLE CELLSPACING=0 CELLPADDING=0 border=0>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Et c’est un autre époux…</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''CHRYSALE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD></TD><TD>Taisez-vous, péronnelle[[Les Femmes savantes - Notes#note76|*]] ! </TD></TR>
</TABLE><TABLE CELLSPACING=0 CELLPADDING=0 border=0>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >1110&nbsp; &nbsp; </TD><TD>Allez philosopher tout le soûl avec elle, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Et de mes actions ne vous mêlez en rien.</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Dites-lui ma pensée, et l’avertissez bien</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Qu’elle ne vienne pas m’échauffer les oreilles ; </TD></TR>
</TABLE><TABLE CELLSPACING=0 CELLPADDING=0 border=0>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Allons vite.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''ARISTE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD></TD><TD>Fort bien ; vous faites des merveilles.</TD></TR>
</TABLE><TABLE CELLSPACING=0 CELLPADDING=0 border=0>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''CLITANDRE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >1115&nbsp; &nbsp; </TD><TD>Quel transport ! quelle joie ! ah ! que mon sort est doux ! </TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''CHRYSALE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Allons, prenez sa main, et passez devant nous, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Menez-la dans sa chambre. Ah les douces caresses ! </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Tenez, mon cœur s’émeut à toutes ces tendresses, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Cela ragaillardit tout à fait mes vieux jours, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >1120&nbsp; &nbsp; </TD><TD>Et je me ressouviens de mes jeunes amours.</TD></TR>
</TABLE>


{{Personnage|Armande}} Oh, oh, oh ! celui-là ne s’attend point du tout.
==ACTE IV==
{{Personnage|Philaminte}} On n’a que lui qui puisse écrire de ce goût.
===SCÈNE PREMIÈRE===
{{Personnage|Bélise}} « Ne dis plus qu’il est amarante :<br>Dis plutôt qu’il est de ma rente. »<br>Voilà qui se décline : « ma rente », « de ma rente », « à ma rente »
ARMANDE, PHILAMINTE.
{{Personnage|Philaminte}} Je ne sais du moment que je vous ai connu,<br>{{numVers|840}} Si sur votre sujet j’ai l’esprit prévenu,<br>Mais j’admire partout vos vers et votre prose.
{{Personnage|Trissotin}} Si vous vouliez de vous nous montrer quelque chose,<br>À notre tour aussi nous pourrions admirer.
{{Personnage|Philaminte}} Je n’ai rien fait en vers, mais j’ai lieu d’espérer<br>{{numVers|845}} Que je pourrai bientôt vous montrer en amie,<br>Huit chapitres du plan de notre Académie.<br>Platon s’est au projet simplement arrêté, <br>Quand de sa République il a fait le traité ;<br>Mais à l’effet entier je veux pousser l’idée<br>{{numVers|850}} Que j’ai sur le papier en prose accommodée,<br>Car enfin je me sens un étrange dépit<br>Du tort que l’on nous fait du côté de l’esprit, </br>Et je veux nous venger toutes tant que nous sommes<br>De cette indigne classe où nous rangent les hommes ;<br>{{numVers|855}} De borner nos talents à des futilités,<br>Et nous fermer la porte aux sublimes clartés.
{{Personnage|Armande}} C’est faire à notre sexe une trop grande offense,<br>De n’étendre l’effort de notre intelligence,<br>Qu’à juger d’une jupe, et de l’air d’un manteau,<br>{{numVers|860}} Ou des beautés d’un point, ou d’un brocart nouveau.
{{Personnage|Bélise}} Il faut se relever de ce honteux partage,<br>Et mettre hautement notre esprit hors de page.
{{Personnage|Trissotin}} Pour les dames on sait mon respect en tous lieux,<br>Et si je rends hommage aux brillants de leurs yeux,<br>{{numVers|865}} De leur esprit aussi j’honore les lumières.
{{Personnage|Philaminte}} Le sexe aussi vous rend justice en ces matières ;<br>Mais nous voulons montrer à de certains esprits,<br>Dont l’orgueilleux savoir nous traite avec mépris,<br>Que de science aussi les femmes sont meublées,<br>{{numVers|870}} Qu’on peut faire comme eux de doctes assemblées,<br>Conduites en cela par des ordres meilleurs,<br>Qu’on y veut réunir ce qu’on sépare ailleurs ;<br>Mêler le beau langage, et les hautes sciences ;<br>Découvrir la nature en mille expériences ;<br>{{numVers|875}} Et sur les questions qu’on pourra proposer<br>Faire entrer chaque secte, et n’en point épouser.
{{Personnage|Trissotin}} Je m’attache pour l’ordre au péripatétisme.
{{Personnage|Philaminte}} Pour les abstractions j’aime le platonisme.
{{Personnage|Armande}} Épicure me plaît, et ses dogmes sont forts.
{{Personnage|Bélise}} {{numVers|880}} Je m’accommode assez pour moi des petits corps ;<br>Mais le vide à souffrir me semble difficile, <br>Et je goûte bien mieux la matière subtile.
{{Personnage|Trissotin}} Descartes pour l’aimant donne fort dans mon sens.
{{Personnage|Armande}} J’aime ses tourbillons.
{{Personnage|Philaminte}} Moi ses mondes tombants.
{{Personnage|Armande}} {{numVers|885}} Il me tarde de voir notre assemblée ouverte, <br>Et de nous signaler par quelque découverte.
{{Personnage|Trissotin}} On en attend beaucoup de vos vives clartés,<br>Et pour vous la nature a peu d’obscurités.
{{Personnage|Philaminte}} Pour moi, sans me flatter, j’en ai déjà fait une,<br>{{numVers|890}} Et j’ai vu clairement des hommes dans la lune.
{{Personnage|Bélise}} Je n’ai point encor vu d’hommes, comme je croi,<br>Mais j’ai vu des clochers tout comme je vous voi.
{{Personnage|Armande}} Nous approfondirons, ainsi que la physique,<br>Grammaire, histoire, vers, morale, et politique.
{{Personnage|Philaminte}} {{numVers|895}} La morale a des traits dont mon cœur est épris,<br>Et c’était autrefois l’amour des grands esprits ;<br>Mais aux stoïciens je donne l’avantage,<br>Et je ne trouve rien de si beau que leur sage.
{{Personnage|Armande}} Pour la langue, on verra dans peu nos règlements,<br>{{numVers|900}} Et nous y prétendons faire des remuements.<br>Par une antipathie ou juste, ou naturelle,<br>Nous avons pris chacune une haine mortelle<br>Pour un nombre de mots, soit ou verbes, ou noms,<br>Que mutuellement nous nous abandonnons ;<br>{{numVers|905}} Contre eux nous préparons de mortelles sentences,<br>Et nous devons ouvrir nos doctes conférences<br>Par les proscriptions de tous ces mots divers,<br>Dont nous voulons purger et la prose et les vers.{{Personnage|Philaminte}} Mais le plus beau projet de notre académie,<br>{{numVers|910}} Une entreprise noble et dont je suis ravie ; <br>Un dessein plein de gloire, et qui sera vanté<br>Chez tous les beaux esprits de la postérité,<br>C’est le retranchement de ces syllabes sales,<br>Qui dans les plus beaux mots produisent des scandales ;<br>{{numVers|915}} Ces jouets éternels des sots de tous les temps ;<br>Ces fades lieux communs de nos méchants plaisants ;<br>Ces sources d’un amas d’équivoques infâmes,<br>Dont on vient faire insulte à la pudeur des femmes.
{{Personnage|Trissotin}} Voilà certainement d’admirables projets !
{{Personnage|Bélise}} {{numVers|920}} Vous verrez nos statuts quand ils seront tous faits.
{{Personnage|Trissotin}} Ils ne sauraient manquer d’être tous beaux et sages.
{{Personnage|Armande}} Nous serons par nos lois les juges des ouvrages.<br>Par nos lois, prose et vers, tout nous sera soumis.<br>Nul n’aura de l’esprit, hors nous et nos amis.<br>{{numVers|925}} Nous chercherons partout à trouver à redire,<br>Et ne verrons que nous qui sache bien écrire.


{{scène|III}}
<TABLE CELLSPACING=0 CELLPADDING=0 border=0>
{{sc|L’Épine}}, {{sc|Trissotin}}, {{sc|Philaminte}}, {{sc|Bélise}}, {{sc|Armande}}, {{sc|Henriette}}, {{sc|Vadius}}.
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''ARMANDE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Oui, rien n’a retenu son esprit en balance[[Les Femmes savantes - Notes#note77|*]].</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Elle a fait vanité de son obéissance.</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Son cœur, pour se livrer, à peine devant moi</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>S’est-il donné le temps d’en recevoir la loi, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >1125&nbsp; &nbsp; </TD><TD>Et semblait suivre moins les volontés d’un père, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Qu’affecter de braver les ordres d’une mère.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''PHILAMINTE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Je lui montrerai bien aux lois de qui des deux</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Les droits de la raison soumettent tous ses vœux ; </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Et qui doit gouverner ou sa mère, ou son père, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >1130&nbsp; &nbsp; </TD><TD>Ou l’esprit, ou le corps ; la forme, ou la matière.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''ARMANDE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>On vous en devait bien au moins un compliment[[Les Femmes savantes - Notes#note78|*]], </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Et ce petit Monsieur en use étrangement, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>De vouloir malgré vous devenir votre gendre.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''PHILAMINTE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Il n’en est pas encore où son cœur peut prétendre.</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >1135&nbsp; &nbsp; </TD><TD>Je le trouvais bien fait, et j’aimais vos amours ; </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Mais dans ses procédés il m’a déplu toujours.</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Il sait que Dieu merci je me mêle d’écrire, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Et jamais il ne m’a prié de lui rien lire.</TD></TR>
</TABLE>


{{Personnage|L’Épine}} Monsieur, un homme est là qui veut parler à vous,<br>Il est vêtu de noir, et parle d’un ton doux.</TD></TR>
===SCÈNE II===
{{Personnage|Trissotin}} C’est cet ami savant qui m’a fait tant d’instance<br>{{numVers|930}}&nbsp; &nbsp; </TD><TD>De lui donner l’honneur de votre connaissance.
CLITANDRE, ARMANDE, PHILAMINTE.
{{Personnage|Philaminte}} Pour le faire venir, vous avez tout crédit.<br>Faisons bien les honneurs au moins de notre esprit.<br>Holà. Je vous ai dit en paroles bien claires,<br>Que j’ai besoin de vous.
{{Personnage|Henriette}} Mais pour quelles affaires ?
{{Personnage|Philaminte}} {{numVers|935}} Venez, on va dans peu vous les faire savoir.
{{Personnage|Trissotin}} Voici l’homme qui meurt du désir de vous voir.<br>En vous le produisant, je ne crains point le blâme<br>D’avoir admis chez vous un profane, Madame, <br>Il peut tenir son coin parmi de beaux esprits.
{{Personnage|Philaminte}} {{numVers|940}} La main qui le présente, en dit assez le prix.
{{Personnage|Trissotin}} Il a des vieux auteurs la pleine intelligence,<br>Et sait du grec, Madame, autant qu’homme de France.
{{Personnage|Philaminte}} Du grec, ô Ciel ! du grec ! Il sait du grec, ma sœur !
{{Personnage|Bélise}} Ah, ma nièce, du grec !
{{Personnage|Armande}} Du grec ! quelle douceur !
{{Personnage|Philaminte}} {{numVers|945}} Quoi, Monsieur sait du grec ? Ah permettez, de grâce<br>Que pour l’amour du grec, Monsieur, on vous embrasse. {{didascalie|(Il les baise toutes, jusques à Henriette qui le refuse.)|c}}
{{Personnage|Henriette}} Excusez-moi, Monsieur, je n’entends pas le grec.
{{Personnage|Philaminte}} J’ai pour les livres grecs un merveilleux respect.
{{Personnage|Vadius}} Je crains d’être fâcheux, par l’ardeur qui m’engage<br>{{numVers|950}} À vous rendre aujourd’hui, Madame, mon hommage,<br>Et j’aurais pu troubler quelque docte entretien.
{{Personnage|Philaminte}} Monsieur, avec du grec on ne peut gâter rien.
{{Personnage|Trissotin}} Au reste il fait merveille en vers ainsi qu’en prose,<br>Et pourrait, s’il voulait, vous montrer quelque chose.
{{Personnage|Vadius}} {{numVers|955}} Le défaut des auteurs, dans leurs productions,<br>C’est d’en tyranniser les conversations ; <br>D’être au Palais, au Cours, aux ruelles, aux tables,<br>De leurs vers fatigants lecteurs infatigables.<br>Pour moi je ne vois rien de plus sot à mon sens,<br>{{numVers|960}} Qu’un auteur qui partout va gueuser des encens,<br>Qui des premiers venus saisissant les oreilles, <br>En fait le plus souvent les martyrs de ses veilles.<br>On ne m’a jamais vu ce fol entêtement, <br>Et d’un Grec là-dessus je suis le sentiment,<br>{{numVers|965}} Qui par un dogme exprès défend à tous ses sages<br>L’indigne empressement de lire leurs ouvrages.<br>Voici de petits vers pour de jeunes amants, <br>Sur quoi je voudrais bien avoir vos sentiments.
{{Personnage|Trissotin}} Vos vers ont des beautés que n’ont point tous les autres.
{{Personnage|Vadius}} {{numVers|970}} Les grâces et Vénus règnent dans tous les vôtres.
{{Personnage|Trissotin}} Vous avez le tour libre, et le beau choix des mots.
{{Personnage|Vadius}} On voit partout chez vous l’ithos et le pathos.
{{Personnage|Trissotin}} Nous avons vu de vous des églogues d’un style,<br>Qui passe en doux attraits Théocrite et Virgile.
{{Personnage|Vadius}} {{numVers|975}} Vos odes ont un air noble, galant et doux,<br>Qui laisse de bien loin votre Horace après vous.
{{Personnage|Trissotin}} Est-il rien d’amoureux comme vos chansonnettes ?
{{Personnage|Vadius}} Peut-on voir rien d’égal aux sonnets que vous faites ?
{{Personnage|Trissotin}} Rien qui soit plus charmant que vos petits rondeaux ?
{{Personnage|Vadius}} {{numVers|980}} Rien de si plein d’esprit que tous vos madrigaux ?
{{Personnage|Trissotin}} Aux ballades surtout vous êtes admirable.
{{Personnage|Vadius}} Et dans les bouts-rimés je vous trouve adorable.
{{Personnage|Trissotin}} Si la France pouvait connaître votre prix,
{{Personnage|Vadius}} Si le siècle rendait justice aux beaux esprits,
{{Personnage|Trissotin}} {{numVers|985}} En carrosse doré vous iriez par les rues.
{{Personnage|Vadius}} On verrait le public vous dresser des statues.<br>Hom. C’est une ballade, et je veux que tout net<br>Vous m’en…</TD>{{Personnage|Trissotin}} Avez-vous vu certain petit sonnet<br>Sur la fièvre qui tient la princesse Uranie ?
{{Personnage|Vadius}} {{numVers|990}} Oui, hier il me fut lu dans une compagnie.
{{Personnage|Trissotin}} Vous en savez l’auteur ?
{{Personnage|Vadius}} Non ; mais je sais fort bien,<br>Qu’à ne le point flatter, son sonnet ne vaut rien.
{{Personnage|Trissotin}} Beaucoup de gens pourtant le trouvent admirable.
{{Personnage|Vadius}} Cela n’empêche pas qu’il ne soit misérable ;<br>{{numVers|995}} Et si vous l’avez vu, vous serez de mon goût.
{{Personnage|Trissotin}} Je sais que là-dessus je n’en suis point du tout,<br>Et que d’un tel sonnet peu de gens sont capables
{{Personnage|Vadius}} Me préserve le Ciel d’en faire de semblables !
{{Personnage|Trissotin}} Je soutiens qu’on ne peut en faire de meilleur ;<br>{{numVers|1000}} Et ma grande raison, c’est que j’en suis l’auteur.
{{Personnage|Vadius}} Vous ?
{{Personnage|Trissotin}} Moi.
{{Personnage|Vadius}} Je ne sais donc comment se fit l’affaire.
{{Personnage|Trissotin}} C’est qu’on fut malheureux, de ne pouvoir vous plaire.
{{Personnage|Vadius}} Il faut qu’en écoutant j’aie eu l’esprit distrait,<br>Ou bien que le lecteur m’ait gâté le sonnet.<br>{{numVers|1005}} Mais laissons ce discours, et voyons ma ballade.
{{Personnage|Trissotin}} La ballade, à mon goût, est une chose fade.<br>Ce n’en est plus la mode ; elle sent son vieux temps.
{{Personnage|Vadius}} La ballade pourtant charme beaucoup de gens.
{{Personnage|Trissotin}} Cela n’empêche pas qu’elle ne me déplaise.
{{Personnage|Vadius}} {{numVers|1010}} Elle n’en reste pas pour cela plus mauvaise.
{{Personnage|Trissotin}} Elle a pour les pédants de merveilleux appas.
{{Personnage|Vadius}} Cependant nous voyons qu’elle ne vous plaît pas.
{{Personnage|Trissotin}} Vous donnez sottement vos qualités aux autres.
{{Personnage|Vadius}} Fort impertinemment vous me jetez les vôtres.
{{Personnage|Trissotin}} {{numVers|1015}} Allez, petit grimaud, barbouilleur de papier.
{{Personnage|Vadius}} Allez, rimeur de balle, opprobre du métier.
{{Personnage|Trissotin}} Allez, fripier d’écrits, impudent plagiaire.
{{Personnage|Vadius}} Allez, cuistre…
{{Personnage|Philaminte}} Eh, Messieurs, que prétendez-vous faire ?
{{Personnage|Trissotin}} Va, va restituer tous les honteux larcins<br>{{numVers|1020}} Que réclament sur toi les Grecs et les Latins.{{Personnage|Vadius}} Va, va-t’en faire amende honorable au Parnasse,<br>D’avoir fait à tes vers estropier Horace.
{{Personnage|Trissotin}} Souviens-toi de ton livre, et de son peu de bruit.
{{Personnage|Vadius}} Et toi, de ton libraire à l’hôpital réduit.
{{Personnage|Trissotin}} {{numVers|1025}} Ma gloire est établie, en vain tu la déchires.
{{Personnage|Vadius}} Oui, oui, je te renvoie à l’auteur des ''Satires''.
{{Personnage|Trissotin}} Je t’y renvoie aussi.
{{Personnage|Vadius}} J’ai le contentement,<br>Qu’on voit qu’il m’a traité plus honorablement.<br>Il me donne en passant une atteinte légère<br>{{numVers|1030}} Parmi plusieurs auteurs qu’au Palais on révère ; <br>Mais jamais dans ses vers il ne te laisse en paix,<br>Et l’on t’y voit partout être en butte à ses traits.
{{Personnage|Trissotin}} C’est par là que j’y tiens un rang plus honorable.<br>Il te met dans la foule ainsi qu’un misérable,<br>{{numVers|1035}} Il croit que c’est assez d’un coup pour t’accabler,<br>Et ne t’a jamais fait l’honneur de redoubler : <br>Mais il m’attaque à part comme un noble adversaire<br>Sur qui tout son effort lui semble nécessaire ;<br>Et ses coups contre moi redoublés en tous lieux,<br>{{numVers|1040}} Montrent qu’il ne se croit jamais victorieux.
{{Personnage|Vadius}} Ma plume t’apprendra quel homme je puis être.
{{Personnage|Trissotin}} Et la mienne saura te faire voir ton maître.
{{Personnage|Vadius}} Je te défie en vers, prose, grec, et latin.
{{Personnage|Trissotin}} Hé bien, nous nous verrons seul à seul chez Barbin.


{{scène|IV}}
<TABLE CELLSPACING=0 CELLPADDING=0 border=0>
{{sc|Trissotin}}, {{sc|Philaminte}}, {{sc|Bélise}}, {{sc|Armande}}, {{sc|Henriette}}.
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''ARMANDE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Je ne souffrirais point, si j’étais que de vous, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >1140&nbsp; &nbsp; </TD><TD>Que jamais d’Henriette il pût être l’époux.</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>On me ferait grand tort d’avoir quelque pensée, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Que là-dessus je parle en fille intéressée, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Et que le lâche tour que l’on voit qu’il me fait, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Jette au fond de mon cœur quelque dépit secret.</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >1145&nbsp; &nbsp; </TD><TD>Contre de pareils coups, l’âme se fortifie</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Du solide secours de la philosophie, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Et par elle on se peut mettre au-dessus de tout : </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Mais vous traiter ainsi, c’est vous pousser à bout.</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Il est de votre honneur d’être à ses vœux contraire, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >1150&nbsp; &nbsp; </TD><TD>Et c’est un homme enfin qui ne doit point vous plaire.</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Jamais je n’ai connu, discourant entre nous, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Qu’il eût au fond du cœur de l’estime pour vous.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''PHILAMINTE'''</TD></TR>
</TABLE><TABLE CELLSPACING=0 CELLPADDING=0 border=0>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Petit sot ! </TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''ARMANDE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD></TD><TD>Quelque bruit que votre gloire fasse, </TD></TR>
</TABLE><TABLE CELLSPACING=0 CELLPADDING=0 border=0>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Toujours à vous louer il a paru de glace.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''PHILAMINTE'''</TD></TR>
</TABLE><TABLE CELLSPACING=0 CELLPADDING=0 border=0>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Le brutal ! </TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''ARMANDE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >1155&nbsp; &nbsp; </TD><TD></TD><TD>Et vingt fois, comme ouvrages nouveaux, </TD></TR>
</TABLE><TABLE CELLSPACING=0 CELLPADDING=0 border=0>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>J’ai lu des vers de vous qu’il n’a point trouvés beaux.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''PHILAMINTE'''</TD></TR>
</TABLE><TABLE CELLSPACING=0 CELLPADDING=0 border=0>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>L’impertinent ! </TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''ARMANDE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD></TD><TD>Souvent nous en étions aux prises ; </TD></TR>
</TABLE><TABLE CELLSPACING=0 CELLPADDING=0 border=0>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Et vous ne croiriez point de combien de sottises…</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''CLITANDRE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Eh doucement de grâce. Un peu de charité, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >1160&nbsp; &nbsp; </TD><TD>Madame, ou tout au moins un peu d’honnêteté.</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Quel mal vous ai-je fait ? et quelle est mon offense, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Pour armer contre moi toute votre éloquence ? </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Pour vouloir me détruire, et prendre tant de soin</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>De me rendre odieux aux gens dont j’ai besoin ? </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >1165&nbsp; &nbsp; </TD><TD>Parlez. Dites, d’où vient ce courroux effroyable ? </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Je veux bien que Madame en soit juge équitable.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''ARMANDE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Si j’avais le courroux dont on veut m’accuser, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Je trouverais assez de quoi l’autoriser ; </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Vous en seriez trop digne, et les premières flammes</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >1170&nbsp; &nbsp; </TD><TD>S’établissent des droits si sacrés sur les âmes.</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Qu’il faut perdre fortune, et renoncer au jour, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Plutôt que de brûler des feux d’un autre amour ; </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Au changement de vœux nulle horreur ne s’égale, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Et tout cœur infidèle est un monstre en morale.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''CLITANDRE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >1175&nbsp; &nbsp; </TD><TD>Appelez-vous, Madame, une infidélité, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Ce que m’a de votre âme ordonné la fierté ? </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Je ne fais qu’obéir aux lois qu’elle m’impose ; </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Et si je vous offense, elle seule en est cause.</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Vos charmes ont d’abord possédé tout mon cœur.</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >1180&nbsp; &nbsp; </TD><TD>Il a brûlé deux ans d’une constante ardeur ; </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Il n’est soins empressés, devoirs, respects, services, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Dont il ne vous ait fait d’amoureux sacrifices.</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Tous mes feux, tous mes soins ne peuvent rien sur vous, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Je vous trouve contraire à mes vœux les plus doux ; </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >1185&nbsp; &nbsp; </TD><TD>Ce que vous refusez, je l’offre au choix d’une autre.</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Voyez. Est-ce, Madame, ou ma faute, ou la vôtre ? </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Mon cœur court-il au change, ou si vous l’y poussez ? </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Est-ce moi qui vous quitte, ou vous qui me chassez ? </TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''ARMANDE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Appelez-vous, Monsieur, être à vos vœux contraire, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >1190&nbsp; &nbsp; </TD><TD>Que de leur arracher ce qu’ils ont de vulgaire, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Et vouloir les réduire à cette pureté</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Où du parfait amour consiste la beauté ? </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Vous ne sauriez pour moi tenir votre pensée</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Du commerce des sens nette et débarrassée ? </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >1195&nbsp; &nbsp; </TD><TD>Et vous ne goûtez point dans ses plus doux appas, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Cette union des cœurs, où les corps n’entrent pas.</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Vous ne pouvez aimer que d’une amour grossière ? </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Qu’avec tout l’attirail des nœuds de la matière ? </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Et pour nourrir les feux que chez vous on produit, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >1200&nbsp; &nbsp; </TD><TD>Il faut un mariage, et tout ce qui s’ensuit.</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Ah quel étrange amour ! et que les belles âmes</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Sont bien loin de brûler de ces terrestres flammes ! </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Les sens n’ont point de part à toutes leurs ardeurs, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Et ce beau feu ne veut marier que les cœurs.</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >1205&nbsp; &nbsp; </TD><TD>Comme une chose indigne, il laisse là le reste.</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>C’est un feu pur et net comme le feu céleste, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>On ne pousse avec lui que d’honnêtes soupirs, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Et l’on ne penche point vers les sales désirs.</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Rien d’impur ne se mêle au but qu’on se propose.</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >1210&nbsp; &nbsp; </TD><TD>On aime pour aimer, et non pour autre chose.</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Ce n’est qu’à l’esprit seul que vont tous les transports</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Et l’on ne s’aperçoit jamais qu’on ait un corps.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''CLITANDRE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Pour moi par un malheur, je m’aperçois, Madame, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Que j’ai, ne vous déplaise, un corps tout comme une âme : </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >1215&nbsp; &nbsp; </TD><TD>Je sens qu’il y tient trop, pour le laisser à part ; </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>De ces détachements je ne connais point l’art ; </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Le Ciel m’a dénié cette philosophie, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Et mon âme et mon corps marchent de compagnie.</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Il n’est rien de plus beau, comme vous avez dit, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >1220&nbsp; &nbsp; </TD><TD>Que ces vœux épurés qui ne vont qu’à l’esprit, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Ces unions de cœurs, et ces tendres pensées, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Du commerce des sens si bien débarrassées : </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Mais ces amours pour moi sont trop subtilisés, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Je suis un peu grossier, comme vous m’accusez ; </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >1225&nbsp; &nbsp; </TD><TD>J’aime avec tout moi-même, et l’amour qu’on me donne, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>En veut, je le confesse, à toute la personne.</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Ce n’est pas là matière à de grands châtiments ; </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Et sans faire de tort à vos beaux sentiments, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Je vois que dans le monde on suit fort ma méthode, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >1230&nbsp; &nbsp; </TD><TD>Et que le mariage est assez à la mode, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Passe pour un lien assez honnête et doux, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Pour avoir désiré [[Les Femmes savantes - Notes#note79|*]] de me voir votre époux, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Sans que la liberté d’une telle pensée</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Ait dû vous donner lieu d’en paraître offensée.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''ARMANDE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >1235&nbsp; &nbsp; </TD><TD>Hé bien, Monsieur, hé bien, puisque sans m’écouter</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Vos sentiments brutaux veulent se contenter ; </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Puisque pour vous réduire à des ardeurs fidèles, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Il faut des nœuds de chair, des chaînes corporelles ; </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Si ma mère le veut, je résous mon esprit</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >1240&nbsp; &nbsp; </TD><TD>À consentir pour vous à ce dont il s’agit.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''CLITANDRE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Il n’est plus temps, Madame, une autre a pris la place ; </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Et par un tel retour j’aurais mauvaise grâce</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>De maltraiter l’asile, et blesser les bontés, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Où je me suis sauvé de toutes vos fiertés.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''PHILAMINTE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >1245&nbsp; &nbsp; </TD><TD>Mais enfin comptez-vous, Monsieur, sur mon suffrage, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Quand vous vous promettez cet autre mariage ? </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Et dans vos visions savez-vous, s’il vous plaît, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Que j’ai pour Henriette un autre époux tout prêt ? </TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''CLITANDRE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Eh, Madame, voyez votre choix, je vous prie ; </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >1250&nbsp; &nbsp; </TD><TD>Exposez-moi, de grâce, à moins d’ignominie, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Et ne me rangez pas[[Les Femmes savantes - Notes#note80|*]] à l’indigne destin</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>De me voir le rival de Monsieur Trissotin.</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>L’amour des beaux esprits qui chez vous m’est contraire</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Ne pouvait m’opposer un moins noble adversaire.</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >1255&nbsp; &nbsp; </TD><TD>Il en est, et plusieurs, que pour le bel esprit</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Le mauvais goût du siècle a su mettre en crédit : </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Mais Monsieur Trissotin n’a pu duper personne, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Et chacun rend justice aux écrits qu’il nous donne.</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Hors céans, on le prise en tous lieux ce qu’il vaut ; </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >1260&nbsp; &nbsp; </TD><TD>Et ce qui m’a vingt fois fait tomber de mon haut, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>C’est de vous voir au ciel élever des sornettes, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Que vous désavoueriez, si vous les aviez faites.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''PHILAMINTE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Si vous jugez de lui tout autrement que nous, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>C’est que nous le voyons par d’autres yeux que vous.</TD></TR>
</TABLE>


{{Personnage|Trissotin}} {{numVers|1045}} À mon emportement ne donnez aucun blâme ;<br>C’est votre jugement que je défends, Madame,</TD><br>Dans le sonnet qu’il a l’audace d’attaquer.
===SCÈNE III===
{{Personnage|Philaminte}} À vous remettre bien, je me veux appliquer.<br>Mais parlons d’autre affaire. Approchez, Henriette.<br>{{numVers|1050}} Depuis assez longtemps mon âme s’inquiète,<br>De ce qu’aucun esprit en vous ne se fait voir,<br>Mais je trouve un moyen de vous en faire avoir.
TRISSOTIN, ARMANDE, PHILAMINTE, CLITANDRE.
{{Personnage|Henriette}} C’est prendre un soin pour moi qui n’est pas nécessaire,<br>Les doctes entretiens ne sont point mon affaire.<br>{{numVers|1055}} J’aime à vivre aisément, et dans tout ce qu’on dit<br>Il faut se trop peiner, pour avoir de l’esprit.<br>C’est une ambition que je n’ai point en tête,<br>Je me trouve fort bien, ma mère, d’être bête,<et>Et j’aime mieux n’avoir que de communs propos,<br>{{numVers|1060}} Que de me tourmenter pour dire de beaux mots.
{{Personnage|Philaminte}} Oui, mais j’y suis blessée, et ce n’est pas mon compte<br>De souffrir dans mon sang une pareille honte.<br>La beauté du visage est un frêle ornement,<br>Une fleur passagère, un éclat d’un moment,<br>{{numVers|1065}} Et qui n’est attaché qu’à la simple épiderme ;<br>Mais celle de l’esprit est inhérente et ferme.<br>J’ai donc cherché longtemps un biais de vous donner<br>La beauté que les ans ne peuvent moissonner,<br>De faire entrer chez vous le désir des sciences,<br>{{numVers|1070}} De vous insinuer les belles connaissances ;<br>Et la pensée enfin où mes vœux ont souscrit,<br>C’est d’attacher à vous un homme plein d’esprit,<br>Et cet homme est Monsieur que je vous détermine<br>À voir comme l’époux que mon choix vous destine.
{{Personnage|Henriette}} Moi, ma mère ?
{{Personnage|Philaminte}} {{numVers|1075}} Oui, vous. Faites la sotte un peu.
{{Personnage|Bélise}} Je vous entends. Vos yeux demandent mon aveu, <br>Pour engager ailleurs un cœur que je possède.<br>Allez, je le veux bien. À ce nœud je vous cède, <br>C’est un hymen qui fait votre établissement.
{{Personnage|Trissotin}} {{numVers|1080}} Je ne sais que vous dire, en mon ravissement,<br>Madame, et cet hymen dont je vois qu’on m’honore<br>Me met…
{{Personnage|Henriette}} Tout beau, Monsieur, il n’est pas fait encore<br>Ne vous pressez pas tant.
{{Personnage|Philaminte}} Comme vous répondez !<br>Savez-vous bien que si… Suffit, vous m’entendez.<br>{{numVers|1085}} Elle se rendra sage ; allons, laissons-la faire.


{{scène|V}}
<TABLE CELLSPACING=0 CELLPADDING=0 border=0>
{{sc|Henriette}}, {{sc|Armande}}.
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''TRISSOTIN'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >1265&nbsp; &nbsp; </TD><TD>Je viens vous annoncer une grande nouvelle.</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Nous l’avons en dormant, Madame, échappé belle : </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Un monde[[Les Femmes savantes - Notes#note81|*]] près de nous a passé tout du long, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Est chu tout au travers de notre tourbillon ; </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Et s’il eût en chemin rencontré notre terre, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >1270&nbsp; &nbsp; </TD><TD>Elle eût été brisée en morceaux comme verre.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''PHILAMINTE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Remettons ce discours pour une autre saison, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Monsieur n’y trouverait ni rime, ni raison ; </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Il fait profession de chérir l’ignorance, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Et de haïr surtout l’esprit et la science.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''CLITANDRE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >1275&nbsp; &nbsp; </TD><TD>Cette vérité veut quelque adoucissement.</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Je m’explique, Madame, et je hais seulement</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>La science et l’esprit qui gâtent les personnes.</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Ce sont choses de soi qui sont belles et bonnes ; </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Mais j’aimerais mieux être au rang des ignorants, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >1280&nbsp; &nbsp; </TD><TD>Que de me voir savant comme certaines gens.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''TRISSOTIN'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Pour moi je ne tiens pas, quelque effet qu’on suppose, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Que la science soit pour gâter quelque chose.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''CLITANDRE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Et c’est mon sentiment, qu’en faits, comme en propos, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>La science est sujette à faire de grands sots.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''TRISSOTIN'''</TD></TR>
</TABLE><TABLE CELLSPACING=0 CELLPADDING=0 border=0>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Le paradoxe est fort.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''CLITANDRE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >1285&nbsp; &nbsp; </TD><TD></TD><TD>Sans être fort habile, </TD></TR>
</TABLE><TABLE CELLSPACING=0 CELLPADDING=0 border=0>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>La preuve m’en serait je pense assez facile.</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Si les raisons manquaient, je suis sûr qu’en tout cas</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Les exemples fameux ne me manqueraient pas.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''TRISSOTIN'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Vous en pourriez citer qui ne concluraient guère.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''CLITANDRE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >1290&nbsp; &nbsp; </TD><TD>Je n’irais pas bien loin pour trouver mon affaire.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''TRISSOTIN'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Pour moi je ne vois pas ces exemples fameux.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''CLITANDRE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Moi, je les vois si bien, qu’ils me crèvent les yeux.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''TRISSOTIN'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>J’ai cru jusques ici que c’était l’ignorance</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Qui faisait les grands sots, et non pas la science.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''CLITANDRE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >1295&nbsp; &nbsp; </TD><TD>Vous avez cru fort mal, et je vous suis garant, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Qu’un sot savant est sot plus qu’un sot ignorant.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''TRISSOTIN'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Le sentiment commun est contre vos maximes, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Puisque ignorant et sot sont termes synonymes.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''CLITANDRE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Si vous le voulez prendre aux usages du mot, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >1300&nbsp; &nbsp; </TD><TD>L’alliance est plus grande entre pédant et sot.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''TRISSOTIN'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>La sottise dans l’un se fait voir toute pure.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''CLITANDRE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Et l’étude dans l’autre ajoute à la nature.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''TRISSOTIN'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Le savoir garde en soi son mérite éminent.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''CLITANDRE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Le savoir dans un fat[[Les Femmes savantes - Notes#note82|*]] devient impertinent.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''TRISSOTIN'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >1305&nbsp; &nbsp; </TD><TD>Il faut que l’ignorance ait pour vous de grands charmes, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Puisque pour elle ainsi vous prenez tant les armes.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''CLITANDRE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Si pour moi l’ignorance a des charmes bien grands, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>C’est depuis qu’à mes yeux s’offrent certains savants.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''TRISSOTIN'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Ces certains savants-là, peuvent à les connaître</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >1310&nbsp; &nbsp; </TD><TD>Valoir certaines gens que nous voyons paraître.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''CLITANDRE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Oui, si l’on s’en rapporte à ces certains savants ; </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Mais on n’en convient pas chez ces certaines gens.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''PHILAMINTE'''</TD></TR>
</TABLE><TABLE CELLSPACING=0 CELLPADDING=0 border=0>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Il me semble, Monsieur…</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''CLITANDRE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD></TD><TD>Eh, Madame, de grâce, </TD></TR>
</TABLE><TABLE CELLSPACING=0 CELLPADDING=0 border=0>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Monsieur est assez fort, sans qu’à son aide on passe : </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >1315&nbsp; &nbsp; </TD><TD>Je n’ai déjà que trop d’un si rude assaillant ; </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Et si je me défends, ce n’est qu’en reculant.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''ARMANDE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Mais l’offensante aigreur de chaque repartie</TD></TR>
</TABLE><TABLE CELLSPACING=0 CELLPADDING=0 border=0>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Dont vous…</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''CLITANDRE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD></TD><TD>Autre second, je quitte la partie.</TD></TR>
</TABLE><TABLE CELLSPACING=0 CELLPADDING=0 border=0>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''PHILAMINTE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>On souffre aux entretiens ces sortes de combats, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >1320&nbsp; &nbsp; </TD><TD>Pourvu qu’à la personne on ne s’attaque pas.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''CLITANDRE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Eh, mon Dieu, tout cela n’a rien dont il s’offense ; </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Il entend raillerie autant qu’homme de France ; </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Et de bien d’autres traits il s’est senti piquer, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Sans que jamais sa gloire ait fait que s’en moquer.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''TRISSOTIN'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >1325&nbsp; &nbsp; </TD><TD>Je ne m’étonne pas au combat que j’essuie, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>De voir prendre à Monsieur la thèse qu’il appuie.</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Il est fort enfoncé dans la cour, c’est tout dit[[Les Femmes savantes - Notes#note83|*]]: </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>La cour, comme l’on sait, ne tient pas pour l’esprit ; </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Elle a quelque intérêt d’appuyer l’ignorance, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >1330&nbsp; &nbsp; </TD><TD>Et c’est en courtisan qu’il en prend la défense.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''CLITANDRE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Vous en voulez beaucoup à cette pauvre cour, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Et son malheur est grand, de voir que chaque jour</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Vous autres beaux esprits, vous déclamiez contre elle ; </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Que de tous vos chagrins vous lui fassiez querelle ; </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >1335&nbsp; &nbsp; </TD><TD>Et sur son méchant goût lui faisant son procès, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>N’accusiez que lui seul de vos méchants succès.</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Permettez-moi, Monsieur Trissotin, de vous dire, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Avec tout le respect que votre nom m’inspire, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Que vous feriez fort bien, vos confrères, et vous, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >1340&nbsp; &nbsp; </TD><TD>De parler de la cour d’un ton un peu plus doux ; </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Qu’à le bien prendre au fond, elle n’est pas si bête</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Que vous autres Messieurs vous vous mettez en tête ; </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Qu’elle a du sens commun pour se connaître à tout ; </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Que chez elle on se peut former quelque bon goût ; </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >1345&nbsp; &nbsp; </TD><TD>Et que l’esprit du monde y vaut, sans flatterie, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Tout le savoir obscur de la pédanterie.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''TRISSOTIN'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>De son bon goût, Monsieur, nous voyons des effets.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''CLITANDRE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Où voyez-vous, Monsieur, qu’elle l’ait si mauvais ? </TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''TRISSOTIN'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Ce que je vois, Monsieur, c’est que pour la science</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >1350&nbsp; &nbsp; </TD><TD>Rasius et Baldus font honneur à la France, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Et que tout leur mérite exposé fort au jour, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>N’attire point les yeux et les dons de la Cour.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''CLITANDRE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Je vois votre chagrin, et que par modestie</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Vous ne vous mettez point, Monsieur, de la partie : </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >1355&nbsp; &nbsp; </TD><TD>Et pour ne vous point mettre aussi dans le propos, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Que font-ils pour l’Etat vos habiles héros ? </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Qu’est-ce que leurs écrits lui rendent de service, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Pour accuser la cour d’une horrible injustice, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Et se plaindre en tous lieux que sur leurs doctes noms</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >1360&nbsp; &nbsp; </TD><TD>Elle manque à verser la faveur de ses dons ? </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Leur savoir à la France est beaucoup nécessaire, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Et des livres qu’ils font la cour a bien affaire.</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Il semble à trois gredins, dans leur petit cerveau, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Que pour être imprimés, et reliés en veau, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >1365&nbsp; &nbsp; </TD><TD>Les voilà dans l’État d’importantes personnes ; </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Qu’avec leur plume ils font les destins des couronnes ; </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Qu’au moindre petit bruit de leurs productions, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Ils doivent voir chez eux voler les pensions ; </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Que sur eux l’univers a la vue attachée ; </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >1370&nbsp; &nbsp; </TD><TD>Que partout de leur nom la gloire est épanchée, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Et qu’en science ils sont des prodiges fameux, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Pour savoir ce qu’ont dit les autres avant eux, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Pour avoir eu trente ans des yeux et des oreilles, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Pour avoir employé neuf ou dix mille veilles</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >1375&nbsp; &nbsp; </TD><TD>À se bien barbouiller de grec et de latin, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Et se charger l’esprit d’un ténébreux butin</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>De tous les vieux fatras qui traînent dans les livres ; </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Gens qui de leur savoir paraissent toujours ivres ; </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Riches pour tout mérite, en babil importun, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >1380&nbsp; &nbsp; </TD><TD>Inhabiles à tout, vides de sens commun, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Et pleins d’un ridicule, et d’une impertinence</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>À décrier partout l’esprit et la science.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''PHILAMINTE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Votre chaleur est grande, et cet emportement</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>De la nature en vous marque le mouvement.</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >1385&nbsp; &nbsp; </TD><TD>C’est le nom de rival qui dans votre âme excite…</TD></TR>
</TABLE>


{{Personnage|Armande}} On voit briller pour vous les soins de notre mère ;<br>Et son choix ne pouvait d’un plus illustre époux…{{Personnage|Henriette}} Si le choix est si beau, que ne le prenez-vous ?
===SCÈNE IV===
{{Personnage|Armande}} C’est à vous, non à moi, que sa main est donnée.
JULIEN, TRISSOTIN, PHILAMINTE, CLITANDRE, ARMANDE.
{{Personnage|Henriette}} {{numVers|1090}}Je vous le cède tout, comme à ma sœur aînée.
{{Personnage|Armande}} Si l’hymen comme à vous me paraissait charmant,<br>J’accepterais votre offre avec ravissement.
{{Personnage|Henriette}} Si j’avais comme vous les pédants dans la tête,<br>Je pourrais le trouver un parti fort honnête.
{{Personnage|Armande}} {{numVers|1095}} Cependant bien qu’ici nos goûts soient différents,<br>Nous devons obéir, ma sœur, à nos parents ; <br>Une mère a sur nous une entière puissance,<br>Et vous croyez en vain par votre résistance…</TD></TR>


{{scène|VI}}
<TABLE CELLSPACING=0 CELLPADDING=0 border=0>
{{sc|Chrysale}}, {{sc|Ariste}}, {{sc|Clitandre}}, {{sc|Henriette}}, {{sc|Armande}}.
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''JULIEN'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Le savant qui tantôt vous a rendu visite, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Et de qui j’ai l’honneur de me voir le valet[[Les Femmes savantes - Notes#note84|*]], </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Madame, vous exhorte à lire ce billet.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''PHILAMINTE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Quelque important que soit ce qu’on veut que je lise, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >1390&nbsp; &nbsp; </TD><TD>Apprenez, mon ami, que c’est une sottise</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>De se venir jeter au travers d’un discours, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Et qu’aux gens d’un logis il faut avoir recours, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Afin de s’introduire en valet qui sait vivre.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''JULIEN'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Je noterai cela, Madame, dans mon livre.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''PHILAMINTE''' ''lit : ''<br /></TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>''Trissotin s’est vanté, Madame, qu’il épouserait votre fille. Je vous donne avis que sa philosophie n’en veut qu’à vos richesses, et que vous ferez bien de ne point conclure ce mariage, que vous n’ayez vu le poème que je compose contre lui. En attendant cette peinture où je prétends vous le dépeindre de toutes ses couleurs, je vous envoie Horace, Virgile, Térence et Catulle, où vous verrez notés en marge tous les endroits qu’il a pillés.''<br /><br /></TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''PHILAMINTE''' ''poursuit.''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >1395&nbsp; &nbsp; </TD><TD>Voilà sur cet hymen que je me suis promis</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Un mérite attaqué de beaucoup d’ennemis ; </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Et ce déchaînement aujourd’hui me convie, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>À faire une action qui confonde l’envie ; </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Qui lui fasse sentir que l’effort qu’elle fait, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >1400&nbsp; &nbsp; </TD><TD>De ce qu’elle veut rompre, aura pressé l’effet.</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Reportez tout cela sur l’heure à votre maître ; </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Et lui dites, qu’afin de lui faire connaître</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Quel grand état je fais de ses nobles avis, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Et comme je les crois dignes d’être suivis, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >1405&nbsp; &nbsp; </TD><TD>Dès ce soir à Monsieur je marierai ma fille ; </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Vous, Monsieur, comme ami de toute la famille, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>À signer leur contrat vous pourrez assister, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Et je vous y veux bien de ma part inviter.</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Armande, prenez soin d’envoyer au notaire, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >1410&nbsp; &nbsp; </TD><TD>Et d’aller avertir votre sœur de l’affaire.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''ARMANDE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Pour avertir ma sœur, il n’en est pas besoin, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Et Monsieur que voilà, saura prendre le soin</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>De courir lui porter bientôt cette nouvelle, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Et disposer son cœur à vous être rebelle.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''PHILAMINTE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >1415&nbsp; &nbsp; </TD><TD>Nous verrons qui sur elle aura plus de pouvoir, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Et si je la saurai réduire à son devoir.</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Elle s’en va.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''ARMANDE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>J’ai grand regret, Monsieur, de voir qu’à vos visées, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Les choses ne soient pas tout à fait disposées.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''CLITANDRE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Je m’en vais travailler, Madame, avec ardeur, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >1420&nbsp; &nbsp; </TD><TD>À ne vous point laisser ce grand regret au cœur.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''ARMANDE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>J’ai peur que votre effort n’ait pas trop bonne issue.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''CLITANDRE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Peut-être verrez-vous votre crainte déçue.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''ARMANDE'''</TD></TR>
</TABLE><TABLE CELLSPACING=0 CELLPADDING=0 border=0>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Je le souhaite ainsi.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''CLITANDRE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD></TD><TD>J’en suis persuadé, </TD></TR>
</TABLE><TABLE CELLSPACING=0 CELLPADDING=0 border=0>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Et que de votre appui je serai secondé.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''ARMANDE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >1425&nbsp; &nbsp; </TD><TD>Oui, je vais vous servir de toute ma puissance.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''CLITANDRE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Et ce service est sûr de ma reconnaissance.</TD></TR>
</TABLE>


{{Personnage|Chrysale}} Allons, ma fille, il faut approuver mon dessein,<br>{{numVers|1100}} Ôtez ce gant. Touchez à Monsieur dans la main,<br>Et le considérez désormais dans votre âme<br>En homme dont je veux que vous soyez la femme.
===SCÈNE V===
{{Personnage|Armande}} De ce côté, ma sœur, vos penchants sont fort grands.
CHRYSALE, ARISTE, HENRIETTE, CLITANDRE.
{{Personnage|Henriette}} Il nous faut obéir, ma sœur, à nos parents ;<br>{{numVers|1105}} Un père a sur nos vœux une entière puissance.{{Personnage|Armande}} Une mère a sa part à notre obéissance.
{{Personnage|Chrysale}} Qu’est-ce à dire ?
{{Personnage|Armande}} Je dis que j’appréhende fort<br>Qu’ici ma mère et vous ne soyez pas d’accord,<br>Et c’est un autre époux…
{{Personnage|Chrysale}} Taisez-vous, péronnelle !<br>{{numVers|1110}} Allez philosopher tout le soûl avec elle,<br>Et de mes actions ne vous mêlez en rien.<br>Dites-lui ma pensée, et l’avertissez bien<br>Qu’elle ne vienne pas m’échauffer les oreilles ;<br>Allons vite.
{{Personnage|Ariste}} Fort bien ; vous faites des merveilles.
{{Personnage|Clitandre}} {{numVers|1115}} Quel transport ! quelle joie ! ah ! que mon sort est doux ! </TD></TR>
{{Personnage|Chrysale}} Allons, prenez sa main, et passez devant nous,<br>Menez-la dans sa chambre. Ah les douces caresses !<br>Tenez, mon cœur s’émeut à toutes ces tendresses, <br>Cela ragaillardit tout à fait mes vieux jours,<br> {{numVers|1120}} Et je me ressouviens de mes jeunes amours.


{{acte|IV}}
<TABLE CELLSPACING=0 CELLPADDING=0 border=0>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''CLITANDRE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Sans votre appui, Monsieur, je serai malheureux.</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Madame votre femme a rejeté mes vœux, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Et son cœur prévenu, veut Trissotin pour gendre.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''CHRYSALE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >1430&nbsp; &nbsp; </TD><TD>Mais quelle fantaisie a-t-elle donc pu prendre ? </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Pourquoi diantre vouloir ce Monsieur Trissotin ? </TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''ARISTE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>C’est par l’honneur qu’il a de rimer à latin, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Qu’il a sur son rival emporté l’avantage.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''CLITANDRE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Elle veut dès ce soir faire ce mariage.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''CHRYSALE'''</TD></TR>
</TABLE><TABLE CELLSPACING=0 CELLPADDING=0 border=0>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Dès ce soir ? </TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''CLITANDRE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD></TD><TD>Dès ce soir.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''CHRYSALE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >1435&nbsp; &nbsp; </TD><TD></TD><TD></TD><TD>Et dès ce soir je veux, </TD></TR>
</TABLE><TABLE CELLSPACING=0 CELLPADDING=0 border=0>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Pour la contrecarrer, vous marier vous deux.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''CLITANDRE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Pour dresser le contrat, elle envoie au notaire.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''CHRYSALE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Et je vais le quérir pour celui qu’il doit faire.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''CLITANDRE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Et Madame doit être instruite par sa sœur, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >1440&nbsp; &nbsp; </TD><TD>De l’hymen où l’on veut qu’elle apprête son cœur.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''CHRYSALE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Et moi, je lui commande avec pleine puissance, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>De préparer sa main à cette autre alliance.</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Ah je leur ferai voir, si pour donner la loi, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Il est dans ma maison d’autre maître que moi.</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >1445&nbsp; &nbsp; </TD><TD>Nous allons revenir, songez à nous attendre ; </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Allons, suivez mes pas, mon frère, et vous mon gendre.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''HENRIETTE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Hélas ! dans cette humeur conservez-le toujours.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''ARISTE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>J’emploierai toute chose à servir vos amours.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''CLITANDRE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Quelque secours puissant qu’on promette à ma flamme, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >1450&nbsp; &nbsp; </TD><TD>Mon plus solide espoir, c’est votre cœur, Madame.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''HENRIETTE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Pour mon cœur vous pouvez vous assurer de lui.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''CLITANDRE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Je ne puis qu’être heureux, quand j’aurai son appui.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''HENRIETTE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Vous voyez à quels nœuds on prétend le contraindre.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''CLITANDRE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Tant qu’il sera pour moi, je ne vois rien à craindre.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''HENRIETTE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >1455&nbsp; &nbsp; </TD><TD>Je vais tout essayer pour nos vœux les plus doux ; </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Et si tous mes efforts ne me donnent à vous, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Il est une retraite où notre âme se donne[[Les Femmes savantes - Notes#note85|*]], </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Qui m’empêchera d’être à toute autre personne.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''CLITANDRE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Veuille le juste Ciel me garder en ce jour, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >1460&nbsp; &nbsp; </TD><TD>De recevoir de vous cette preuve d’amour.</TD></TR>
</TABLE>


{{scène|I}}
==ACTE V==
{{sc|Armande}}, {{Philaminte}}.


{{Personnage|Armande}} Oui, rien n’a retenu son esprit en balance.<br>Elle a fait vanité de son obéissance.<br>Son cœur, pour se livrer, à peine devant moi<br>S’est-il donné le temps d’en recevoir la loi,<br>{{numVers|1125}} Et semblait suivre moins les volontés d’un père, <br>Qu’affecter de braver les ordres d’une mère.</TD></TR>
===SCÈNE PREMIÈRE===
{{Personnage|Philaminte}} Je lui montrerai bien aux lois de qui des deux<br>Les droits de la raison soumettent tous ses vœux ;<br>Et qui doit gouverner ou sa mère, ou son père,<br>{{numVers|1130}} Ou l’esprit, ou le corps ; la forme, ou la matière.
HENRIETTE, TRISSOTIN.
{{Personnage|Armande}} On vous en devait bien au moins un compliment,<br>Et ce petit Monsieur en use étrangement,<br>De vouloir malgré vous devenir votre gendre.
{{Personnage|Philaminte}} Il n’en est pas encore où son cœur peut prétendre.<br>{{numVers|1135}} Je le trouvais bien fait, et j’aimais vos amours ;<br>Mais dans ses procédés il m’a déplu toujours.<br>Il sait que Dieu merci je me mêle d’écrire,<br>Et jamais il ne m’a prié de lui rien lire.


{{scène|II}}
<TABLE CELLSPACING=0 CELLPADDING=0 border=0>
{{sc|Clitandre}}, {{sc|Armande}}, {{Philaminte}}.
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''HENRIETTE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>C’est sur le mariage où ma mère s’apprête, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Que j’ai voulu, Monsieur, vous parler tête à tête ; </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Et j’ai cru dans le trouble où je vois la maison, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Que je pourrais vous faire écouter la raison.</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >1465&nbsp; &nbsp; </TD><TD>Je sais qu’avec mes vœux vous me jugez capable</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>De vous porter en dot un bien considérable : </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Mais l’argent dont on voit tant de gens faire cas, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Pour un vrai philosophe a d’indignes appas ; </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Et le mépris du bien et des grandeurs frivoles, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >1470&nbsp; &nbsp; </TD><TD>Ne doit point éclater dans vos seules paroles.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''TRISSOTIN'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Aussi n’est-ce point là ce qui me charme en vous ; </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Et vos brillants attraits, vos yeux perçants et doux, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Votre grâce et votre air sont les biens, les richesses, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Qui vous ont attiré mes vœux et mes tendresses ; </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >1475&nbsp; &nbsp; </TD><TD>C’est de ces seuls trésors que je suis amoureux.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''HENRIETTE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Je suis fort redevable à vos feux généreux ; </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Cet obligeant amour a de quoi me confondre, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Et j’ai regret, Monsieur, de n’y pouvoir répondre.</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Je vous estime autant qu’on saurait estimer, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >1480&nbsp; &nbsp; </TD><TD>Mais je trouve un obstacle à vous pouvoir aimer.</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Un cœur, vous le savez, à deux ne saurait être, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Et je sens que du mien Clitandre s’est fait maître.</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Je sais qu’il a bien moins de mérite que vous, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Que j’ai de méchants yeux pour le choix d’un époux, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >1485&nbsp; &nbsp; </TD><TD>Que par cent beaux talents vous devriez me plaire.</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Je vois bien que j’ai tort, mais je n’y puis que faire ; </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Et tout ce que sur moi peut le raisonnement, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>C’est de me vouloir mal d’un tel aveuglement.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''TRISSOTIN'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Le don de votre main où l’on me fait prétendre, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >1490&nbsp; &nbsp; </TD><TD>Me livrera ce cœur que possède Clitandre ; </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Et par mille doux soins, j’ai lieu de présumer, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Que je pourrai trouver l’art de me faire aimer.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''HENRIETTE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Non, à ses premiers vœux mon âme est attachée, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Et ne peut de vos soins, Monsieur, être touchée.</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >1495&nbsp; &nbsp; </TD><TD>Avec vous librement j’ose ici m’expliquer, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Et mon aveu n’a rien qui vous doive choquer.</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Cette amoureuse ardeur qui dans les cœurs s’excite, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>N’est point, comme l’on sait, un effet du mérite ; </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Le caprice y prend part, et quand quelqu’un nous plaît, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >1500&nbsp; &nbsp; </TD><TD>Souvent nous avons peine à dire pourquoi c’est.</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Si l’on aimait, Monsieur, par choix et par sagesse, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Vous auriez tout mon cœur et toute ma tendresse ; </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Mais on voit que l’amour se gouverne autrement.</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Laissez-moi, je vous prie, à mon aveuglement, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >1505&nbsp; &nbsp; </TD><TD>Et ne vous servez point de cette violence</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Que pour vous on veut faire à mon obéissance.</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Quand on est honnête homme, on ne veut rien devoir</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>À ce que des parents ont sur nous de pouvoir.</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>On répugne à se faire immoler ce qu’on aime, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >1510&nbsp; &nbsp; </TD><TD>Et l’on veut n’obtenir un cœur que de lui-même.</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Ne poussez point ma mère à vouloir par son choix, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Exercer sur mes vœux la rigueur de ses droits.</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Ôtez-moi votre amour, et portez à quelque autre</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Les hommages d’un cœur aussi cher que le vôtre.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''TRISSOTIN'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >1515&nbsp; &nbsp; </TD><TD>Le moyen que ce cœur puisse vous contenter ? </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Imposez-lui des lois qu’il puisse exécuter.</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>De ne vous point aimer peut-il être capable, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>À moins que vous cessiez, Madame, d’être aimable, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Et d’étaler aux yeux les célestes appas…</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''HENRIETTE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >1520&nbsp; &nbsp; </TD><TD>Eh Monsieur, laissons là ce galimatias.</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Vous avez tant d’Iris, de Philis, d’Amarantes, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Que partout dans vos vers vous peignez si charmantes, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Et pour qui vous jurez tant d’amoureuse ardeur…</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''TRISSOTIN'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>C’est mon esprit qui parle, et ce n’est pas mon cœur.</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >1525&nbsp; &nbsp; </TD><TD>D’elles on ne me voit amoureux qu’en poète ; </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Mais j’aime tout de bon l’adorable Henriette.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''HENRIETTE'''</TD></TR>
</TABLE><TABLE CELLSPACING=0 CELLPADDING=0 border=0>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Eh de grâce, Monsieur…</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''TRISSOTIN'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD></TD><TD>Si c’est vous offenser, </TD></TR>
</TABLE><TABLE CELLSPACING=0 CELLPADDING=0 border=0>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Mon offense envers vous n’est pas prête à cesser.</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Cette ardeur jusqu’ici de vos yeux ignorée, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >1530&nbsp; &nbsp; </TD><TD>Vous consacre des vœux d’éternelle durée.</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Rien n’en peut arrêter les aimables transports ; </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Et bien que vos beautés condamnent mes efforts, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Je ne puis refuser le secours d’une mère</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Qui prétend couronner une flamme si chère ; </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >1535&nbsp; &nbsp; </TD><TD>Et pourvu que j’obtienne un bonheur si charmant, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Pourvu que je vous aie, il n’importe comment.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''HENRIETTE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Mais savez-vous qu’on risque un peu plus qu’on ne pense, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>À vouloir sur un cœur user de violence[[Les Femmes savantes - Notes#note86|*]] ? </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Qu’il ne fait pas bien sûr, à vous le trancher net, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >1540&nbsp; &nbsp; </TD><TD>D’épouser une fille en dépit qu’elle en ait ; </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Et qu’elle peut aller en se voyant contraindre, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>À des ressentiments que le mari doit craindre[[Les Femmes savantes - Notes#note87|*]] ? </TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''TRISSOTIN'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Un tel discours n’a rien dont je sois altéré.</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>À tous événements le sage est préparé.</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >1545&nbsp; &nbsp; </TD><TD>Guéri par la raison des faiblesses vulgaires, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Il se met au-dessus de ces sortes d’affaires, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Et n’a garde de prendre aucune ombre d’ennui[[Les Femmes savantes - Notes#note88|*]], </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>De tout ce qui n’est pas pour dépendre de lui.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''HENRIETTE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>En vérité, Monsieur, je suis de vous ravie ; </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >1550&nbsp; &nbsp; </TD><TD>Et je ne pensais pas que la philosophie</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Fût si belle qu’elle est, d’instruire ainsi les gens</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>À porter constamment de pareils accidents.</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Cette fermeté d’âme à vous si singulière, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Mérite qu’on lui donne une illustre matière ; </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >1555&nbsp; &nbsp; </TD><TD>Est digne de trouver qui prenne avec amour, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Les soins continuels de la mettre en son jour ; </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Et comme à dire vrai, je n’oserais me croire</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Bien propre à lui donner tout l’éclat de sa gloire, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Je le laisse à quelque autre, et vous jure entre nous, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >1560&nbsp; &nbsp; </TD><TD>Que je renonce au bien de vous voir mon époux.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''TRISSOTIN'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Nous allons voir bientôt comment ira l’affaire ; </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Et l’on a là dedans fait venir le notaire.</TD></TR>
</TABLE>


{{Personnage|Armande}} Je ne souffrirais point, si j’étais que de vous,<br>{{numVers|1140}} Que jamais d’Henriette il pût être l’époux.<br>On me ferait grand tort d’avoir quelque pensée,<br>Que là-dessus je parle en fille intéressée,<br>Et que le lâche tour que l’on voit qu’il me fait,<br>Jette au fond de mon cœur quelque dépit secret.<br>{{numVers|1145}} Contre de pareils coups, l’âme se fortifie<br>Du solide secours de la philosophie,<br>Et par elle on se peut mettre au-dessus de tout :<br>Mais vous traiter ainsi, c’est vous pousser à bout.<br>Il est de votre honneur d’être à ses vœux contraire, <br>{{numVers|1150}} Et c’est un homme enfin qui ne doit point vous plaire.<br>Jamais je n’ai connu, discourant entre nous,<br>Qu’il eût au fond du cœur de l’estime pour vous.
===SCÈNE II===
{{Personnage|Philaminte}} Petit sot !
CHRYSALE, CLITANDRE, MARTINE, HENRIETTE.
{{Personnage|Armande}} Quelque bruit que votre gloire fasse,<br>Toujours à vous louer il a paru de glace.
{{Personnage|Philaminte}} Le brutal !
{{Personnage|Armande}} {{numVers|1155}} Et vingt fois, comme ouvrages nouveaux, <br>J’ai lu des vers de vous qu’il n’a point trouvés beaux.
{{Personnage|Philaminte}} L’impertinent !
{{Personnage|Armande}} Souvent nous en étions aux prises ;<br>Et vous ne croiriez point de combien de sottises…
{{Personnage|Clitandre}} Eh doucement de grâce. Un peu de charité,<br>{{numVers|1160}}Madame, ou tout au moins un peu d’honnêteté.<br>Quel mal vous ai-je fait ? et quelle est mon offense,<br>Pour armer contre moi toute votre éloquence ?<br>Pour vouloir me détruire, et prendre tant de soin<br>De me rendre odieux aux gens dont j’ai besoin ?<br>{{numVers|1165}} Parlez. Dites, d’où vient ce courroux effroyable ? <br>Je veux bien que Madame en soit juge équitable.
{{Personnage|Armande}} Si j’avais le courroux dont on veut m’accuser,<br>Je trouverais assez de quoi l’autoriser ;<br>Vous en seriez trop digne, et les premières flammes<br>{{numVers|1170}} S’établissent des droits si sacrés sur les âmes.<br>Qu’il faut perdre fortune, et renoncer au jour,<br>Plutôt que de brûler des feux d’un autre amour ;<br>Au changement de vœux nulle horreur ne s’égale,<br>Et tout cœur infidèle est un monstre en morale.
{{Personnage|Clitandre}} {{numVers|1175}} Appelez-vous, Madame, une infidélité,<br>Ce que m’a de votre âme ordonné la fierté ?<br>Je ne fais qu’obéir aux lois qu’elle m’impose ;<br>Et si je vous offense, elle seule en est cause.<br>Vos charmes ont d’abord possédé tout mon cœur.<br>{{numVers|1180}} Il a brûlé deux ans d’une constante ardeur ;<br>Il n’est soins empressés, devoirs, respects, services,<br>Dont il ne vous ait fait d’amoureux sacrifices.<br>Tous mes feux, tous mes soins ne peuvent rien sur vous,<br>Je vous trouve contraire à mes vœux les plus doux ;<br>{{numVers|1185}} Ce que vous refusez, je l’offre au choix d’une autre.<br>Voyez. Est-ce, Madame, ou ma faute, ou la vôtre ?<br>Mon cœur court-il au change, ou si vous l’y poussez ?<br>Est-ce moi qui vous quitte, ou vous qui me chassez ?
{{Personnage|Armande}} Appelez-vous, Monsieur, être à vos vœux contraire,<br>{{numVers|1190}} Que de leur arracher ce qu’ils ont de vulgaire,<br>Et vouloir les réduire à cette pureté<br>Où du parfait amour consiste la beauté ?<br>Vous ne sauriez pour moi tenir votre pensée<br>Du commerce des sens nette et débarrassée ?<br>{{numVers|1195}} Et vous ne goûtez point dans ses plus doux appas,<br>Cette union des cœurs, où les corps n’entrent pas.<br>Vous ne pouvez aimer que d’une amour grossière ?<br>Qu’avec tout l’attirail des nœuds de la matière ?<br>Et pour nourrir les feux que chez vous on produit,<br>{{numVers|1200}} Il faut un mariage, et tout ce qui s’ensuit.<br>Ah quel étrange amour ! et que les belles âmes<br>Sont bien loin de brûler de ces terrestres flammes !<br>Les sens n’ont point de part à toutes leurs ardeurs,<br>Et ce beau feu ne veut marier que les cœurs.<br>{{numVers|1205}} Comme une chose indigne, il laisse là le reste.<br>C’est un feu pur et net comme le feu céleste,<br>On ne pousse avec lui que d’honnêtes soupirs,<br>Et l’on ne penche point vers les sales désirs.<br>Rien d’impur ne se mêle au but qu’on se propose.<br>{{numVers|1210}} On aime pour aimer, et non pour autre chose.<br>Ce n’est qu’à l’esprit seul que vont tous les transports<br>Et l’on ne s’aperçoit jamais qu’on ait un corps.
{{Personnage|Clitandre}} Pour moi par un malheur, je m’aperçois, Madame,<br>Que j’ai, ne vous déplaise, un corps tout comme une âme : <br>{{numVers|1215}} Je sens qu’il y tient trop, pour le laisser à part ;<br>De ces détachements je ne connais point l’art ;<br>Le Ciel m’a dénié cette philosophie,<br>Et mon âme et mon corps marchent de compagnie.<br>Il n’est rien de plus beau, comme vous avez dit,<br>{{numVers|1220}} Que ces vœux épurés qui ne vont qu’à l’esprit,<br>Ces unions de cœurs, et ces tendres pensées,<br>Du commerce des sens si bien débarrassées :<br>Mais ces amours pour moi sont trop subtilisés,<br>Je suis un peu grossier, comme vous m’accusez ;<br>{{numVers|1225}} J’aime avec tout moi-même, et l’amour qu’on me donne,<br>En veut, je le confesse, à toute la personne.<br>Ce n’est pas là matière à de grands châtiments ;<br>Et sans faire de tort à vos beaux sentiments,<br>Je vois que dans le monde on suit fort ma méthode, <br>{{numVers|1230}} Et que le mariage est assez à la mode,<br>Passe pour un lien assez honnête et doux,<br>Pour avoir désiré de me voir votre époux,<br>Sans que la liberté d’une telle pensée<br>Ait dû vous donner lieu d’en paraître offensée.
{{Personnage|Armande}} {{numVers|1235}} Hé bien, Monsieur, hé bien, puisque sans m’écouter<br>Vos sentiments brutaux veulent se contenter ;<br>Puisque pour vous réduire à des ardeurs fidèles,<br>Il faut des nœuds de chair, des chaînes corporelles ;<br>Si ma mère le veut, je résous mon esprit<br>{{numVers|1240}} À consentir pour vous à ce dont il s’agit.
{{Personnage|Clitandre}} Il n’est plus temps, Madame, une autre a pris la place ;<br>Et par un tel retour j’aurais mauvaise grâce<br>De maltraiter l’asile, et blesser les bontés,<br>Où je me suis sauvé de toutes vos fiertés.
{{Personnage|Philaminte}} {{numVers|1245}} Mais enfin comptez-vous, Monsieur, sur mon suffrage,<br>Quand vous vous promettez cet autre mariage ?<br>Et dans vos visions savez-vous, s’il vous plaît,<br>Que j’ai pour Henriette un autre époux tout prêt ? {{Personnage|Clitandre}} Eh, Madame, voyez votre choix, je vous prie ;<br>{{numVers|1250}} Exposez-moi, de grâce, à moins d’ignominie, <br>Et ne me rangez pas à l’indigne destin<br>De me voir le rival de Monsieur Trissotin.<br>L’amour des beaux esprits qui chez vous m’est contraire<br>Ne pouvait m’opposer un moins noble adversaire.<br>{{numVers|1255}} Il en est, et plusieurs, que pour le bel esprit<br>Le mauvais goût du siècle a su mettre en crédit : <br>Mais Monsieur Trissotin n’a pu duper personne,<br>Et chacun rend justice aux écrits qu’il nous donne.<br>Hors céans, on le prise en tous lieux ce qu’il vaut ;<br>{{numVers|1260}} Et ce qui m’a vingt fois fait tomber de mon haut,<br>C’est de vous voir au ciel élever des sornettes,<br>Que vous désavoueriez, si vous les aviez faites.
{{Personnage|Philaminte}} Si vous jugez de lui tout autrement que nous,<br>C’est que nous le voyons par d’autres yeux que vous.


{{scène|III}}
<TABLE CELLSPACING=0 CELLPADDING=0 border=0>
{{sc|Trissotin}}, {{sc|Armande}}, {{sc|Philaminte}}, {{sc|Clitandre}}.
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''CHRYSALE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Ah, ma fille, je suis bien aise de vous voir.</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Allons, venez-vous-en faire votre devoir, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >1565&nbsp; &nbsp; </TD><TD>Et soumettre vos vœux aux volontés d’un père.</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Je veux, je veux apprendre à vivre à votre mère ; </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Et pour la mieux braver, voilà, malgré ses dents, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Martine que j’amène, et rétablis céans.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''HENRIETTE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Vos résolutions sont dignes de louange.</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >1570&nbsp; &nbsp; </TD><TD>Gardez que cette humeur, mon père, ne vous change.</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Soyez ferme à vouloir ce que vous souhaitez, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Et ne vous laissez point séduire à vos bontés.</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Ne vous relâchez pas, et faites bien en sorte</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>D’empêcher que sur vous ma mère ne l’emporte.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''CHRYSALE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >1575&nbsp; &nbsp; </TD><TD>Comment ? Me prenez-vous ici pour un benêt ? </TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''HENRIETTE'''</TD></TR>
</TABLE><TABLE CELLSPACING=0 CELLPADDING=0 border=0>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>M’en préserve le Ciel.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''CHRYSALE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD></TD><TD>Suis-je un fat[[Les Femmes savantes - Notes#note89|*]], s’il vous plaît ? </TD></TR>
</TABLE><TABLE CELLSPACING=0 CELLPADDING=0 border=0>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''HENRIETTE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Je ne dis pas cela.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''CHRYSALE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD></TD><TD>Me croit-on incapable</TD></TR>
</TABLE><TABLE CELLSPACING=0 CELLPADDING=0 border=0>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Des fermes sentiments d’un homme raisonnable ? </TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''HENRIETTE'''</TD></TR>
</TABLE><TABLE CELLSPACING=0 CELLPADDING=0 border=0>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Non, mon père.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''CHRYSALE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD></TD><TD>Est-ce donc qu’à l’âge où je me voi, </TD></TR>
</TABLE><TABLE CELLSPACING=0 CELLPADDING=0 border=0>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >1580&nbsp; &nbsp; </TD><TD>Je n’aurais pas l’esprit d’être maître chez moi ? </TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''HENRIETTE'''</TD></TR>
</TABLE><TABLE CELLSPACING=0 CELLPADDING=0 border=0>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Si fait.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''CHRYSALE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD></TD><TD>Et que j’aurais cette faiblesse d’âme, </TD></TR>
</TABLE><TABLE CELLSPACING=0 CELLPADDING=0 border=0>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>De me laisser mener par le nez à ma femme ? </TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''HENRIETTE'''</TD></TR>
</TABLE><TABLE CELLSPACING=0 CELLPADDING=0 border=0>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Eh non, mon père.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''CHRYSALE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD></TD><TD>Ouais. Qu’est-ce donc que ceci ? </TD></TR>
</TABLE><TABLE CELLSPACING=0 CELLPADDING=0 border=0>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Je vous trouve plaisante à me parler ainsi.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''HENRIETTE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >1585&nbsp; &nbsp; </TD><TD>Si je vous ai choqué, ce n’est pas mon envie.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''CHRYSALE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Ma volonté céans doit être en tout suivie.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''HENRIETTE'''</TD></TR>
</TABLE><TABLE CELLSPACING=0 CELLPADDING=0 border=0>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Fort bien, mon père.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''CHRYSALE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD></TD><TD>Aucun, hors moi, dans la maison, </TD></TR>
</TABLE><TABLE CELLSPACING=0 CELLPADDING=0 border=0>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>N’a droit de commander.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''HENRIETTE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD></TD><TD>Oui, vous avez raison.</TD></TR>
</TABLE><TABLE CELLSPACING=0 CELLPADDING=0 border=0>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''CHRYSALE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>C’est moi qui tiens le rang de chef de la famille.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''HENRIETTE'''</TD></TR>
</TABLE><TABLE CELLSPACING=0 CELLPADDING=0 border=0>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>D’accord.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''CHRYSALE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >1590&nbsp; &nbsp; </TD><TD></TD><TD>C’est moi qui dois disposer de ma fille.</TD></TR>
</TABLE><TABLE CELLSPACING=0 CELLPADDING=0 border=0>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''HENRIETTE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Eh oui.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''CHRYSALE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD></TD><TD>Le Ciel me donne un plein pouvoir sur vous.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''HENRIETTE'''</TD></TR>
</TABLE><TABLE CELLSPACING=0 CELLPADDING=0 border=0>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Qui vous dit le contraire ? </TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''CHRYSALE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD></TD><TD>Et pour prendre un époux, </TD></TR>
</TABLE><TABLE CELLSPACING=0 CELLPADDING=0 border=0>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Je vous ferai bien voir que c’est à votre père</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Qu’il vous faut obéir, non pas à votre mère.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''HENRIETTE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >1595&nbsp; &nbsp; </TD><TD>Hélas ! vous flattez là les plus doux de mes vœux ; </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Veuillez être obéi, c’est tout ce que je veux.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''CHRYSALE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Nous verrons si ma femme à mes désirs rebelle…</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''CLITANDRE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>La voici qui conduit le notaire avec elle.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''CHRYSALE'''</TD></TR>
</TABLE><TABLE CELLSPACING=0 CELLPADDING=0 border=0>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Secondez-moi bien tous.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''MARTINE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD></TD><TD>Laissez-moi, j’aurai soin</TD></TR>
</TABLE><TABLE CELLSPACING=0 CELLPADDING=0 border=0>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >1600&nbsp; &nbsp; </TD><TD>De vous encourager, s’il en est de besoin.</TD></TR>
</TABLE>


{{Personnage|Trissotin}} {{numVers|1265}} Je viens vous annoncer une grande nouvelle.<br>Nous l’avons en dormant, Madame, échappé belle : <br>Un monde près de nous a passé tout du long,<br>Est chu tout au travers de notre tourbillon ;<br>Et s’il eût en chemin rencontré notre terre,<br>{{numVers|1270}} Elle eût été brisée en morceaux comme verre.
===SCÈNE III===
{{Personnage|Philaminte}} Remettons ce discours pour une autre saison,<br>Monsieur n’y trouverait ni rime, ni raison ;<br>Il fait profession de chérir l’ignorance, <br>Et de haïr surtout l’esprit et la science.
PHILAMINTE, BÉLISE, ARMANDE, TRISSOTIN, LE NOTAIRE, CHRYSALE, CLITANDRE, HENRIETTE, MARTINE.
{{Personnage|Clitandre}} {{numVers|1275}} Cette vérité veut quelque adoucissement.<br>Je m’explique, Madame, et je hais seulement<br>La science et l’esprit qui gâtent les personnes.<br>Ce sont choses de soi qui sont belles et bonnes ;<br>Mais j’aimerais mieux être au rang des ignorants,<br>{{numVers|1280}} Que de me voir savant comme certaines gens.
{{Personnage|Trissotin}} Pour moi je ne tiens pas, quelque effet qu’on suppose,<br>Que la science soit pour gâter quelque chose.
{{Personnage|Clitandre}} Et c’est mon sentiment, qu’en faits, comme en propos,<br>La science est sujette à faire de grands sots.
{{Personnage|Trissotin}} Le paradoxe est fort.
{{Personnage|Clitandre}} {{numVers|1285}} Sans être fort habile,<br>La preuve m’en serait je pense assez facile.<br>Si les raisons manquaient, je suis sûr qu’en tout cas<br>Les exemples fameux ne me manqueraient pas.
{{Personnage|Trissotin}} Vous en pourriez citer qui ne concluraient guère.
{{Personnage|Clitandre}} {{numVers|1290}} Je n’irais pas bien loin pour trouver mon affaire.
{{Personnage|Trissotin}} Pour moi je ne vois pas ces exemples fameux.
{{Personnage|Clitandre}} Moi, je les vois si bien, qu’ils me crèvent les yeux.
{{Personnage|Trissotin}} J’ai cru jusques ici que c’était l’ignorance<br>Qui faisait les grands sots, et non pas la science.
{{Personnage|Clitandre}} {{numVers|1295}} Vous avez cru fort mal, et je vous suis garant,<br>Qu’un sot savant est sot plus qu’un sot ignorant.
{{Personnage|Trissotin}} Le sentiment commun est contre vos maximes,<br>Puisque « ignorant » et « sot » sont termes synonymes.</TD></TR>
{{Personnage|Clitandre}} Si vous le voulez prendre aux usages du mot,<br>{{numVers|1300}} L’alliance est plus grande entre pédant et sot.{{Personnage|Trissotin}} La sottise dans l’un se fait voir toute pure.
{{Personnage|Clitandre}} Et l’étude dans l’autre ajoute à la nature.
{{Personnage|Trissotin}} Le savoir garde en soi son mérite éminent.
{{Personnage|Clitandre}} Le savoir dans un fat devient impertinent.
{{Personnage|Trissotin}} {{numVers|1305}} Il faut que l’ignorance ait pour vous de grands charmes,<br>Puisque pour elle ainsi vous prenez tant les armes.
{{Personnage|Clitandre}} Si pour moi l’ignorance a des charmes bien grands,<br>C’est depuis qu’à mes yeux s’offrent certains savants.{{Personnage|Trissotin}} Ces certains savants-là, peuvent à les connaître<br>{{numVers|1310}} Valoir certaines gens que nous voyons paraître.
{{Personnage|Clitandre}} Oui, si l’on s’en rapporte à ces certains savants ;<br>Mais on n’en convient pas chez ces certaines gens.
{{Personnage|Philaminte}} Il me semble, Monsieur…
{{Personnage|Clitandre}} Eh, Madame, de grâce,<br>Monsieur est assez fort, sans qu’à son aide on passe :<br>{{numVers|1315}} Je n’ai déjà que trop d’un si rude assaillant ;<br>Et si je me défends, ce n’est qu’en reculant.
{{Personnage|Armande}} Mais l’offensante aigreur de chaque repartie<br>Dont vous…
{{Personnage|Clitandre}} Autre second, je quitte la partie.
{{Personnage|Philaminte}} On souffre aux entretiens ces sortes de combats,<br>{{numVers|1320}} Pourvu qu’à la personne on ne s’attaque pas.
{{Personnage|Clitandre}} Eh, mon Dieu, tout cela n’a rien dont il s’offense ;<br>Il entend raillerie autant qu’homme de France ;<br>Et de bien d’autres traits il s’est senti piquer,<br>Sans que jamais sa gloire ait fait que s’en moquer.
{{Personnage|Trissotin}} {{numVers|1325}} Je ne m’étonne pas au combat que j’essuie, <br>De voir prendre à Monsieur la thèse qu’il appuie.<br>Il est fort enfoncé dans la Cour, c’est tout dit :<br>La Cour, comme l’on sait, ne tient pas pour l’esprit ;<br>Elle a quelque intérêt d’appuyer l’ignorance,<br>{{numVers|1330}} Et c’est en courtisan qu’il en prend la défense.
{{Personnage|Clitandre}} Vous en voulez beaucoup à cette pauvre cour,<br>Et son malheur est grand, de voir que chaque jour<br>Vous autres beaux esprits, vous déclamiez contre elle ;<br>Que de tous vos chagrins vous lui fassiez querelle ;<br>{{numVers|1335}} Et sur son méchant goût lui faisant son procès,<br>N’accusiez que lui seul de vos méchants succès.<br>Permettez-moi, Monsieur Trissotin, de vous dire, <br>Avec tout le respect que votre nom m’inspire,<br>Que vous feriez fort bien, vos confrères, et vous,<br>{{numVers|1340}} De parler de la Cour d’un ton un peu plus doux ;<br>Qu’à le bien prendre au fond, elle n’est pas si bête<br>Que vous autres Messieurs vous vous mettez en tête ;<br>Qu’elle a du sens commun pour se connaître à tout ;<br>Que chez elle on se peut former quelque bon goût ;<br>{{numVers|1345}} Et que l’esprit du monde y vaut, sans flatterie,<br>Tout le savoir obscur de la pédanterie.
{{Personnage|Trissotin}} De son bon goût, Monsieur, nous voyons des effets.
{{Personnage|Clitandre}} Où voyez-vous, Monsieur, qu’elle l’ait si mauvais ?
{{Personnage|Trissotin}} Ce que je vois, Monsieur, c’est que pour la science<br>{{numVers|1350}} Rasius et Baldus font honneur à la France,<br>Et que tout leur mérite exposé fort au jour,<br>N’attire point les yeux et les dons de la Cour.
{{Personnage|Clitandre}} Je vois votre chagrin, et que par modestie<br>Vous ne vous mettez point, Monsieur, de la partie :<br>{{numVers|1355}} Et pour ne vous point mettre aussi dans le propos,<br>Que font-ils pour l’État vos habiles héros ?<br>Qu’est-ce que leurs écrits lui rendent de service,<br>Pour accuser la Cour d’une horrible injustice,<br>Et se plaindre en tous lieux que sur leurs doctes noms<br>{{numVers|1360}} Elle manque à verser la faveur de ses dons ?<br>Leur savoir à la France est beaucoup nécessaire,<br>Et des livres qu’ils font la Cour a bien affaire.<br>Il semble à trois gredins, dans leur petit cerveau,<br>Que pour être imprimés, et reliés en veau, <br>{{numVers|1365}} Les voilà dans l’État d’importantes personnes ; <br>Qu’avec leur plume ils font les destins des couronnes ;<br>Qu’au moindre petit bruit de leurs productions,<br>Ils doivent voir chez eux voler les pensions ;<br>Que sur eux l’univers a la vue attachée ; <br>{{numVers|1370}} Que partout de leur nom la gloire est épanchée,<br>Et qu’en science ils sont des prodiges fameux,<br>Pour savoir ce qu’ont dit les autres avant eux,<br>Pour avoir eu trente ans des yeux et des oreilles, <br>Pour avoir employé neuf ou dix mille veilles<br>{{numVers|1375}} À se bien barbouiller de grec et de latin,<br>Et se charger l’esprit d’un ténébreux butin<br>De tous les vieux fatras qui traînent dans les livres ; <br>Gens qui de leur savoir paraissent toujours ivres ;<br>Riches pour tout mérite, en babil importun,<br>{{numVers|1380}} Inhabiles à tout, vides de sens commun,<br>Et pleins d’un ridicule, et d’une impertinence<br>À décrier partout l’esprit et la science.
{{Personnage|Philaminte}} Votre chaleur est grande, et cet emportement<br>De la nature en vous marque le mouvement.<br>{{numVers|1385}} C’est le nom de « rival » qui dans votre âme excite…


{{scène|IV}}
<TABLE CELLSPACING=0 CELLPADDING=0 border=0>
{{sc|Julien}}, {{sc|Trissotin}}, {{{sc|Philaminte}}, {{sc|Clitandre}}, {{sc|Armande}}.
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''PHILAMINTE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Vous ne sauriez changer votre style sauvage, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Et nous faire un contrat qui soit en beau langage ? </TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''LE NOTAIRE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Notre style est très bon, et je serais un sot, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Madame, de vouloir y changer un seul mot.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''BÉLISE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >1605&nbsp; &nbsp; </TD><TD>Ah ! quelle barbarie au milieu de la France ! </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Mais au moins en faveur, Monsieur, de la science, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Veuillez au lieu d’écus, de livres et de francs, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Nous exprimer la dot en mines et talents, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Et dater par les mots d’ides et de calendes.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''LE NOTAIRE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >1610&nbsp; &nbsp; </TD><TD>Moi ? Si j’allais, Madame, accorder vos demandes, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Je me ferais siffler de tous mes compagnons.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''PHILAMINTE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>De cette barbarie en vain nous nous plaignons.</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Allons, Monsieur, prenez la table pour écrire.</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Ah, ah ! cette impudente ose encor se produire ? </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >1615&nbsp; &nbsp; </TD><TD>Pourquoi donc, s’il vous plaît, la ramener chez moi ? </TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''CHRYSALE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Tantôt avec loisir on vous dira pourquoi.</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Nous avons maintenant autre chose à conclure.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''LE NOTAIRE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Procédons au contrat. Où donc est la future ? </TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''PHILAMINTE'''</TD></TR>
</TABLE><TABLE CELLSPACING=0 CELLPADDING=0 border=0>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Celle que je marie est la cadette.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''LE NOTAIRE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD></TD><TD>Bon.</TD></TR>
</TABLE><TABLE CELLSPACING=0 CELLPADDING=0 border=0>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''CHRYSALE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >1620&nbsp; &nbsp; </TD><TD>Oui. La voilà, Monsieur, Henriette est son nom.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''LE NOTAIRE'''</TD></TR>
</TABLE><TABLE CELLSPACING=0 CELLPADDING=0 border=0>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Fort bien. Et le futur ? </TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''PHILAMINTE'''[[Les Femmes savantes - Notes#note90|*]]</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD></TD><TD>L’époux que je lui donne</TD></TR>
</TABLE><TABLE CELLSPACING=0 CELLPADDING=0 border=0>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Est Monsieur.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''CHRYSALE''', ''montrant Clitandre.''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD></TD><TD>Et celui, moi, qu’en propre personne, </TD></TR>
</TABLE><TABLE CELLSPACING=0 CELLPADDING=0 border=0>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Je prétends qu’elle épouse, est Monsieur.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''LE NOTAIRE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD></TD><TD>Deux époux ! </TD></TR>
</TABLE><TABLE CELLSPACING=0 CELLPADDING=0 border=0>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>C’est trop pour la coutume.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''PHILAMINTE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD></TD><TD>Où vous arrêtez-vous ? </TD></TR>
</TABLE><TABLE CELLSPACING=0 CELLPADDING=0 border=0>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >1625&nbsp; &nbsp; </TD><TD>Mettez, mettez, Monsieur, Trissotin pour mon gendre.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''CHRYSALE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Pour mon gendre mettez, mettez, Monsieur, Clitandre.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''LE NOTAIRE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Mettez-vous donc d’accord et d’un jugement mûr</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Voyez à convenir entre vous du futur[[Les Femmes savantes - Notes#note91|*]].</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''PHILAMINTE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Suivez, suivez, Monsieur, le choix où je m’arrête.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''CHRYSALE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >1630&nbsp; &nbsp; </TD><TD>Faites, faites, Monsieur, les choses à ma tête.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''LE NOTAIRE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Dites-moi donc à qui j’obéirai des deux ? </TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''PHILAMINTE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Quoi donc, vous combattez les choses que je veux ? </TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''CHRYSALE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Je ne saurais souffrir qu’on ne cherche ma fille, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Que pour l’amour du bien qu’on voit dans ma famille.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''PHILAMINTE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >1635&nbsp; &nbsp; </TD><TD>Vraiment à votre bien on songe bien ici, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Et c’est là pour un sage, un fort digne souci ! </TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''CHRYSALE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Enfin pour son époux, j’ai fait choix de Clitandre.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''PHILAMINTE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Et moi, pour son époux, voici qui je veux prendre : </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Mon choix sera suivi, c’est un point résolu.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''CHRYSALE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >1640&nbsp; &nbsp; </TD><TD>Ouais. Vous le prenez là d’un ton bien absolu ? </TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''MARTINE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Ce n’est point à la femme à prescrire, et je sommes</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Pour céder le dessus en toute chose aux hommes.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''CHRYSALE'''</TD></TR>
</TABLE><TABLE CELLSPACING=0 CELLPADDING=0 border=0>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>C’est bien dit.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''MARTINE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD></TD><TD>Mon congé cent fois me fût-il hoc[[Les Femmes savantes - Notes#note92|*]], </TD></TR>
</TABLE><TABLE CELLSPACING=0 CELLPADDING=0 border=0>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>La poule ne doit point chanter devant le coq.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''CHRYSALE'''</TD></TR>
</TABLE><TABLE CELLSPACING=0 CELLPADDING=0 border=0>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Sans doute.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''MARTINE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >1645&nbsp; &nbsp; </TD><TD></TD><TD>Et nous voyons que d’un homme on se gausse, </TD></TR>
</TABLE><TABLE CELLSPACING=0 CELLPADDING=0 border=0>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Quand sa femme chez lui porte le haut-de-chausse.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''CHRYSALE'''</TD></TR>
</TABLE><TABLE CELLSPACING=0 CELLPADDING=0 border=0>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Il est vrai.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''MARTINE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD></TD><TD>Si j’avais un mari, je le dis, </TD></TR>
</TABLE><TABLE CELLSPACING=0 CELLPADDING=0 border=0>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Je voudrais qu’il se fît le maître du logis.</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Je ne l’aimerais point, s’il faisait le jocrisse[[Les Femmes savantes - Notes#note93|*]].</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >1650&nbsp; &nbsp; </TD><TD>Et si je contestais contre lui par caprice ; </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Si je parlais trop haut, je trouverais fort bon, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Qu’avec quelques soufflets il rabaissât mon ton.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''CHRYSALE'''</TD></TR>
</TABLE><TABLE CELLSPACING=0 CELLPADDING=0 border=0>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>C’est parler comme il faut.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''MARTINE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD></TD><TD>Monsieur est raisonnable, </TD></TR>
</TABLE><TABLE CELLSPACING=0 CELLPADDING=0 border=0>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>De vouloir pour sa fille un mari convenable.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''CHRYSALE'''</TD></TR>
</TABLE><TABLE CELLSPACING=0 CELLPADDING=0 border=0>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Oui.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''MARTINE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >1655&nbsp; &nbsp; </TD><TD></TD><TD>Par quelle raison, jeune, et bien fait qu’il est, </TD></TR>
</TABLE><TABLE CELLSPACING=0 CELLPADDING=0 border=0>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Lui refuser Clitandre ? Et pourquoi, s’il vous plaît, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Lui bailler un savant, qui sans cesse épilogue[[Les Femmes savantes - Notes#note94|*]] ? </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Il lui faut un mari, non pas un pédagogue : </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Et ne voulant savoir le grais[[Les Femmes savantes - Notes#note95|*]], ni le latin, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >1660&nbsp; &nbsp; </TD><TD>Elle n’a pas besoin de Monsieur Trissotin.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''CHRYSALE'''</TD></TR>
</TABLE><TABLE CELLSPACING=0 CELLPADDING=0 border=0>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Fort bien.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''PHILAMINTE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD></TD><TD>Il faut souffrir qu’elle jase à son aise.</TD></TR>
</TABLE><TABLE CELLSPACING=0 CELLPADDING=0 border=0>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''MARTINE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Les savants ne sont bons que pour prêcher en chaise[[Les Femmes savantes - Notes#note96|*]] ; </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Et pour mon mari, moi, mille fois je l’ai dit, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Je ne voudrais jamais prendre un homme d’esprit.</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >1665&nbsp; &nbsp; </TD><TD>L’esprit n’est point du tout ce qu’il faut en ménage ; </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Les livres cadrent mal avec le mariage ; </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Et je veux, si jamais on engage ma foi, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Un mari qui n’ait point d’autre livre que moi ; </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Qui ne sache A, ne B, n’en déplaise à Madame, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >1670&nbsp; &nbsp; </TD><TD>Et ne soit en un mot docteur que pour sa femme.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''PHILAMINTE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Est-ce fait ? et sans trouble ai-je assez écouté</TD></TR>
</TABLE><TABLE CELLSPACING=0 CELLPADDING=0 border=0>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Votre digne interprète ? </TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''CHRYSALE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD></TD><TD>Elle a dit vérité.</TD></TR>
</TABLE><TABLE CELLSPACING=0 CELLPADDING=0 border=0>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''PHILAMINTE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Et moi, pour trancher court toute cette dispute, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Il faut qu’absolument mon désir s’exécute.</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >1675&nbsp; &nbsp; </TD><TD>Henriette, et Monsieur seront joints de ce pas ; </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Je l’ai dit, je le veux, ne me répliquez pas : </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Et si votre parole à Clitandre est donnée, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Offrez-lui le parti d’épouser son aînée.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''CHRYSALE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Voilà dans cette affaire un accommodement.</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >1680&nbsp; &nbsp; </TD><TD>Voyez ? y donnez-vous votre consentement ? </TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''HENRIETTE'''</TD></TR>
</TABLE><TABLE CELLSPACING=0 CELLPADDING=0 border=0>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Eh mon père ! </TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''CLITANDRE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD></TD><TD>Eh Monsieur ! </TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''BÉLISE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD></TD><TD></TD><TD>On pourrait bien lui faire</TD></TR>
</TABLE><TABLE CELLSPACING=0 CELLPADDING=0 border=0>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Des propositions qui pourraient mieux lui plaire : </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Mais nous établissons une espèce d’amour</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Qui doit être épuré comme l’astre du jour ; </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >1685&nbsp; &nbsp; </TD><TD>La substance qui pense, y peut être reçue, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Mais nous en bannissons la substance étendue[[Les Femmes savantes - Notes#note97|*]].</TD></TR>
</TABLE>


{{Personnage|Julien}} Le savant qui tantôt vous a rendu visite,<br>Et de qui j’ai l’honneur de me voir le valet,<br>Madame, vous exhorte à lire ce billet.
===SCÈNE DERNIÈRE===
{{Personnage|Philaminte}} Quelque important que soit ce qu’on veut que je lise,<br>{{numVers|1390}} Apprenez, mon ami, que c’est une sottise<br>De se venir jeter au travers d’un discours,<br>Et qu’aux gens d’un logis il faut avoir recours,<br>Afin de s’introduire en valet qui sait vivre.
ARISTE, CHRYSALE, PHILAMINTE, BÉLISE, HENRIETTE, ARMANDE, TRISSOTIN, LE NOTAIRE, CLITANDRE, MARTINE.
{{Personnage|Julien}} Je noterai cela, Madame, dans mon livre.</TD></TR>
{{PersonnageD|Philaminte||lit :}}
''Trissotin s’est vanté, Madame, qu’il épouserait votre fille. Je vous<br>donne avis que sa philosophie n’en veut qu’à vos richesses, et que<br>vous ferez bien de ne point conclure ce mariage, que vous n’ayez<br>vu le poème que je compose contre lui. En attendant cette peinture<br>où je prétends vous le dépeindre de toutes ses couleurs, je vous<br>envoie Horace, Virgile, Térence et Catulle, où vous verrez notés en<br>marge tous les endroits qu’il a pillés.''

{{PersonnageD|Philaminte||poursuit.}}
{{numVers|1395}} Voilà sur cet hymen que je me suis promis<br>Un mérite attaqué de beaucoup d’ennemis ;<br>Et ce déchaînement aujourd’hui me convie,<br>À faire une action qui confonde l’envie ;<br>Qui lui fasse sentir que l’effort qu’elle fait,<br>{{numVers|1400}} De ce qu’elle veut rompre, aura pressé l’effet.<br>Reportez tout cela sur l’heure à votre maître ;<br>Et lui dites, qu’afin de lui faire connaître<br>Quel grand état je fais de ses nobles avis,<br>Et comme je les crois dignes d’être suivis,<br>{{numVers|1405}} Dès ce soir à Monsieur je marierai ma fille ;<br>Vous, Monsieur, comme ami de toute la famille,<br>À signer leur contrat vous pourrez assister,<br>Et je vous y veux bien de ma part inviter.<br>Armande, prenez soin d’envoyer au notaire,<br>{{numVers|1410}} Et d’aller avertir votre sœur de l’affaire.
{{Personnage|Armande}} Pour avertir ma sœur, il n’en est pas besoin,<br>Et Monsieur que voilà, saura prendre le soin<br>De courir lui porter bientôt cette nouvelle,<br>Et disposer son cœur à vous être rebelle.
{{Personnage|Philaminte}} {{numVers|1415}} Nous verrons qui sur elle aura plus de pouvoir,<br>Et si je la saurai réduire à son devoir.

{{didascalie|Elle s’en va.}}

{{Personnage|Armande}} J’ai grand regret, Monsieur, de voir qu’à vos visées,<br>Les choses ne soient pas tout à fait disposées.{{Personnage|Clitandre}} Je m’en vais travailler, Madame, avec ardeur,<br>{{numVers|1420}} À ne vous point laisser ce grand regret au cœur.
{{Personnage|Armande}} J’ai peur que votre effort n’ait pas trop bonne issue.
{{Personnage|Clitandre}} Peut-être verrez-vous votre crainte déçue.
{{Personnage|Armande}} Je le souhaite ainsi.
{{Personnage|Clitandre}} J’en suis persuadé,<br>Et que de votre appui je serai secondé.
{{Personnage|Armande}} {{numVers|1425}} Oui, je vais vous servir de toute ma puissance.
{{Personnage|Clitandre}} Et ce service est sûr de ma reconnaissance.

{{scène|V}}
{{sc|Chrysale}}, {{sc|Ariste}}, {{{sc|Henriette}}, {{sc|Clitandre}}.

{{Personnage|Clitandre}} Sans votre appui, Monsieur, je serai malheureux.<br>Madame votre femme a rejeté mes vœux,<br>Et son cœur prévenu, veut Trissotin pour gendre.
{{Personnage|Chrysale}} {{numVers|1430}} Mais quelle fantaisie a-t-elle donc pu prendre ?<br>Pourquoi diantre vouloir ce Monsieur Trissotin ?
{{Personnage|Ariste}} C’est par l’honneur qu’il a de rimer à latin,<br>Qu’il a sur son rival emporté l’avantage.
{{Personnage|Chrysale}} Elle veut dès ce soir faire ce mariage.
{{Personnage|Chrysale}} Dès ce soir ?
{{Personnage|Clitandre}} Dès ce soir.
{{Personnage|Chrysale}} {{numVers|1435}} Et dès ce soir je veux,<br>Pour la contrecarrer, vous marier vous deux.
{{Personnage|Clitandre}} Pour dresser le contrat, elle envoie au notaire.
{{Personnage|Chrysale}} Et je vais le quérir pour celui qu’il doit faire.
{{Personnage|Clitandre}} Et Madame doit être instruite par sa sœur,<br>{{numVers|1440}} De l’hymen où l’on veut qu’elle apprête son cœur.{{Personnage|Chrysale}} Et moi, je lui commande avec pleine puissance,<br>De préparer sa main à cette autre alliance.<br>Ah je leur ferai voir, si pour donner la loi,<br>Il est dans ma maison d’autre maître que moi.<br>{{numVers|1445}} Nous allons revenir, songez à nous attendre ;<br>Allons, suivez mes pas, mon frère, et vous mon gendre.
{{Personnage|Henriette}} Hélas ! dans cette humeur conservez-le toujours.
{{Personnage|Ariste}} J’emploierai toute chose à servir vos amours.
{{Personnage|Clitandre}} Quelque secours puissant qu’on promette à ma flamme,<br>{{numVers|1450}} Mon plus solide espoir, c’est votre cœur, Madame.
{{Personnage|Henriette}} Pour mon cœur vous pouvez vous assurer de lui.
{{Personnage|Clitandre}} Je ne puis qu’être heureux, quand j’aurai son appui.
{{Personnage|Henriette}} Vous voyez à quels nœuds on prétend le contraindre.
{{Personnage|Clitandre}} Tant qu’il sera pour moi, je ne vois rien à craindre.
{{Personnage|Henriette}} {{numVers|1455}} Je vais tout essayer pour nos vœux les plus doux ;<br>Et si tous mes efforts ne me donnent à vous,<br>Il est une retraite où notre âme se donne, <b>Qui m’empêchera d’être à toute autre personne.
{{Personnage|Clitandre}} Veuille le juste Ciel me garder en ce jour,<br>{{numVers|1460}} De recevoir de vous cette preuve d’amour.

{{acte|V}}

{{scène|I}}
{{sc|Henriette}}, {{sc|Trissotin}}.

{{Personnage|Henriette}} C’est sur le mariage où ma mère s’apprête,<br>Que j’ai voulu, Monsieur, vous parler tête à tête ; <br>Et j’ai cru dans le trouble où je vois la maison,<br>Que je pourrais vous faire écouter la raison.<br>{{numVers|1465}} Je sais qu’avec mes vœux vous me jugez capable<br>De vous porter en dot un bien considérable :<br>Mais l’argent dont on voit tant de gens faire cas,<br>Pour un vrai philosophe a d’indignes appas ;<br>Et le mépris du bien et des grandeurs frivoles,<br>{{numVers|1470}} Ne doit point éclater dans vos seules paroles.
{{Personnage|Trissotin}} Aussi n’est-ce point là ce qui me charme en vous ;<br>Et vos brillants attraits, vos yeux perçants et doux, <br>Votre grâce et votre air sont les biens, les richesses,<br>Qui vous ont attiré mes vœux et mes tendresses ;<br>{{numVers|1475}} C’est de ces seuls trésors que je suis amoureux.
{{Personnage|Henriette}} Je suis fort redevable à vos feux généreux ;<br>Cet obligeant amour a de quoi me confondre,<br>Et j’ai regret, Monsieur, de n’y pouvoir répondre.<br>Je vous estime autant qu’on saurait estimer,<br>{{numVers|1480}}Mais je trouve un obstacle à vous pouvoir aimer.<br>Un cœur, vous le savez, à deux ne saurait être,<br>Et je sens que du mien Clitandre s’est fait maître.<br>Je sais qu’il a bien moins de mérite que vous,<br>Que j’ai de méchants yeux pour le choix d’un époux,<br>{{numVers|1485}} Que par cent beaux talents vous devriez me plaire.<br>Je vois bien que j’ai tort, mais je n’y puis que faire ;<br>Et tout ce que sur moi peut le raisonnement, <br>C’est de me vouloir mal d’un tel aveuglement.
{{Personnage|Trissotin}} Le don de votre main où l’on me fait prétendre,<br>{{numVers|1490}} Me livrera ce cœur que possède Clitandre ; <br>Et par mille doux soins, j’ai lieu de présumer,<br>Que je pourrai trouver l’art de me faire aimer.
{{Personnage|Henriette}} Non, à ses premiers vœux mon âme est attachée,<br>Et ne peut de vos soins, Monsieur, être touchée.<br>{{numVers|1495}} Avec vous librement j’ose ici m’expliquer,<br>Et mon aveu n’a rien qui vous doive choquer.<br>Cette amoureuse ardeur qui dans les cœurs s’excite,<br>N’est point, comme l’on sait, un effet du mérite ;<br>Le caprice y prend part, et quand quelqu’un nous plaît, <br>{{numVers|1500}} Souvent nous avons peine à dire pourquoi c’est.<br>Si l’on aimait, Monsieur, par choix et par sagesse,<br>Vous auriez tout mon cœur et toute ma tendresse ;<br>Mais on voit que l’amour se gouverne autrement.<br>Laissez-moi, je vous prie, à mon aveuglement, <br>{{numVers|1505}} Et ne vous servez point de cette violence<br>Que pour vous on veut faire à mon obéissance.<br>Quand on est honnête homme, on ne veut rien devoir<br>À ce que des parents ont sur nous de pouvoir.<br>On répugne à se faire immoler ce qu’on aime,<br>{{numVers|1510}} Et l’on veut n’obtenir un cœur que de lui-même.<br>Ne poussez point ma mère à vouloir par son choix, <br>Exercer sur mes vœux la rigueur de ses droits.<br>Ôtez-moi votre amour, et portez à quelque autre<br>Les hommages d’un cœur aussi cher que le vôtre.
{{Personnage|Trissotin}} {{numVers|1515}} Le moyen que ce cœur puisse vous contenter ?<br>Imposez-lui des lois qu’il puisse exécuter.<br>De ne vous point aimer peut-il être capable,<br>À moins que vous cessiez, Madame, d’être aimable,<br>Et d’étaler aux yeux les célestes appas…
{{Personnage|Henriette}} {{numVers|1520}} Eh Monsieur, laissons là ce galimatias.<br>Vous avez tant d’Iris, de Philis, d’Amarantes, <br>Que partout dans vos vers vous peignez si charmantes,<br>Et pour qui vous jurez tant d’amoureuse ardeur…
{{Personnage|Trissotin}} C’est mon esprit qui parle, et ce n’est pas mon cœur.<br>{{numVers|1525}} D’elles on ne me voit amoureux qu’en poète ;<br>Mais j’aime tout de bon l’adorable Henriette.
{{Personnage|Henriette}} Eh de grâce, Monsieur…
{{Personnage|Trissotin}} Si c’est vous offenser,<br>Mon offense envers vous n’est pas prête à cesser.<br>Cette ardeur jusqu’ici de vos yeux ignorée,<br>{{numVers|1530}} Vous consacre des vœux d’éternelle durée.<br>Rien n’en peut arrêter les aimables transports ;<br>Et bien que vos beautés condamnent mes efforts,<br>Je ne puis refuser le secours d’une mère<br>Qui prétend couronner une flamme si chère ; <br>{{numVers|1535}} Et pourvu que j’obtienne un bonheur si charmant,<br>Pourvu que je vous aie, il n’importe comment.
{{Personnage|Henriette}} Mais savez-vous qu’on risque un peu plus qu’on ne pense,<br>À vouloir sur un cœur user de violence ? </TD><br>Qu’il ne fait pas bien sûr, à vous le trancher net,<br>{{numVers|1540}} D’épouser une fille en dépit qu’elle en ait ;<br>Et qu’elle peut aller en se voyant contraindre,<br>À des ressentiments que le mari doit craindre ?
{{Personnage|Trissotin}} Un tel discours n’a rien dont je sois altéré.<br>À tous événements le sage est préparé.<br>{{numVers|1545}} Guéri par la raison des faiblesses vulgaires,<br>Il se met au-dessus de ces sortes d’affaires,<br>Et n’a garde de prendre aucune ombre d’ennui<br>De tout ce qui n’est pas pour dépendre de lui.
{{Personnage|Henriette}} En vérité, Monsieur, je suis de vous ravie ;<br>{{numVers|1550}} Et je ne pensais pas que la philosophie<br>Fût si belle qu’elle est, d’instruire ainsi les gens<br>À porter constamment de pareils accidents.<br>Cette fermeté d’âme à vous si singulière,<br>Mérite qu’on lui donne une illustre matière ;<br>{{numVers|1555}} Est digne de trouver qui prenne avec amour,<br>Les soins continuels de la mettre en son jour ;<br>Et comme à dire vrai, je n’oserais me croire<br>Bien propre à lui donner tout l’éclat de sa gloire,<br>Je le laisse à quelque autre, et vous jure entre nous,<br>{{numVers|1560}} Que je renonce au bien de vous voir mon époux.{{Personnage|Trissotin}} Nous allons voir bientôt comment ira l’affaire ;<br>Et l’on a là dedans fait venir le notaire.

{{scène|II}}
{{sc|Chrysale}}, {{sc|Clitandre}}, {{sc|Martine}}, {{Henriette}}.

{{Personnage|Chrysale}} Ah, ma fille, je suis bien aise de vous voir.<br>Allons, venez-vous-en faire votre devoir,<br>{{numVers|1565}} Et soumettre vos vœux aux volontés d’un père.<br>Je veux, je veux apprendre à vivre à votre mère ;<br>Et pour la mieux braver, voilà, malgré ses dents,<br>Martine que j’amène, et rétablis céans.
{{Personnage|Henriette}} Vos résolutions sont dignes de louange.</TD>{{numVers|1570}} Gardez que cette humeur, mon père, ne vous change.<br>Soyez ferme à vouloir ce que vous souhaitez,<br>Et ne vous laissez point séduire à vos bontés.<br>Ne vous relâchez pas, et faites bien en sorte<br>D’empêcher que sur vous ma mère ne l’emporte.
{{Personnage|Chrysale}} {{numVers|1575}} Comment ? Me prenez-vous ici pour un benêt ?
{{Personnage|Henriette}} M’en préserve le Ciel.
{{Personnage|Chrysale}} Suis-je un fat, s’il vous plaît ?
{{Personnage|Henriette}} Je ne dis pas cela.
{{Personnage|Chrysale}} Me croit-on incapable<br>Des fermes sentiments d’un homme raisonnable ?
{{Personnage|Henriette}} Non, mon père.
{{Personnage|Chrysale}} Est-ce donc qu’à l’âge où je me voi,<br>{{numVers|1580}} Je n’aurais pas l’esprit d’être maître chez moi ?
{{Personnage|Henriette}} Si fait.
{{Personnage|Chrysale}} Et que j’aurais cette faiblesse d’âme,<br>De me laisser mener par le nez à ma femme ?
{{Personnage|Henriette}} Eh non, mon père.
{{Personnage|Chrysale}} Ouais. Qu’est-ce donc que ceci ?<br>Je vous trouve plaisante à me parler ainsi.
{{Personnage|Henriette}} {{numVers|1585}} Si je vous ai choqué, ce n’est pas mon envie.
{{Personnage|Chrysale}} Ma volonté céans doit être en tout suivie.
{{Personnage|Henriette}} Fort bien, mon père.
{{Personnage|Chrysale}} Aucun, hors moi, dans la maison,<br>N’a droit de commander.
{{Personnage|Henriette}} Oui, vous avez raison.
{{Personnage|Chrysale}} C’est moi qui tiens le rang de chef de la famille.
{{Personnage|Henriette}} D’accord.
{{Personnage|Chrysale}} {{numVers|1590}} C’est moi qui dois disposer de ma fille.
{{Personnage|Henriette}} Eh oui.
{{Personnage|Chrysale}} Le Ciel me donne un plein pouvoir sur vous.</TD></TR>
{{Personnage|Henriette}} Qui vous dit le contraire ?
{{Personnage|Chrysale}} Et pour prendre un époux,<br>Je vous ferai bien voir que c’est à votre père<br>Qu’il vous faut obéir, non pas à votre mère.
{{Personnage|Henriette}} {{numVers|1595}} Hélas ! vous flattez là les plus doux de mes vœux ;<br>Veuillez être obéi, c’est tout ce que je veux.
{{Personnage|Chrysale}} Nous verrons si ma femme à mes désirs rebelle…
{{Personnage|Clitandre}} La voici qui conduit le notaire avec elle.
{{Personnage|Chrysale}} Secondez-moi bien tous.
{{Personnage|Martine}} Laissez-moi, j’aurai soin<br>{{numVers|1600}} De vous encourager, s’il en est de besoin.

{{scène|III}}
{{sc|Philaminte}}, {{sc|Bélise}}, {{sc|Armande}}, {{sc|Trissotin}}, {{sc|le notaire}}, {{sc|Chrysale}}, {{sc|Clitandre}}, {{Henriette}}, {{sc|Martine}}.

{{Personnage|Philaminte}} Vous ne sauriez changer votre style sauvage,<br>Et nous faire un contrat qui soit en beau langage ?
{{Personnage|le notaire}} Notre style est très bon, et je serais un sot,<br>Madame, de vouloir y changer un seul mot.
{{Personnage|Bélise}} {{numVers|1605}} Ah ! quelle barbarie au milieu de la France !<br>Mais au moins en faveur, Monsieur, de la science, <br>Veuillez au lieu d’écus, de livres et de francs,<br>Nous exprimer la dot en mines et talents,<br>Et dater par les mots d’ides et de calendes.
{{Personnage|le notaire}} {{numVers|1610}} Moi ? Si j’allais, Madame, accorder vos demandes,<br>Je me ferais siffler de tous mes compagnons.
{{Personnage|Philaminte}} De cette barbarie en vain nous nous plaignons.<br>Allons, Monsieur, prenez la table pour écrire.<br>Ah, ah ! cette impudente ose encor se produire ?<br>{{numVers|1615}} Pourquoi donc, s’il vous plaît, la ramener chez moi ?
{{Personnage|Chrysale}} Tantôt avec loisir on vous dira pourquoi.<br>Nous avons maintenant autre chose à conclure.</TD></TR>
{{Personnage|le notaire}} Procédons au contrat. Où donc est la future ? </TD></TR>
{{Personnage|Philaminte}} Celle que je marie est la cadette.
{{Personnage|le notaire}} Bon.
{{Personnage|Chrysale}} {{numVers|1620}} Oui. La voilà, Monsieur, Henriette est son nom.
{{Personnage|le notaire}} Fort bien. Et le futur ?
{{Personnage|Philaminte}} L’époux que je lui donne<br>Est Monsieur.
{{PersonnageD|Chrysale||montrant Clitandre.}} Et celui, moi, qu’en propre personne,<br>Je prétends qu’elle épouse, est Monsieur.
{{Personnage|le notaire}} Deux époux ! C’est trop pour la coutume.
{{Personnage|Philaminte}} Où vous arrêtez-vous ?<br>{{numVers|1625}} Mettez, mettez, Monsieur, Trissotin pour mon gendre.
{{Personnage|Chrysale}} Pour mon gendre mettez, mettez, Monsieur, Clitandre.
{{Personnage|le notaire}} Mettez-vous donc d’accord et d’un jugement mûr<br>Voyez à convenir entre vous du futur.
{{Personnage|Philaminte}} Suivez, suivez, Monsieur, le choix où je m’arrête.
{{Personnage|Chrysale}} {{numVers|1630}} Faites, faites, Monsieur, les choses à ma tête.
{{Personnage|le notaire}} Dites-moi donc à qui j’obéirai des deux
{{Personnage|Philaminte}} Quoi donc, vous combattez les choses que je veux ?
{{Personnage|Chrysale}} Je ne saurais souffrir qu’on ne cherche ma fille,<br>Que pour l’amour du bien qu’on voit dans ma famille.{{Personnage|Philaminte}} {{numVers|1635}} Vraiment à votre bien on songe bien ici,<br>Et c’est là pour un sage, un fort digne souci ! {{Personnage|Chrysale}} Enfin pour son époux, j’ai fait choix de Clitandre.
{{Personnage|Philaminte}} Et moi, pour son époux, voici qui je veux prendre :<br>Mon choix sera suivi, c’est un point résolu.
{{Personnage|Chrysale}} {{numVers|1640}} Ouais. Vous le prenez là d’un ton bien absolu ?
{{Personnage|Martine}} Ce n’est point à la femme à prescrire, et je sommes<br>Pour céder le dessus en toute chose aux hommes.
{{Personnage|Chrysale}} C’est bien dit.
{{Personnage|Martine}} Mon congé cent fois me fût-il hoc<br>La poule ne doit point chanter devant le coq.
{{Personnage|Chrysale}} Sans doute.
{{Personnage|Martine}} {{numVers|1645}} Et nous voyons que d’un homme on se gausse,<br>Quand sa femme chez lui porte le haut-de-chausse.{{Personnage|Chrysale}} Il est vrai.
{{Personnage|Martine}} Si j’avais un mari, je le dis,<br>Je voudrais qu’il se fît le maître du logis.<br>Je ne l’aimerais point, s’il faisait le jocrisse<br>{{numVers|1650}} Et si je contestais contre lui par caprice ;<br>Si je parlais trop haut, je trouverais fort bon, <br>Qu’avec quelques soufflets il rabaissât mon ton.
{{Personnage|Chrysale}} C’est parler comme il faut.
{{Personnage|Martine}} Monsieur est raisonnable,<br>De vouloir pour sa fille un mari convenable.
{{Personnage|Chrysale}} Oui.
{{Personnage|Martine}} {{numVers|1655}} Par quelle raison, jeune, et bien fait qu’il est,<br>Lui refuser Clitandre ? Et pourquoi, s’il vous plaît,<br>Lui bailler un savant, qui sans cesse épilogue ?<br>Il lui faut un mari, non pas un pédagogue :<br>Et ne voulant savoir le grais, ni le latin,<br>{{numVers|1660}} Elle n’a pas besoin de Monsieur Trissotin.
{{Personnage|Chrysale}} Fort bien.
{{Personnage|Philaminte}} Il faut souffrir qu’elle jase à son aise.
{{Personnage|Martine}} Les savants ne sont bons que pour prêcher en chaise<br>Et pour mon mari, moi, mille fois je l’ai dit,<br>Je ne voudrais jamais prendre un homme d’esprit.<br>{{numVers|1665}} L’esprit n’est point du tout ce qu’il faut en ménage ;<br>Les livres cadrent mal avec le mariage ;<br>Et je veux, si jamais on engage ma foi,<br>Un mari qui n’ait point d’autre livre que moi ;<br>Qui ne sache ''A'', ne ''B'', n’en déplaise à Madame,<br>{{numVers|1670}} Et ne soit en un mot docteur que pour sa femme.</TD></TR>
{{Personnage|Philaminte}} Est-ce fait ? et sans trouble ai-je assez écouté<br>Votre digne interprète ?
{{Personnage|Chrysale}} Elle a dit vérité.
{{Personnage|Philaminte}} Et moi, pour trancher court toute cette dispute,<br>Il faut qu’absolument mon désir s’exécute.<br>{{numVers|1675}} Henriette, et Monsieur seront joints de ce pas ;<br>Je l’ai dit, je le veux, ne me répliquez pas :<br>Et si votre parole à Clitandre est donnée,<br>Offrez-lui le parti d’épouser son aînée.
{{Personnage|Chrysale}} Voilà dans cette affaire un accommodement.<br>{{numVers|1680}} Voyez ? y donnez-vous votre consentement ?
{{Personnage|Henriette}} Eh mon père !
{{Personnage|Clitandre}} Eh Monsieur !
{{Personnage|Bélise}} On pourrait bien lui faire<br>Des propositions qui pourraient mieux lui plaire :<br>Mais nous établissons une espèce d’amour<br>Qui doit être épuré comme l’astre du jour ;<br>{{numVers|1685}} La substance qui pense, y peut être reçue,<br>Mais nous en bannissons la substance étendue.

{{scène|IV}}
{{sc|Ariste}}, {{sc|Chrysale}}, {{sc|Philaminte}}, {{sc|Bélise}}, {{sc|Henriette}}, {{sc|Armande}}, {{sc|Trissotin}}, {{sc|le notaire}}, {{sc|Clitandre}}, {{sc|Martine}}.


{{Personnage|Ariste}} J’ai regret de troubler un mystère joyeux,<br>Par le chagrin qu’il faut que j’apporte en ces lieux.<br>Ces deux lettres me font porteur de deux nouvelles,<br>{{numVers|1690}} Dont j’ai senti pour vous les atteintes cruelles :<br>L’une pour vous, me vient de votre procureur ;<br>L’autre pour vous, me vient de Lyon.
<TABLE CELLSPACING=0 CELLPADDING=0 border=0>
{{Personnage|Philaminte}} Quel malheur,<br>Digne de nous troubler, pourrait-on nous écrire ?
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''ARISTE'''</TD></TR>
{{Personnage|Ariste}} Cette lettre en contient un que vous pouvez lire.
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>J’ai regret de troubler un mystère joyeux[[Les Femmes savantes - Notes#note98|*]], </TD></TR>
{{Personnage|Philaminte}}<br>''Madame, j’ai prié Monsieur votre frère de vous rendre cette lettre, qui vous dira ce que je n’ai osé vous aller dire. La grande négligence que vous avez pour vos affaires, a été cause que le clerc de votre rapporteur ne m’a point averti, et vous avez perdu absolument votre procès que vous deviez gagner.''
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Par le chagrin qu’il faut que j’apporte en ces lieux.</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Ces deux lettres me font porteur de deux nouvelles, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >1690&nbsp; &nbsp; </TD><TD>Dont j’ai senti pour vous les atteintes cruelles : </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>L’une pour vous, me vient de votre procureur ; </TD></TR>
</TABLE><TABLE CELLSPACING=0 CELLPADDING=0 border=0>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>L’autre pour vous, me vient de Lyon.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''PHILAMINTE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD></TD><TD>Quel malheur, </TD></TR>
</TABLE><TABLE CELLSPACING=0 CELLPADDING=0 border=0>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Digne de nous troubler, pourrait-on nous écrire ? </TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''ARISTE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Cette lettre en contient un que vous pouvez lire.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''PHILAMINTE'''</TD></TR>
</TABLE><TABLE CELLSPACING=0 CELLPADDING=0 border=0>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>''Madame, j’ai prié Monsieur votre frère de vous rendre cette lettre, qui vous dira ce que je n’ai osé vous aller dire. La grande négligence que vous avez pour vos affaires, a été cause que le clerc de votre rapporteur ne m’a point averti, et vous avez perdu absolument votre procès que vous deviez gagner.''<br /><br /></TD></TR>
</TABLE><TABLE CELLSPACING=0 CELLPADDING=0 border=0>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''CHRYSALE'''</TD></TR>
</TABLE><TABLE CELLSPACING=0 CELLPADDING=0 border=0>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Votre procès perdu ! </TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''PHILAMINTE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >1695&nbsp; &nbsp; </TD><TD></TD><TD>Vous vous troublez beaucoup ! </TD></TR>
</TABLE><TABLE CELLSPACING=0 CELLPADDING=0 border=0>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Mon cœur n’est point du tout ébranlé de ce coup.</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Faites, faites paraître une âme moins commune</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>À braver comme moi les traits de la fortune.</TD></TR>
</TABLE><TABLE CELLSPACING=0 CELLPADDING=0 border=0>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>''Le peu de soin que vous avez vous coûte quarante mille écus, et c’est à payer cette somme, avec les dépens, que vous êtes condamnée par arrêt de la cour.''</TD></TR>
</TABLE><TABLE CELLSPACING=0 CELLPADDING=0 border=0>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Condamnée ! Ah ce mot est choquant, et n’est fait</TD></TR>
</TABLE><TABLE CELLSPACING=0 CELLPADDING=0 border=0>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Que pour les criminels.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''ARISTE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >1700&nbsp; &nbsp; </TD><TD></TD><TD>Il a tort en effet, </TD></TR>
</TABLE><TABLE CELLSPACING=0 CELLPADDING=0 border=0>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Et vous vous êtes là justement récriée.</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Il devait avoir mis que vous êtes priée, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Par arrêt de la cour, de payer au plus tôt</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Quarante mille écus, et les dépens qu’il faut.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''PHILAMINTE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Voyons l’autre.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''CHRYSALE''' ''lit.''</TD></TR>
</TABLE><TABLE CELLSPACING=0 CELLPADDING=0 border=0>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>''Monsieur, l’amitié qui me lie à Monsieur votre frère, me fait prendre intérêt à tout ce qui vous touche. Je sais que vous avez mis votre bien entre les mains d’Argante et de Damon, et je vous donne avis qu’en même jour ils ont fait tous deux banqueroute.''</TD></TR>
</TABLE><TABLE CELLSPACING=0 CELLPADDING=0 border=0>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >1705&nbsp; &nbsp; </TD><TD>Ô Ciel ! tout à la fois perdre ainsi tout mon bien ! </TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''PHILAMINTE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Ah quel honteux transport ! Fi ! tout cela n’est rien.</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Il n’est pour le vrai sage aucun revers funeste, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Et perdant toute chose, à soi-même il se reste.</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Achevons notre affaire, et quittez votre ennui ; </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >1710&nbsp; &nbsp; </TD><TD>Son bien[[Les Femmes savantes - Notes#note99|*]] nous peut suffire et pour nous, et pour lui.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''TRISSOTIN'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Non, Madame, cessez de presser cette affaire.</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Je vois qu’à cet hymen tout le monde est contraire, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Et mon dessein n’est point de contraindre les gens.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''PHILAMINTE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Cette réflexion vous vient en peu de temps ! </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >1715&nbsp; &nbsp; </TD><TD>Elle suit de bien près, Monsieur, notre disgrâce.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''TRISSOTIN'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>De tant de résistance à la fin je me lasse.</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>J’aime mieux renoncer à tout cet embarras, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Et ne veux point d’un cœur qui ne se donne pas.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''PHILAMINTE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Je vois, je vois de vous, non pas pour votre gloire, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >1720&nbsp; &nbsp; </TD><TD>Ce que jusques ici j’ai refusé de croire.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''TRISSOTIN'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Vous pouvez voir de moi tout ce que vous voudrez, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Et je regarde peu comment vous le prendrez : </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Mais je ne suis point homme à souffrir l’infamie</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Des refus offensants qu’il faut qu’ici j’essuie ; </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >1725&nbsp; &nbsp; </TD><TD>Je vaux bien que de moi l’on fasse plus de cas, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Et je baise les mains à qui ne me veut pas.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''PHILAMINTE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Qu’il a bien découvert son âme mercenaire ! </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Et que peu philosophe est ce qu’il vient de faire ! </TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''CLITANDRE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Je ne me vante point de l’être, mais enfin</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >1730&nbsp; &nbsp; </TD><TD>Je m’attache, Madame, à tout votre destin ; </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Et j’ose vous offrir, avecque ma personne, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Ce qu’on sait que de bien la fortune me donne.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''PHILAMINTE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Vous me charmez, Monsieur, par ce trait généreux, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Et je veux couronner vos désirs amoureux.</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >1735&nbsp; &nbsp; </TD><TD>Oui, j’accorde Henriette à l’ardeur empressée…</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''HENRIETTE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Non, ma mère, je change à présent de pensée.</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Souffrez que je résiste à votre volonté.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''CLITANDRE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Quoi, vous vous opposez à ma félicité ? </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Et lorsqu’à mon amour je vois chacun se rendre…</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''HENRIETTE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >1740&nbsp; &nbsp; </TD><TD>Je sais le peu de bien que vous avez, Clitandre, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Et je vous ai toujours souhaité pour époux, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Lorsqu’en satisfaisant à mes vœux les plus doux, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>J’ai vu que mon hymen ajustait vos affaires : </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Mais lorsque nous avons les destins si contraires, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >1745&nbsp; &nbsp; </TD><TD>Je vous chéris assez dans cette extrémité, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Pour ne vous charger point de notre adversité.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''CLITANDRE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Tout destin avec vous me peut être agréable ; </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Tout destin me serait sans vous insupportable.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''HENRIETTE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>L’amour dans son transport parle toujours ainsi.</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >1750&nbsp; &nbsp; </TD><TD>Des retours[[Les Femmes savantes - Notes#note100|*]] importuns évitons le souci, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Rien n’use tant l’ardeur de ce nœud qui nous lie, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Que les fâcheux besoins des choses de la vie ; </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Et l’on en vient souvent à s’accuser tous deux, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>De tous les noirs chagrins qui suivent de tels feux.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''ARISTE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >1755&nbsp; &nbsp; </TD><TD>N’est-ce que le motif que nous venons d’entendre, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Qui vous fait résister à l’hymen de Clitandre ? </TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''HENRIETTE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Sans cela, vous verriez tout mon cœur y courir ; </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Et je ne fuis sa main, que pour le trop chérir.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''ARISTE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Laissez-vous donc lier par des chaînes si belles.</TD></TR>
</TABLE><TABLE CELLSPACING=0 CELLPADDING=0 border=0>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >1760&nbsp; &nbsp; </TD><TD>Je ne vous ai porté que de fausses nouvelles ; </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Et c’est un stratagème, un surprenant secours, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Que j’ai voulu tenter pour servir vos amours ; </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Pour détromper ma sœur, et lui faire connaître</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Ce que son philosophe à l’essai[[Les Femmes savantes - Notes#note101|*]] pouvait être.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''CHRYSALE'''</TD></TR>
</TABLE><TABLE CELLSPACING=0 CELLPADDING=0 border=0>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Le Ciel en soit loué.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''PHILAMINTE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >1765&nbsp; &nbsp; </TD><TD></TD><TD>J’en ai la joie au cœur, </TD></TR>
</TABLE><TABLE CELLSPACING=0 CELLPADDING=0 border=0>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Par le chagrin qu’aura ce lâche déserteur.</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Voilà le châtiment de sa basse avarice, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>De voir qu’avec éclat cet hymen s’accomplisse.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''CHRYSALE'''[[Les Femmes savantes - Notes#note102|*]]</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Je le savais bien, moi, que vous l’épouseriez.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''ARMANDE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >1770&nbsp; &nbsp; </TD><TD>Ainsi donc à leurs vœux vous me sacrifiez ? </TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''PHILAMINTE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Ce ne sera point vous que je leur sacrifie, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Et vous avez l’appui de la philosophie, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Pour voir d’un œil content couronner leur ardeur.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''BÉLISE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Qu’il prenne garde au moins que je suis dans son cœur[[Les Femmes savantes - Notes#note103|*]].</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" >1775&nbsp; &nbsp; </TD><TD>Par un prompt désespoir souvent on se marie, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Qu’on s’en repent après tout le temps de sa vie.</TD></TR>
<TR><TD COLSPAN=10><br />'''CHRYSALE'''</TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Allons, Monsieur, suivez l’ordre que j’ai prescrit, </TD></TR>
<TR><TD WIDTH="70" ALIGN="RIGHT" ></TD><TD>Et faites le contrat ainsi que je l’ai dit.</TD></TR>


{{Personnage|Philaminte}} Votre procès perdu !
</TABLE>
{{Personnage|Philaminte}} {{numVers|1695}} Vous vous troublez beaucoup !<br>Mon cœur n’est point du tout ébranlé de ce coup.<br>Faites, faites paraître une âme moins commune<br>À braver comme moi les traits de la fortune.<br>''Le peu de soin que vous avez vous coûte quarante mille écus, et c’est à payer cette somme, avec les dépens, que vous êtes condamnée par arrêt de la cour.''<br>Condamnée ! Ah ce mot est choquant, et n’est fait<br>Que pour les criminels.
{{Personnage|Ariste}} {{numVers|1700}} Il a tort en effet,<br>Et vous vous êtes là justement récriée.<br>Il devait avoir mis que vous êtes priée,<br>Par arrêt de la cour, de payer au plus tôt<br>Quarante mille écus, et les dépens qu’il faut.
{{Personnage|Philaminte}} Voyons l’autre.
{{PersonnageD|Chrysale||lit.}}<br>''Monsieur, l’amitié qui me lie à Monsieur votre frère, me fait prendre intérêt à tout ce qui vous touche. Je sais que vous avez mis votre bien entre les mains d’Argante et de Damon, et je vous donne avis qu’en même jour ils ont fait tous deux banqueroute.''<br>{{numVers|1705}} Ô Ciel ! tout à la fois perdre ainsi tout mon bien !
{{Personnage|Philaminte}} Ah quel honteux transport ! Fi ! tout cela n’est rien.<br>Il n’est pour le vrai sage aucun revers funeste, <br>Et perdant toute chose, à soi-même il se reste.<br>Achevons notre affaire, et quittez votre ennui ;<br>{{numVers|1710}} Son bien nous peut suffire et pour nous, et pour lui.
{{Personnage|Trissotin}} Non, Madame, cessez de presser cette affaire.<br>Je vois qu’à cet hymen tout le monde est contraire,<br>Et mon dessein n’est point de contraindre les gens.
{{Personnage|Philaminte}} Cette réflexion vous vient en peu de temps !<br>{{numVers|1715}} Elle suit de bien près, Monsieur, notre disgrâce.
{{Personnage|Trissotin}} De tant de résistance à la fin je me lasse.<br>J’aime mieux renoncer à tout cet embarras,<br>Et ne veux point d’un cœur qui ne se donne pas.
{{Personnage|Philaminte}} Je vois, je vois de vous, non pas pour votre gloire,<br>{{numVers|1720}} Ce que jusques ici j’ai refusé de croire.
{{Personnage|Trissotin}} Vous pouvez voir de moi tout ce que vous voudrez,<br>Et je regarde peu comment vous le prendrez :<br>Mais je ne suis point homme à souffrir l’infamie<br>Des refus offensants qu’il faut qu’ici j’essuie ;<br>{{numVers|1725}} Je vaux bien que de moi l’on fasse plus de cas,<br>Et je baise les mains à qui ne me veut pas.
{{Personnage|Philaminte}} Qu’il a bien découvert son âme mercenaire !<br>Et que peu philosophe est ce qu’il vient de faire !
{{Personnage|Clitandre}} Je ne me vante point de l’être, mais enfin<br>{{numVers|1730}} Je m’attache, Madame, à tout votre destin ;<br>Et j’ose vous offrir, avecque ma personne,<br>Ce qu’on sait que de bien la fortune me donne.
{{Personnage|Philaminte}} Vous me charmez, Monsieur, par ce trait généreux,<br>Et je veux couronner vos désirs amoureux.<br>{{numVers|1735}} Oui, j’accorde Henriette à l’ardeur empressée…
{{Personnage|Henriette}} Non, ma mère, je change à présent de pensée.<br>Souffrez que je résiste à votre volonté.
{{Personnage|Clitandre}} Quoi, vous vous opposez à ma félicité ?<br>Et lorsqu’à mon amour je vois chacun se rendre…
{{Personnage|Henriette}} {{numVers|1740}} Je sais le peu de bien que vous avez, Clitandre,<br>Et je vous ai toujours souhaité pour époux, <br>Lorsqu’en satisfaisant à mes vœux les plus doux,<br>J’ai vu que mon hymen ajustait vos affaires :<br>Mais lorsque nous avons les destins si contraires,<br>{{numVers|1745}} Je vous chéris assez dans cette extrémité,<br>Pour ne vous charger point de notre adversité.{{Personnage|Clitandre}} Tout destin avec vous me peut être agréable ;<br>Tout destin me serait sans vous insupportable.
{{Personnage|Henriette}} L’amour dans son transport parle toujours ainsi.<br>{{numVers|1750}} Des retours importuns évitons le souci, <br>Rien n’use tant l’ardeur de ce nœud qui nous lie,<br>Que les fâcheux besoins des choses de la vie ;<br>Et l’on en vient souvent à s’accuser tous deux,<br>De tous les noirs chagrins qui suivent de tels feux.
{{Personnage|Ariste}} {{numVers|1755}} N’est-ce que le motif que nous venons d’entendre,<br>Qui vous fait résister à l’hymen de Clitandre ?
{{Personnage|Henriette}} Sans cela, vous verriez tout mon cœur y courir ;<br>Et je ne fuis sa main, que pour le trop chérir.
{{Personnage|Ariste}} Laissez-vous donc lier par des chaînes si belles.<br>{{numVers|1760}} Je ne vous ai porté que de fausses nouvelles ; <br>Et c’est un stratagème, un surprenant secours, <br>Que j’ai voulu tenter pour servir vos amours ; <br>Pour détromper ma sœur, et lui faire connaître<br>Ce que son philosophe à l’essai pouvait être.
{{Personnage|Chrysale}} Le Ciel en soit loué.
{{Personnage|Philaminte}} {{numVers|1765}} J’en ai la joie au cœur,<br>Par le chagrin qu’aura ce lâche déserteur.<br>Voilà le châtiment de sa basse avarice,<br>De voir qu’avec éclat cet hymen s’accomplisse.
{{Personnage|Chrysale}} Je le savais bien, moi, que vous l’épouseriez.
{{Personnage|Armande}} {{numVers|1770}} Ainsi donc à leurs vœux vous me sacrifiez ?
{{Personnage|Philaminte}} Ce ne sera point vous que je leur sacrifie,<br>Et vous avez l’appui de la philosophie,<br>Pour voir d’un œil content couronner leur ardeur.
{{Personnage|Bélise}} Qu’il prenne garde au moins que je suis dans son cœur.<br>{{numVers|1775}} Par un prompt désespoir souvent on se marie,<br>Qu’on s’en repent après tout le temps de sa vie.
{{Personnage|Chrysale}} Allons, Monsieur, suivez l’ordre que j’ai prescrit,<br>Et faites le contrat ainsi que je l’ai dit.


[[en:The Learned Women]]
[[en:The Learned Women]]

Version du 27 juillet 2014 à 21:39


PERSONNAGES

Chrysale, bon Bourgeois.
Philaminte, femme de Chrysale.
Armande, Henriette, filles de Chrysale et de Philaminte.
Ariste, frère de Chrysale.
Bélise, sœur de Chrysale.
Clitandre, amant d’Henriette.
Trissotin, bel esprit.
Vadius, savant.
Martine, servante de cuisine.
L’Épine, laquais de Trissotin.
Julien, valet de Vadius.
le notaire.

La scène est à Paris.

ACTE I


Scène I

Armande, Henriette.

Armande 5 Quoi, le beau nom de fille est un titre, ma sœur,
Dont vous voulez quitter la charmante douceur ?
Et de vous marier vous osez faire fête ?
Ce vulgaire dessein vous peut monter en tête ? Henriette Oui, ma sœur. Armande Ah ce « oui » se peut-il supporter ?
Et sans un mal de cœur saurait-on l’écouter ? Henriette Qu’a donc le mariage en soi qui vous oblige, Ma sœur… Aramande Ah mon Dieu, fi. Henriette Comment ? Armande Ah fi, vous dis-je.
10 Ne concevez-vous point ce que, dès qu’on l’entend,
Un tel mot à l’esprit offre de dégoûtant ?
De quelle étrange image on est par lui blessée ?
Sur quelle sale vue il traîne la pensée ?
N’en frissonnez-vous point ? et pouvez-vous, ma sœur,
Aux suites de ce mot résoudre votre cœur ? Henriette 15 Les suites de ce mot, quand je les envisage,
Me font voir un mari, des enfants, un ménage ;
Et je ne vois rien là, si j’en puis raisonner,
Qui blesse la pensée, et fasse frissonner. Armande De tels attachements, ô Ciel ! sont pour vous plaire ? Henriette
20 Et qu’est-ce qu’à mon âge on a de mieux à faire,
Que d’attacher à soi, par le titre d’époux,
Un homme qui vous aime, et soit aimé de vous ;
Et de cette union de tendresse suivie,
Se faire les douceurs d’une innocente vie ?
25 Ce nœud bien assorti n’a-t-il pas des appas ? Armande Mon Dieu, que votre esprit est d’un étage bas !
Que vous jouez au monde un petit personnage,
De vous claquemurer aux choses du ménage,
Et de n’entrevoir point de plaisirs plus touchants,
30 Qu’un idole d’époux, et des marmots d’enfants !
Laissez aux gens grossiers, aux personnes vulgaires,
Les bas amusements de ces sortes d’affaires.
À de plus hauts objets élevez vos désirs,
Songez à prendre un goût des plus nobles plaisirs,
35 Et traitant de mépris les sens et la matière,
À l’esprit comme nous donnez-vous toute entière :
Vous avez notre mère en exemple à vos yeux,
Que du nom de savante on honore en tous lieux,
Tâchez ainsi que moi de vous montrer sa fille,
40 Aspirez aux clartés qui sont dans la famille,
Et vous rendez sensible aux charmantes douceurs
Que l’amour de l’étude épanche dans les cœurs :
Loin d’être aux lois d’un homme en esclave asservie ;
Mariez-vous, ma sœur, à la philosophie,
45 Qui nous monte au-dessus de tout le genre humain,
Et donne à la raison l’empire souverain,
Soumettant à ses lois la partie animale
Dont l’appétit grossier aux bêtes nous ravale.
Ce sont là les beaux feux, les doux attachements,
50 Qui doivent de la vie occuper les moments ;
Et les soins où je vois tant de femmes sensibles,
Me paraissent aux yeux des pauvretés horribles. Henriette Le Ciel, dont nous voyons que l’ordre est tout-puissant,
Pour différents emplois nous fabrique en naissant ;
Et tout esprit n’est pas composé d’une étoffe
55 Qui se trouve taillée à faire un philosophe.
Si le vôtre est né propre aux élévations
Où montent des savants les spéculations,
Le mien est fait, ma sœur, pour aller terre à terre,
60 Et dans les petits soins son faible se resserre.
Ne troublons point du Ciel les justes règlements,
Et de nos deux instincts suivons les mouvements ;
Habitez par l’essor d’un grand et beau génie,
Les hautes régions de la philosophie,
65 Tandis que mon esprit se tenant ici-bas,
Goûtera de l’hymen les terrestres appas.
Ainsi dans nos desseins l’une à l’autre contraire,
Nous saurons toutes deux imiter notre mère ;
Vous, du côté de l’âme et des nobles désirs,
70 Moi, du côté des sens et des grossiers plaisirs ;
Vous, aux productions d’esprit et de lumière,
Moi, dans celles, ma sœur, qui sont de la matière. Armande Quand sur une personne on prétend se régler,
C’est par les beaux côtés qu’il lui faut ressembler ;
75 Et ce n’est point du tout la prendre pour modèle,
Ma sœur, que de tousser et de cracher comme elle. Henriette Mais vous ne seriez pas ce dont vous vous vantez,
Si ma mère n’eût eu que de ces beaux côtés ;
Et bien vous prend, ma sœur, que son noble génie
80 N’ait pas vaqué toujours à la philosophie.
De grâce souffrez-moi par un peu de bonté
Des bassesses à qui vous devez la clarté ;
Et ne supprimez point, voulant qu’on vous seconde,
Quelque petit savant qui veut venir au monde. Armande 85 Je vois que votre esprit ne peut être guéri
Du fol entêtement de vous faire un mari :
Mais sachons, s’il vous plaît, qui vous songez à prendre ?
Votre visée au moins n’est pas mise à Clitandre. Henriette Et par quelle raison n’y serait-elle pas ?
90 Manque-t-il de mérite ? est-ce un choix qui soit bas ? Armande Non, mais c’est un dessein qui serait malhonnête,
Que de vouloir d’un autre enlever la conquête ;
Et ce n’est pas un fait dans le monde ignoré,
Que Clitandre ait pour moi hautement soupiré. Henriette 95 Oui, mais tous ces soupirs chez vous sont choses vaines,
Et vous ne tombez point aux bassesses humaines ;
Votre esprit à l’hymen renonce pour toujours,
Et la philosophie a toutes vos amours :
Ainsi n’ayant au cœur nul dessein pour Clitandre,
100 Que vous importe-t-il qu’on y puisse prétendre ? Armande Cet empire que tient la raison sur les sens,
Ne fait pas renoncer aux douceurs des encens ;
Et l’on peut pour époux refuser un mérite
Que pour adorateur on veut bien à sa suite. Henriette 105 Je n’ai pas empêché qu’à vos perfections
Il n’ait continué ses adorations ;
Et je n’ai fait que prendre, au refus de votre âme,
Ce qu’est venu m’offrir l’hommage de sa flamme. Armande Mais à l’offre des vœux d’un amant dépité,
110 Trouvez-vous, je vous prie, entière sûreté ?
Croyez-vous pour vos yeux sa passion bien forte,
Et qu’en son cœur pour moi toute flamme soit morte ? Henriette Il me le dit, ma sœur, et pour moi je le croi. Armande Ne soyez pas, ma sœur, d’une si bonne foi,
115 Et croyez, quand il dit qu’il me quitte et vous aime,
Qu’il n’y songe pas bien, et se trompe lui-même. Henriette Je ne sais ; mais enfin, si c’est votre plaisir,
Il nous est bien aisé de nous en éclaircir.
Je l’aperçois qui vient, et sur cette matière
120 Il pourra nous donner une pleine lumière.


Scène II

Clitandre, Armande, Henriette.

Henriette Pour me tirer d’un doute où me jette ma sœur,
Entre elle et moi, Clitandre, expliquez votre cœur,
Découvrez-en le fond, et nous daignez apprendre
Qui de nous à vos vœux est en droit de prétendre. Armande 125 Non, non, je ne veux point à votre passion
Imposer la rigueur d’une explication ;
Je ménage les gens, et sais comme embarrasse
Le contraignant effort de ces aveux en face. Clitandre Non, Madame, mon cœur qui dissimule peu,
130 Ne sent nulle contrainte à faire un libre aveu ;
Dans aucun embarras un tel pas ne me jette,
Et j’avouerai tout haut d’une âme franche et nette,
Que les tendres liens où je suis arrêté,
Mon amour et mes vœux, sont tout de ce côté.
135 Qu’à nulle émotion cet aveu ne vous porte ;
Vous avez bien voulu les choses de la sorte,
Vos attraits m’avaient pris, et mes tendres soupirs
Vous ont assez prouvé l’ardeur de mes désirs :
Mon cœur vous consacrait une flamme immortelle,
140 Mais vos yeux n’ont pas cru leur conquête assez belle ;
J’ai souffert sous leur joug cent mépris différents,
Ils régnaient sur mon âme en superbes tyrans,
Et je me suis cherché, lassé de tant de peines,
Des vainqueurs plus humains, et de moins rudes chaînes :
145 Je les ai rencontrés, Madame, dans ces yeux,
Et leurs traits à jamais me seront précieux ;
D’un regard pitoyable ils ont séché mes larmes,
Et n’ont pas dédaigné le rebut de vos charmes ;
De si rares bontés m’ont si bien su toucher,
150 Qu’il n’est rien qui me puisse à mes fers arracher ;
Et j’ose maintenant vous conjurer, Madame,
De ne vouloir tenter nul effort sur ma flamme,
De ne point essayer à rappeler un cœur
Résolu de mourir dans cette douce ardeur. Armande 155 Eh qui vous dit, Monsieur, que l’on ait cette envie,
Et que de vous enfin si fort on se soucie ?
Je vous trouve plaisant, de vous le figurer ;
Et bien impertinent, de me le déclarer. Henriette Eh doucement, ma sœur. Où donc est la morale
160 Qui sait si bien régir la partie animale,
Et retenir la bride aux efforts du courroux ? Armande Mais vous qui m’en parlez, où la pratiquez-vous,
De répondre à l’amour que l’on vous fait paraître,
Sans le congé de ceux qui vous ont donné l’être ?
165 Sachez que le devoir vous soumet à leurs lois,
Qu’il ne vous est permis d’aimer que par leur choix,
Qu’ils ont sur votre cœur l’autorité suprême,
Et qu’il est criminel d’en disposer vous-même. Henriette Je rends grâce aux bontés que vous me faites voir,
170 De m’enseigner si bien les choses du devoir ;
Mon cœur sur vos leçons veut régler sa conduite,
Et pour vous faire voir, ma sœur, que j’en profite,
Clitandre, prenez soin d’appuyer votre amour
De l’agrément de ceux dont j’ai reçu le jour,
175 Faites-vous sur mes vœux un pouvoir légitime,
Et me donnez moyen de vous aimer sans crime. Clitandre J’y vais de tous mes soins travailler hautement,
Et j’attendais de vous ce doux consentement. Armande Vous triomphez, ma sœur, et faites une mine
180 À vous imaginer que cela me chagrine. Henriette Moi, ma sœur, point du tout ; je sais que sur vos sens
Les droits de la raison sont toujours tout-puissants,
Et que par les leçons qu’on prend dans la sagesse,
Vous êtes au-dessus d’une telle faiblesse.
185 Loin de vous soupçonner d’aucun chagrin, je croi
Qu’ici vous daignerez vous employer pour moi,
Appuyer sa demande, et de votre suffrage
Presser l’heureux moment de notre mariage.
Je vous en sollicite, et pour y travailler… Armande 190 Votre petit esprit se mêle de railler,
Et d’un cœur qu’on vous jette on vous voit toute fière. Henriette Tout jeté qu’est ce cœur, il ne vous déplaît guère ;
Et si vos yeux sur moi le pouvaient ramasser,
Ils prendraient aisément le soin de se baisser. Armande 195 À répondre à cela je ne daigne descendre,
Et ce sont sots discours qu’il ne faut pas entendre. Henriette C’est fort bien fait à vous, et vous nous faites voir
Des modérations qu’on ne peut concevoir.


Scène III

Clitandre, Henriette.

Henriette Votre sincère aveu ne l’a pas peu surprise. Clitandre 200 Elle mérite assez une telle franchise,
Et toutes les hauteurs de sa folle fierté
Sont dignes tout au moins de ma sincérité :
Mais puisqu’il m’est permis, je vais à votre père, Madame… Henriette Le plus sûr est de gagner ma mère :
Mon père est d’une humeur à consentir à tout,
Mais il met peu de poids aux choses qu’il résout ;
Il a reçu du Ciel certaine bonté d’âme,
Qui le soumet d’abord à ce que veut sa femme ;
C’est elle qui gouverne, et d’un ton absolu
210 Elle dicte pour loi ce qu’elle a résolu.
Je voudrais bien vous voir pour elle, et pour ma tante,
Une âme, je l’avoue, un peu plus complaisante,
Un esprit qui flattant les visions du leur,
Vous pût de leur estime attirer la chaleur. Clitandre 215 Mon cœur n’a jamais pu, tant il est né sincère,
Même dans votre sœur flatter leur caractère,
Et les femmes docteurs ne sont point de mon goût.
Je consens qu’une femme ait des clartés de tout,
Mais je ne lui veux point la passion choquante
220 De se rendre savante afin d’être savante ;
Et j’aime que souvent aux questions qu’on fait,
Elle sache ignorer les choses qu’elle sait ;
De son étude enfin je veux qu’elle se cache,
Et qu’elle ait du savoir sans vouloir qu’on le sache,
225 Sans citer les auteurs, sans dire de grands mots,
Et clouer de l’esprit à ses moindres propos.
Je respecte beaucoup Madame votre mère,
Mais je ne puis du tout approuver sa chimère,
Et me rendre l’écho des choses qu’elle dit
230 Aux encens qu’elle donne à son héros d’esprit.
Son Monsieur Trissotin me chagrine, m’assomme,
Et j’enrage de voir qu’elle estime un tel homme,
Qu’elle nous mette au rang des grands et beaux esprits
Un benêt dont partout on siffle les écrits,
235 Un pédant dont on voit la plume libérale
D’officieux papiers fournir toute la halle. Henriette Ses écrits, ses discours, tout m’en semble ennuyeux,
Et je me trouve assez votre goût et vos yeux
Mais comme sur ma mère il a grande puissance,
240 Vous devez vous forcer à quelque complaisance.
Un amant fait sa cour où s’attache son cœur,
Il veut de tout le monde y gagner la faveur ;
Et pour n’avoir personne à sa flamme contraire,
Jusqu’au chien du logis il s’efforce de plaire. Clitandre 245
Oui, vous avez raison ; mais Monsieur Trissotin
M’inspire au fond de l’âme un dominant chagrin.
Je ne puis consentir, pour gagner ses suffrages,
À me déshonorer, en prisant ses ouvrages ;
C’est par eux qu’à mes yeux il a d’abord paru,
250 Et je le connaissais avant que l’avoir vu.
Je vis dans le fatras des écrits qu’il nous donne
Ce qu’étale en tous lieux sa pédante personne,
La constante hauteur de sa présomption ;
Cette intrépidité de bonne opinion ;
255 Cet indolent état de confiance extrême,
Qui le rend en tout temps si content de soi-même,
Qui fait qu’à son mérite incessamment il rit ;
Qu’il se sait si bon gré de tout ce qu’il écrit ;
Et qu’il ne voudrait pas changer sa renommée
260 Contre tous les honneurs d’un général d’armée. Henriette C’est avoir de bons yeux que de voir tout cela. Clitandre Jusques à sa figure encor la chose alla,
Et je vis par les vers qu’à la tête il nous jette,
De quel air il fallait que fût fait le poète ;
265 Et j’en avais si bien deviné tous les traits,
Que rencontrant un homme un jour dans le Palais,
Je gageai que c’était Trissotin en personne,
Et je vis qu’en effet la gageure était bonne. Henriette Quel conte ! Clitandre Non, je dis la chose comme elle est :
270 Mais je vois votre tante. Agréez, s’il vous plaît,
Que mon cœur lui déclare ici notre mystère,
Et gagne sa faveur auprès de votre mère.


Scène IV

Clitandre, Bélise.

Clitandre Souffrez, pour vous parler, Madame, qu’un amant
Prenne l’occasion de cet heureux moment,
275 Et se découvre à vous de la sincère flamme… Bélise Ah tout beau, gardez-vous de m’ouvrir trop votre âme :
Si je vous ai su mettre au rang de mes amants,
Contentez-vous des yeux pour vos seuls truchements,
Et ne m’expliquez point par un autre langage
280 Des désirs qui chez moi passent pour un outrage ;
Aimez-moi, soupirez, brûlez pour mes appas,
Mais qu’il me soit permis de ne le savoir pas :
Je puis fermer les yeux sur vos flammes secrètes,
Tant que vous vous tiendrez aux muets interprètes ;
285 Mais si la bouche vient à s’en vouloir mêler,
Pour jamais de ma vue il vous faut exiler. Clitandre Des projets de mon cœur ne prenez point d’alarme ;
Henriette, Madame, est l’objet qui me charme,
Et je viens ardemment conjurer vos bontés
290 De seconder l’amour que j’ai pour ses beautés. Bélise Ah certes le détour est d’esprit, je l’avoue,
Ce subtil faux-fuyant mérite qu’on le loue ;
Et dans tous les romans où j’ai jeté les yeux,
Je n’ai rien rencontré de plus ingénieux. Clitandre 295Ceci n’est point du tout un trait d’esprit, Madame,
Et c’est un pur aveu de ce que j’ai dans l’âme.
Les cieux, par les liens d’une immuable ardeur,
Aux beautés d’Henriette ont attaché mon cœur ;
Henriette me tient sous son aimable empire,
300 Et l’hymen d’Henriette est le bien où j’aspire ;
Vous y pouvez beaucoup, et tout ce que je veux,
C’est que vous y daigniez favoriser mes vœux. Bélise Je vois où doucement veut aller la demande,
Et je sais sous ce nom ce qu’il faut que j’entende ;
305 La figure est adroite, et pour n’en point sortir,
Aux choses que mon cœur m’offre à vous repartir,
Je dirai qu’Henriette à l’hymen est rebelle,
Et que sans rien prétendre, il faut brûler pour elle. Clitandre Eh, Madame, à quoi bon un pareil embarras,
310 Et pourquoi voulez-vous penser ce qui n’est pas ? Bélise Mon Dieu, point de façons ; cessez de vous défendre
De ce que vos regards m’ont souvent fait entendre ;
Il suffit que l’on est contente du détour
Dont s’est adroitement avisé votre amour,
315 Et que sous la figure où le respect l’engage,
On veut bien se résoudre à souffrir son hommage,
Pourvu que ses transports par l’honneur éclairés
N’offrent à mes autels que des vœux épurés. Clitandre Mais… Bélise Adieu, pour ce coup ceci doit vous suffire,
320 Et je vous ai plus dit que je ne voulais dire. Clitandre Mais votre erreur… Bélise Laissez, je rougis maintenant,
Et ma pudeur s’est fait un effort surprenant. Clitandre Je veux être pendu, si je vous aime, et sage… Bélise Non, non, je ne veux rien entendre davantage. Clitandre 325 Diantre soit de la folle avec ses visions.
A-t-on rien vu d’égal à ces préventions ?
Allons commettre un autre au soin que l’on me donne,
Et prenons le secours d’une sage personne.

ACTE II


Scène I

Ariste.
Oui, je vous porterai la réponse au plus tôt ;
330 J’appuierai, presserai, ferai tout ce qu’il faut.
Qu’un amant, pour un mot, a de choses à dire !
Et qu’impatiemment il veut ce qu’il désire !
Jamais…


Scène II

Chrysale, Ariste.

Ariste Ah, Dieu vous gard’, mon frère. Chrysale Et vous aussi,
Mon frère. Ariste Savez-vous ce qui m’amène ici ? Chrysale 335 Non ; mais, si vous voulez, je suis prêt à l’apprendre. Ariste Depuis assez longtemps vous connaissez Clitandre ? Chrysale Sans doute, et je le vois qui fréquente chez nous. Ariste En quelle estime est-il, mon frère, auprès de vous ? Chrysale D’homme d’honneur, d’esprit, de cœur, et de conduite,
340 Et je vois peu de gens qui soient de son mérite. Ariste Certain désir qu’il a, conduit ici mes pas,
Et je me réjouis que vous en fassiez cas. Chrysale Je connus feu son père en mon voyage à Rome. Ariste Fort bien. Chrysale C’était, mon frère, un fort bon gentilhomme. Ariste On le dit. Chrysale 345 Nous n’avions alors que vingt-huit ans,
Et nous étions, ma foi, tous deux de verts galants. Ariste Je le crois. Chrysale Nous donnions chez les dames romaines,
Et tout le monde là parlait de nos fredaines ;
Nous faisions des jaloux. Ariste Voilà qui va des mieux :
350 Mais venons au sujet qui m’amène en ces lieux.


Scène III

Bélise, Chrysale, Ariste.

Ariste Clitandre auprès de vous me fait son interprète,
Et son cœur est épris des grâces d’Henriette. Chrysale Quoi, de ma fille ? Ariste Oui, Clitandre en est charmé,
Et je ne vis jamais amant plus enflammé. Bélise 355 Non, non, je vous entends, vous ignorez l’histoire,
Et l’affaire n’est pas ce que vous pouvez croire. Ariste Comment, ma sœur ? Bélise Clitandre abuse vos esprits,
Et c’est d’un autre objet que son cœur est épris. Ariste Vous raillez. Ce n’est pas Henriette qu’il aime ? Bélise Non, j’en suis assurée. Ariste 360 Il me l’a dit lui-même. Bélise Eh oui. Ariste Vous me voyez, ma sœur, chargé par lui
D’en faire la demande à son père aujourd’hui. Bélise Fort bien. Ariste Et son amour même m’a fait instance
De presser les moments d’une telle alliance. Bélise 365 Encor mieux. On ne peut tromper plus galamment.
Henriette, entre nous, est un amusement,
Un voile ingénieux, un prétexte, mon frère,
À couvrir d’autres feux dont je sais le mystère,
Et je veux bien tous deux vous mettre hors d’erreur. Ariste 370 Mais puisque vous savez tant de choses, ma sœur,
Dites-nous, s’il vous plaît, cet autre objet qu’il aime. Bélise Vous le voulez savoir ? Ariste Oui. Quoi ? Bélise Moi. Ariste Vous ? Bélise Moi-même. Ariste Hay, ma sœur ! Bélise Qu’est-ce donc que veut dire ce « hay »,
Et qu’a de surprenant le discours que je fai ?
375On est faite d’un air je pense à pouvoir dire
Qu’on n’a pas pour un cœur soumis à son empire ;
Et Dorante, Damis, Cléonte, et Lycidas,
Peuvent bien faire voir qu’on a quelques appas. Ariste Ces gens vous aiment ? Bélise Oui, de toute leur puissance. Ariste Ils vous l’ont dit ? Bélise 380 Aucun n’a pris cette licence ;
Ils m’ont su révérer si fort jusqu’à ce jour,
Qu’ils ne m’ont jamais dit un mot de leur amour :
Mais pour m’offrir leur cœur, et vouer leur service,
Les muets truchements ont tous fait leur office. Ariste 385 On ne voit presque point céans venir Damis. Bélise C’est pour me faire voir un respect plus soumis. Ariste De mots piquants partout Dorante vous outrage. Bélise Ce sont emportements d’une jalouse rage. Ariste Cléonte et Lycidas ont pris femme tous deux. Bélise 390 C’est par un désespoir où j’ai réduit leurs feux. Ariste Ma foi ! ma chère sœur, vision toute claire. Chrysale De ces chimères-là vous devez vous défaire. Bélise Ah chimères ! Ce sont des chimères, dit-on !
Chimères, moi ! Vraiment chimères est fort bon !
395Je me réjouis fort de chimères, mes frères,
Et je ne savais pas que j’eusse des chimères.


Scène IV

Chrysale, Ariste.

Chrysale Notre sœur est folle, oui. Ariste Cela croît tous les jours.
Mais, encore une fois, reprenons le discours.
Clitandre vous demande Henriette pour femme,
400Voyez quelle réponse on doit faire à sa flamme ? Chrysale Faut-il le demander ? J’y consens de bon cœur,
Et tiens son alliance à singulier honneur. Ariste Vous savez que de bien il n’a pas l’abondance,
Que… Chrysale C’est un intérêt qui n’est pas d’importance ;
405 Il est riche en vertu, cela vaut des trésors,
Et puis son père et moi n’étions qu’un en deux corps. Ariste Parlons à votre femme, et voyons à la rendre
Favorable… Chrysale Il suffit, je l’accepte pour gendre. Ariste Oui ; mais pour appuyer votre consentement,
410 Mon frère, il n’est pas mal d’avoir son agrément,
Allons… Chrysale Vous moquez-vous ? Il n’est pas nécessaire,
Je réponds de ma femme, et prends sur moi l’affaire. Ariste Mais… Chrysale Laissez faire, dis-je, et n’appréhendez pas.
Je la vais disposer aux choses de ce pas. Ariste 415 Soit. Je vais là-dessus sonder votre Henriette,
Et reviendrai savoir… Chrysale C’est une affaire faite.
Et je vais à ma femme en parler sans délai.


Scène V

Martine, Chrysale.

Martine Me voilà bien chanceuse ! Hélas l’an dit bien vrai : Qui veut noyer son chien, l’accuse de la rage,
420 Et service d’autrui n’est pas un héritage. Chrysale Qu’est-ce donc ? Qu’avez-vous, Martine ? Martine Ce que j’ai ? Chrysale Oui ? Martine J’ai que l’an me donne aujourd’hui mon congé,
Monsieur. Chrysale Votre congé ! Martine Oui, Madame me chasse. Chrysale Je n’entends pas cela. Comment ? Martine On me menace,
425 Si je ne sors d’ici, de me bailler cent coups. Chrysale Non, vous demeurerez, je suis content de vous ;
Ma femme bien souvent a la tête un peu chaude,
Et je ne veux pas moi…


Scène VI

Philaminte, Bélise, Chrysale Martine.

Philaminte Quoi, je vous vois, maraude ?
Vite, sortez, friponne ; allons, quittez ces lieux,
430 Et ne vous présentez jamais devant mes yeux. Chrysale Tout doux. Philaminte Non, c’en est fait. Chrysale Eh. Philaminte Je veux qu’elle sorte. Chrysale Mais qu’a-t-elle commis, pour vouloir de la sorte… Philaminte Quoi, vous la soutenez ? Chrysale En aucune façon. Philaminte Prenez-vous son parti contre moi ? Chrysale Mon Dieu non ;
435 Je ne fais seulement que demander son crime. Philaminte Suis-je pour la chasser sans cause légitime ? Chrysale Je ne dis pas cela, mais il faut de nos gens… Philaminte Non, elle sortira, vous dis-je, de céans. Chrysale Hé bien oui. Vous dit-on quelque chose là contre ? Philaminte 440 Je ne veux point d’obstacle aux désirs que je montre. Chrysale D’accord. Philaminte Et vous devez en raisonnable époux,
Être pour moi contre elle et prendre mon courroux. Chrysale Aussi fais-je. Oui, ma femme avec raison vous chasse,
Coquine, et votre crime est indigne de grâce. Martine Qu’est-ce donc que j’ai fait ? Chrysale 445 Ma foi ! Je ne sais pas. Philaminte Elle est d’humeur encore à n’en faire aucun cas. Chrysale A-t-elle, pour donner matière à votre haine,
Cassé quelque miroir, ou quelque porcelaine ? Philaminte Voudrais-je la chasser, et vous figurez-vous
450 Que pour si peu de chose on se mette en courroux ? Chrysale Qu’est-ce à dire ? L’affaire est donc considérable ? Philaminte Sans doute. Me voit-on femme déraisonnable ? Chrysale Est-ce qu’elle a laissé, d’un esprit négligent,
Dérober quelque aiguière, ou quelque plat d’argent ? Philaminte Cela ne serait rien. Chrysale 455 Oh, oh ! peste, la belle !
Quoi ? l’avez-vous surprise à n’être pas fidèle ? Philaminte C’est pis que tout cela. Chrysale Pis que tout cela ? Philaminte Pis. Chrysale Comment diantre, friponne ! Euh ? a-t-elle commis… Philaminte Elle a, d’une insolence à nulle autre pareille,
460 Après trente leçons, insulté mon oreille,
Par l’impropriété d’un mot sauvage et bas,
Qu’en termes décisifs condamne Vaugelas. Chrysale Est-ce là… Philaminte Quoi, toujours malgré nos remontrances,
Heurter le fondement de toutes les sciences ;
465 La grammaire qui sait régenter jusqu’aux rois,
Et les fait la main haute obéir à ses lois ? Chrysale Du plus grand des forfaits je la croyais coupable. Philaminte Quoi, vous ne trouvez pas ce crime impardonnable ? Chrysale Si fait. Philaminte Je voudrais bien que vous l’excusassiez. Chrysale Je n’ai garde. Bélise 470 Il est vrai que ce sont des pitiés,
Toute construction est par elle détruite,
Et des lois du langage on l’a cent fois instruite. Martine Tout ce que vous prêchez est je crois bel et bon ;
Mais je ne saurais, moi, parler votre jargon. Philaminte 475 L’impudente ! appeler un jargon le langage
Fondé sur la raison et sur le bel usage ! Martine Quand on se fait entendre, on parle toujours bien,
Et tous vos biaux dictons ne servent pas de rien. Philaminte Hé bien, ne voilà pas encore de son style,
Ne servent-pas de rien ! Bélise 480Ô cervelle indocile !
Faut-il qu’avec les soins qu’on prend incessamment,
On ne te puisse apprendre à parler congrûment ?
De pas, mis avec rien, tu fais la récidive,
Et c’est, comme on t’a dit, trop d’une négative. Martine 485 Mon Dieu, je n’avons pas étugué comme vous,
Et je parlons tout droit comme on parle cheux nous. Philaminte Ah peut-on y tenir ! Bélise Quel solécisme horrible ! Philaminte En voilà pour tuer une oreille sensible. Bélise Ton esprit, je l’avoue, est bien matériel.
490 Je, n’est qu’un singulier ; avons, est pluriel.
Veux-tu toute ta vie offenser la grammaire ? Martine Qui parle d’offenser grand’mère ni grand-père ? Philaminte Ô Ciel ! Bélise Grammaire est prise à contre-sens par toi,
Et je t’ai dit déjà d’où vient ce mot. Martine Ma foi,
495 Qu’il vienne de Chaillot, d’Auteuil, ou de Pontoise,
Cela ne me fait rien. Bélise Quelle âme villageoise !
La grammaire, du verbe et du nominatif,
Comme de l’adjectif avec le substantif,
Nous enseigne les lois. Martine J’ai, Madame, à vous dire
Que je ne connais point ces gens-là. Philaminte 500 Quel martyre ! Bélise Ce sont les noms des mots, et l’on doit regarder
En quoi c’est qu’il les faut faire ensemble accorder. Martine Qu’ils s’accordent entr’eux, ou se gourment, qu’importe ?

Philaminte, à sa sœur. Eh, mon Dieu, finissez un discours de la sorte.
À son mari.

505 Vous ne voulez pas, vous, me la faire sortir ?

Chrysale Si fait. À son caprice il me faut consentir.
Va, ne l’irrite point ; retire-toi, Martine. Philaminte Comment ? vous avez peur d’offenser la coquine ?
Vous lui parlez d’un ton tout à fait obligeant ? Chrysale, bas. 510 Moi ? Point. Allons, sortez. Va-t’en, ma pauvre enfant.


Scène VII

Philaminte, Chrysale, Bélise.

Chrysale Vous êtes satisfaite, et la voilà partie.
Mais je n’approuve point une telle sortie ;
C’est une fille propre aux choses qu’elle fait,
Et vous me la chassez pour un maigre sujet. Philaminte 515 Vous voulez que toujours je l’aie à mon service,
Pour mettre incessamment mon oreille au supplice ?
Pour rompre toute loi d’usage et de raison,
Par un barbare amas de vices d’oraison,
De mots estropiés, cousus par intervalles,
520 De proverbes traînés dans les ruisseaux des Halles ? Bélise Il est vrai que l’on sue à souffrir ses discours.
Elle y met Vaugelas en pièces tous les jours ;
Et les moindres défauts de ce grossier génie,
Sont ou le pléonasme, ou la cacophonie. Chrysale 525 Qu’importe qu’elle manque aux lois de Vaugelas,
Pourvu qu’à la cuisine elle ne manque pas ?
J’aime bien mieux, pour moi, qu’en épluchant ses herbes,
Elle accommode mal les noms avec les verbes,
Et redise cent fois un bas ou méchant mot,
530 Que de brûler ma viande, ou saler trop mon pot.
Je vis de bonne soupe, et non de beau langage.
Vaugelas n’apprend point à bien faire un potage,
Et Malherbe et Balzac, si savants en beaux mots,
En cuisine peut-être auraient été des sots. Philaminte 535 Que ce discours grossier terriblement assomme !
Et quelle indignité pour ce qui s’appelle homme,
D’être baissé sans cesse aux soins matériels,
Au lieu de se hausser vers les spirituels !
Le corps, cette guenille, est-il d’une importance,
540 D’un prix à mériter seulement qu’on y pense,
Et ne devons-nous pas laisser cela bien loin ? Chrysale Oui, mon corps est moi-même, et j’en veux prendre soin,
Guenille si l’on veut, ma guenille m’est chère. Bélise Le corps avec l’esprit, fait figure, mon frère ;
545 Mais si vous en croyez tout le monde savant,
L’esprit doit sur le corps prendre le pas devant ;
Et notre plus grand soin, notre première instance,
Doit être à le nourrir du suc de la science. Chrysale Ma foi si vous songez à nourrir votre esprit,
550 C’est de viande bien creuse, à ce que chacun dit,
Et vous n’avez nul soin, nulle sollicitude
Pour… Philaminte Ah sollicitude à mon oreille est rude,
Il put * étrangement son ancienneté. Bélise Il est vrai que le mot est bien collet monté. Chrysale 555 Voulez-vous que je dise ? Il faut qu’enfin j’éclate,
Que je lève le masque, et décharge ma rate.
De folles on vous traite, et j’ai fort sur le cœur… Philaminte Comment donc ?

Chrysale C’est à vous que je parle, ma sœur.
Le moindre solécisme en parlant vous irrite :
560 Mais vous en faites, vous, d’étranges en conduite.
Vos livres éternels ne me contentent pas,
Et hors un gros Plutarque à mettre mes rabats,
Vous devriez brûler tout ce meuble inutile,
Et laisser la science aux docteurs de la ville ;
565 M’ôter, pour faire bien, du grenier de céans,
Cette longue lunette à faire peur aux gens,
Et cent brimborions dont l’aspect importune :
Ne point aller chercher ce qu’on fait dans la lune,
Et vous mêler un peu de ce qu’on fait chez vous,
570 Où nous voyons aller tout sens dessus dessous.
Il n’est pas bien honnête, et pour beaucoup de causes,
Qu’une femme étudie, et sache tant de choses.
Former aux bonnes mœurs l’esprit de ses enfants,
Faire aller son ménage, avoir l’œil sur ses gens,
575 Et régler la dépense avec économie,
Doit être son étude et sa philosophie.
Nos pères sur ce point étaient gens bien sensés,
Qui disaient qu’une femme en sait toujours assez,
Quand la capacité de son esprit se hausse
580 À connaître un pourpoint d’avec un haut de chausse.
Les leurs ne lisaient point, mais elles vivaient bien ;
Leurs ménages étaient tout leur docte entretien,
Et leurs livres un dé, du fil, et des aiguilles,
Dont elles travaillaient au trousseau de leurs filles.
585 Les femmes d’à présent sont bien loin de ces mœurs,
Elles veulent écrire, et devenir auteurs.
Nulle science n’est pour elles trop profonde,
Et céans beaucoup plus qu’en aucun lieu du monde.
Les secrets les plus hauts s’y laissent concevoir,
590 Et l’on sait tout chez moi, hors ce qu’il faut savoir.
On y sait comme vont lune, étoile polaire,
Vénus, Saturne, et Mars, dont je n’ai point affaire ;
Et dans ce vain savoir, qu’on va chercher si loin,
On ne sait comme va mon pot dont j’ai besoin.
595 Mes gens à la science aspirent pour vous plaire,
Et tous ne font rien moins que ce qu’ils ont à faire ;
Raisonner est l’emploi de toute ma maison,
Et le raisonnement en bannit la raison ;
L’un me brûle mon rôt en lisant quelque histoire,
600 L’autre rêve à des vers quand je demande à boire ;
Enfin je vois par eux votre exemple suivi,
Et j’ai des serviteurs, et ne suis point servi.
Une pauvre servante au moins m’était restée,
Qui de ce mauvais air n’était point infectée,
605 Et voilà qu’on la chasse avec un grand fracas,
À cause qu’elle manque à parler Vaugelas.
Je vous le dis, ma sœur, tout ce train-là me blesse,
(Car c’est, comme j’ai dit, à vous que je m’adresse)
 ;
Je n’aime point céans tous vos gens à latin,
610 Et principalement ce Monsieur Trissotin.
C’est lui qui dans des vers vous a tympanisées,
Tous les propos qu’il tient sont des billevesées,
On cherche ce qu’il dit après qu’il a parlé,
Et je lui crois, pour moi, le timbre un peu fêlé.

Philaminte 615 Quelle bassesse, ô Ciel, et d’âme, et de langage ! Bélise Est-il de petits corps un plus lourd assemblage !
Un esprit composé d’atomes plus bourgeois !
Et de ce même sang se peut-il que je sois !
Je me veux mal de mort d’être de votre race,
620 Et de confusion j’abandonne la place.


Scène VII

Philaminte, Bélise, Chrysale.

Philaminte Avez-vous à lâcher encore quelque trait ? Chrysale Moi ? Non. Ne parlons plus de querelle, c’est fait ;
Discourons d’autre affaire. À votre fille aînée
On voit quelque dégoût pour les nœuds d’hyménée ; 625 C’est une philosophe enfin, je n’en dis rien,
Elle est bien gouvernée, et vous faites fort bien.
Mais de toute autre humeur se trouve sa cadette,
Et je crois qu’il est bon de pourvoir Henriette,
De choisir un mari… Philaminte C’est à quoi j’ai songé,
630 Et je veux vous ouvrir l’intention que j’ai.
Ce Monsieur Trissotin dont on nous fait un crime,
Et qui n’a pas l’honneur d’être dans votre estime,
Est celui que je prends pour l’époux qu’il lui faut,
Et je sais mieux que vous juger de ce qu’il vaut ;
{numVers|635}} La contestation est ici superflue,
Et de tout point chez moi l’affaire est résolue.
Au moins ne dites mot du choix de cet époux,
Je veux à votre fille en parler avant vous.
J’ai des raisons à faire approuver ma conduite,
640 Et je connaîtrai bien si vous l’aurez instruite.


Scène IX

Ariste, Chrysale.

Ariste Hé bien ? la femme sort, mon frère, et je vois bien
Que vous venez d’avoir ensemble un entretien. Chrysale Oui. Ariste Quel est le succès ? Aurons-nous Henriette ?
A-t-elle consenti ? l’affaire est-elle faite ? Chrysale Pas tout à fait encor. Ariste Refuse-t-elle ? Chrysale 645 Non. Ariste Est-ce qu’elle balance ? Chrysale En aucune façon. Ariste Quoi donc ? Chrysale C’est que pour gendre elle m’offre un autre homme. Ariste Un autre homme pour gendre ! Chrysale Un autre. Ariste Qui se nomme ? Chrysale Monsieur Trissotin. Ariste Quoi ? ce Monsieur Trissotin… Chrysale 650 Oui, qui parle toujours de vers et de latin. Ariste Vous l’avez accepté ? Chrysale Moi, point, à Dieu ne plaise. Ariste Qu’avez-vous répondu ? Chrysale Rien ; et je suis bien aise
De n’avoir point parlé, pour ne m’engager pas ! Ariste La raison est fort belle, et c’est faire un grand pas.
55 Avez-vous su du moins lui proposer Clitandre ? Chrysale Non : car comme j’ai vu qu’on parlait d’autre gendre,
J’ai cru qu’il était mieux de ne m’avancer point. Ariste Certes votre prudence est rare au dernier point !
N’avez-vous point de honte avec votre mollesse ?
660 Et se peut-il qu’un homme ait assez de faiblesse
Pour laisser à sa femme un pouvoir absolu,
Et n’oser attaquer ce qu’elle a résolu ? Ariste Mon Dieu, vous en parlez, mon frère, bien à l’aise,
Et vous ne savez pas comme le bruit me pèse.
665 J’aime fort le repos, la paix, et la douceur,
Et ma femme est terrible avecque son humeur.
Du nom de philosophe elle fait grand mystère,
Mais elle n’en est pas pour cela moins colère ;
Et sa morale faite à mépriser le bien,
670 Sur l’aigreur de sa bile opère comme rien.
Pour peu que l’on s’oppose à ce que veut sa tête,
On en a pour huit jours d’effroyable tempête.
Elle me fait trembler dès qu’elle prend son ton.
Je ne sais où me mettre, et c’est un vrai dragon ;
675 Et cependant avec toute sa diablerie,
Il faut que je l’appelle, et « mon cœur », et « ma mie ». Ariste Allez, c’est se moquer. Votre femme, entre nous,
Est par vos lâchetés souveraine sur vous.
Son pouvoir n’est fondé que sur votre faiblesse.
680 C’est de vous qu’elle prend le titre de maîtresse.
Vous-même à ses hauteurs vous vous abandonnez,
Et vous faites mener en bête par le nez.
Quoi, vous ne pouvez pas, voyant comme on vous nomme,
Vous résoudre une fois à vouloir être un homme ?
685À faire condescendre une femme à vos vœux,
Et prendre assez de cœur pour dire un : « Je le veux » ?
Vous laisserez sans honte immoler votre fille
Aux folles visions qui tiennent la famille,
Et de tout votre bien revêtir un nigaud,
690 Pour six mots de latin qu’il leur fait sonner haut ?
Un pédant qu’à tous coups votre femme apostrophe
Du nom de bel esprit, et de grand philosophe,
D’homme qu’en vers galants jamais on n’égala,
Et qui n’est, comme on sait, rien moins que tout cela ?
695 Allez, encore un coup, c’est une moquerie,
Et votre lâcheté mérite qu’on en rie. Chrysale Oui, vous avez raison, et je vois que j’ai tort.
Allons, il faut enfin montrer un cœur plus fort,
Mon frère. Ariste C’est bien dit. Chrysale C’est une chose infâme,
700 Que d’être si soumis au pouvoir d’une femme. Ariste Fort bien. Chrysale De ma douceur elle a trop profité. Ariste Il est vrai. Chrysale Trop joui de ma facilité. Ariste Sans doute. Chrysale Et je lui veux faire aujourd’hui connaître
Que ma fille est ma fille, et que j’en suis le maître,
705 Pour lui prendre un mari qui soit selon mes vœux. Ariste Vous voilà raisonnable, et comme je vous veux. Chrysale Vous êtes pour Clitandre, et savez sa demeure ;
Faites-le-moi venir, mon frère, tout à l’heure Ariste J’y cours tout de ce pas. Chrysale C’est souffrir trop longtemps,
Et je m’en vais être homme à la barbe des gens.

ACTE III


Scène I

Philaminte, Armande, Bélise, Trissotin, L’Épine. Philaminte Ah mettons-nous ici pour écouter à l’aise
Ces vers que mot à mot il est besoin qu’on pèse. Armande Je brûle de les voir. Bélise Et l’on s’en meurt chez nous. Philaminte Ce sont charmes pour moi, que ce qui part de vous. Armande 715 Ce m’est une douceur à nulle autre pareille. Bélise Ce sont repas friands qu’on donne à mon oreille. Philaminte Ne faites point languir de si pressants désirs. Armande Dépêchez. Bélise Faites tôt, et hâtez nos plaisirs. Philaminte À notre impatience offrez votre épigramme. Trissotin 720 Hélas, c’est un enfant tout nouveau né, Madame.
Son sort assurément a lieu de vous toucher,
Et c’est dans votre cour que j’en viens d’accoucher. Philaminte Pour me le rendre cher, il suffit de son père. Trissotin Votre approbation lui peut servir de mère. Bélise Qu’il a d’esprit !


Scène II

Henriette, Philaminte, Armande, Bélise, Trissotin, L’Épine.

Philaminte 725 Holà, pourquoi donc fuyez-vous ? Henriette C’est de peur de troubler un entretien si doux. Philaminte Approchez, et venez de toutes vos oreilles
Prendre part au plaisir d’entendre des merveilles. Henriette Je sais peu les beautés de tout ce qu’on écrit,
730 Et ce n’est pas mon fait que les choses d’esprit. Philaminte Il n’importe ; aussi bien ai-je à vous dire ensuite
Un secret dont il faut que vous soyez instruite. Trissotin Les sciences n’ont rien qui vous puisse enflammer,
Et vous ne vous piquez que de savoir charmer. Henriette 735 Aussi peu l’un que l’autre, et je n’ai nulle envie… Bélise Ah songeons à l’enfant nouveau né, je vous prie. Philaminte Allons, petit garçon, vite, de quoi s’asseoir.

Le laquais tombe avec la chaise.
Voyez l’impertinent ! Est-ce que l’on doit choir,
Après avoir appris l’équilibre des choses ?

Bélise 740 De ta chute, ignorant, ne vois-tu pas les causes,
Et qu’elle vient d’avoir du point fixe écarté,
Ce que nous appelons centre de gravité ? L’Épine Je m’en suis aperçu, Madame, étant par terre. Philaminte Le lourdaud ! Trissotin Bien lui prend de n’être pas de verre. Armande Ah de l’esprit partout ! Bélise 745 Cela ne tarit pas. Philaminte Servez-nous promptement votre aimable repas. Trissotin Pour cette grande faim qu’à mes yeux on expose,
Un plat seul de huit vers me semble peu de chose,
Et je pense qu’ici je ne ferai pas mal,
750 De joindre à l’épigramme, ou bien au madrigal,
Le ragoût d’un sonnet, qui chez une princesse
A passé pour avoir quelque délicatesse.
Il est de sel attique assaisonné partout,
Et vous le trouverez, je crois, d’assez bon goût. Armande Ah Je n’en doute point. Philaminte 755 Donnons vite audience.

Bélise
À chaque fois qu’il veut lire, elle l’interrompt.
Je sens d’aise mon cœur tressaillir par avance.


J’aime la poésie avec entêtement.
Et surtout quand les vers sont tournés galamment. Philaminte Si nous parlons toujours, il ne pourra rien dire. Trissotin SO… Bélise 760 Silence, ma nièce. Trissotin

SONNET,
À LA PRINCESSE URANIE
sur sa fièvre.
Votre prudence est endormie,
De traiter magnifiquement,
Et de loger superbement
Votre plus cruelle ennemie.

Bélise Ah le joli début ! Philaminte 765 Qu’il a le tour galant ! Philaminte Lui seul des vers aisés possède le talent ! Armande À « prudence endormie » il faut rendre les armes. Bélise « Loger son ennemie » est pour moi plein de charmes. Philaminte J’aime « superbement » et « magnifiquement » ;
770 Ces deux adverbes joints font « admirablement ». Bélise Prêtons l’oreille au reste. Trissotin

Votre prudence est endormie,
De traiter magnifiquement,
Et de loger superbement
Votre plus cruelle ennemie.

Armande Prudence endormie ! Bélise Loger son ennemie ! Philaminte Superbement, et magnifiquement ! Trissotin

Faites-la sortir, quoi qu’on die,
De votre riche appartement,
Où cette ingrate insolemment
775 Attaque votre belle vie.

Bélise Ah tout doux, laissez-moi, de grâce, respirer. Armande Donnez-nous, s’il vous plaît, le loisir d’admirer.

Philaminte On se sent à ces vers, jusques au fond de l’âme,
Couler je ne sais quoi qui fait que l’on se pâme. Armande

Faites-la sortir, quoi qu’on die,
De votre riche appartement.

780 Que « riche appartement » est là joliment dit !
Et que la métaphore est mise avec esprit ! Philaminte « Faites-la sortir, quoi qu’on die. » Ah ! que ce quoi qu’on die est d’un goût admirable !
C’est, à mon sentiment, un endroit impayable. Armande De « quoi qu’on die » aussi mon cœur est amoureux. Bélise 785 Je suis de votre avis, « quoi qu’on die » est heureux . Armande Je voudrais l’avoir fait. Bélise Il vaut toute une pièce. Philaminte Mais en comprend-on bien comme moi la finesse ? Armande et Bélise Oh, oh. Philaminte « Faites-la sortir, quoi qu’on die. » Que de la fièvre on prenne ici les intérêts,
N’ayez aucun égard, moquez-vous des caquets.
Faites-la sortir, quoi qu’on die.
Quoi qu’on die, quoi qu’on die.
790 Ce « quoi qu’on die » en dit beaucoup plus qu’il ne semble.
Je ne sais pas, pour moi, si chacun me ressemble ;
Mais j’entends là-dessous un million de mots. Bélise Il est vrai qu’il dit plus de choses qu’il n’est gros. Philaminte Mais quand vous avez fait ce charmant « quoi qu’on die »,
795 Avez-vous compris, vous, toute son énergie ?
Songiez-vous bien vous-même à tout ce qu’il nous dit,
Et pensiez-vous alors y mettre tant d’esprit ? Trissotin Hay, hay. Armande J’ai fort aussi l’ingrate dans la tête,
Cette ingrate de fièvre, injuste, malhonnête,
800 Qui traite mal les gens, qui la logent chez eux. Philaminte Enfin les quatrains sont admirables tous deux.
Venons-en promptement aux tiercets, je vous prie. Armande Ah, s’il vous plaît, encore une fois « quoi qu’on die ». Trissotin Faites-la sortir, quoi qu’on die, Philaminte, Armande et Bélise Quoi qu’on die ! Trissotin De votre riche appartement, Philaminte, Armande et Bélise Riche appartement ! Trissotin Où cette ingrate insolemment, Philaminte, Armande et Bélise Cette ingrate de fièvre ? Trissotin Attaque votre belle vie. Philaminte Votre belle vie ! Armande et Bélise Ah ! Trissotin

Quoi, sans respecter votre rang,
805 Elle se prend à votre sang,

Philaminte, Armande et Bélise Ah ! Trissotin

Et nuit et jour vous fait outrage ?
Si vous la conduisez aux bains,
Sans la marchander davantage,
Noyez-la de vos propres mains.

Philaminte On n’en peut plus ? Bélise On pâme. Armande 810 On se meurt de plaisir. Philaminte De mille doux frissons vous vous sentez saisir. Armande Si vous la conduisez aux bains, Bélise Sans la marchander davantage, Philaminte Noyez-la de vos propres mains.
De vos propres mains, là, noyez-la dans les bains. Armande Chaque pas dans vos vers rencontre un trait charmant. Bélise Partout on s’y promène avec ravissement Philaminte 815 On n’y saurait marcher que sur de belles choses. Armande Ce sont petits chemins tout parsemés de roses. Trissotin Le sonnet donc vous semble… Philaminte Admirable, nouveau,
Et personne jamais n’a rien fait de si beau. Bélise Quoi, sans émotion pendant cette lecture ?
820Vous faites là, ma nièce, une étrange figure ! Henriette Chacun fait ici-bas la figure qu’il peut,
Ma tante ; et bel esprit, il ne l’est pas qui veut. Trissotin Peut-être que mes vers importunent Madame. Henriette Point, je n’écoute pas. Philaminte Ah ? voyons l’épigramme. Trissotin

SUR UN CARROSSE
DE COULEUR AMARANTE,
DONNÉ À UNE DAME DE SES AMIES.

Philaminte 825 Ces titres ont toujours quelque chose de rare.

Armande À cent beaux traits d’esprit leur nouveauté prépare. Trissotin

L’amour si chèrement m’a vendu son lien,

Bélise, Armande et Philaminte Ah ! Trissotin

Qu’il m’en coûte déjà la moitié de mon bien.
Et quand tu vois ce beau carrosse
830 Où tant d’or se relève en bosse,
Qu’il étonne tout le pays,
Et fait pompeusement triompher ma Laïs,

Philaminte Ah ma Laïs ! voilà de l’érudition. Bélise L’enveloppe est jolie, et vaut un million.

Trissotin

Et quand tu vois ce beau carrosse,
Où tant d’or se relève en bosse,
Qu’il étonne tout le pays,
Et fait pompeusement triompher ma Laïs,
835Ne dis plus qu’il est amarante :
Dis plutôt qu’il est de ma rente.

Armande Oh, oh, oh ! celui-là ne s’attend point du tout. Philaminte On n’a que lui qui puisse écrire de ce goût. Bélise « Ne dis plus qu’il est amarante :
Dis plutôt qu’il est de ma rente. »
Voilà qui se décline : « ma rente », « de ma rente », « à ma rente » Philaminte Je ne sais du moment que je vous ai connu,
840 Si sur votre sujet j’ai l’esprit prévenu,
Mais j’admire partout vos vers et votre prose. Trissotin Si vous vouliez de vous nous montrer quelque chose,
À notre tour aussi nous pourrions admirer. Philaminte Je n’ai rien fait en vers, mais j’ai lieu d’espérer
845 Que je pourrai bientôt vous montrer en amie,
Huit chapitres du plan de notre Académie.
Platon s’est au projet simplement arrêté,
Quand de sa République il a fait le traité ;
Mais à l’effet entier je veux pousser l’idée
850 Que j’ai sur le papier en prose accommodée,
Car enfin je me sens un étrange dépit
Du tort que l’on nous fait du côté de l’esprit,
Et je veux nous venger toutes tant que nous sommes
De cette indigne classe où nous rangent les hommes ;
855 De borner nos talents à des futilités,
Et nous fermer la porte aux sublimes clartés. Armande C’est faire à notre sexe une trop grande offense,
De n’étendre l’effort de notre intelligence,
Qu’à juger d’une jupe, et de l’air d’un manteau,
860 Ou des beautés d’un point, ou d’un brocart nouveau. Bélise Il faut se relever de ce honteux partage,
Et mettre hautement notre esprit hors de page. Trissotin Pour les dames on sait mon respect en tous lieux,
Et si je rends hommage aux brillants de leurs yeux,
865 De leur esprit aussi j’honore les lumières. Philaminte Le sexe aussi vous rend justice en ces matières ;
Mais nous voulons montrer à de certains esprits,
Dont l’orgueilleux savoir nous traite avec mépris,
Que de science aussi les femmes sont meublées,
870 Qu’on peut faire comme eux de doctes assemblées,
Conduites en cela par des ordres meilleurs,
Qu’on y veut réunir ce qu’on sépare ailleurs ;
Mêler le beau langage, et les hautes sciences ;
Découvrir la nature en mille expériences ;
875 Et sur les questions qu’on pourra proposer
Faire entrer chaque secte, et n’en point épouser. Trissotin Je m’attache pour l’ordre au péripatétisme. Philaminte Pour les abstractions j’aime le platonisme. Armande Épicure me plaît, et ses dogmes sont forts. Bélise 880 Je m’accommode assez pour moi des petits corps ;
Mais le vide à souffrir me semble difficile,
Et je goûte bien mieux la matière subtile. Trissotin Descartes pour l’aimant donne fort dans mon sens. Armande J’aime ses tourbillons. Philaminte Moi ses mondes tombants. Armande 885 Il me tarde de voir notre assemblée ouverte,
Et de nous signaler par quelque découverte. Trissotin On en attend beaucoup de vos vives clartés,
Et pour vous la nature a peu d’obscurités. Philaminte Pour moi, sans me flatter, j’en ai déjà fait une,
890 Et j’ai vu clairement des hommes dans la lune. Bélise Je n’ai point encor vu d’hommes, comme je croi,
Mais j’ai vu des clochers tout comme je vous voi. Armande Nous approfondirons, ainsi que la physique,
Grammaire, histoire, vers, morale, et politique. Philaminte 895 La morale a des traits dont mon cœur est épris,
Et c’était autrefois l’amour des grands esprits ;
Mais aux stoïciens je donne l’avantage,
Et je ne trouve rien de si beau que leur sage. Armande Pour la langue, on verra dans peu nos règlements,
900 Et nous y prétendons faire des remuements.
Par une antipathie ou juste, ou naturelle,
Nous avons pris chacune une haine mortelle
Pour un nombre de mots, soit ou verbes, ou noms,
Que mutuellement nous nous abandonnons ;
905 Contre eux nous préparons de mortelles sentences,
Et nous devons ouvrir nos doctes conférences
Par les proscriptions de tous ces mots divers,
Dont nous voulons purger et la prose et les vers.Philaminte Mais le plus beau projet de notre académie,
910 Une entreprise noble et dont je suis ravie ;
Un dessein plein de gloire, et qui sera vanté
Chez tous les beaux esprits de la postérité,
C’est le retranchement de ces syllabes sales,
Qui dans les plus beaux mots produisent des scandales ;
915 Ces jouets éternels des sots de tous les temps ;
Ces fades lieux communs de nos méchants plaisants ;
Ces sources d’un amas d’équivoques infâmes,
Dont on vient faire insulte à la pudeur des femmes. Trissotin Voilà certainement d’admirables projets ! Bélise 920 Vous verrez nos statuts quand ils seront tous faits. Trissotin Ils ne sauraient manquer d’être tous beaux et sages. Armande Nous serons par nos lois les juges des ouvrages.
Par nos lois, prose et vers, tout nous sera soumis.
Nul n’aura de l’esprit, hors nous et nos amis.
925 Nous chercherons partout à trouver à redire,
Et ne verrons que nous qui sache bien écrire.


Scène III

L’Épine, Trissotin, Philaminte, Bélise, Armande, Henriette, Vadius.

L’Épine Monsieur, un homme est là qui veut parler à vous,
Il est vêtu de noir, et parle d’un ton doux. Trissotin C’est cet ami savant qui m’a fait tant d’instance
930    De lui donner l’honneur de votre connaissance.

Philaminte Pour le faire venir, vous avez tout crédit.
Faisons bien les honneurs au moins de notre esprit.
Holà. Je vous ai dit en paroles bien claires,
Que j’ai besoin de vous. Henriette Mais pour quelles affaires ? Philaminte 935 Venez, on va dans peu vous les faire savoir. Trissotin Voici l’homme qui meurt du désir de vous voir.
En vous le produisant, je ne crains point le blâme
D’avoir admis chez vous un profane, Madame,
Il peut tenir son coin parmi de beaux esprits. Philaminte 940 La main qui le présente, en dit assez le prix. Trissotin Il a des vieux auteurs la pleine intelligence,
Et sait du grec, Madame, autant qu’homme de France. Philaminte Du grec, ô Ciel ! du grec ! Il sait du grec, ma sœur ! Bélise Ah, ma nièce, du grec ! Armande Du grec ! quelle douceur !

Philaminte 945 Quoi, Monsieur sait du grec ? Ah permettez, de grâce
Que pour l’amour du grec, Monsieur, on vous embrasse.
(Il les baise toutes, jusques à Henriette qui le refuse.)

Henriette Excusez-moi, Monsieur, je n’entends pas le grec. Philaminte J’ai pour les livres grecs un merveilleux respect. Vadius Je crains d’être fâcheux, par l’ardeur qui m’engage
950 À vous rendre aujourd’hui, Madame, mon hommage,
Et j’aurais pu troubler quelque docte entretien. Philaminte Monsieur, avec du grec on ne peut gâter rien. Trissotin Au reste il fait merveille en vers ainsi qu’en prose,
Et pourrait, s’il voulait, vous montrer quelque chose. Vadius 955 Le défaut des auteurs, dans leurs productions,
C’est d’en tyranniser les conversations ;
D’être au Palais, au Cours, aux ruelles, aux tables,
De leurs vers fatigants lecteurs infatigables.
Pour moi je ne vois rien de plus sot à mon sens,
960 Qu’un auteur qui partout va gueuser des encens,
Qui des premiers venus saisissant les oreilles,
En fait le plus souvent les martyrs de ses veilles.
On ne m’a jamais vu ce fol entêtement,
Et d’un Grec là-dessus je suis le sentiment,
965 Qui par un dogme exprès défend à tous ses sages
L’indigne empressement de lire leurs ouvrages.
Voici de petits vers pour de jeunes amants,
Sur quoi je voudrais bien avoir vos sentiments. Trissotin Vos vers ont des beautés que n’ont point tous les autres. Vadius 970 Les grâces et Vénus règnent dans tous les vôtres. Trissotin Vous avez le tour libre, et le beau choix des mots. Vadius On voit partout chez vous l’ithos et le pathos. Trissotin Nous avons vu de vous des églogues d’un style,
Qui passe en doux attraits Théocrite et Virgile. Vadius 975 Vos odes ont un air noble, galant et doux,
Qui laisse de bien loin votre Horace après vous. Trissotin Est-il rien d’amoureux comme vos chansonnettes ? Vadius Peut-on voir rien d’égal aux sonnets que vous faites ? Trissotin Rien qui soit plus charmant que vos petits rondeaux ? Vadius 980 Rien de si plein d’esprit que tous vos madrigaux ? Trissotin Aux ballades surtout vous êtes admirable. Vadius Et dans les bouts-rimés je vous trouve adorable. Trissotin Si la France pouvait connaître votre prix, Vadius Si le siècle rendait justice aux beaux esprits, Trissotin 985 En carrosse doré vous iriez par les rues.

Vadius On verrait le public vous dresser des statues.
Hom. C’est une ballade, et je veux que tout net
Vous m’en…Trissotin Avez-vous vu certain petit sonnet
Sur la fièvre qui tient la princesse Uranie ? Vadius 990 Oui, hier il me fut lu dans une compagnie. Trissotin Vous en savez l’auteur ? Vadius Non ; mais je sais fort bien,
Qu’à ne le point flatter, son sonnet ne vaut rien. Trissotin Beaucoup de gens pourtant le trouvent admirable. Vadius Cela n’empêche pas qu’il ne soit misérable ;
995 Et si vous l’avez vu, vous serez de mon goût. Trissotin Je sais que là-dessus je n’en suis point du tout,
Et que d’un tel sonnet peu de gens sont capables Vadius Me préserve le Ciel d’en faire de semblables ! Trissotin Je soutiens qu’on ne peut en faire de meilleur ;
1000 Et ma grande raison, c’est que j’en suis l’auteur. Vadius Vous ? Trissotin Moi. Vadius Je ne sais donc comment se fit l’affaire. Trissotin C’est qu’on fut malheureux, de ne pouvoir vous plaire. Vadius Il faut qu’en écoutant j’aie eu l’esprit distrait,
Ou bien que le lecteur m’ait gâté le sonnet.
1005 Mais laissons ce discours, et voyons ma ballade. Trissotin La ballade, à mon goût, est une chose fade.
Ce n’en est plus la mode ; elle sent son vieux temps. Vadius La ballade pourtant charme beaucoup de gens. Trissotin Cela n’empêche pas qu’elle ne me déplaise. Vadius 1010 Elle n’en reste pas pour cela plus mauvaise. Trissotin Elle a pour les pédants de merveilleux appas. Vadius Cependant nous voyons qu’elle ne vous plaît pas. Trissotin Vous donnez sottement vos qualités aux autres. Vadius Fort impertinemment vous me jetez les vôtres. Trissotin 1015 Allez, petit grimaud, barbouilleur de papier. Vadius Allez, rimeur de balle, opprobre du métier. Trissotin Allez, fripier d’écrits, impudent plagiaire. Vadius Allez, cuistre… Philaminte Eh, Messieurs, que prétendez-vous faire ? Trissotin Va, va restituer tous les honteux larcins
1020 Que réclament sur toi les Grecs et les Latins.Vadius Va, va-t’en faire amende honorable au Parnasse,
D’avoir fait à tes vers estropier Horace. Trissotin Souviens-toi de ton livre, et de son peu de bruit. Vadius Et toi, de ton libraire à l’hôpital réduit. Trissotin 1025 Ma gloire est établie, en vain tu la déchires. Vadius Oui, oui, je te renvoie à l’auteur des Satires. Trissotin Je t’y renvoie aussi. Vadius J’ai le contentement,
Qu’on voit qu’il m’a traité plus honorablement.
Il me donne en passant une atteinte légère
1030 Parmi plusieurs auteurs qu’au Palais on révère ;
Mais jamais dans ses vers il ne te laisse en paix,
Et l’on t’y voit partout être en butte à ses traits. Trissotin C’est par là que j’y tiens un rang plus honorable.
Il te met dans la foule ainsi qu’un misérable,
1035 Il croit que c’est assez d’un coup pour t’accabler,
Et ne t’a jamais fait l’honneur de redoubler :
Mais il m’attaque à part comme un noble adversaire
Sur qui tout son effort lui semble nécessaire ;
Et ses coups contre moi redoublés en tous lieux,
1040 Montrent qu’il ne se croit jamais victorieux. Vadius Ma plume t’apprendra quel homme je puis être. Trissotin Et la mienne saura te faire voir ton maître. Vadius Je te défie en vers, prose, grec, et latin. Trissotin Hé bien, nous nous verrons seul à seul chez Barbin.

Scène IV

Trissotin, Philaminte, Bélise, Armande, Henriette.

Trissotin 1045 À mon emportement ne donnez aucun blâme ;
C’est votre jugement que je défends, Madame,
Dans le sonnet qu’il a l’audace d’attaquer. Philaminte À vous remettre bien, je me veux appliquer.
Mais parlons d’autre affaire. Approchez, Henriette.
1050 Depuis assez longtemps mon âme s’inquiète,
De ce qu’aucun esprit en vous ne se fait voir,
Mais je trouve un moyen de vous en faire avoir. Henriette C’est prendre un soin pour moi qui n’est pas nécessaire,
Les doctes entretiens ne sont point mon affaire.
1055 J’aime à vivre aisément, et dans tout ce qu’on dit
Il faut se trop peiner, pour avoir de l’esprit.
C’est une ambition que je n’ai point en tête,
Je me trouve fort bien, ma mère, d’être bête,<et>Et j’aime mieux n’avoir que de communs propos,
1060 Que de me tourmenter pour dire de beaux mots. Philaminte Oui, mais j’y suis blessée, et ce n’est pas mon compte
De souffrir dans mon sang une pareille honte.
La beauté du visage est un frêle ornement,
Une fleur passagère, un éclat d’un moment,
1065 Et qui n’est attaché qu’à la simple épiderme ;
Mais celle de l’esprit est inhérente et ferme.
J’ai donc cherché longtemps un biais de vous donner
La beauté que les ans ne peuvent moissonner,
De faire entrer chez vous le désir des sciences,
1070 De vous insinuer les belles connaissances ;
Et la pensée enfin où mes vœux ont souscrit,
C’est d’attacher à vous un homme plein d’esprit,
Et cet homme est Monsieur que je vous détermine
À voir comme l’époux que mon choix vous destine. Henriette Moi, ma mère ? Philaminte 1075 Oui, vous. Faites la sotte un peu. Bélise Je vous entends. Vos yeux demandent mon aveu,
Pour engager ailleurs un cœur que je possède.
Allez, je le veux bien. À ce nœud je vous cède,
C’est un hymen qui fait votre établissement. Trissotin 1080 Je ne sais que vous dire, en mon ravissement,
Madame, et cet hymen dont je vois qu’on m’honore
Me met… Henriette Tout beau, Monsieur, il n’est pas fait encore
Ne vous pressez pas tant. Philaminte Comme vous répondez !
Savez-vous bien que si… Suffit, vous m’entendez.
1085 Elle se rendra sage ; allons, laissons-la faire.

Scène V

Henriette, Armande.

Armande On voit briller pour vous les soins de notre mère ;
Et son choix ne pouvait d’un plus illustre époux…Henriette Si le choix est si beau, que ne le prenez-vous ? Armande C’est à vous, non à moi, que sa main est donnée. Henriette 1090Je vous le cède tout, comme à ma sœur aînée. Armande Si l’hymen comme à vous me paraissait charmant,
J’accepterais votre offre avec ravissement. Henriette Si j’avais comme vous les pédants dans la tête,
Je pourrais le trouver un parti fort honnête.

Armande 1095 Cependant bien qu’ici nos goûts soient différents,
Nous devons obéir, ma sœur, à nos parents ;
Une mère a sur nous une entière puissance,
Et vous croyez en vain par votre résistance…

Scène VI

Chrysale, Ariste, Clitandre, Henriette, Armande.

Chrysale Allons, ma fille, il faut approuver mon dessein,
1100 Ôtez ce gant. Touchez à Monsieur dans la main,
Et le considérez désormais dans votre âme
En homme dont je veux que vous soyez la femme. Armande De ce côté, ma sœur, vos penchants sont fort grands. Henriette Il nous faut obéir, ma sœur, à nos parents ;
1105 Un père a sur nos vœux une entière puissance.Armande Une mère a sa part à notre obéissance. Chrysale Qu’est-ce à dire ? Armande Je dis que j’appréhende fort
Qu’ici ma mère et vous ne soyez pas d’accord,
Et c’est un autre époux… Chrysale Taisez-vous, péronnelle !
1110 Allez philosopher tout le soûl avec elle,
Et de mes actions ne vous mêlez en rien.
Dites-lui ma pensée, et l’avertissez bien
Qu’elle ne vienne pas m’échauffer les oreilles ;
Allons vite. Ariste Fort bien ; vous faites des merveilles.

Clitandre 1115 Quel transport ! quelle joie ! ah ! que mon sort est doux ! Chrysale Allons, prenez sa main, et passez devant nous,
Menez-la dans sa chambre. Ah les douces caresses !
Tenez, mon cœur s’émeut à toutes ces tendresses,
Cela ragaillardit tout à fait mes vieux jours,
1120 Et je me ressouviens de mes jeunes amours.

ACTE IV


Scène I

Armande, Modèle:Philaminte.

Armande Oui, rien n’a retenu son esprit en balance.
Elle a fait vanité de son obéissance.
Son cœur, pour se livrer, à peine devant moi
S’est-il donné le temps d’en recevoir la loi,
1125 Et semblait suivre moins les volontés d’un père,
Qu’affecter de braver les ordres d’une mère. Philaminte Je lui montrerai bien aux lois de qui des deux
Les droits de la raison soumettent tous ses vœux ;
Et qui doit gouverner ou sa mère, ou son père,
1130 Ou l’esprit, ou le corps ; la forme, ou la matière. Armande On vous en devait bien au moins un compliment,
Et ce petit Monsieur en use étrangement,
De vouloir malgré vous devenir votre gendre. Philaminte Il n’en est pas encore où son cœur peut prétendre.
1135 Je le trouvais bien fait, et j’aimais vos amours ;
Mais dans ses procédés il m’a déplu toujours.
Il sait que Dieu merci je me mêle d’écrire,
Et jamais il ne m’a prié de lui rien lire.

Scène II

Clitandre, Armande, Modèle:Philaminte.

Armande Je ne souffrirais point, si j’étais que de vous,
1140 Que jamais d’Henriette il pût être l’époux.
On me ferait grand tort d’avoir quelque pensée,
Que là-dessus je parle en fille intéressée,
Et que le lâche tour que l’on voit qu’il me fait,
Jette au fond de mon cœur quelque dépit secret.
1145 Contre de pareils coups, l’âme se fortifie
Du solide secours de la philosophie,
Et par elle on se peut mettre au-dessus de tout :
Mais vous traiter ainsi, c’est vous pousser à bout.
Il est de votre honneur d’être à ses vœux contraire,
1150 Et c’est un homme enfin qui ne doit point vous plaire.
Jamais je n’ai connu, discourant entre nous,
Qu’il eût au fond du cœur de l’estime pour vous. Philaminte Petit sot ! Armande Quelque bruit que votre gloire fasse,
Toujours à vous louer il a paru de glace. Philaminte Le brutal ! Armande 1155 Et vingt fois, comme ouvrages nouveaux,
J’ai lu des vers de vous qu’il n’a point trouvés beaux. Philaminte L’impertinent ! Armande Souvent nous en étions aux prises ;
Et vous ne croiriez point de combien de sottises… Clitandre Eh doucement de grâce. Un peu de charité,
1160Madame, ou tout au moins un peu d’honnêteté.
Quel mal vous ai-je fait ? et quelle est mon offense,
Pour armer contre moi toute votre éloquence ?
Pour vouloir me détruire, et prendre tant de soin
De me rendre odieux aux gens dont j’ai besoin ?
1165 Parlez. Dites, d’où vient ce courroux effroyable ?
Je veux bien que Madame en soit juge équitable. Armande Si j’avais le courroux dont on veut m’accuser,
Je trouverais assez de quoi l’autoriser ;
Vous en seriez trop digne, et les premières flammes
1170 S’établissent des droits si sacrés sur les âmes.
Qu’il faut perdre fortune, et renoncer au jour,
Plutôt que de brûler des feux d’un autre amour ;
Au changement de vœux nulle horreur ne s’égale,
Et tout cœur infidèle est un monstre en morale. Clitandre 1175 Appelez-vous, Madame, une infidélité,
Ce que m’a de votre âme ordonné la fierté ?
Je ne fais qu’obéir aux lois qu’elle m’impose ;
Et si je vous offense, elle seule en est cause.
Vos charmes ont d’abord possédé tout mon cœur.
1180 Il a brûlé deux ans d’une constante ardeur ;
Il n’est soins empressés, devoirs, respects, services,
Dont il ne vous ait fait d’amoureux sacrifices.
Tous mes feux, tous mes soins ne peuvent rien sur vous,
Je vous trouve contraire à mes vœux les plus doux ;
1185 Ce que vous refusez, je l’offre au choix d’une autre.
Voyez. Est-ce, Madame, ou ma faute, ou la vôtre ?
Mon cœur court-il au change, ou si vous l’y poussez ?
Est-ce moi qui vous quitte, ou vous qui me chassez ? Armande Appelez-vous, Monsieur, être à vos vœux contraire,
1190 Que de leur arracher ce qu’ils ont de vulgaire,
Et vouloir les réduire à cette pureté
Où du parfait amour consiste la beauté ?
Vous ne sauriez pour moi tenir votre pensée
Du commerce des sens nette et débarrassée ?
1195 Et vous ne goûtez point dans ses plus doux appas,
Cette union des cœurs, où les corps n’entrent pas.
Vous ne pouvez aimer que d’une amour grossière ?
Qu’avec tout l’attirail des nœuds de la matière ?
Et pour nourrir les feux que chez vous on produit,
1200 Il faut un mariage, et tout ce qui s’ensuit.
Ah quel étrange amour ! et que les belles âmes
Sont bien loin de brûler de ces terrestres flammes !
Les sens n’ont point de part à toutes leurs ardeurs,
Et ce beau feu ne veut marier que les cœurs.
1205 Comme une chose indigne, il laisse là le reste.
C’est un feu pur et net comme le feu céleste,
On ne pousse avec lui que d’honnêtes soupirs,
Et l’on ne penche point vers les sales désirs.
Rien d’impur ne se mêle au but qu’on se propose.
1210 On aime pour aimer, et non pour autre chose.
Ce n’est qu’à l’esprit seul que vont tous les transports
Et l’on ne s’aperçoit jamais qu’on ait un corps. Clitandre Pour moi par un malheur, je m’aperçois, Madame,
Que j’ai, ne vous déplaise, un corps tout comme une âme :
1215 Je sens qu’il y tient trop, pour le laisser à part ;
De ces détachements je ne connais point l’art ;
Le Ciel m’a dénié cette philosophie,
Et mon âme et mon corps marchent de compagnie.
Il n’est rien de plus beau, comme vous avez dit,
1220 Que ces vœux épurés qui ne vont qu’à l’esprit,
Ces unions de cœurs, et ces tendres pensées,
Du commerce des sens si bien débarrassées :
Mais ces amours pour moi sont trop subtilisés,
Je suis un peu grossier, comme vous m’accusez ;
1225 J’aime avec tout moi-même, et l’amour qu’on me donne,
En veut, je le confesse, à toute la personne.
Ce n’est pas là matière à de grands châtiments ;
Et sans faire de tort à vos beaux sentiments,
Je vois que dans le monde on suit fort ma méthode,
1230 Et que le mariage est assez à la mode,
Passe pour un lien assez honnête et doux,
Pour avoir désiré de me voir votre époux,
Sans que la liberté d’une telle pensée
Ait dû vous donner lieu d’en paraître offensée. Armande 1235 Hé bien, Monsieur, hé bien, puisque sans m’écouter
Vos sentiments brutaux veulent se contenter ;
Puisque pour vous réduire à des ardeurs fidèles,
Il faut des nœuds de chair, des chaînes corporelles ;
Si ma mère le veut, je résous mon esprit
1240 À consentir pour vous à ce dont il s’agit. Clitandre Il n’est plus temps, Madame, une autre a pris la place ;
Et par un tel retour j’aurais mauvaise grâce
De maltraiter l’asile, et blesser les bontés,
Où je me suis sauvé de toutes vos fiertés. Philaminte 1245 Mais enfin comptez-vous, Monsieur, sur mon suffrage,
Quand vous vous promettez cet autre mariage ?
Et dans vos visions savez-vous, s’il vous plaît,
Que j’ai pour Henriette un autre époux tout prêt ? Clitandre Eh, Madame, voyez votre choix, je vous prie ;
1250 Exposez-moi, de grâce, à moins d’ignominie,
Et ne me rangez pas à l’indigne destin
De me voir le rival de Monsieur Trissotin.
L’amour des beaux esprits qui chez vous m’est contraire
Ne pouvait m’opposer un moins noble adversaire.
1255 Il en est, et plusieurs, que pour le bel esprit
Le mauvais goût du siècle a su mettre en crédit :
Mais Monsieur Trissotin n’a pu duper personne,
Et chacun rend justice aux écrits qu’il nous donne.
Hors céans, on le prise en tous lieux ce qu’il vaut ;
1260 Et ce qui m’a vingt fois fait tomber de mon haut,
C’est de vous voir au ciel élever des sornettes,
Que vous désavoueriez, si vous les aviez faites. Philaminte Si vous jugez de lui tout autrement que nous,
C’est que nous le voyons par d’autres yeux que vous.


Scène III

Trissotin, Armande, Philaminte, Clitandre.

Trissotin 1265 Je viens vous annoncer une grande nouvelle.
Nous l’avons en dormant, Madame, échappé belle :
Un monde près de nous a passé tout du long,
Est chu tout au travers de notre tourbillon ;
Et s’il eût en chemin rencontré notre terre,
1270 Elle eût été brisée en morceaux comme verre. Philaminte Remettons ce discours pour une autre saison,
Monsieur n’y trouverait ni rime, ni raison ;
Il fait profession de chérir l’ignorance,
Et de haïr surtout l’esprit et la science. Clitandre 1275 Cette vérité veut quelque adoucissement.
Je m’explique, Madame, et je hais seulement
La science et l’esprit qui gâtent les personnes.
Ce sont choses de soi qui sont belles et bonnes ;
Mais j’aimerais mieux être au rang des ignorants,
1280 Que de me voir savant comme certaines gens. Trissotin Pour moi je ne tiens pas, quelque effet qu’on suppose,
Que la science soit pour gâter quelque chose. Clitandre Et c’est mon sentiment, qu’en faits, comme en propos,
La science est sujette à faire de grands sots. Trissotin Le paradoxe est fort. Clitandre 1285 Sans être fort habile,
La preuve m’en serait je pense assez facile.
Si les raisons manquaient, je suis sûr qu’en tout cas
Les exemples fameux ne me manqueraient pas. Trissotin Vous en pourriez citer qui ne concluraient guère. Clitandre 1290 Je n’irais pas bien loin pour trouver mon affaire. Trissotin Pour moi je ne vois pas ces exemples fameux. Clitandre Moi, je les vois si bien, qu’ils me crèvent les yeux. Trissotin J’ai cru jusques ici que c’était l’ignorance
Qui faisait les grands sots, et non pas la science. Clitandre 1295 Vous avez cru fort mal, et je vous suis garant,
Qu’un sot savant est sot plus qu’un sot ignorant.

Trissotin Le sentiment commun est contre vos maximes,
Puisque « ignorant » et « sot » sont termes synonymes. Clitandre Si vous le voulez prendre aux usages du mot,
1300 L’alliance est plus grande entre pédant et sot.Trissotin La sottise dans l’un se fait voir toute pure. Clitandre Et l’étude dans l’autre ajoute à la nature. Trissotin Le savoir garde en soi son mérite éminent. Clitandre Le savoir dans un fat devient impertinent. Trissotin 1305 Il faut que l’ignorance ait pour vous de grands charmes,
Puisque pour elle ainsi vous prenez tant les armes. Clitandre Si pour moi l’ignorance a des charmes bien grands,
C’est depuis qu’à mes yeux s’offrent certains savants.Trissotin Ces certains savants-là, peuvent à les connaître
1310 Valoir certaines gens que nous voyons paraître. Clitandre Oui, si l’on s’en rapporte à ces certains savants ;
Mais on n’en convient pas chez ces certaines gens. Philaminte Il me semble, Monsieur… Clitandre Eh, Madame, de grâce,
Monsieur est assez fort, sans qu’à son aide on passe :
1315 Je n’ai déjà que trop d’un si rude assaillant ;
Et si je me défends, ce n’est qu’en reculant. Armande Mais l’offensante aigreur de chaque repartie
Dont vous… Clitandre Autre second, je quitte la partie. Philaminte On souffre aux entretiens ces sortes de combats,
1320 Pourvu qu’à la personne on ne s’attaque pas. Clitandre Eh, mon Dieu, tout cela n’a rien dont il s’offense ;
Il entend raillerie autant qu’homme de France ;
Et de bien d’autres traits il s’est senti piquer,
Sans que jamais sa gloire ait fait que s’en moquer. Trissotin 1325 Je ne m’étonne pas au combat que j’essuie,
De voir prendre à Monsieur la thèse qu’il appuie.
Il est fort enfoncé dans la Cour, c’est tout dit :
La Cour, comme l’on sait, ne tient pas pour l’esprit ;
Elle a quelque intérêt d’appuyer l’ignorance,
1330 Et c’est en courtisan qu’il en prend la défense. Clitandre Vous en voulez beaucoup à cette pauvre cour,
Et son malheur est grand, de voir que chaque jour
Vous autres beaux esprits, vous déclamiez contre elle ;
Que de tous vos chagrins vous lui fassiez querelle ;
1335 Et sur son méchant goût lui faisant son procès,
N’accusiez que lui seul de vos méchants succès.
Permettez-moi, Monsieur Trissotin, de vous dire,
Avec tout le respect que votre nom m’inspire,
Que vous feriez fort bien, vos confrères, et vous,
1340 De parler de la Cour d’un ton un peu plus doux ;
Qu’à le bien prendre au fond, elle n’est pas si bête
Que vous autres Messieurs vous vous mettez en tête ;
Qu’elle a du sens commun pour se connaître à tout ;
Que chez elle on se peut former quelque bon goût ;
1345 Et que l’esprit du monde y vaut, sans flatterie,
Tout le savoir obscur de la pédanterie. Trissotin De son bon goût, Monsieur, nous voyons des effets. Clitandre Où voyez-vous, Monsieur, qu’elle l’ait si mauvais ? Trissotin Ce que je vois, Monsieur, c’est que pour la science
1350 Rasius et Baldus font honneur à la France,
Et que tout leur mérite exposé fort au jour,
N’attire point les yeux et les dons de la Cour. Clitandre Je vois votre chagrin, et que par modestie
Vous ne vous mettez point, Monsieur, de la partie :
1355 Et pour ne vous point mettre aussi dans le propos,
Que font-ils pour l’État vos habiles héros ?
Qu’est-ce que leurs écrits lui rendent de service,
Pour accuser la Cour d’une horrible injustice,
Et se plaindre en tous lieux que sur leurs doctes noms
1360 Elle manque à verser la faveur de ses dons ?
Leur savoir à la France est beaucoup nécessaire,
Et des livres qu’ils font la Cour a bien affaire.
Il semble à trois gredins, dans leur petit cerveau,
Que pour être imprimés, et reliés en veau,
1365 Les voilà dans l’État d’importantes personnes ;
Qu’avec leur plume ils font les destins des couronnes ;
Qu’au moindre petit bruit de leurs productions,
Ils doivent voir chez eux voler les pensions ;
Que sur eux l’univers a la vue attachée ;
1370 Que partout de leur nom la gloire est épanchée,
Et qu’en science ils sont des prodiges fameux,
Pour savoir ce qu’ont dit les autres avant eux,
Pour avoir eu trente ans des yeux et des oreilles,
Pour avoir employé neuf ou dix mille veilles
1375 À se bien barbouiller de grec et de latin,
Et se charger l’esprit d’un ténébreux butin
De tous les vieux fatras qui traînent dans les livres ;
Gens qui de leur savoir paraissent toujours ivres ;
Riches pour tout mérite, en babil importun,
1380 Inhabiles à tout, vides de sens commun,
Et pleins d’un ridicule, et d’une impertinence
À décrier partout l’esprit et la science. Philaminte Votre chaleur est grande, et cet emportement
De la nature en vous marque le mouvement.
1385 C’est le nom de « rival » qui dans votre âme excite…

Scène IV

Julien, Trissotin, {Philaminte, Clitandre, Armande.

Julien Le savant qui tantôt vous a rendu visite,
Et de qui j’ai l’honneur de me voir le valet,
Madame, vous exhorte à lire ce billet. Philaminte Quelque important que soit ce qu’on veut que je lise,
1390 Apprenez, mon ami, que c’est une sottise
De se venir jeter au travers d’un discours,
Et qu’aux gens d’un logis il faut avoir recours,
Afin de s’introduire en valet qui sait vivre.

Julien Je noterai cela, Madame, dans mon livre. Philaminte, lit : Trissotin s’est vanté, Madame, qu’il épouserait votre fille. Je vous
donne avis que sa philosophie n’en veut qu’à vos richesses, et que
vous ferez bien de ne point conclure ce mariage, que vous n’ayez
vu le poème que je compose contre lui. En attendant cette peinture
où je prétends vous le dépeindre de toutes ses couleurs, je vous
envoie Horace, Virgile, Térence et Catulle, où vous verrez notés en
marge tous les endroits qu’il a pillés.
Philaminte, poursuit. 1395 Voilà sur cet hymen que je me suis promis
Un mérite attaqué de beaucoup d’ennemis ;
Et ce déchaînement aujourd’hui me convie,
À faire une action qui confonde l’envie ;
Qui lui fasse sentir que l’effort qu’elle fait,
1400 De ce qu’elle veut rompre, aura pressé l’effet.
Reportez tout cela sur l’heure à votre maître ;
Et lui dites, qu’afin de lui faire connaître
Quel grand état je fais de ses nobles avis,
Et comme je les crois dignes d’être suivis,
1405 Dès ce soir à Monsieur je marierai ma fille ;
Vous, Monsieur, comme ami de toute la famille,
À signer leur contrat vous pourrez assister,
Et je vous y veux bien de ma part inviter.
Armande, prenez soin d’envoyer au notaire,
1410 Et d’aller avertir votre sœur de l’affaire. Armande Pour avertir ma sœur, il n’en est pas besoin,
Et Monsieur que voilà, saura prendre le soin
De courir lui porter bientôt cette nouvelle,
Et disposer son cœur à vous être rebelle. Philaminte 1415 Nous verrons qui sur elle aura plus de pouvoir,
Et si je la saurai réduire à son devoir. Elle s’en va. Armande J’ai grand regret, Monsieur, de voir qu’à vos visées,
Les choses ne soient pas tout à fait disposées.Clitandre Je m’en vais travailler, Madame, avec ardeur,
1420 À ne vous point laisser ce grand regret au cœur. Armande J’ai peur que votre effort n’ait pas trop bonne issue. Clitandre Peut-être verrez-vous votre crainte déçue. Armande Je le souhaite ainsi. Clitandre J’en suis persuadé,
Et que de votre appui je serai secondé. Armande 1425 Oui, je vais vous servir de toute ma puissance. Clitandre Et ce service est sûr de ma reconnaissance.

Scène V

Chrysale, Ariste, {Henriette, Clitandre.

Clitandre Sans votre appui, Monsieur, je serai malheureux.
Madame votre femme a rejeté mes vœux,
Et son cœur prévenu, veut Trissotin pour gendre. Chrysale 1430 Mais quelle fantaisie a-t-elle donc pu prendre ?
Pourquoi diantre vouloir ce Monsieur Trissotin ? Ariste C’est par l’honneur qu’il a de rimer à latin,
Qu’il a sur son rival emporté l’avantage. Chrysale Elle veut dès ce soir faire ce mariage. Chrysale Dès ce soir ? Clitandre Dès ce soir. Chrysale 1435 Et dès ce soir je veux,
Pour la contrecarrer, vous marier vous deux. Clitandre Pour dresser le contrat, elle envoie au notaire. Chrysale Et je vais le quérir pour celui qu’il doit faire. Clitandre Et Madame doit être instruite par sa sœur,
1440 De l’hymen où l’on veut qu’elle apprête son cœur.Chrysale Et moi, je lui commande avec pleine puissance,
De préparer sa main à cette autre alliance.
Ah je leur ferai voir, si pour donner la loi,
Il est dans ma maison d’autre maître que moi.
1445 Nous allons revenir, songez à nous attendre ;
Allons, suivez mes pas, mon frère, et vous mon gendre. Henriette Hélas ! dans cette humeur conservez-le toujours. Ariste J’emploierai toute chose à servir vos amours. Clitandre Quelque secours puissant qu’on promette à ma flamme,
1450 Mon plus solide espoir, c’est votre cœur, Madame. Henriette Pour mon cœur vous pouvez vous assurer de lui. Clitandre Je ne puis qu’être heureux, quand j’aurai son appui. Henriette Vous voyez à quels nœuds on prétend le contraindre. Clitandre Tant qu’il sera pour moi, je ne vois rien à craindre. Henriette 1455 Je vais tout essayer pour nos vœux les plus doux ;
Et si tous mes efforts ne me donnent à vous,
Il est une retraite où notre âme se donne, Qui m’empêchera d’être à toute autre personne. Clitandre Veuille le juste Ciel me garder en ce jour,
1460 De recevoir de vous cette preuve d’amour.

ACTE V


Scène I

Henriette, Trissotin.

Henriette C’est sur le mariage où ma mère s’apprête,
Que j’ai voulu, Monsieur, vous parler tête à tête ;
Et j’ai cru dans le trouble où je vois la maison,
Que je pourrais vous faire écouter la raison.
1465 Je sais qu’avec mes vœux vous me jugez capable
De vous porter en dot un bien considérable :
Mais l’argent dont on voit tant de gens faire cas,
Pour un vrai philosophe a d’indignes appas ;
Et le mépris du bien et des grandeurs frivoles,
1470 Ne doit point éclater dans vos seules paroles. Trissotin Aussi n’est-ce point là ce qui me charme en vous ;
Et vos brillants attraits, vos yeux perçants et doux,
Votre grâce et votre air sont les biens, les richesses,
Qui vous ont attiré mes vœux et mes tendresses ;
1475 C’est de ces seuls trésors que je suis amoureux. Henriette Je suis fort redevable à vos feux généreux ;
Cet obligeant amour a de quoi me confondre,
Et j’ai regret, Monsieur, de n’y pouvoir répondre.
Je vous estime autant qu’on saurait estimer,
1480Mais je trouve un obstacle à vous pouvoir aimer.
Un cœur, vous le savez, à deux ne saurait être,
Et je sens que du mien Clitandre s’est fait maître.
Je sais qu’il a bien moins de mérite que vous,
Que j’ai de méchants yeux pour le choix d’un époux,
1485 Que par cent beaux talents vous devriez me plaire.
Je vois bien que j’ai tort, mais je n’y puis que faire ;
Et tout ce que sur moi peut le raisonnement,
C’est de me vouloir mal d’un tel aveuglement. Trissotin Le don de votre main où l’on me fait prétendre,
1490 Me livrera ce cœur que possède Clitandre ;
Et par mille doux soins, j’ai lieu de présumer,
Que je pourrai trouver l’art de me faire aimer. Henriette Non, à ses premiers vœux mon âme est attachée,
Et ne peut de vos soins, Monsieur, être touchée.
1495 Avec vous librement j’ose ici m’expliquer,
Et mon aveu n’a rien qui vous doive choquer.
Cette amoureuse ardeur qui dans les cœurs s’excite,
N’est point, comme l’on sait, un effet du mérite ;
Le caprice y prend part, et quand quelqu’un nous plaît,
1500 Souvent nous avons peine à dire pourquoi c’est.
Si l’on aimait, Monsieur, par choix et par sagesse,
Vous auriez tout mon cœur et toute ma tendresse ;
Mais on voit que l’amour se gouverne autrement.
Laissez-moi, je vous prie, à mon aveuglement,
1505 Et ne vous servez point de cette violence
Que pour vous on veut faire à mon obéissance.
Quand on est honnête homme, on ne veut rien devoir
À ce que des parents ont sur nous de pouvoir.
On répugne à se faire immoler ce qu’on aime,
1510 Et l’on veut n’obtenir un cœur que de lui-même.
Ne poussez point ma mère à vouloir par son choix,
Exercer sur mes vœux la rigueur de ses droits.
Ôtez-moi votre amour, et portez à quelque autre
Les hommages d’un cœur aussi cher que le vôtre. Trissotin 1515 Le moyen que ce cœur puisse vous contenter ?
Imposez-lui des lois qu’il puisse exécuter.
De ne vous point aimer peut-il être capable,
À moins que vous cessiez, Madame, d’être aimable,
Et d’étaler aux yeux les célestes appas… Henriette 1520 Eh Monsieur, laissons là ce galimatias.
Vous avez tant d’Iris, de Philis, d’Amarantes,
Que partout dans vos vers vous peignez si charmantes,
Et pour qui vous jurez tant d’amoureuse ardeur… Trissotin C’est mon esprit qui parle, et ce n’est pas mon cœur.
1525 D’elles on ne me voit amoureux qu’en poète ;
Mais j’aime tout de bon l’adorable Henriette. Henriette Eh de grâce, Monsieur… Trissotin Si c’est vous offenser,
Mon offense envers vous n’est pas prête à cesser.
Cette ardeur jusqu’ici de vos yeux ignorée,
1530 Vous consacre des vœux d’éternelle durée.
Rien n’en peut arrêter les aimables transports ;
Et bien que vos beautés condamnent mes efforts,
Je ne puis refuser le secours d’une mère
Qui prétend couronner une flamme si chère ;
1535 Et pourvu que j’obtienne un bonheur si charmant,
Pourvu que je vous aie, il n’importe comment.

Henriette Mais savez-vous qu’on risque un peu plus qu’on ne pense,
À vouloir sur un cœur user de violence ?
Qu’il ne fait pas bien sûr, à vous le trancher net,
1540 D’épouser une fille en dépit qu’elle en ait ;
Et qu’elle peut aller en se voyant contraindre,
À des ressentiments que le mari doit craindre ? Trissotin Un tel discours n’a rien dont je sois altéré.
À tous événements le sage est préparé.
1545 Guéri par la raison des faiblesses vulgaires,
Il se met au-dessus de ces sortes d’affaires,
Et n’a garde de prendre aucune ombre d’ennui
De tout ce qui n’est pas pour dépendre de lui. Henriette En vérité, Monsieur, je suis de vous ravie ;
1550 Et je ne pensais pas que la philosophie
Fût si belle qu’elle est, d’instruire ainsi les gens
À porter constamment de pareils accidents.
Cette fermeté d’âme à vous si singulière,
Mérite qu’on lui donne une illustre matière ;
1555 Est digne de trouver qui prenne avec amour,
Les soins continuels de la mettre en son jour ;
Et comme à dire vrai, je n’oserais me croire
Bien propre à lui donner tout l’éclat de sa gloire,
Je le laisse à quelque autre, et vous jure entre nous,
1560 Que je renonce au bien de vous voir mon époux.Trissotin Nous allons voir bientôt comment ira l’affaire ;
Et l’on a là dedans fait venir le notaire.

Scène II

Chrysale, Clitandre, Martine, Modèle:Henriette.

Chrysale Ah, ma fille, je suis bien aise de vous voir.
Allons, venez-vous-en faire votre devoir,
1565 Et soumettre vos vœux aux volontés d’un père.
Je veux, je veux apprendre à vivre à votre mère ;
Et pour la mieux braver, voilà, malgré ses dents,
Martine que j’amène, et rétablis céans.

Henriette Vos résolutions sont dignes de louange.1570 Gardez que cette humeur, mon père, ne vous change.
Soyez ferme à vouloir ce que vous souhaitez,
Et ne vous laissez point séduire à vos bontés.
Ne vous relâchez pas, et faites bien en sorte
D’empêcher que sur vous ma mère ne l’emporte. Chrysale 1575 Comment ? Me prenez-vous ici pour un benêt ? Henriette M’en préserve le Ciel. Chrysale Suis-je un fat, s’il vous plaît ? Henriette Je ne dis pas cela. Chrysale Me croit-on incapable
Des fermes sentiments d’un homme raisonnable ? Henriette Non, mon père. Chrysale Est-ce donc qu’à l’âge où je me voi,
1580 Je n’aurais pas l’esprit d’être maître chez moi ? Henriette Si fait. Chrysale Et que j’aurais cette faiblesse d’âme,
De me laisser mener par le nez à ma femme ? Henriette Eh non, mon père. Chrysale Ouais. Qu’est-ce donc que ceci ?
Je vous trouve plaisante à me parler ainsi. Henriette 1585 Si je vous ai choqué, ce n’est pas mon envie. Chrysale Ma volonté céans doit être en tout suivie. Henriette Fort bien, mon père. Chrysale Aucun, hors moi, dans la maison,
N’a droit de commander. Henriette Oui, vous avez raison. Chrysale C’est moi qui tiens le rang de chef de la famille. Henriette D’accord. Chrysale 1590 C’est moi qui dois disposer de ma fille. Henriette Eh oui. Chrysale Le Ciel me donne un plein pouvoir sur vous. Henriette Qui vous dit le contraire ? Chrysale Et pour prendre un époux,
Je vous ferai bien voir que c’est à votre père
Qu’il vous faut obéir, non pas à votre mère. Henriette 1595 Hélas ! vous flattez là les plus doux de mes vœux ;
Veuillez être obéi, c’est tout ce que je veux. Chrysale Nous verrons si ma femme à mes désirs rebelle… Clitandre La voici qui conduit le notaire avec elle. Chrysale Secondez-moi bien tous. Martine Laissez-moi, j’aurai soin
1600 De vous encourager, s’il en est de besoin.

Scène III

Philaminte, Bélise, Armande, Trissotin, le notaire, Chrysale, Clitandre, Modèle:Henriette, Martine.

Philaminte Vous ne sauriez changer votre style sauvage,
Et nous faire un contrat qui soit en beau langage ? le notaire Notre style est très bon, et je serais un sot,
Madame, de vouloir y changer un seul mot. Bélise 1605 Ah ! quelle barbarie au milieu de la France !
Mais au moins en faveur, Monsieur, de la science,
Veuillez au lieu d’écus, de livres et de francs,
Nous exprimer la dot en mines et talents,
Et dater par les mots d’ides et de calendes. le notaire 1610 Moi ? Si j’allais, Madame, accorder vos demandes,
Je me ferais siffler de tous mes compagnons. Philaminte De cette barbarie en vain nous nous plaignons.
Allons, Monsieur, prenez la table pour écrire.
Ah, ah ! cette impudente ose encor se produire ?
1615 Pourquoi donc, s’il vous plaît, la ramener chez moi ?

Chrysale Tantôt avec loisir on vous dira pourquoi.
Nous avons maintenant autre chose à conclure. le notaire Procédons au contrat. Où donc est la future ? Philaminte Celle que je marie est la cadette. le notaire Bon. Chrysale 1620 Oui. La voilà, Monsieur, Henriette est son nom. le notaire Fort bien. Et le futur ? Philaminte L’époux que je lui donne
Est Monsieur. Chrysale, montrant Clitandre. Et celui, moi, qu’en propre personne,
Je prétends qu’elle épouse, est Monsieur. le notaire Deux époux ! C’est trop pour la coutume. Philaminte Où vous arrêtez-vous ?
1625 Mettez, mettez, Monsieur, Trissotin pour mon gendre. Chrysale Pour mon gendre mettez, mettez, Monsieur, Clitandre. le notaire Mettez-vous donc d’accord et d’un jugement mûr
Voyez à convenir entre vous du futur. Philaminte Suivez, suivez, Monsieur, le choix où je m’arrête. Chrysale 1630 Faites, faites, Monsieur, les choses à ma tête. le notaire Dites-moi donc à qui j’obéirai des deux Philaminte Quoi donc, vous combattez les choses que je veux ? Chrysale Je ne saurais souffrir qu’on ne cherche ma fille,
Que pour l’amour du bien qu’on voit dans ma famille.Philaminte 1635 Vraiment à votre bien on songe bien ici,
Et c’est là pour un sage, un fort digne souci ! Chrysale Enfin pour son époux, j’ai fait choix de Clitandre. Philaminte Et moi, pour son époux, voici qui je veux prendre :
Mon choix sera suivi, c’est un point résolu. Chrysale 1640 Ouais. Vous le prenez là d’un ton bien absolu ? Martine Ce n’est point à la femme à prescrire, et je sommes
Pour céder le dessus en toute chose aux hommes. Chrysale C’est bien dit. Martine Mon congé cent fois me fût-il hoc
La poule ne doit point chanter devant le coq. Chrysale Sans doute. Martine 1645 Et nous voyons que d’un homme on se gausse,
Quand sa femme chez lui porte le haut-de-chausse.Chrysale Il est vrai. Martine Si j’avais un mari, je le dis,
Je voudrais qu’il se fît le maître du logis.
Je ne l’aimerais point, s’il faisait le jocrisse
1650 Et si je contestais contre lui par caprice ;
Si je parlais trop haut, je trouverais fort bon,
Qu’avec quelques soufflets il rabaissât mon ton. Chrysale C’est parler comme il faut. Martine Monsieur est raisonnable,
De vouloir pour sa fille un mari convenable. Chrysale Oui. Martine 1655 Par quelle raison, jeune, et bien fait qu’il est,
Lui refuser Clitandre ? Et pourquoi, s’il vous plaît,
Lui bailler un savant, qui sans cesse épilogue ?
Il lui faut un mari, non pas un pédagogue :
Et ne voulant savoir le grais, ni le latin,
1660 Elle n’a pas besoin de Monsieur Trissotin. Chrysale Fort bien. Philaminte Il faut souffrir qu’elle jase à son aise. Martine Les savants ne sont bons que pour prêcher en chaise
Et pour mon mari, moi, mille fois je l’ai dit,
Je ne voudrais jamais prendre un homme d’esprit.
1665 L’esprit n’est point du tout ce qu’il faut en ménage ;
Les livres cadrent mal avec le mariage ;
Et je veux, si jamais on engage ma foi,
Un mari qui n’ait point d’autre livre que moi ;
Qui ne sache A, ne B, n’en déplaise à Madame,
1670 Et ne soit en un mot docteur que pour sa femme. Philaminte Est-ce fait ? et sans trouble ai-je assez écouté
Votre digne interprète ? Chrysale Elle a dit vérité. Philaminte Et moi, pour trancher court toute cette dispute,
Il faut qu’absolument mon désir s’exécute.
1675 Henriette, et Monsieur seront joints de ce pas ;
Je l’ai dit, je le veux, ne me répliquez pas :
Et si votre parole à Clitandre est donnée,
Offrez-lui le parti d’épouser son aînée. Chrysale Voilà dans cette affaire un accommodement.
1680 Voyez ? y donnez-vous votre consentement ? Henriette Eh mon père ! Clitandre Eh Monsieur ! Bélise On pourrait bien lui faire
Des propositions qui pourraient mieux lui plaire :
Mais nous établissons une espèce d’amour
Qui doit être épuré comme l’astre du jour ;
1685 La substance qui pense, y peut être reçue,
Mais nous en bannissons la substance étendue.

Scène IV

Ariste, Chrysale, Philaminte, Bélise, Henriette, Armande, Trissotin, le notaire, Clitandre, Martine.

Ariste J’ai regret de troubler un mystère joyeux,
Par le chagrin qu’il faut que j’apporte en ces lieux.
Ces deux lettres me font porteur de deux nouvelles,
1690 Dont j’ai senti pour vous les atteintes cruelles :
L’une pour vous, me vient de votre procureur ;
L’autre pour vous, me vient de Lyon. Philaminte Quel malheur,
Digne de nous troubler, pourrait-on nous écrire ? Ariste Cette lettre en contient un que vous pouvez lire. Philaminte
Madame, j’ai prié Monsieur votre frère de vous rendre cette lettre, qui vous dira ce que je n’ai osé vous aller dire. La grande négligence que vous avez pour vos affaires, a été cause que le clerc de votre rapporteur ne m’a point averti, et vous avez perdu absolument votre procès que vous deviez gagner.

Philaminte Votre procès perdu ! Philaminte 1695 Vous vous troublez beaucoup !
Mon cœur n’est point du tout ébranlé de ce coup.
Faites, faites paraître une âme moins commune
À braver comme moi les traits de la fortune.
Le peu de soin que vous avez vous coûte quarante mille écus, et c’est à payer cette somme, avec les dépens, que vous êtes condamnée par arrêt de la cour.
Condamnée ! Ah ce mot est choquant, et n’est fait
Que pour les criminels. Ariste 1700 Il a tort en effet,
Et vous vous êtes là justement récriée.
Il devait avoir mis que vous êtes priée,
Par arrêt de la cour, de payer au plus tôt
Quarante mille écus, et les dépens qu’il faut. Philaminte Voyons l’autre. Chrysale, lit.
Monsieur, l’amitié qui me lie à Monsieur votre frère, me fait prendre intérêt à tout ce qui vous touche. Je sais que vous avez mis votre bien entre les mains d’Argante et de Damon, et je vous donne avis qu’en même jour ils ont fait tous deux banqueroute.
1705 Ô Ciel ! tout à la fois perdre ainsi tout mon bien ! Philaminte Ah quel honteux transport ! Fi ! tout cela n’est rien.
Il n’est pour le vrai sage aucun revers funeste,
Et perdant toute chose, à soi-même il se reste.
Achevons notre affaire, et quittez votre ennui ;
1710 Son bien nous peut suffire et pour nous, et pour lui. Trissotin Non, Madame, cessez de presser cette affaire.
Je vois qu’à cet hymen tout le monde est contraire,
Et mon dessein n’est point de contraindre les gens. Philaminte Cette réflexion vous vient en peu de temps !
1715 Elle suit de bien près, Monsieur, notre disgrâce. Trissotin De tant de résistance à la fin je me lasse.
J’aime mieux renoncer à tout cet embarras,
Et ne veux point d’un cœur qui ne se donne pas. Philaminte Je vois, je vois de vous, non pas pour votre gloire,
1720 Ce que jusques ici j’ai refusé de croire. Trissotin Vous pouvez voir de moi tout ce que vous voudrez,
Et je regarde peu comment vous le prendrez :
Mais je ne suis point homme à souffrir l’infamie
Des refus offensants qu’il faut qu’ici j’essuie ;
1725 Je vaux bien que de moi l’on fasse plus de cas,
Et je baise les mains à qui ne me veut pas. Philaminte Qu’il a bien découvert son âme mercenaire !
Et que peu philosophe est ce qu’il vient de faire ! Clitandre Je ne me vante point de l’être, mais enfin
1730 Je m’attache, Madame, à tout votre destin ;
Et j’ose vous offrir, avecque ma personne,
Ce qu’on sait que de bien la fortune me donne. Philaminte Vous me charmez, Monsieur, par ce trait généreux,
Et je veux couronner vos désirs amoureux.
1735 Oui, j’accorde Henriette à l’ardeur empressée… Henriette Non, ma mère, je change à présent de pensée.
Souffrez que je résiste à votre volonté. Clitandre Quoi, vous vous opposez à ma félicité ?
Et lorsqu’à mon amour je vois chacun se rendre… Henriette 1740 Je sais le peu de bien que vous avez, Clitandre,
Et je vous ai toujours souhaité pour époux,
Lorsqu’en satisfaisant à mes vœux les plus doux,
J’ai vu que mon hymen ajustait vos affaires :
Mais lorsque nous avons les destins si contraires,
1745 Je vous chéris assez dans cette extrémité,
Pour ne vous charger point de notre adversité.Clitandre Tout destin avec vous me peut être agréable ;
Tout destin me serait sans vous insupportable. Henriette L’amour dans son transport parle toujours ainsi.
1750 Des retours importuns évitons le souci,
Rien n’use tant l’ardeur de ce nœud qui nous lie,
Que les fâcheux besoins des choses de la vie ;
Et l’on en vient souvent à s’accuser tous deux,
De tous les noirs chagrins qui suivent de tels feux. Ariste 1755 N’est-ce que le motif que nous venons d’entendre,
Qui vous fait résister à l’hymen de Clitandre ? Henriette Sans cela, vous verriez tout mon cœur y courir ;
Et je ne fuis sa main, que pour le trop chérir. Ariste Laissez-vous donc lier par des chaînes si belles.
1760 Je ne vous ai porté que de fausses nouvelles ;
Et c’est un stratagème, un surprenant secours,
Que j’ai voulu tenter pour servir vos amours ;
Pour détromper ma sœur, et lui faire connaître
Ce que son philosophe à l’essai pouvait être. Chrysale Le Ciel en soit loué. Philaminte 1765 J’en ai la joie au cœur,
Par le chagrin qu’aura ce lâche déserteur.
Voilà le châtiment de sa basse avarice,
De voir qu’avec éclat cet hymen s’accomplisse. Chrysale Je le savais bien, moi, que vous l’épouseriez. Armande 1770 Ainsi donc à leurs vœux vous me sacrifiez ? Philaminte Ce ne sera point vous que je leur sacrifie,
Et vous avez l’appui de la philosophie,
Pour voir d’un œil content couronner leur ardeur. Bélise Qu’il prenne garde au moins que je suis dans son cœur.
1775 Par un prompt désespoir souvent on se marie,
Qu’on s’en repent après tout le temps de sa vie. Chrysale Allons, Monsieur, suivez l’ordre que j’ai prescrit,
Et faites le contrat ainsi que je l’ai dit.